Japon Archives - Master Intelligence Economique et Stratégies Compétitives Le Master Intelligence Economique qui combine analyse économique, outils de veille, e-réputation, gestion de crise et big data via une formation sur deux ans. Thu, 26 Nov 2020 14:01:41 +0000 fr-FR hourly 1 Le soft power japonais : le « Cool Japan » sur sa dernière jambe ? https://master-iesc-angers.com/le-soft-power-japonais-le-cool-japan-sur-sa-derniere-jambe/ Thu, 26 Nov 2020 14:01:41 +0000 https://master-iesc-angers.com/?p=3299 Le soft power est d’après Joseph Nye[1] un moyen pour un acteur politique, ici l’Etat, d’influencer le comportement d’un autre acteur sans avoir à passer par la coercition (hard power).  La plus grosse part du soft power ne vient pas… Continuer la lecture

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Le soft power est d’après Joseph Nye[1] un moyen pour un acteur politique, ici l’Etat, d’influencer le comportement d’un autre acteur sans avoir à passer par la coercition (hard power).  La plus grosse part du soft power ne vient pas directement de l’Etat mais de la culture ancrée dans la société du pays. Par exemple, Hollywood est un produit des films américains, la culture manga et animé s’est développée au Japon, et il en va de même pour la pop culture Coréenne. A cela on ajoute le prestige des universités et les différents systèmes éducatifs. Ce sont ce genre d’éléments qui permettent réellement la transmission de la culture d’un pays. Sur ce point, la Chine, avec son soft power basé sur les pandas et centré sur l’initiative du gouvernement, n’a selon Joseph Nye pas complétement saisie l’essence même du soft power.

En revanche, le pays du soleil levant, le Japon, est devenu ces dernières années une véritable puissance culturelle. Son utilisation du soft power afin de transmettre sa culture, lui a permis de prendre une part plus importante sur la scène internationale et dans l’esprit des citoyens du monde entier, comme un pays captivant. C’est un cas d’école sur l’utilisation du soft power et un exemple qui ne peut être omis quand ce concept est évoqué. Son application de l’idée se fait à partir d’une politique que le gouvernement appelle « Cool Japan ». Cette politique leur a permis d’accueillir la coupe du monde de rugby en 2019 et les jeux olympiques de 2020 (reportés à 2021).

Qu’est-ce que le « Cool Japan » ?

« Cool Japan » est une initiative qui a été mise en place par le gouvernement japonais afin de promouvoir sa culture dans le monde entier, c’est son application de la notion de soft power. Elle fait suite à l’article de Douglas McGray en 2002 « Japan’s Gross National Cool ». Cet article, très flatteur, a fait beaucoup de bruit à l’époque car il a mis en évidence la part grandissante de l’influence et du succès de la culture japonaise dans le reste du monde. Assez ironiquement, ce succès n’avait pas été remarqué par les premiers concernés. Dans l’article, McGray montre comment le japon est devenu depuis les années 80, une superpuissance culturelle. Il cite plusieurs exemples, comme le film d’animation « le voyage de Chihiro », premier film d’animation à gagner un oscar, ou alors Hello Kitty, qui réalise un chiffre d’affaire de plus d’un Milliard par an, ou encore Pokémon, diffusé dans 65 pays et traduit dans plus de 30 langues. Tout cela dans un contexte de crise économique japonaise, avec moins de 1% de croissance annuelle du PIB.

C’est grâce à cet article que le japon prend conscience de ses forces et met en place une politique de soft power. L’article a joué un rôle tellement important que le gouvernement a même décidé de réutiliser les termes employés dans celui-ci, d’où le nom « Cool Japan ».

A travers cette politique, l’Etat japonais « engage » des acteurs du secteur privé afin de promouvoir la culture japonaise au monde entier à travers divers moyens. La culture japonaise ne se limite pas uniquement à la pop culture, il faut également y inclure la culture traditionnelle, la gastronomie, etc. De larges sommes d’argent sont versées à ces acteurs afin d’entretenir la politique. On assiste alors à une vraie collaboration du secteur public et privé afin de suivre une stratégie nationale

Quels en sont les enjeux ?

La stratégie du « Cool Japan » se déroule en 3 étapes. Il s’agit premièrement de créer un boom japonais dans un maximum de pays, c’est-à-dire, susciter chez les résidents des pays un intérêt pour la culture japonaise, que ce soit au niveau traditionnel, gastronomique, sociétal etc… via la distribution et/ou la diffusion de média de tout genre. Deuxièmement, il s’agit de faire en sorte que cet intérêt, qui a été éveillé, se transforme en comportement de consommation de produits culturels afin de soutenir l’économie japonaise. C’est d’ailleurs à cause de cette partie de leur stratégie que les règles de droit d’auteur sont si strictes au japon, le contenu de leur média étant facilement piratable. Par exemple, les plateformes légales de diffusion d’animés font face à la compétition d’un bon nombre de sites pirates. Cette consommation sera soutenue et alimentée par la présence de commerces, d’évènements, et bien d’autres initiatives à travers le monde. Ce n’est pas la France, avec son statut de deuxième consommateur de manga, (derrière le japon), et sa Japan expo annuelle, qui réfutera l’efficacité de ces initiatives. Enfin, il s’agit d’attirer les individus sur le sol Japonais. Après leur avoir fait consommer les produits culturels, on les fait consommer localement. Cette dernière étape se réalise à travers le tourisme, par exemple avant la crise de la Covid-19, le Japon s’attendait à 30 millions de visiteurs, les partenariats de mobilité inter-fac. Tout cela dans l’objectif de stimuler l’économie.

Cette stratégie a aussi pour but d’améliorer la perception du Japon dans le monde, et de lui faire oublier son passé de pays impérialiste et totalitaire. En effet, même si le Japon est vu comme un pays pacifiste, qui aujourd’hui prône des idées telles que la paix et le dépassement de soi, il y a moins de 100 ans ce pays était l’un des trois partenaires principaux de l’Axe, avec l’Allemagne d’Hitler et l’Italie de Mussolini. Même si cette partie de l’histoire est vite oubliée en Occident, en Asie elle est encore bien présente dans les esprits, certaines victimes étant encore en vie. C’est là que le Japon rencontre l’une des premières difficultés auxquelles elle doit faire face, son histoire peu glorieuse.

Les défis du « Cool Japan »

Dualité entre concept et réalité historique

Malgré son rayonnement majoritairement positif en Occident, la situation n’est pas la même en Asie. L’histoire du pays du soleil levant est semée de guerre et d’atrocité que l’archipel a livré à ses voisins. L’idée que le concept de « Cool Japan » tente de renvoyer et la vérité de l’histoire, crée une dualité qui la rende difficile à accepter par plusieurs pays asiatiques. En effet, ce n’est que récemment par exemple, que la Chine a autorisé la diffusion de dessins animés japonais (animé) sur leurs chaînes télévisées. De plus, afin de correspondre à l’image renvoyée par le concept de « Cool Japan », certains artistes japonais, notamment des auteurs, vont jusqu’à nier et réécrire des faits historiques dans leurs œuvres, ce qui pour les victimes et les descendants des victimes est inacceptable.

Une sincérité remise en question

Au sein même du pays, l’initiative est de plus en plus critiquée, et la sincérité du gouvernement est remise en question. La corruption est décriée et soupçonnée au sein des agents impliqués dans la politique. En effet, de grosses sommes d’argent sont injectées dans la politique, argent donné par l’Etat à des acteurs privés dans le but de promouvoir la culture. Toutefois, des voix s’élèvent et crient à la corruption. Ils expliquent qu’au vu de l’écart entre les salaires médiocres que les travailleurs impliqués perçoivent par rapport à leur travail, (pour certain moins de 20 000 €/ an pour plus de 40h de travail), et ce qu’ils sont censés percevoir (par rapport aux sommes supposées être investies dans les projets), il est fort probable que l’argent entre directement dans les poches de leurs supérieurs. De plus, les artistes sont souvent écartés de leurs œuvres et n’ont pas leur mot à dire dans la réalisation de celle-ci, ni dans le partage des profits qu’elles rapportent.

Autre difficulté, plusieurs japonais déplorent l’hypocrisie du gouvernement. Aujourd’hui, dans la stratégie du pays, une communauté, nommément « otaku », est placée sous les feux des projecteurs. Toutefois, cette communauté avait depuis 1988 été mis au placard par l’Etat japonais et classifié comme des déviants suite à une série de meurtre de jeunes filles effectués par Tsutomu Miyazaki. Ce groupe accuse l’Etat de ne pas vraiment s’intéresser aux citoyens et de simplement profiter d’eux pour s’enrichir. On en revient donc à l’hypocrisie et la corruption de l’Etat.

La montée du soft power Coréen : « Cool Japan » face à l’« Hallyu Wave »

Le plus grand des défis et celui avec le plus gros risque pour le Japon, est la montée en soft power fulgurante de la Corée du Sud.

En effet, le Japon a jusque-là, c’est-à-dire pendant à peu près 30 ans, été la seule superpuissance culturelle en Asie. Cependant, ce monopole vient de prendre fin. Ces dernières années, la pop culture coréenne a saisi le monde entier par surprise et se propage à un rythme effréné. Même avec plus de 20 ans de longueur d’avance, les groupes de J-pop (Japanese pop) se sont vite fait dépasser par les groupes de K-pop (Korean pop), le plus connu étant BTS.

Cette comparaison, effectuée grâce à google trends, nous montre l’intérêt pour la pop culture japonaise (en rouge) face à l’intérêt pour la pop culture coréenne (en bleu) dans le monde. On voit non seulement un inversement en 2009, mais aussi que l’intérêt pour la pop culture coréenne a pris des ampleurs que le Japon n’a jamais connu.

Ce phénomène s’explique facilement par les approches très différentes des deux pays. Le Japon, avec son concept de « Cool Japan », est resté très nationaliste et ne se tourne pas vers le monde. Les produits sont faits par les japonais pour les japonais, prioritairement. Les moyens mis en place pour partager leur culture sont limités, et cet esprit se retrouve dans la définition donnée à leurs produits. Par exemple, les animés sont « des dessins animés fait par les japonais pour les japonais ». Malgré un intérêt grandissant de la population mondiale pour le style, cette définition et les moyens mis en place pour leurs diffusions n’ont pas évolué. Le Japon est malheureusement victime de son succès. Etant donné que « Cool Japan » rapporte de l’argent, le gouvernement ne voit pas pourquoi il faudrait le réformer.

La Corée du sud a elle aussi créé sa politique dérivée du « Cool Japan » qu’elle appelle « Hallyu Wave ». Contrairement à son homonyme, celui-ci est tourné vers le monde et tente de faciliter l’accès à la diffusion, et même à la création/participation des fans du monde entier. Par exemple, il est facile de trouver des titres de K-pop sur iTunes contrairement à des titres de J-pop. Il est aussi possible de publier sa propre histoire sur Webtoon[2] même si on n’est pas coréen. Ce sont ce genre de détails qui rendent la propagation du soft power coréen plus rapide et plus efficace.

Ce phénomène, (la Corée du sud dépassant le Japon), est potentiellement en train de se réitérer avec l’affrontement Webtoon manga. En effet, depuis 2014 on voit une progression stable et constante de l’intérêt pour les Webtoon. Cependant, l’intérêt porté sur les mangas est lui vacillant. La perte de cette position de leader dans ce secteur serait un coup dur pour l’économie japonaise et le concept de « Cool Japan ».

Cette comparaison, effectuée grâce à google trends, nous montre l’intérêt pour les Mangas japonais (en rouge) face à l’intérêt pour les Webtoons coréen (en bleu) dans le monde.

Conclusion

Grâce à la politique de « Cool Japan », le Japon était, et reste toujours la superpuissance culturelle d’Asie. Cependant, cette politique est de plus en plus décriée et fait face à de nouveaux challenges qui pourront déterminer sa pérennité. C’est dans cette optique qu’elle doit constamment se réinventer et ne pas se reposer sur ses lauriers, notamment la longueur d’avance qu’elle a pu prendre ces 30 dernières années.

Néanmoins, depuis la fin de l’ère Heisei[3], selon des bruits qui courent dans le monde politique, le Japon voudrait se défaire de son image de pays capable uniquement de manier du soft power, mais voudrait ajouter à son arsenal le hard power. Il chercherait, d’après eux, à redevenir un pays normal qui ne serait plus contraint par la constitution de 1947. Dans ce cas, les inquiétudes à peine calmées des pays avoisinant l’archipel ne feront que resurgir, et ce serait potentiellement la fin du « Cool Japan ».

Par Oluwafisayomi Agunbiade, promotion 2020-2021 du M2 IESCI

Sources:

Douglas McGray, 2002. Japan’s Gross National Cool https://foreignpolicy.com/2009/11/11/japans-gross-national-cool/

Etienne Dhuit, 2019. Le Japon veut en finir avec le « Soft Power » https://www.revue-internationale.com/2019/05/le-japon-veut-en-finir-avec-le-soft-power/

Joseph Nye 2016 Joseph Nye on soft power https://www.youtube.com/watch?v=_58v19OtIIg

METI, 2012.  Cool Japan Strategy https://www.meti.go.jp/english/policy/mono_info_service/creative_industries/pdf/121016_01a.pdf

Philippe Pons et Philippe Mesmer, 4 mai 2019.  Après trente ans de « soft power », le Japon veut devenir un « pays normal » https://www.lemonde.fr/international/article/2019/05/04/apres-trente-ans-de-soft-power-le-japon-veut-devenir-un-pays-normal_5458171_3210.html#:~:text=Japon-,Apr%C3%A8s%20trente%20ans%20de%20%C2%AB%20soft%20power%20%C2%BB%2C%20le%20Japon%20veut,ne%20soit%20plus%20uniquement%20d%C3%A9fensive.

Wikipédia Cool Japan https://fr.wikipedia.org/wiki/Cool_Japan

15 Avril 2019 Event Report: Japan as a Normal Country? Retrospect and Prospect  https://utsynergyjournal.org/2019/04/15/event-report-japan-as-a-normal-country-retrospect-and-prospect/

[1] Il s’agit de l’ère du précédent empereur du Japon, elle a pris fin le 30 avril 2019. Il s’agit du premier empereur de l’histoire à abdiquer avant sa mort

[2] Une plateforme sur laquelle de nombreuses histoires type manga sont publiées. Le terme peut aussi être utilisé pour décrire la version coréenne des mangas.

[3] Dans la vidéo du 22 février 2016 “Joseph Nye on soft power”

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Le théâtre japonais : un art au japon https://master-iesc-angers.com/le-theatre-japonais-un-art-au-japon/ Wed, 03 Jan 2018 13:20:43 +0000 https://master-iesc-angers.com/?p=2803 Le théâtre japonais prend ses sources dans les deux principales religions du japon : le bouddhisme et le shintoïsme. Comme dans la culture occidentale, le théâtre prend différentes formes et possède différents registre selon les époques. Dans cet article, nous allons… Continuer la lecture

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Le théâtre japonais prend ses sources dans les deux principales religions du japon : le bouddhisme et le shintoïsme. Comme dans la culture occidentale, le théâtre prend différentes formes et possède différents registre selon les époques.

Dans cet article, nous allons présenter le théâtre japonais à travers l’histoire ainsi que ses différentes formes et caractéristiques.

Les origines du théâtre japonais

Le théâtre japonais prend ses origines dans la religion avec des danses religieuses. Au départtrès rudimentaires, celles-ci se sont raffinées par l’action de la cour impériale au VIIIème siècle. Cela a permis au théâtre d’entrer dans le folklore. Le caractère sacré a donc progressivement perdu de son importance pour plus d’esthétisme.

Une partie des danses du théâtre japonais est importée du continent asiatique (essentiellement de Chine et de Corée). Toutes ces danses ont permis au japon d’avoir une identité théâtrale propre.

Parmi ces danses, nous allons trouver les danses locales qui sont :

  • le kagura qui est à l’origine une danse religieuse shintoïste destinée à divertir les dieux (kami)
  • les danses agraires des milieux ruraux destinées aux dieux de la terre et de l’agriculture

Dans les danses importées, nous allons trouver :

  • le gigaku
  • le bugaku
  • les danses bouddhiques

L’évolution du théâtre japonais à travers l’histoire

Les danses locales :

Les premières danses attestées au japon sont des danses empreintes de magie shamanique sous forme de transes en l’honneur des dieux. Parmi ces danses, nous allons en distinguer deux qui sont appelées kagura :

  • les danses dites possédées par une divinité dont le but est d’honorer les dieux
  • les danses dites bouffonnes dont le rôle est d’apaiser une divinité en la faisant rire

De nos jours, ces danses se sont en grande partie perdues avec le temps. Seules restes des danses adaptées pour les sanctuaires. Toutes ces danses sont effectuées par les prêtresses des sanctuaires.

D’autres danses ont été importées du continent asiatique, plus particulièrement de Chine et de Corée. Il s’agit de danses rituelles et populaires d’origine bouddhique. On peut en distinguer trois types :

  • Le gigaku, importé de Corée en 612, qui est une forme de théâtre pantomime c’est-à-dire une expression d’idées, de passion ou de sentiments sans avoir recours à la parole. Ce type de théâtre était présenté lors des fêtes bouddhiques. Le gigaku a très vite été abandonné car il été jugé parfois « grossier ».
  • le bugaku, importé d’Asie entre le VIème et le VIIIème siècle, correspond à l’héritage des danses traditionnelles conservées par la cour impériale
  • le sangaku, importé de chine, est destiné au peuple. Cet art est utilisé lors des foires et festivals par exemple.

À partir du XIVème siècle se développent des arts du théâtre plus raffinés tels que le nô et le kyougen (nous reviendrons sur leurs caractéristiques dans la suite de l’article) sous les shoguns Ashikaga. Avant cette époque, il existait des spectacles de danses et pantomimes qui cohabitaient. Les troupes se constituaient aussi bien de professionnels que de moines pour des cérémonies religieuses ou des manifestations plus populaires.

À partir de cette époque, les dialogues font leur apparition donnant ainsi les bases du théâtre classique avec l’art dramatique, la comédie et bien d’autres. Les principaux styles existants étaient le sarugaku nô et le dengaku nô. La différence entre ces deux styles réside dans le type de public. Le dengaku nô se distingue par un public d’origine élitiste. Il eut un tel succès qu’il s’est exporté jusque dans les campagnes. Le sarugaku nô est perçu comme plus populaire, grotesque voire grossier contrairement au dengaku nô qui est perçu comme plus raffiné et poétique. Le dengaku nô perd de son influence vers les années 1370 du fait qu’il recherchait le plus d’esthétisme et de raffinement possible et peinait à se renouveler. En 1374, le shôgun Ashikaga Yoshimitsu, ayant assisté à une représentation de sarugaku nô, fut impressionné par le jeu d’acteur d’une partie de la troupe et décida donc d’inviter un des acteurs au palais en le plaçant sous sa protection. Il s’agit de Kan’ami et de son fils Zeami. Ces deux hommes vont prendre une partie des codes du dengaku nô et les intégrer au sarugaku nô, permettant ainsi l’émergence du nô actuel.

À l’origine, Kan’ami puis son fils Zeami, prônaient le jeu d’acteur spontané, rapide et l’écriture de pièces par les acteurs.

Le kyôgen, quant à lui plus comique est joué entre deux pièces de nô. Son but était de reposer le public vis à vis du nô qui est plus dramatique. Nous reviendrons sur ses caractéristique plus en aval dans cet article.

Le XVIème siècle qui correspond à l’ère Edo voit apparaître d’autres styles s’adressant à la bourgeoisie riche et vivant dans les grands centres urbains. Le peuple n’a à cette époque plus accès aux styles développés au Moyen Âge. Ceux-ci se concentrent dans les châteaux de Daimyô et au palais du shogun Tokugawa.

Ces nouveaux styles sont le bunraku et le kabuki. Le bunraku est un style utilisant des marionnettes. Ce style existait déjà à l’époque féodale mais était marginalisé et joué essentiellement lors des festivals et cérémonies religieuses. Ce style est né à Osaka grâce à l’association de deux hommes : le conteur Takemoto Gidayuu et le dramaturge Chkamatsu Monzaemon. Ces deux hommes ont mis au point la structure de style.

À cette même époque, nait le style kabuki qui est un style plus excentrique et extravagant. Le kabuki est le seul style à avoir été créé par une femme : Izumo no Okuni. Ce style est né à Kyôto vers les années 1600. Okuni eu beaucoup de succès auprès des samouraïs et de la bourgeoisie, ce qui lui permit d’ouvrir une salle de théâtre à Edo. Elle a même pu se produire à la cour shogunale en 1607. L’extravagance de ce style provient des scènes plus suggestives suscitant l’érotisme comme une scène de sortie de bain par exemple. Ce type de scènes a valu au kabuki une longue période d’interdiction par la cour shogunale sous le shôgun Tokugawa car elles étaient jugées scandaleuses. Les hommes remplacèrent les femmes pendant un temps mais du fait de la popularité du kabuki auprès de la bourgeoisie et des samouraïs, le shôgunat dû interdire le kabuki car c’est un prélude à la prostitution.

Quelques mois plus tard, le kabuki fut rétabli sous certaines conditions comme le fait de développer une véritable histoire dans les représentations. Le shôgunat avait à l’époque une position plutôt ambiguë sur la question du kabuki. Ce n’était pas vraiment la prostitution qui froissait la cour shogunale mais le fait que ce soit prisé par la bourgeoisie et les samouraïs. En 1653, l’obligation d’ajouter une action dramatique à la scène contribua à donner au kabuki son aspect actuel. Avec cette obligation, le kabuki voit naître des dramaturges spécialisés dans ce style.

À partir de cette période, les acteurs sont dorénavant choisis pour leur talent scénique plutôt que sur un critère de beauté même si certains de ces acteurs, toujours issus des quartiers de plaisirs, continuaient de se prostituer. Certains acteurs allaient jusqu’à se travestir pour mieux appréhender les rôles féminin. Le kabuki a également enrichi son répertoire avec l’adaptation des pièces du genre bunraku. Le kabuki finit même par supplanter le bunraku en popularité et continue de se moderniser à l’ère Meiji. Le kabuki a pu se renouveler avec deux dramaturges : Tsuruya Nanboku, célèbre pour ses drames fantastiques et Kawatake Mokuami, célèbre pour ses scènes du petit peuple parfois jugées amorales.

Les caractéristiques des pièces de théâtre japonais

Le théâtre nô

Le théâtre nô se compose de deux grands groupes :

  • le nô d’apparitions (les plus fréquents)
  • le nô du monde réel

Une pièce de nô se compose de deux actes : un premier où le personnage principal apparaît sous forme humaine puis prend sa véritable forme au second acte. Le second acte est constitué de chants et de danses autour de divers thèmes. Dans le théâtre nô d’apparition, le personnage principal relate les évènements de sa vie passée.

Les principaux styles de nô sont les suivants :

  • Le okina qui se présente sous la forme de danses à caractère religieux. Le okina ne peut pas être qualifié de nô à proprement parler mais il utilise les mêmes techniques que le nô et le kyôgen. Dans l’okina, on retrouve les anciens rituels des kagura originels.
  • Le nô des dieux met en scène une divinité comme personnage principal. Le premier acte relate la rencontre entre un prêtre et la divinité dans un temple célèbre ou dans un lieu se situant sur la route du temple dans l’acte 1 et revient dans l’acte 2 sous sa véritable forme pour exécuter des danses rituelles pour bénir l’assistance ou les récoltes
  • Le nô des guerriers relate le dernier combat des guerriers tombés à la guerre ou en enfer. Le registre de ce style de nô est plutôt épique et se concentre sur l’aspect tourmenté du guerrier condamné à errer sur Terre pour hanter les humains.
  • Le nô de femme correspond à la représentation de l’esprit d’une femme ou d’une déesse au passé tragique. L’acte 2 se distingue des autres styles de nô par le fait qu’il n’y ait que des danses gracieuses sans réelles incidence sur l’action.
  • Les nô variés qui se concentrent sur le monde réel et des faits historiques. Dans ce style on retrouve des histoires liées aux sentiments humains souvent tragiques comme la perte d’un être cher ou un amour trahi par exemple ;
  • Les nô des démons sont des pièces mettant en scène des créatures surnaturelles souvent issues des enfers bouddhiques (démons, goblins et bien d’autres). Dans de rares cas, le personnage principal est une créature surnaturelle de bon augure comme un roi-dragon par exemple. Contrairement aux autres styles où le rythme est lent et pesant, ici le rythme est bien plus rapide et fait intervenir des instruments différents tels que le taiko qui est un grand tambour à baguettes. Une danse rythmée annonce le point culminant de ce type de pièce.

Une journée de nô s’articule sur 5 pièces de 2 actes chacune entrecoupées par des pièces de kyôgen. Les pièces de kyôgen ont pour rôle d’apaiser la tension émotionnelle donnée par les pièces de nô par le rire suscité par un côté plus décalé et comique.

Le théâtre kabuki

Le théâtre kabuki est un type de théâtre plus populaire issu des quartiers de plaisir. Ce type de théâtre met en valeur ces quartiers populaires en mettant en scène des danses très suggestives. Les acteurs sont souvent des personnes qui se prostituent. De ce fait les représentations furent pendant un temps interdites par le shogunat car jugées scandaleuses. Il n’était pas rare que des bagarres éclatent à la fin des représentations pour obtenir des faveurs des acteurs. Les plus jeunes acteurs ont donc été interdits de jeu et les acteurs ont été exclusivement masculins jusqu’à l’ère meiji.

Il existe 3 grandes catégories de pièces dans le répertoire du kabuki :

  • Les pièces historiques
  • les pièces du quotidien
  • les morceaux de danses

Le répertoire se divise entre les pièces adaptées du bunraku et du nô, qui ont une trame plutôt tragique, et les pièces plus spécifiques au kabuki qui ont un rythme plus relâché. La différence vient du fait que dans le bunraku, tout est délégué au récitant et il n’est pas rare de voir les actions réduites pour attirer l’attention du spectateur sur celle-ci, tandis que dans le kabuki, tout se situe dans le jeu des acteurs. Il est donc courant d’ajouter ou de retirer des scènes en fonction des aptitudes des acteurs.Voici quelques exemples de pièces célèbres :

  • Shinko engeki jisshu
  • Kabuki jûhachiban
  • Sannin Kichisa Kuruwa no Hatsugai
  • Jiraiya
  • Yoshitsune senbon-sakura
  • Banchô Sarayashiki

Le théâtre est un art très important au japon car il permet de faire le pont avec les anciennes traditions du kagura lors des fêtes religieuses d’une certaine façon on peut comparer le théâtre japonais au théâtre français où le nô peut être vu comme les pièces de tragédies de Corneille ou de Racine par exemple. Le kyôgen peut être vu comme la comédie française et le kabuki est un style bien particulier au japon. La différence majeure entre les pièces de théâtre occidentales et les pièces japonaises se situe dans l’usage de la musique, des chants et des danses lors des représentations. Les acteurs se rapprochent plus de leur personnage avec l’utilisation de maquillage au kabuki et de masques pour le nô. Le nombre d’actes peut également différer d’une pièce à l’autre.

En général, les pièces de nô et de kyôgen se font en deux actes tandis que le kabuki se fait généralement en 5 actes comme en Europe. L’esthétisme et le jeu d’acteur ont une place très importante dans le théâtre japonais. Ces aspects sont peut-être plus prononcés que dans le théâtre européen. Tous ces éléments font que le théâtre est un véritable art dans la culture japonaise.

Par Mounir Lehiani, promotion 2017-2018 du M2 IESCI

Lexique

Shôgun : grand seigneur souvent associé à la guerre

Daimiyô : seigneur vassal du shogun

Edo: ancien nom de Tôkyô

Osaka : grande ville située dans les terres à l’est de l’île principale du japon

ère Meiji : XIXième siècle

Sources

https://fr.wikipedia.org/wiki/Kabuki

https://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9%C3%A2tre_japonais

https://fr.wikipedia.org/wiki/N%C3%B4

http://www.clickjapan.org/Art_japonais/theatre.htm

https://www.youtube.com/watch?v=s1xQeYP0aJY

http://www.museedesconfluences.fr/it/node/738

http://www.legrandtour.fr/fr/module/99999672/73/le-theatre-no

https://kyoto.travel/en/thingstodo/entertainment/104

 

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