USA vs Chine : la bataille technologique de Tik Tok

Ces dernières années, on constate que les relations entre les Etats-Unis et la Chine ne cessent de se tendre. Le climat de tension s’accroit amenant chacun des acteurs à devoir répliquer à chaque action de l’autre. Le secteur technologique représente l’enjeu le plus considérable dans la course au développement. Aujourd’hui, l’évolution de l’économie est indissociable de l’innovation. Les leaders mondiaux tels que les FAANG (Facebook, Amazone, Appel, Netflix et Google), Microsoft pour les Etats-Unis et BATX (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi) pour la Chine sont les plus importants détenteurs de capitalisation boursière dans le monde ainsi que des leaders technologiques majeurs.

Les grands enjeux aujourd’hui sont notamment le développement de l’intelligence artificielle, des objets connectés, de la robotique et la 5 G, des technologies qui posent aussi la question de l’utilisation des données. Il s’agit d’un sujet qui suscite de nombreux conflits, compte tenu de son utilisation par différents pays donnant lieu ainsi à des interprétations différentes sur les plans éthiques et juridiques.

Dans cette course à l’innovation, le contexte diplomatique entre les Etats-Unis et la Chine n’a pas cessé de se détériorer depuis quelques années. Du côté des Etats-Unis, Trump a voulu faire passer l’image d’un pays fort, patriotique et qui défend avant tout ses intérêts. Ainsi, le président américain a appliqué une politique de défense et d’offensive constante envers la Chine. En septembre 2019, les droits de douane des produits importés de Chine ont été augmentés de 5 %, passant ainsi à 15 %.

Dans cette bataille diplomatique, on peut aussi évoquer la nouvelle loi sur la sécurité d’Hong Kong votée par le parlement chinois en mai 2020. Cette région jouit depuis 1997 d’un système diamétralement opposé à celui de la Chine, plus proche de l’Occident et du système américain. Davantage de libertés sont accordées, telles que la presse, la culture ou bien la finance. Toutefois, cette situation déplait fortement aux autorités chinoises qui ont pris la décision de voter une loi permettant la filiation des deux polices, hongkongaise et chinoise. Cette mesure permet ainsi à la Chine d’avoir la mainmise sur la sécurité du pays et de bénéficier de pouvoirs beaucoup plus importants sur le territoire. Ce contexte pose cependant beaucoup de questions sur l’avenir des Hongkongais et de leurs libertés individuelles.

De plus, le 10 août 2020, lors de sa visite à Taïwan, Axel Azar, secrétaire américain de la santé a marqué une offensive directe envers Pékin en affirmant l’indépendance du pays, alors que la Chine considère ce territoire comme une province chinoise. Ensuite, face à la pandémie de Covid-19 apparue depuis janvier 2020 dans la région de Chine, Wuhan, une campagne importante a été lancée pour prouver que la situation a été maitrisée. Cependant, de nombreuses données, telles que le nombre de décès, ont été placées sous silence, ce qui laisse encore planer beaucoup de doutes. Aujourd’hui, face à la volonté de Xi Jinping d’étendre sa suprématie, de nombreux pays se tournent vers les Etats-Unis pour leur assurer une certaine sécurité et ne pas céder aux intimidations qu’ils peuvent subir. Les menaces de la Chine sont donc bien présentes.

Toutefois, Trump n’utilise pas les canaux de communication dits « classiques » mais plutôt des réseaux sociaux comme Twitter, qui ne laissent pas la place au dialogue. Auparavant, l’espionnage et le vol de propriété intellectuelle étaient réalisés à la vue de tous les pays occidentaux par la Chine qui n’était pas considérée comme un concurrent potentiel. Ainsi, ces pays recevaient des produits peu coûteux, fabriqués par une main d’œuvre peu onéreuse.

Cependant, les Etats-Unis ne sont maintenant plus en situation de suprématie totale face à une Chine qui s’apprête à devenir la première puissance mondiale. Les républicains ainsi que les démocrates sont aujourd’hui résignés à s’orienter vers une politique de défense directe envers la Chine. L’axe d’orientation de la politique étrangère n’évoluera donc pas avec l’élection de Joe Biden. Cependant, si la Chine s’ouvrait à des politiques plus coopératrices, juridiquement et éthiquement parlant, certains pays occidentaux craindraient moins à s’engager dans la course aux échanges et aux partages d’informations.

Dans ce contexte très instable entre les Etats-Unis et la Chine, une application a créé le débat et fait couler beaucoup d’encre ces derniers mois. Le 6 août 2020, Trump a annoncé dans un communiqué l’impossibilité de télécharger les applications Tik Tok et We Chat sur le sol américain. Ces deux applications devaient initialement être arrêtées le 18 septembre 2020. Toutefois, à la suite des négociations, une autre date a été fixée au 12 novembre. Une question se pose pourtant :  était-ce la volonté première d’arrêter les applications sur le territoire américain pour éviter la concurrence ? Ou bien n’est-ce qu’un détournement pour s’approprier des technologies étrangères afin d’augmenter le pouvoir des Etats-Unis dans ce secteur très compétitif ?

Premièrement, Tik Tok se caractérise par un contenu attractif, sous forme de courtes vidéos accompagnées de musique ou/et de filtres. Anciennement connue sous le nom de musically, la plateforme a su se renouveler pour être plus attractive. Aujourd’hui, elle regroupe en 2020 environ 800 millions d’utilisateurs actifs dans le monde selon Datareportal. Cette plateforme détenue par l’entreprise chinoise ByteDance est disponible dans 155 pays à travers le monde et souhaite en conquérir davantage. Tik Tok génère et traite de nombreuses données personnelles à travers le monde. D’autre part, elle possède un algorithme recherché en raison de sa capacité à cibler très précisément les goûts des consommateurs. Aujourd’hui, l’application représente donc à la fois un enjeu technologique majeur, en raison de son attractivité et de sa capacité à innover, mais aussi un enjeu de sécurité nationale, qui peut effrayer certains pays en raison de la nouvelle politique de la Chine.

De plus, avant l’interdiction de l’application, l’Inde était le pays présentant le plus grand nombre d’utilisateurs (661 millions), devant la Chine (196,6 millions) puis les Etats-Unis (165 millions). Toutefois, en raison de conflits entre les deux pays, tel que l’incident du conflit armé à la frontière himalayenne, l’Inde a pris la décision d’interdire 59 applications chinoises pour des raisons de sécurité. Après cet évènement, c’est maintenant au tour des Etats-Unis de lancer son offensive à l’encontre de la Chine.

Les Etats-Unis avancent l’idée que la Chine, à travers son application, espionne le gouvernement américain via les données personnelles des internautes. Son utilisation sur le territoire représenterait donc une menace en termes de sécurité nationale. Toutefois, on peut avancer une autre idée qui expliquerait la volonté de Trump de vouloir s’approprier l’application. Les plus grandes entreprises mondiales se situent aux Etats-Unis, notamment celles qui gèrent le plus de données personnelles telles que Facebook, Google, Amazone ou Microsoft. Le pays posséderait donc davantage de pouvoir technologique et compterait les plus puissants réseaux sociaux du monde dans sa poche.

Actuellement, des négociations sont en cours afin que l’entreprise Oracle rachète une partie de Tik Tok. L’application pourrait donc toujours être active sur le territoire américain. Cette société représente un partenaire de confiance pour les Etats-Unis. Oracle est l’une des plus importantes entreprises technologiques américaines de la Silicon Valley. Spécialisée dans les bases de données et le Cloud, elle souhaite aujourd’hui diversifier ses activités dans d’autres domaines. De plus, le co-fondateur Larry Ellison est une personnalité proche de Trump, qu’il a beaucoup soutenu lors de son élection. On peut aussi souligner la proximité d’Oracle avec les administrations locales et nationales qui comptent parmi ses clients et l’ancien directeur de la CIA, John O. Brennan, désormais présent dans le conseil d’administration de l’entreprise. Ce rachat serait donc une opportunité majeure en termes de compétitivité technologique pour les Etats-Unis.

Enfin, depuis quelques mois, on remarque que Tik Tok ne représente plus seulement une plateforme d’amusement des ados ou pré-ados mais aussi un support qui laisse place à la liberté d’expression ou de dénonciation des problèmes sociétaux. En effet, on constate que les idées politiques peuvent se propager rapidement, comme c’est le cas pour le mouvement « Black Lives Matter » initié après la mort de George Floyd le 25 mai 2020, victime de violences policières dans le Minnesota (Etats-Unis), entrainant son décès. Après cet évènement, Tik Tok a enregistré de nombreux hashtag en référence au mouvement ainsi que de nombreuses réactions. Cet évènement n’est pas le seul à avoir fait réagir, il en est de même pour les manifestations à Hong-Kong ou bien des élections présidentielles aux Etats-Unis. Sans le vouloir la plateforme a donc pris un tournant d’expression politique, même si pendant un temps, elle a essayé de stopper cet engouement en supprimant les vidéos. Le phénomène a pris trop d’ampleur pour être interdit sinon Tik Tok aurait perdu beaucoup trop d’utilisateurs.

Ensuite, du côté de la Chine, l’interdiction de télécharger l’application aux Etats-Unis prononcée par Trump contraint ByteDance à n’avoir pas d’autre choix que de vendre sous la contrainte. De plus, le danger d’un rachat d’une partie de l’application par une entreprise américaine serait de se voir voler sa technologie, notamment son algorithme de ciblage, tel que le précise le South China Morning Post « l’application est très forte pour ça. Comme l’algorithme vous connaît si bien, il vous donne exactement ce que vous voulez au bon moment ». Cette technologie détermine ce qu’attendent très précisément les utilisateurs et représente un avantage concurrentiel majeur. Même si l’achat d’Oracle ne contient pour l’instant pas l’obtention de cette technologie, Tik Tok pourrait subir une pression interne afin de céder.

Enfin, la Chine se défend en mettant en avant le caractère infondé de collecte de données à l’encontre des Etats Unis et accuse Trump de violer les règles de l’OMC concernant le commerce international. Selon Eva Galperin, directrice de la cybersécurité à l’Electronic Frontier Fondation et conseillère technique à la fondation pour la liberté de la presse aux Etats-Unis, cette décision d’arrêter l’application Tik Tok serait anticonstitutionnelle. L’argument avancé par Trump relatif à la menace de la sécurité nationale n’est pas légitime pour interdire la plateforme et représente une entrave à la liberté d’expression.

Enfin, qu’en est-il des autres pays ? En Europe, la question de la collecte des données pose de nombreuses questions en raison du caractère invasif de l’application. En effet, de nombreux éléments sont collectés : les données wifi, les codes de téléphones, la géo-localisation, les adresses IP ou bien les goûts et habitudes des utilisateurs. De plus, l’application peut fonctionner en arrière-plan sur le téléphone et donc collecter d’autres données en lien avec l’utilisateur. Ce fonctionnement pose donc un problème éthique. De plus, tout comme l’Inde ou les Etats-Unis, d’autres pays sont de plus en plus réticents à l’idée d’utiliser des applications chinoises et envisagent de créer à terme leur propre internet comme la Russie ou bien L’Iran.  Assistons-nous à un repli des pays sur eux-mêmes, voire la mise en place d’un ultra-protectionnisme ? De nombreuses questions se posent aujourd’hui, en raison du flux gigantesque d’informations partagées à travers le monde, des informations parfois bénignes, qui accumulées peuvent avoir des conséquences importantes sur des décisions, des entreprises, voire même des pays.

Par Aude Lemonnier, promotion 2020-2021 du M2 IESCI

Bibliographie

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