Technologie et innovation au Moyen Orient : cas de l’Arabie Saoudite (Neom Project)

Malgré l’essor remarquable des énergies renouvelables, la planète aura encore besoin pendant plusieurs années des énergies fossiles ; cette conclusion que tire l’agence internationale de l’énergie dans son rapport de 2016 augure un avenir encore radieux pour les grands exportateurs de pétrole. Cependant, depuis 3 ans le prix du baril de pétrole ne cesse de dégringoler à cause de la nouvelle politique pétrolière américaine. Parmi les pays les plus touchés par cette baisse du prix du baril figure l’Arabie Saoudite.

L’Arabie Saoudite est le plus grand pays du Moyen-Orient et l’un des plus grands exportateurs de pétrole du monde. En effet, l’Arabie Saoudite fait partie des membres fondateurs de l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP) et sa compagnie nationale Saudi Aramco est la première productrice mondiale de pétrole. Raison pour laquelle la chute du prix du baril impacte considérablement  la croissance du pays. Le cours du baril est passé à 127$ en fin 2014 à 30$ en janvier 2016. Ce qui a causé un déficit du budget du pays de 98 milliards de dollars en 2015. Cela a conduit à la mise en place d’une politique d’austérité qui a permis de passer dans un 1er temps à un déficit de 79Mds$ en 2016 puis de 53Mds$ en 2017. C’est dans ce contexte que le pays a initié une stratégie de croissance nommée Vision 2030, c’est une politique qui vise à libérer l’Arabie Saoudite de sa pétro-dépendance en développant des secteurs d’avenir tels que la biotechnologie, la recherche et développement ou encore la technique et les énergies renouvelables. Le projet phare est la construction d’une nouvelle ville entièrement « connectée » baptisée NEOM, il est supervisé par le très influent prince héritier Mohammed Ben Salmane Al Saoud.

Les conséquences de la « pétro-dépendance »

La chute durable des prix du pétrole autour de 50 dollars le baril remet en cause l’économie profondément rentière de l’Arabie saoudite qui tire 90% de ses revenus fiscaux, 80% de ses revenus d’exportation et 40% de son PIB de la production de pétrole. La chute des recettes pétrolières a entraîné un ralentissement considérable de la croissance du PIB. Des mesures rigoureuses ont été mis en place par le gouvernement saoudien (hausse de la dette souveraine, baisse des subventions, hausse encore modeste des impôts et suspension de projets immobiliers étatiques). Mais elles ne sont mises en place que de manière cyclique, ce qui affecte la croissance, et manquent parfois de fermeté. Favorisée de 2010 à 2015 par la forte hausse des prix du pétrole avec des effets d’entraînement sur la richesse par habitant (52 000 USD), la croissance du PIB saoudien décélère fortement à 1,4% en 2016 et devrait fortement ralentir à 0,5% en 2017.

Compte tenu de sa structure d’économie peu diversifiée, l’économie saoudienne a une vulnérabilité marquée au prix du pétrole. Afin de contenir la chute des prix du pétrole, la production a été plafonnée fin 2016 à environ 10 millions de barils par jour par un accord de l’OPEP, ce qui a eu pour effet de redresser le prix du baril autour de 50 USD. Mais la chute de la croissance est aussi due à celle du secteur non pétrolier qui décélère très fortement en 2016 à +0,5% en conséquence des mesures d’austérité qui pèsent sur la consommation des ménages. Celle-ci en raison de la baisse du salaire des fonctionnaires de 20% pendant quelques mois en 2017) et de l’arrêt de nombreux projets immobiliers et de BTP soutenus auparavant par l’État. De son côté, le secteur pétrolier ne retrouve que début 2017 une croissance positive par l’effet de base sur l’année 2016, où le prix du pétrole était à son plus bas (36 USD).

Cette « pétro-dépendance est encore plus visible lorsque l’on se concentre sur les autres secteurs économiques du pays. Par exemple en matière de développement numérique, on voit que l’Arabie Saoudite fait même pire que ses voisins du Moyen-Orient.

Face à cette situation, la mise en place du programme de croissance « Vision 2030 » s’annonçait impérative. L’Arabie Saoudite s’est donc lancé dans un projet ambitieux orienté sur l’innovation et la technologie avec la création d’une nouvelle ville dans le désert destinée au développement technologique et qui constituerait une « ville du futur », un environnement créé de toutes pièces qui marquera le début  d’ « une nouvelle ère pour la civilisation humaine ».

Neom la ville du futur : le gros pari de l’Arabie Saoudite

Neom est une mégacité dont la construction coûtera dans un premier temps 500 milliards de dollars. Son nom est tiré du latin « neo » qui signifie nouveau et « m » qui est la première lettre de « mustaqbal » qui veut dire « futur » en arabe. La ville fera 26500 km2 ce qui représente jusqu’à 33 fois la superficie de New York City. La métropole longe la côte nord-ouest du pays sur la mer rouge, atteignant même le nord en Jordanie et traversant la mer, via un pont, en Egypte. Ce sera une ville indépendante avec une législation différente de celle du royaume saoudien.

Le prince Mohammed Al Saoud envisage Neom comme une plaque tournante pour les secteurs de la fabrication, l’énergie renouvelable, la biotechnologie, les médias et le divertissement, rempli de gratte-ciel, hôtels cinq-étoiles, et des robots pour libérer les humains du travail répétitif. Il dépeint ainsi une ville idyllique au milieu du désert propice à l’essor économique aussi bien national qu’international. La ville sera placée dans une zone stratégique. En effet, environ 10% du commerce mondial traverse la mer Rouge reliant l’Asie, l’Europe, l’Afrique et l’Amérique et son emplacement permettra à quasiment 70% de la population mondiale de rejoindre cette destination avec moins de 8h de vol. Le projet NEOM vise à faire du Royaume une référence en matière d’innovation et un carrefour commercial à travers l’introduction de chaînes de valeur traditionnelles et futures industries et technologies ce qui permettrait de stimuler l’industrie locale, à travers la création d’emplois dans le secteur privé qui redynamiseraient la croissance du pays. De plus, l’hyper connectivité de la ville permettrait le développement de nouveaux systèmes économiques qui se détacheraient du modèle « traditionnel » tel qu’une meilleure promotion des blockchains et de la cryptomonnaie.

C’est un projet qui tient donc beaucoup de promesses mais qui n’est encore qu’au stade embryonnaire. Le projet NEOM est l’un des plus ambitieux au monde et s’inscrit dans la logique de course à l’innovation entamée par l’Arabie Saoudite qui a été le 1er pays à donner la nationalité à un robot humanoïde conçu par la société Hanson Robotics. C’est en ce sens que déclarait Majid Alghaslan « L’Arabie Saoudite est en pleine transformation économique, sociale et sur le plan du développement. L’innovation constituera le fondement principal de cette transformation et sera un facteur important pour une prospérité économique durable, pour le développement de la génération future de Saoudiens et pour le monde ».

Un projet qui fait face aux échecs précédents

Les dirigeants saoudiens ont compris depuis des années que l’économie de leur pays devait changer. Cependant, les projets élaborés pour endiguer cette dépendance au pétrole, y compris les «villes économiques» planifiées, n’ont pas toujours réussi. Le King Abdullah Economic City, une métropole et un port situé au sud de Neom, abrite moins de 10 000 personnes après plus de 10 ans, alors que sa population devait atteindre 2 millions à cette date. Et le King Abdullah Financial District au nord de Riyad, destiné à rivaliser avec Dubaï en tant que centre économique, est encore inachevé après plus d’une décennie. A ce jour, aucune entreprise ou institution n’a encore accepté d’occuper l’un des 73 immeubles du district.

A la question si Neom peut réussir là où les autres ont échoué, Steffen Hertog, professeur agrégé à la London School of Economics, affirme que Neom pourrait bénéficier de son important soutien politique et d’un leadership plus centralisé. En effet, Neom étant sous la responsabilité directe de l’une des 3 personnes les plus influentes du pays, il bénéficiera sans aucun doute d’un soutien infaillible et aura à sa disposition une grande partie des fonds publics du royaume. C’est en ce sens que le professeur Hertog déclare “alors que d’autres villes économiques ont été retenues par des législations peu claires et un manque de coopération avec les agences gouvernementales compétentes, il est peu probable que cela soit un obstacle majeur pour Neom”. De plus, bien que les autres villes économiques de l’Arabie saoudite aient expressément créé des emplois pour les jeunes Saoudiens (environ 50% des Saoudiens ont moins de 25 ans et un quart de ce groupe est au chômage), le Prince Mohammed Al Saoud déclare que ce projet n’est pas destiné à la création d’emplois pour les Saoudiens mais que “le devoir de Neom est d’être une plaque tournante mondiale pour tout le monde dans le monde entier.”

Une telle vision signifie créer un espace ouvert aux normes et aux pratiques occidentales – et est donc favorable au financement occidental. Bien que le gouvernement saoudien et son fonds souverain soutiennent financièrement la ville, ils auront besoin d’investisseurs pour prospérer.

Pour le moment, aucun engagement privé n’a été pris car les investisseurs voudront voir plus de détails sur le projet pour s’y investir complètement. Cependant, vu la conjoncture économique dont fait face l’Arabie Saoudite, le pays est financièrement plus contraint qu’auparavant, il ne pourra peut-être pas faire d’importants investissements initiaux sans le financement de partenaires privés.

Conclusion

L’Arabie Saoudite reste une valeur sûre et une puissance pétrolière non négligeable. Mais avec la chute du prix du baril pétrole, leur système économique a montré ses limites. Fort de ce constat, une politique accès sur l’innovation et la recherche développement a été mis en place. Celle-ci est porteuse de beaucoup de promesses et annonce un avenir radieux et la création de nouveaux marchés pour la clientèle internationale. Si ce projet arrive à terme, nous verrons la naissance et l’essor d’une nouvelle ère numérique qui engendrera de nouvelles réalités économiques qui impacteront considérablement le marché mondial.

Par Abdoul Ba, promotion 2017-2018 du M2 IESCI

Sources :

http://discoverneom.com/

https://fr.sputniknews.com/sci_tech/201710241033588722-arabie-innovations-projet/

http://www.lemonde.fr/smart-cities/video/2017/11/17/neom-la-megalopole-du-futur-dont-reve-l-arabie-saoudite_5216675_4811534.html

https://fr.express.live/2017/10/26/larabie-saoudite-devient-premier-pays-monde-a-accorder-nationalite-a-robot/

https://www.bloomberg.com/graphics/2017-neom-saudi-mega-city/

https://www.citylab.com/design/2017/11/saudi-arabias-latest-planned-city-costs-500-billion-and-is-insanely-huge/544748/

http://www.liberation.fr/planete/2016/10/20/pourquoi-l-arabie-saoudite-a-t-elle-emprunte-175-milliards-de-dollars_1523191

https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/arabie-saoudite/presentation-de-l-arabie-saoudite/

http://www.journaldemontreal.com/2016/12/22/larabie-saoudite-annonce-un-budget-2017-en-deficit-de-53-g

https://donnees.banquemondiale.org/pays/arabie-saoudite

https://www.tresor.economie.gouv.fr/Ressources/File/425394

https://www.focus-economics.com/countries/saudi-arabia

Digital Middle East: Transforming the region into a leading digital economy, Digital McKinsey, October 2016

Admin M2 IESC