Revenu universel : mythe ou réalité ?

Le revenu universel est un sujet dont on parle depuis un certain temps au sein de la sphère des politiques ou des économistes. Les journalistes également sont friands de ce genre d’idée à promouvoir, la preuve en est, un article de l’Obs titrait récemment « Revenu universel : le projet du siècle ! ». C’est dire à quel point ce sujet du revenu universel, ou plus vulgairement appelé « revenu de base », est important et va le devenir de plus en plus dans les années à venir.

Notre époque et l’idée de ce revenu universel soulèvent plusieurs questions. La première est celle du travail, et plus précisément de la fin du travail. Quelle valeur accordons-nous au travail ? Nietzsche disait que le travail constituait « la meilleure des polices » car il nous préserve de 3 grands maux : l’ennui, le vice et le besoin. La France connaît actuellement une vague de violence, de vol et souvent les deux accompagnés. Est-ce le bon moment pour notre pays d’entamer ce processus qui pourrait avoir de mauvaises répercutions ? Cela peut-il recréer le lien social perdu entre les citoyens ?

Ensuite la seconde question que cela soulève est celle de la justice car comme nous pouvons le voir, le progrès technologique détruit des emplois humains mais il permet en parallèle de créer de nouveaux besoins, de nouveaux marchés et ainsi d’accroître les richesses produites. Mais à qui ces richesses doivent-elles revenir ? Au chef d’entreprise, qui a pris des risques et qui est propriétaire des machines serait la réponse la plus simple. Le propriétaire des machines à malgré tout une dette envers la société où il a grandi, où il a fait son business car il ne paiera que le coût marginal de la machine mais pas le prix de l’accumulation des savoirs et des méthodes du pays pour la construire. C’est là que nous voyons tout le sens de la question de justice due à ce revenu de base.

La France est-elle prête à se lancer dans ce projet gigantesque alors que nous entendons parler très souvent d’assistanat des chômeurs, de violence etc ? Cette idée du revenu universel est-elle viable sur le court ou long terme ? Cette mesure est-elle réellement soutenue ?

Nous essaierons de répondre à ces questions dans cet article en commençant par expliquer l’idée du revenu universel français via le rapport du Conseil National du Numérique puis dans une seconde partie en prenant des exemples de ce qui a pu se faire dans les pays du monde entier. Nous pourrons alors esquisser une réponse à ces questions souvent difficiles à trancher.

Que propose le CNN au gouvernement en France ?

Le mercredi 06 janvier 2016 a été remis un rapport venant du CNN s’intitulant « Travail emploi numérique : les nouvelles trajectoires ». Dans ce rapport, attendu par la ministre du Travail, il est clairement dit que l’on ne travaille plus de nos jours comme on le faisait auparavant. La société doit donc trouver de nouveaux moyens d’adaptation aux évolutions du marché du travail.

Plusieurs mesures sont préconisées dans ce rapport, 20 précisément. Une d’entre elle est l’instauration de ce fameux revenu minimum universel. Selon eux, ce revenu permettrait à chacun de vivre décemment. En effet, il est dit que ça pourrait maner à la fin du travail salarié, qui connaît déjà une forte précarité mais également à l’augmentation du travail indépendant ou à la multitude des employeurs, mais pas à une oisiveté générale comme chacun aurait pu penser. Le but recherché par ce revenu, et régulièrement cité dans la littérature économique, est de lutter contre la pauvreté. Cette mesure revient au devant de la scène car le chômage persiste et notre système de protection sociale est fondé sur l’emploi. Le Conseil National du Numérique se justifie : « les acteurs publics doivent anticiper l’éventualité d’un chômage structurel persistant et d’une montée des inégalités du fait de l’automatisation. Aussi devons-nous examiner une nouvelle manière de penser la relation entre le travail et la distribution des richesses ».

L’idée n’est pas novatrice car il ne s’agit ni plus ni moins du revenu de base ou de l’allocation universelle. Ces différents termes désignent une vieille idée : verser à chacun un revenu. Un rapport parlementaire au début des années 2000 avait déjà été publié à ce sujet suite à des mouvements de chômeurs dans les années 90. De nombreux autres exemples, au niveau politique existent, par exemple celui de Christine Boutin en 2006. Elle a lancé une proposition de loi créant un dividende universel. En 2011, Dominique de Villepin, lorsqu’il était candidat à la présidentielle, avait proposé une réforme du monde du travail avec comme idée : 850€ par mois sans travailler. Eric Woerth, ancien ministre du Budget sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, aborde même le sujet dans son livre « une crise devenue française, quelle politique économique pour la France ? ». Arnaud Montebourg, ancien ministre du Redressement industriel sous François Hollande, l’aborde également.

C’est donc une idée de droite comme de gauche dont nous parlons. Elle séduit malgré tout plus de sympathisants de gauche (3 sur 4 sympathisants voient cela de manière favorable) que de droite (1 sur 2 seulement voit cette idée de manière favorable) selon un sondage IFOP publié début 2015.

Cette idée défendue par des politiciens de gauche comme de droite cache une conception complètement différente. En effet, le but recherché n’est pas le même suivant leur bord politique mais également suivant leur courant de pensée économique (libéral, keynésien, anticapitaliste etc). Certains aimeraient faire du revenu universel un filet de sécurité permettant de remplacer l’alternance traditionnelle entre chômage et salariat, par un flux continu d’activité caractérisé par des moments de suractivité ainsi que des périodes de sous-activité. Derrière cette idée, les néo-libéraux y verront, selon le CNN, « un moyen de simplifier le marché du travail et de réduire le rôle de l’Etat ». Pour les anticapitalistes d’inspiration marxiste cela s’apparentera au contraire à « une étape supplémentaire dans la socialisation des revenus ». Pour finir, pour les keynésiens il s’agira d’un « moyen de soutenir la demande ». Selon le gouvernement au pouvoir ou les idées du groupe de travail mettant cette mesure en place, nous verrons nécessairement des différences dans le dispositif du revenu universel.

Un grand nombre de personnes défend cette idée : politiciens, économistes, militants. Milton Friedman en parlait même dans son livre qui fut un best-seller mondial en 1962, Capitalisme et Liberté. Des économistes suivent actuellement son courant et proposent de verser ce revenu de base sous forme d’un « impôt négatif » ou appelé plus couramment crédit d’impôt. Il viendrait en déduction des impôts calculés en fonction du barème de l’impôt du revenu. La différence reviendrait à l’individu selon si le solde est positif ou négatif.

Et dans le reste du monde ?

La Finlande est le pays le plus avancé, actuellement, dans l’élaboration du processus de mise en place de ce revenu universel. Le gouvernement actuel finlandais, de centre droit, va expérimenter à partir de 2017 un revenu de base pouvant atteindre 800€. C’était une promesse de campagne, et l’étude avance à grand pas afin de l’appliquer dans 1 an. Ni l’âge ni la richesse des individus ne seront pris en considération, en contrepartie la totalité des prestations sociales seront supprimées. C’est-à-dire : allocations au chômage, aides au logement, aides aux études, pension retraite. Les citoyens finlandais peuvent compléter ce revenu minimum avec un travail dans l’artisanat, le salariat, ou comme auto-entrepreneur bien évidemment.

Cette mesure, à la dimension universelle, entend lutter contre la pauvreté toujours plus pressante en Finlande. En effet, la Finlande connaît une période difficile. Une quatrième année de récession se profile et le chômage bat des records : il dépasse les 10%. Si la Finlande cherche tant à le faire appliquer c’est parce qu’il était programmé plus d’austérité dans le programme des élections. En effet, le gouvernement cherche à rendre le système de protection sociale moins coûteux et ainsi inciter les chômeurs actuels à reprendre un emploi, même à temps partiels. Certains perdront forcément de l’argent, d’autant plus que le coût de la vie est élevé dans ce pays ce qui fait que nous devons relativiser cette somme. Un homme politique français, libéral, Alain Madelin, a commenté ces évènements et considère que « ce n’est pas sérieux, qu’il y a un risque de régression sociale ».

D’autres pays ont tenté d’insérer un revenu universel, l’Alaska est un exemple à prendre en considération. Effectivement, depuis 1981, les citoyens de l’Alaska perçoivent un « dividende annuel de citoyenneté » financé entièrement par la manne pétrolière du territoire. Selon le rapport annuel du département des revenus de l’Etat d’Alaska, en 2014, le revenu s’élevait à 1884 dollars (environ 1700€).

Dans la ville de Dauphin au Canada, un « revenu inconditionnel » a été expérimenté pendant plus de 4 ans. Le test a ainsi permis de montrer que même si le nombre d’heures travaillées n’a quasiment pas diminué (seulement 1%), les jeunes ont préféré prolonger leurs études. Les hospitalisations et la criminalité ont également diminué.

Des expérimentations un peu partout dans le monde permettent d’avoir un avis et d’esquisser les conséquences de l’instauration d’un revenu universel en France. En Afrique, et plus précisément en Namibie, les habitants d’un village – Otjivero – touchent 100 dollars namibiens par mois, versés par une coalition. Les conséquences directes de cette initiative ont été la baisse du chômage, l’augmentation de la scolarité, le développement de l’artisanat et une meilleure santé des villageois.

Quoi retenir ?

La France est un pays à part, ne ressemblant à aucun autre ! De nombreux obstacles voient donc le jour et le Conseil National du Numérique s’est donc bien gardé de proposer une version finale du revenu universel. Il incite simplement le gouvernement à réaliser « une étude de faisabilité » qui mobiliserait des experts venant de domaines différents tels que l’économie, le droit, la fiscalité etc.

De plus, le financement est un véritable problème car il faudra quoi qu’il arrive, si cela devait se faire, ponctionner l’argent nécessaire des ménages ou des entreprises et créer de nouvelles instabilités. Dans son rapport, le CNN évoquait plusieurs propositions : l’augmentation de la fiscalité, la suppression de tout l’ensemble des allocations (sauf l’assurance maladie), une réinvention du système monétaire, taxer le chiffre d’affaires des entreprises, taxer le patrimoine de manière plus significative, la taxe Tobin sur les transactions financières et pour finir la taxe sur la consommation. Autant dire qu’il va être très difficile d’une part, de prendre une décision sur le financement tant les citoyens connaissent un ras-le-bol fiscal, et d’autre part, d’instaurer une telle mesure. Les détracteurs sont nombreux et leurs arguments pour le moment sont bien rodés.

Globalement, beaucoup doute de l’efficacité réelle de ce dispositif de revenu de base. La question de son financement, de ses répercutions donnent plus de poids aux individus contre cette mesure.

L’idée a encore du mal à dépasser les débats au sein de la sphère politique mais la crise pourrait bien accélérer les choses. Avec un chômage record en France, une précarité  grandissante et une économie en berne, rémunérer toute contribution aux richesses matérielles ou immatérielles et non plus seulement le travail au profit d’une entreprise, permettra peut-être de sortir de la crise et ainsi de soutenir la consommation tant recherchée par tous les gouvernements de notre pays. C’est en tout cas ce qui ressort des différentes expériences menées un peu partout dans le monde.

Par Alexandre Lucas, étudiant M2 IESC promotion 2015-2016

Bibliographie :

  • Sites web :

http://www.cnnumerique.fr/wp-content/uploads/2015/12/Rapport-travail-version-finale-janv2016.pdf

http://rue89.nouvelobs.com/blog/compolitique/2016/01/11/revenu-universel-le-projet-du-siecle-235167

http://www.lefigaro.fr/economie/le-scan-eco/explicateur/2016/01/07/29004-20160107ARTFIG00173-revenu-universel-pourquoi-cette-idee-est-loin-de-se-concretiser-en-france.php

http://revenudebase.info/comprendre-le-revenu-de-base/financement/

http://www.liberation.fr/planete/2015/12/09/la-finlande-prete-a-experimenter-un-revenu-universel_1419464

http://www.publicsenat.fr/lcp/politique/vers-creation-dun-revenu-universel-france-1190427

http://www.lepoint.fr/economie/vers-un-revenu-de-base-pour-tous-11-01-2016-2008659_28.php

http://www.consoglobe.com/finlande-revenu-minimum-universel-cg

http://www.huffingtonpost.fr/2016/01/25/revenu-universel-solution-chomage-de-masse-automatisation-robot-inegalites_n_9069722.html

http://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/un-revenu-universel-pour-joindre-efficacite-economique-et-justice-politique_1756524.html

  • Ouvrages :

Milton Friedman. Capitalisme et liberté, A contre courant, 1962.

Marc de Basquiat et Gaspard Koenig. Liber, un revenu de liberté pour tous : Une proposition d’impôt négatif en France, Editions de l’Onde Génération libre, 2015.

Jean-Marc Ferry. L’allocation universelle : Pour un revenu de citoyenneté, Humanités, 1995.

Admin M2 IESC