Nous ne devrions jamais oublier, comme le disait l’éminente politicologue et philosophe Hannah Arendt dans son oeuvre La condition de l’homme moderne, que « le pouvoir jaillit parmi les hommes quand ils agissent ensemble ».
Imaginez qu’un matin au réveil, en ouvrant vos volets à une heure habituellement chaotique, vous soyez particulièrement frappé par l’éloquent silence qui règne dans l’avenue bordant votre immeuble. Curieux n’est-ce pas ? A la place de l’incessant balais de voitures et autres engins à moteur, c’est bien le chant limpide de dizaines d’oiseaux que vous percevez. Imaginez que, même après vous être frotté plusieurs fois les yeux pour tenter de le croire, vous constatiez que le bitume a laisse place à une pelouse verdoyante dispersée entre de petits chemins de petit sable et de pierre. Imaginez que les files de voitures ont laissé place à une joyeuse comédie humaine ou piétons et cyclistes vivent en règne.
Légitimement, vous vous demandez ce qu’il s’est donc passé durant cette nuit, si vous ne faites pas l’objet d’une quelconque folie. C’est pourtant bien ce qu’il m’est arrivé, ce que je vais vous conter.
Désorientée par le paysage et la vie qui s’imposaient à moi, je décidais de descendre pour assister à ce spectacle de plus près. Une curiosité intensément vivifiante s’emparait ainsi de mon être tout entier allant jusqu’à faire crier mon ventre de famine, me rappelant la fragilité de notre condition humaine, tenue par d’innombrables et d’insatiables besoins. Je descendais alors les marches de l’immeuble et ouvrais la porte. C’est ainsi un autre monde que j’observais complètement perdue, désorientée, médusée, émerveillée.
Tout était transformé, d’un autre temps et ma conscience peinait à assimiler ce flot de nouveautés. Mes sens étaient décuplés. J’entendais le chant des oiseaux avec toute l’intensité que le calme environnant autorisait, je sentais l’odeur de l’herbe fraîchement coupée, des magnifiques fleurs qui bordaient les allées, dont les effluves n’étaient nullement entachées par l’odeur des fumées des moteurs. J’observais avec davantage de lumière et de couleurs ce paysage de toute beauté qui n’était plus que végétation et minéralité. C’est alors que, cherchant le supermarché qui dominait l’angle de la rue mais qui visiblement avait été remplacé par un commerce à l’aspect particulier, je m’apercevais qu’un jardin était cultivé juste à côté. Une abondance de légumes d’une variété et d’une beauté indescriptible. De magnifiques salades aux feuilles évasées et aux cœurs généreux, des tomates d’une incroyable diversité, certaines charnues d’autres plus petites et fermes. L’odeur prononcée de leurs feuilles me parvenait et j’imaginais alors leurs délicieuses saveurs. Il y avait également des concombres et je percevais au loin du persil, de la coriandre et enfin un grand champ de pommes de terre. A côté se trouvait aussi d’énormes potimarrons qui me rappelaient les délicieux veloutés hivernaux de maman que nous dégustions dans une silencieuse délectation. C’était un paradis de légumes, une oeuvre d’art végétale dans laquelle la vivacité des couleurs et des formes contrastait avec le calme ambiant. Enfin, alors que je tournais le regard sur ma droite, je constatais la présence d’un magnifique pommier chargé de ses plus beaux attributs.
Ne pouvant résister, je me mettais sur la pointe des pieds et parvenais à saisir l’une d’entre elle. Je la croquais ainsi à pleines dents et c’est un voyage dans le temps que je faisais ainsi en cet instant. Cette pomme, d’un parfum qui n’avait d’égal nul autre pareil, me ramenait à mon enfance dans le verger de mon grand-père dans lequel les fruits avaient un goût de soleil et de nature. Je m’employais à ne pas laisser échapper le jus qui s’en extrayait, c’était un si doux mélange d’acidité et de sucré, d’un croquant et d’une fraîcheur qui me transportait. Je la dégustais avec une frénésie telle que durant ce moment rien d’autre ne comptait, je ne percevais plus rien d’autre du monde, j’étais comme figée, transportée, habitée.
Un picotis douloureux parvenant de mon pied me réveillait alors de ce voyage gustatif, et lorsque que je baissais les yeux pour voir ce qui venait de me piquer, je remarquais une poule à l’oeil vif et impatient. « Elle aime les pommes elle aussi ! Enfin surtout les pelures » me lance une dame que je n’avais jusqu’alors pas aperçu. Elle était assise sur un petit tabouret de bois et s’employait visiblement à la réparation d’un vélo. « Tu sembles perdue petite, ça va ? ». « Oui ! » M’empressais-je répondre. « Tout va bien, je suis juste si désorientée ». Sans me répondre davantage elle me prenait la main et m’entraînait avec elle. Je ne sais ce qu’il s’était passé cette nuit-là, mais mon incompréhension s’effaçait laissant place à une curiosité grandissante, brûlante, de découvrir tout ce que ce nouveau monde comprenait.
« Ici il s’agit de tous nos commerces du quartier d’Angevina. Nous avons le Repair café dont je m’occupe qui répare tout ce qui peut l’être ici, nos deux épiceries, notre maison de santé, notre boulangerie, et enfin là-bas nos animaux.
Tu trouveras également chez Babette de quoi te divertir et t’instruire avec ces nombreux livres. Aussi, au bout de la rue tu rencontreras la fine équipe d’Alban, Robin, Michel, Anne et Lucile, de vrais artistes ceux-là ! Mais avant va donc prendre quelque chose à boire petite, tu as tant à découvrir ici » me dit-elle d’un regard qui semblait comprendre exactement mes interrogations.
Alors que je me dirigeais vers la boulangerie, j’apercevais juste derrière un moulin. Je n’en croyais pas mes yeux. J’avançais alors rapidement et contournais la bâtisse dont l’aspect, bien que curieux, n’en était pour autant pas moins agréable. Je ne sais de quoi étaient faits ses murs et son toit mais ce n’était certainement pas de béton. Derrière, il y a avait donc un magnifique moulin qui fonctionnait avec ses murs de pierres et ses eaux. Je rencontrais Martin et Jacques et tout en dégustant un délicieux petit pain de farine d’épeautre et un délicieux café de racines de pissenlit torréfiées, ces derniers me faisait une visite en expliquant fièrement leurs techniques traditionnelles de travail, leurs cultures de céréales issues de semences ancestrales locales précieusement gardées durant des générations. « Nous sommes fiers de participer à notre autonomie et à notre survie. Après tant d’années de chaos et de reconstruction, nous pouvons admettre que nous avons réussi » dit Martin d’un air songeur. Je le regardais alors interdite et me disais en mon fort intérieur que j’avais dû sommeiller durant une période qui dépassait l’entendement, sommeil qui m’avait visiblement préservé de dures années de difficulté. Je me demandais vraiment ce qu’il s’était passé, combien de temps cela avait-il duré, à quoi ressemblait les alentours. Je voulais comprendre. Ce que je ne savais pas encore c’est que ce que j’apprendrai par la suite dépassait tout ce que j’aurais pu imaginer.
Je continuais mon périple à travers ce quartier dont il me restait tout à comprendre et à découvrir. Je m’avançais en direction de l’une des épiceries lorsque sur ma droite j’apercevais un groupe de 5 enfants qui, chargés de caisse de bois remplis de fruits et légumes s’apprêtaient à entrer dans l’épicerie. « Tu ne comprends rien Maxime ! Madame Petavie nous l’a déjà expliqué une montagne de fois ! Tu dois toujours aligner un oeillet de dinde entre chaque pied de tomate pour les protéger des maladies et ravageurs. Il est aussi nécessaire de mettre des capucines, les fleurs adorées des pucerons. Aussi, à la fin d’une culture nous devons toujours tapisser le sol des feuilles des arbres ainsi que du fumier des poules pour nourrir la terre ! Tu le sais bien pourtant ». J’étais médusée par l’attitude générale de ces enfants qui semblaient dotés d’une maturité, d’une intelligence collective et d’une connaissance de la nature que je n’avais jusqu’alors jamais observé. Ou étaient donc passés ces enfants derrière leurs tablettes et autres appareils électroniques se refusant, pour la plupart, à manger un quelconque légume ?
C’est alors que l’un d’entre eux, sans m’adresser aucune parole me prenait la main et m’emmenait derrière l’épicerie. Ici s’étendaient de magnifiques champs de céréales et d’arbres. A côté il y avait un grand parc dans lequel plein d’animaux cohabitaient, des chèvres, des poules, des vaches. Je reconnaissais alors les cultures de blé, d’avoine, de sarrasin et d’épeautre. Il y avait également de magnifiques chênes, quelques peupliers, des tilleuls et au loin on pouvait apercevoir de nombreux mélèzes. La végétation y était foisonnante et cela me laissait sans voix. Je commençais à comprendre que ce que l’on souhaitait me montrer : une totale symbiose avec la nature et une totale autonomie alimentaire. Ici l’alimentation était le résultat d’un travail collectif et organisé par des êtres humains aux besoins simples et dont l’attitude transpirait la résilience.
J’apprenais ainsi que la majorité des fruits et légumes étaient cultivés au printemps et en été, qu’il s’ensuivait une période de récolte et de conservation en tout genre : les légumes secs et frais étaient mis en bocaux et conservés via des techniques naturelles telles que la lactofermentation. Les céréales étaient, quant à eux, moulus et conservés dans de grands bacs faisant également l’objet d’une transformation locale. Les fruits étaient mangés frais, conservés dans des caves ou transformés en compotes et confitures. Enfin, ils disposaient même d’une culture de fruits secs, en particulier de noyers et de noisetiers qu’ils transformaient en huile, poudre et autres mets délicieux. Ici l’alimentation était simple puisque locale et autogérée. Les animaux qui y vivaient étaient pour la plupart rescapés d’anciens élevages, incapables de vivre seuls et étaient traités avec toute le respect qu’un être vivant méritait.
Ils disposaient d’un jardin sous serre également avec laquelle ils tentaient une production hivernale de fruits et légumes mais aussi de produits exotiques dont ils tentaient une culture expérimentale à partir de semences du monde d’avant, le cacao en faisait partie. Tout était organisé selon les bases de la permaculture avec la création d’un réel écosystème dans lequel végétations, insectes et animaux étaient tous traités avec une infinie attention, à la hauteur de leur indispensable contribution. L’eau était utilisée avec parcimonie et réutilisée le plus possible ; mais avec leur système de captage des eaux de pluie et une bonne préservation des sols cela n’était plus vraiment un problème. Ici le sol, l’être le plus vivant de notre planète, était riche et remplissait ses fonctions à la perfection. Il nourrissait, hydratait, soignait et habillait.
Carla, une jeune fille enthousiasmante âgée de douze ans me lançait soudainement « nous avons notre serre du monde éloigné ! Oui tu sais ces lointains pays exotiques qu’autrefois vous exploitiez. Et bien moi je vais bientôt goûter le cacao ! Mes parents m’ont expliqué qu’avant vous mangiez cela en quantité, que de grands bateaux et de gros avions vous l’apportaient quotidiennement mais que cela était mal et avait provoqué une catastrophe de notre Terre. Je n’ai pas connu cela mais je trouve l’ancien monde bizarre. Je veux dire je ne comprends pas pourquoi vous aviez cette certitude que tout pouvait se posséder et de façon illimitée ! La nature est si précieuse et si extraordinaire, nos forêts, nos océans et nos sols nous apportent tant. Il faut aussi beaucoup de travail et de temps pour réussir à se nourrir convenablement, cela ne peut être le fruit d’un caprice ou d’un pillage ! Papa et maman m’ont expliqué le système d’avant, la croissance et tout ça mais je ne comprendrai jamais je crois. A mon avis, nous autres êtres humains ne sommes qu’une pièce d’un immense puzzle, tous indispensables et interdépendants. Notre force nous la puisons dans notre intelligence collective et dans notre symbiose avec tous les éléments de notre écosystème. Vivre, selon moi, consiste donc en l’apprentissage et la compréhension de qui je suis et de l’endroit où je vis, du fonctionnement de notre vaisseau Terre et de la vie qui y règne, mais aussi de ma capacité de subvenir à mes besoins sans éprouver une quelconque dépendance. Vivre c’est aussi s’amuser, créer, partager, collaborer avec les autres. Je ne vois d’autres sens à la vie, tu ne penses pas toi ? Mais pourquoi pleures-tu ? » Me questionne-t-elle alors.
J’étais submergée par le naturel avec lequel cet enfant m’expliquait ce qui me paraissait essentiel dans nos sociétés d’antan, ce que j’avais réalisé, ce que je voulais tenter de créer mais sans véritables possibilités. Elle incarnait des heures d’explorations d’autres possibles, des questionnements en tout genre, une tristesse grandissante face à l’incompatibilité entre mes ambitions et le monde qui m’entourait. Tous ces rêves étaient devenus réalité.
Une autonomie alimentaire, une société basée sur la coopération et l’entraide ou l’argent n’existait tout bonnement plus, dans laquelle les enfants apprenaient tant les mathématiques qu’à devenir empathiques, tant la philosophie et la littérature que la couture et la permaculture. Un monde dans lequel chacun avait vraiment sa place, dans lequel tout le monde développait ses qualités personnelles et interpersonnelles, ou chacun se levait chaque matin avec une soif de vivre et de contribuer à la communauté, en somme où tout le monde faisait ce qui vraiment l’animait. Un monde dans lequel tout le monde était pleinement ancré dans le réel, vivant, un monde sans virtualité, sans volonté d’échapper à la réalité.
Cet émerveillement n’était rien en comparaison avec toutes les découvertes qui m’attendaient encore, faisant à la fois l’objet d’une créativité et d’une simplicité déconcertante. Ici tout avait du sens, de l’utilité, de l’humanité, de la profondeur, de la chaleur et une forme de candeur. Par la suite je découvrais le Repair café où l’on réparait tout ce que l’on trouvait, mais également où l’on dispensait des ateliers de créations, allant du mobilier aux ustensiles en tout genre.
J’apprenais également que le quartier était complètement autonome en énergie, qu’il disposait d’éoliennes fabriquées à partir de matériel abandonné mais aussi de panneaux solaires, de biomasse et de bois qu’ils s’employaient à replanter en grande quantité. Je découvrais par ricochet que les maisons étaient toutes construites en des matériaux écologiques, parfois de bois, de paille, de terre cuite. L’isolation était faite de laine de chanvre ou de la laine des moutons laissés en pâturage. Les sols étaient faits de liège et les murs principalement de bois.
Tous les immeubles avaient laissé place à de petites maisons toutes quasiment similaires et transcrivant cette même idée de simplicité et de respect écologique et sociale. Le confort y était tout autant suffisant que résilient. On se lavait avec l’eau de pluie chauffée grâce à l’énergie solaire et il n’y avait que des toilettes sèches. En hiver, on cuisinait beaucoup grâce au feu de bois, les plats étaient conservés en extérieur faisant office de réfrigérateur naturel. On développait les moindres petites astuces permettant de recourir le moins possible à l’usage de l’électricité produite par les sources d’énergies renouvelables.
L’habitat n’était envisagé ici que comme l’outil de repos et d’intimité nécessaire lorsque la fin de journée pointait le bout de son nez. Le reste du temps, les personnes étaient occupées à contribuer à leur communauté par l’exercice de leurs diverses missions. Le partage était une valeur naturelle et nombreux étaient les ateliers et espace communs.
Concernant l’apprentissage, les enfants suivaient une éducation riche comme décrite précédemment, dans laquelle on mélangeait connaissances et savoir-faire. Ainsi tout le monde suivait, au-delà des matières classiques, un apprentissage du fonctionnement de notre Terre et de ses ressources. Il y avait également de nombreuses pratiques : la pratique du jardin, de l’élevage raisonné des animaux, de la couture car ici on apprenait aussi à s’habiller et se chausser. On apprenait également les bases de la médecine naturelle pour se soigner des petits maux par les plantes et on apprenait à écouter son corps, à méditer, à communiquer. Le sport était une culture, on cultivait l’idée d’un esprit sain dans un corps sain. Enfin, on apprenait comment fonctionnait les outils permettant de bénéficier de l’eau et de l’électricité. Très tôt tout le monde connaissait la valeur de ce confort, ce qu’il en coûtait pour en bénéficier et en faisait ainsi un usage d’une infinie sobriété.
Je rencontrais finalement le groupe que m’avait évoqué la dame qui réparait le vélo, des savants fous, d’une inventivité hors paire qui faisait tout un tas d’objets, de mobiliers à partir de tissus, plastiques, bois, et tout autres matériaux retrouvés. Ils fabriquaient également des vêtements, sacs, objets de décoration tout aussi utiles que déroutants. Ici tout fonctionnait également sur la base de la créativité mais aussi de l’échange et du partage. Les habitants se prêtaient ce qu’ils n’utilisaient qu’occasionnellement, s’échangeaient des choses dans une dynamique d’usages croisés. Le matérialisme et l’individualisme, encouragés par le capitalisme du monde que je connaissais ne semblaient jamais avoir existé. Ici tout n’était que résilience, sobriété, apprentissage et partage. On ne disposait que de ce dont on avait réellement besoin, on se donnait les moyens de vivre par nous-mêmes et on redécouvrait l’humain dans toute sa splendeur. « Ce soir c’est le dîner du quartier d’ailleurs ! On participe tous et ensuite on se diverti devant une pièce de théâtre organisée par le club des lecteurs. Tu vas voir à quel point on s’amuse ! » S’exclamait Lucile d’une vivacité tant communicative qu’enchanteresse.
Enfin, j’apprenais que dans ce quartier il n’y avait nullement de règles, que chacun savait naturellement ce qu’il avait à faire, n’hésitait pas à manifester le besoin d’aide, à exprimer une détresse ou une joie. Ici on favorisait l’informel, la créativité et la complémentarité. Il n’y avait de règles qu’en ce qui s’apparentait aux conflits que l’on résolvait par un mécanisme d’écoute et de médiation. En matière de prise de décision, il existait un système de démocratie participative et en cas de difficulté, les opposants devaient proposer des alternatives.
Mais comment cela était-il possible ? Qu’avait donc subit le monde pour qu’il fasse l’objet d’un tel changement ? Et alors que je laissais libre court au flot de questionnements qui m’assaillait, j’apercevais une maison qui n’était pas comme les autres. Elle était plus petite, ressemblant davantage aux constructions que j’avais l’habitude de voir dans le monde d’avant. Elle n’avait pas d’étage, était de forme carrée et possédait un charmant petit perron. Alors que je m’arrêtais pour l’observer plus longuement, je voyais une vieille dame qui me regardait derrière l’une des fenêtres. J’étais alors prise d’une irrépressible curiosité qui me poussait à l’entrée de la porter de la maison. Sans même prendre la précaution de frapper à la porte je m’introduisais dedans. La vieille dame était assise et me regardait paisiblement, comme si elle m’attendait, comme si j’étais parfaitement au bon endroit au bon moment. Je m’assaillais en face d’elle et elle me saisissait la main. Je fermais instantanément les yeux et je voyais enfin. Je voyais le chaos qui avait régné, je voyais les tsunamis, les tremblements de terre, le fonte des glaces qui avaient fait disparaitre tant de pays. Je voyais les gens hurler, les gens mourir, de faim, de soif, de chaleur, d’intoxication, de désespoir. Je voyais des villes littéralement fondues par un soleil devenu tueur en série. Je voyais des villes abandonnées par l’humanité qui n’étaient plus que méthane et toxicité. J’avais la nausée, la tête me tournait, je ne pouvais soutenir le regard devant tant d’atrocités. Je voulais crier, m’enfuir mais j’étais prisonnière.
Bip bip bip : le réveil sonne, il est 7h15. Je suis en sueur. J’entends le ronronnement des voitures, les klaxons. J’ouvre les volets, c’est bruyant, ça sent mauvais, la vision du ciel est entrecoupée de ces mêmes immeubles laids. Je perçois déjà les ondes négatives d’un monde stressé. Tout cela n’était bien qu’un rêve et pourtant, il semblerait que cette fiction ne soit pas si fictive.
C’est ainsi au nom de notre humanité qu’il est nécessaire d’expliquer à quel point nous somme liés à la nature dans sa diversité. Dans une société qui nous a fait oublier l’essentiel, nous faisons croire que béton et technologies sont nos seules chances de survie, que la croissance et le progrès sont intimement liés, que l’homme et la nature sont opposés.
Ce récit est une invitation à une après-midi de randonnée troquée contre une journée shopping un samedi ensoleillé. Une invitation à l’émerveillement de la naissance d’un fruit ou d’un légume que l’on a soi-même planté. Une invitation à la pureté du silence d’un réveil au milieu d’une nature indomptée. Une invitation à la pureté et à la force des éléments, à une randonnée glaciaire, à une nage dans l’océan, à une course dans le vent. En somme, une invitation à retrouver notre modeste place d’homme face à cette biodiversité.
C’est au nom de cet amour profond et indescriptible que je ressens pour la nature que j’ai écris cet article. C’est une ode à l’envahissement de tout mes sens, à un sentiment de plénitude inégalé, à l’odeur de l’herbe fraichement coupée, de la terre récemment retournée, de la pluie tout juste tombée, d’une végétation de toute beauté, au subtile toucher d’une neige immaculée, un émerveillement sans limites qui fascine et inspire mon être tout entier.
Nous devons nous saisir de cette crise pour développer notre conscience à la fois de nous-mêmes et de l’environnement dans lequel nous évoluons. Il est essentiel que nous développions notre sagesse et comment ? En explorant, en étant curieux de tout et en renonçant à l’ignorance. C’est en comprenant le fonctionnement de notre Terre que nous comprenons la fragilité de nos existences et la nécessité de développer des modes de vie plus en adéquation avec nous-mêmes.
Nous devons réinventer nos sociétés dans tous ces aspects, utiliser ce magnifique réveil écologique pour repenser complètement le système tout entier. Repenser à l’échange de savoir-faire, au troc, au partage, au développement du local comme économie viable, humaine et écologique. C’est notamment ce que Serge Latouche résume dans son livre La voie de la décroissance. Vers une société d’abondance frugale lorsqu’il évoque les diverses formes d’actions à implanter au coeur de notre monde : « réévaluer, reconceptualiser, restructurer, relocaliser, redistribuer, réduire, réutiliser, recycler » ; il ne tient qu’à nous de nous en emparer.
Enfin, nous devons réapprendre à devenir maîtres de nos vies pleinement, être acteur de notre alimentation, de notre production d’énergie, de notre démocratie, de notre santé, de notre éducation. Mais avant cela il faut réaliser notre modeste condition. Pourquoi l’acquisition de compétences informatiques est devenue plus normale, utile, valorisant que de savoir planter un plant de tomates ?
Rachel Carson disait « Mais l’homme est une partie de la nature, et son combat contre cette nature est inévitablement un combat contre lui-même ». Cela semble prendre tout son sens dans notre monde actuel.
Aussi, je souhaiterais m’adresser à toutes ces personnes qui penseraient cela utopique, ou qui tout simplement penseraient ne pas avoir le temps, le luxe ou l’appétence pour notre survie. Je souhaiterais que vous vous posiez 5minutes et que vous vous demandiez : quel sens a votre vie ? Aimez-vous ce que vous faites chaque jour ? Qu’est-ce qui est essentiel pour vous ? Etes-vous heureux ? Et si l’on vous disait qu’en réalité vous aviez tous les outils pour vous affranchir de tous les carcans que nous maintenons par notre docile obéissance ? Et si demain le boss humiliant et stressant n’existait plus, si les préoccupations financières disparaissaient, si vous aviez l’opportunité de faire ce qui vraiment vous animiez, sans nul souci matériel, sans nulle contrainte de temps, ne voudriez-vous pas le tenter ?
Imaginez que ce matin nous refusions tous d’aller travailler, que les messieurs du btp s’emploient à emprunter les machines pour dé-bitumer tous les quartiers, que les jardiniers occupés à dompter une nature qui doit être joliment présentée se mettent à jardiner, que quelques médecins fatigués viennent les aider, que les ingénieurs expriment leur créativité dans de magnifiques frugalités, que nous décidions ensemble d’être maîtres de nos vies, de créer une vraie démocratie, d’abolir le système financier, de réinventer l’humanité. Pourquoi cela est-il si utopique ? Parce que nous ne l’avons pas encore fait. Nous avons perdus le contrôle de ce que nous buvons, de ce que nous mangeons, des matières avec lesquelles nous nous habillons, parfumons, chouchoutons. Nous perdons toujours davantage notre sociabilité, notre capacité à s’écouter, notre possibilité de coopérer.
Enfin je terminerai par l’un des passages les plus éloquents du livre de Cyril Dion, un passage qui devrait à tous nous intimer l’ordre d’arrêter tout de suite toutes nos activités, de descendre dans la rue et de commencer à créer une nouvelle société.
« Imaginez que l’essentiel des activités humaines ne soit pas dédié à gagner de l’argent, augmenter le profit, doper la croissance, inverser la courbe du chômage, relancer la consommation des ménages, gagner des parts de marché, vendre, acheter, contenir la menace terroriste, préserver nos acquis, rembourser nos crédits, se plonger dans des monceaux de divertissements destinés à nous faire oublier le peu de sens que nous trouvons à nos existences et notre peur panique de mourir… mais à comprendre ce que nous fabriquons sur cette planète, à exprimer nos talents, à faire grandir nos capacités physiques et mentales, à coopérer pour résoudre les immenses problèmes que notre espèce a créés, à devenir meilleurs, individuellement et collectivement. Que nous passions la majeure partie de notre temps à faire ce que nous aimons, à être utiles aux autres, à marcher dans la nature, à faire l’amour, à vivre des relations passionnantes, à créer. Impossible, n’est-ce pas ? Utopiste. Bisounours. Simpliste. Et pourtant. Tout ce que je viens de décrire existe déjà en germe dans des écoles en France, dans des écoquartiers aux Pays-Bas, dans des écovillages en Ecosse (…). Imaginez, si l’ensemble de l’énergie productive et créative des personnes qui travaillent chaque jour sur la planète n’était pas concentrée à faire tourner la machine économique, mais à pratiquer des activités qui leur donnent une irrépressible envie de sauter du lit chaque matin, et que cette énergie soit mise au service de projets à forte utilité écologique et sociale… Il y a fort à parier que le monde changerait rapidement (…)”.
Par Alexia de Rechapt, promotion 2019-2020 du M2 IESCI
Sources :
Un million de révolutions tranquilles – Bénédicte Manier
Petit manuel de résistance contemporaine – Cyril Dion