Rencontre Macron-Jinping : vers une réinvention du bilatéralisme franco-chinois

Emmanuel Macron s’est déplacé en Chine pour rencontrer le président Xi Jinping entre le 8 et le 10 janvier dernier. En ce début 2018, le président affirmait vouloir prendre son temps pour une visite d’Etat réussie afin de consolider les relations politiques entre les deux hommes. Les deux présidents s’étaient déjà rencontrés une première fois le 8 juillet 2017 lors du sommet du G20, après l’élection de Mr Macron, et son homologue chinois avait déjà affirmé son engagement à “défendre” l’accord de Paris aux côtés de la France.

C’est selon le quotidien espagnol El País, que le président français se voit comparé à Charles de Gaulle. En effet, son slogan “ni de gauche, ni de droite” prétend vouloir mettre sur un pied d’égalité les forces chinoise et nord-américaine, ce que le Général de Gaulle avait voulu en son temps entre l’union soviétique et les Etats-Unis. Le dessinateur suisse Patrick Chappatte a également comparé le chef d’Etat français à Tintin, lors de ses aventures en Chine dans l’album “le Lotus bleu”, lui conférant ainsi des airs d’aventurier à la quête du monde chinois.

Par ailleurs, le couple Macron fut très attendu par la population chinoise. Les chinois plaçant historiquement l’apparence ou 面子 (“mian zi” : la face) au coeur de leurs valeurs, ont une image très particulière des français et de leur culture “romantique”. Brigitte Macron, ou la co-marraine du bébé panda prêté par la Chine, incarnait parfaitement la première dame française élégante venue imposer une image de marque auprès des chinois.

Lors de sa venue, Emmanuel Macron prétendant agir pour son pays voir l’Europe, voulait consolider ses relations avec la Chine, afin d’ouvrir Pékin aux portes de l’Europe et créer de “nouvelles routes de la soie” concernant un vaste projet d’infrastructures reliant la Chine à l’Europe. A l’heure où Mr Trump décide de se désengager de la Chine, notamment suite à l’abandon du TTP et le retrait des accords de Paris concernant la question climatique, le président français bénéficie d’une “ouverture incroyable” qui pourrait permettre au monde européen d’adopter de nouveaux idéaux promus par la Chine.

En somme, il fut principalement question d’économie lors de cette rencontre : avec un déficit de 30 milliards d’euros, le plus gros déficit extérieur, la France entend s’ouvrir beaucoup plus aux capitaux chinois, et réduire ainsi son déficit. Mr Macron s’était donc envolé accompagné de plus de 50 patrons français, dont ceux d’Airbus, Sodexo, Auchan et Dassault, et certains contrats ont été signés lors de son séjour.

Retour sur l’histoire des relations politiques des deux pays

En 1964, le Général de Gaulle était à l’époque le premier représentant des pays occidentaux à reconnaître officiellement la République populaire de Chine établie plus en 1949. Il le disait lui-même “En nouant avec ce pays des relations officielles, la France ne fait que reconnaître le monde tel qu’il est”. C’est donc fin janvier de cette même année que les relations diplomatiques ont débuté entre la France et la Chine.

Les rapports diplomatiques ont par ailleurs connus des hauts et des bas. Les chinois y voyaient à l’époque de Jacques Chirac une relation “donnant-donnant” qui permettait aux deux pays de commercer sereinement. Mr Chirac connaissait bien l’Empire du milieu et ses coutumes, et sa discrétion sur les sujets sensibles permettait de bien se faire voir auprès des chinois, qui n’apprécient guère le “franc-parlé” qu’eût son successeur Nicolas Sarkozy, par la suite.

En effet, on se souviendra des maladresses de l’ancien président à l’égard de la répression chinoise au Tibet et lors de sa rencontre avec le Dalaï-lama. De ce fait, le courroux à Pékin s’était transformé en réel appel au boycott des produits français et de Carrefour, très présent en Chine, mais également au report d’un sommet avec l’Union Européenne. Même si les malentendus se dissipèrent postérieurement, il fut difficile de trouver le ton juste pour Mr Sarkozy, afin d’établir des relations diplomatiques solides.

A l’issu de son quinquennat, François Hollande avait plaidé pour une ouverture entre les deux pays, fondée sur des principes de réciprocité et sur une base de respect des normes sociales et environnementales. Il affirmait également vouloir rééquilibrer le commerce extérieur en multipliant les échanges et les investissements bilatéraux. Ce sera des affirmations que reprendra par la suite le président actuel Emmanuel Macron, en voulant aller plus loin.

Plus de 50 ans après la reconnaissance de la Chine, les relations ont donc nettement évoluées. La Chine est propulsée au rang de seconde puissance mondiale et la France ne se place que derrière l’Allemagne en tant que partenaire commerciale européen principal. Cependant, la crise politique qui semble sévir en Allemagne fragilise Angela Merkel et amène une certaine perte d’influence de la part de la chancelière sur son pays et l’Union Européenne.

 (https://www.youtube.com/watch?v=9qYg0a5Rsl0)

Reprenant le flambeau, le challenge d’Emmanuel Macron devra être conséquent : il s’agit de reconstituer une Union Européenne forte en prenant en compte les mutations en cours du monde. Attendu au tournant, le président français devra gérer les circonstances de la situation en Allemagne, et établir des liens forts qui soudent l’Union Européenne à la Chine. Ce fut donc l’objet de sa seconde visite d’Etat en Chine, qui fut stratégiquement préparée.

La visite du couple Macron et la signature de contrats

C’est sur la question climatique que le président français a mené son premier discours le 8 janvier à Xi’an, ville traditionnelle du point de départ de la “route de la soie”, et lieu culte où ses prédécesseurs s’étaient déjà rendus à leur époque. Le chef d’Etat a décidé de miser sur la carte des symboles : après avoir offert un cheval de la garde républicaine à Mr. Jinping, il commence sa visite dans un lieu symbolique des échanges entre l’occident et la Chine.

Le président français s’est ensuite rendu dans une pagode bouddhiste et à la mosquée de Xi’an, où il y a d’ailleurs prononcé son discours. Il y a mentionné de nombreux points importants qui relient les deux nations, notamment en décrétant vouloir faire de l’année 2018-2019, une année franco-chinoise de la transition écologique. En lançant «Nos destins sont liés», l’homme a mis en avant sa volonté d’une construction de “nouvelles routes de la soie”, projet complexe qu’il veut non pas univoque, mais un moyen de partage entre les deux nations.

(www.courrierinternational.com/grand-format/chine-route-de-la-soie-la-mondialisation-selon-xi-jinping)

A l’issue de son discours, le chef d’Etat français a subtilement traduit son fameux “Make our planet great again” déjà employé en réponse à Donald Trump suite à son retrait de l’accord de Paris l’année dernière, mais cette fois-ci en chinois. En lançant un “让地球再次伟大“ (reng diqiu zai ci weida ou “rendons sa grandeur à la planète”) qui fut difficile à prononcer, il entend imposer les mêmes paroles des deux côtés de la Terre.

Le soir du 8 janvier, le couple Macron s’est rendu à Pékin pour dîner avec le président chinois et sa femme. Le lendemain, Le couple Macron est arrivé main dans la main sous un froid glacial au pied de la cité Interdite pour visiter le monument. Accompagné du guide et spécialiste de la Chine, Patrice Fava, et d’écoliers pékinois, le couple commença une longue visite. Après la visite des lieux, madame Macron visita la grande Muraille tandis que son mari fut accueilli par un incubateur chinois, Soho 3Q : un espace de coworking.

Par la suite, quelques contrats furent évoqués. En effet, Paris et Pékin ont signé un accord commercial pour la construction d’une usine de traitement des combustibles usagés bénéficiaire à la société Areva, représentant un montant de 10 milliards d’euros. Un contrat aéronautique fut également signé : la Chine a commandé 184 Airbus A320 d’une valeur de 18 milliards de dollars et, en contrepartie, la France a promis l’augmentation de la production d’appareil A320 à Tianjin.

Emmanuel Macron a également décidé de lever l’embargo sur la viande bovine française en Chine, imposé depuis 2001, et ce dans les plus brefs délais. D’un point de vue culturel, il a notamment été décidé la mise en place d’un centre Pompidou d’art contemporain à Shanghai, qui ouvrirait ses portes en 2019.

Cependant, le président français fut discret concernant la question des droits de l’homme. Il avait été interpellé plus tôt par des associations comme Human Rights Watch afin de réclamer “publiquement” au président Xi Jinping des améliorations sur ses positions, comme s’exprimer sur le sort de la veuve du prix Nobel de la paix, Liu Xiaobo, aujourd’hui assignée à résidence. Mais Mr Macron n’a pas trouvé utile de faire ces déclarations ouvertement, il mentionne avoir évoqué le sujet en privé : “Ces préoccupations, je les ai évoquées avec le président Xi Jinping. Il sait qu’elles existent en Europe, en particulier sur le sujet des libertés et des droits universels. Et je sais que pour lui le sujet est important”, déclarait-il.

Vers une Europe forte qui contrebalance l’influence des Etats-Unis ?

Donald Trump, qui avait marqué le début de son mandat en mettant fin au traité de libre-échange trans-pacifique, voulait détricoter les mesures qui avaient été prises par son prédécesseur, Barack Obama. Ce traité, vu comme un contrepoids de taille face à l’influence croissante de la Chine, avait été signé par 12 pays d’Asie-Pacifique, représentant 40% de l’économie mondiale, en 2015.

Pendant la visite de Macron en Chine, le président américain étant sur une autre affaire, avait délibérément insulté les pays d’Afrique, les qualifiant de “pays de merde”, ne comprenant pas comment les habitants d’Afrique étaient encore autorisés à venir tenter leur chance aux Etats-Unis. Incarnation du parfait anti soft-power américain, le président a fait couler beaucoup d’encre suite à ce scandale, qui a choqué une fois de plus le monde entier. Plus récemment, le 24 janvier dernier, Donald Trump soulève une vague de colère en Chine suite à sa volonté d’imposer des tarifs douaniers sur les importations de panneau solaire et de machine à laver, dont la Chine est le plus important fournisseur sur la planète.

Ces grandes différences apparentes entre les notions de mesure et de respect traditionnellement chinoises, ainsi que le franc-parler et la “non-convenance” du côté américain ne permettent visiblement pas d’établir de bonnes relations pérennes. Dès lors, le rapprochement de Mr. Macron en Chine afin de représenter une nouvelle vision des ambitions européennes, peut être bénéfique stratégiquement pour se créer un allié de taille, et refaire fonctionner la machine des investissements chinois en France.

Derrière l’esprit de Donald Trump se cacherait-il une stratégie d’affront direct envers cette Chine menaçante ? La Chine qu’il voit sur la route de la première puissance mondiale, déciderait-il de s’en prendre à elle le plus tôt possible afin de freiner son ascension ?

CONCLUSION

Durant son séjour, Mr Macron a promis, comme Angela Merkel, de revenir à Pékin chaque année : « Je reviendrai au moins une fois par an en Chine, car c’est la condition pour que notre relation entre dans une ère nouvelle » avait-t-il lancé. Cette reprise du dialogue avec son homologue chinois fut intelligemment calculée, puisque l’enjeu fut de taille : avec encore trop peu de produits made in France en Chine, il s’agissait d’équilibrer la balance commerciale.

Pour le français, dont le livre “Révolution” fut publié ce 8 janvier dernier en Chine, il a fallu bien se faire voir et mettre en avant la question de la réciprocité. En offrant un cadeau à Xi Jinping, et en respectant les coutumes chinoises sur la discrétion concernant les droits de l’homme, le président a choisi de miser sur la stratégie de la symbolique et du respect. Mr Macron ou littéralement 马克龙 (ma ke long ou “le cheval qui domine le dragon”), transcription chinoise de son nom de famille lui conférant une image pour le moins encourageante, compte tisser des liens ou 关系 (guan xi, en chinois les “relations”) à long terme avec l’empire du milieu.

Au regard de son accord avec Mr Jinping concernant la mise en place de “nouvelles routes de la soie”, tout porte à croire que ces procédures seront longues et difficiles à réaliser. Projet réunissant plus de 70 pays, et dont les investissements dépassent ceux du Plan Marshall, cela représenterait, en effet, un immense bouleversement géopolitique. Mr Macron s’était aussi exprimé sur le sujet considérant celles-ci comme des moyens de partages qui ne pourrait “mettre en état de vassalité les pays qu’elles traversent.”

Pour les accords commerciaux signés durant son séjour, la volonté du parti français est de pouvoir bénéficier des technologies nouvelles (hautes technologies, technologies vertes,…) que pourront apporter les entreprises chinoises en France. Emmanuel Macron veut tenter de mettre en avant une “nouvelle génération d’entrepreneurs”, avec pour  intérêt d’apporter une vague de “renouveau” et d’innovation en France.

Cependant, Xi Jinping, à qui tout à l’air de profiter jusqu’à maintenant, a-t-il une stratégie bien plus grande que cela ?

Par Maëlle Texier, promotion 2017-2018 du M2 IESCI

Sources

https://www.youtube.com/watch?v=x7DizoD6a_s

http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2018/01/08/macron-veut-batir-la-confiance-avec-la-chine_5238752_3216.html

http://www.lemonde.fr/campus/article/2018/01/08/la-cite-internationale-universitaire-de-paris-a-l-heure-de-la-chine_5238941_4401467.html?xtmc=chine_macron&xtcr=6

http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2017/01/23/libre-echange-trump-signe-l-acte-de-retrait-des-etats-unis-du-partenariat-transpacifique_5067840_3222.html

https://elpais.com/internacional/2018/01/08/actualidad/1515428979_471779.html

https://www.courrierinternational.com/revue-de-presse/vu-de-chine-la-france-veut-reduire-son-deficit-quelle-souvre-aux-capitaux-chinois

https://www.numerama.com/politique/320978-chine-que-faut-il-retenir-de-la-visite-de-macron-sur-la-tech.html

http://www.rfi.fr/asie-pacifique/20140127-france-chine-relations-diplomatiques-de-gaulle-commemoration

http://www.lefigaro.fr/international/2010/04/27/01003-20100427ARTFIG00528-nicolas-sarkozy-et-le-casse-tete-chinois-.php

http://www.fmprc.gov.cn/mfa_eng/topics_665678/XJPCXBZCESGJTLDRDSYCFHJCXYGHD/t1395348.shtml

https://www.challenges.fr/politique/chine-turquie-pourquoi-emmanuel-macron-reussit-a-l-international-face-a-trump-merkel-et-xi-jinping_558637

https://www.challenges.fr/politique/chine-turquie-pourquoi-emmanuel-macron-reussit-a-l-international-face-a-trump-merkel-et-xi-jinping_558637

https://www.la-croix.com/Monde/Asie-et-Oceanie/A-Xian-Emmanuel-Macron-propose-alliance-France-Europe-Chine-2018-01-08-1200904331

http://www.liberation.fr/france/2018/01/08/macron-en-chine-les-nouvelles-routes-de-la-soie-ne-peuvent-etre-univoques_1621135

http://www.pieuvre.ca/2018/01/24/protectionnisme-les-nouveaux-tarifs-de-donald-trump-declenchent-la-colere-de-la-chine/

Bibliographie

Dumasy, J. (2014). La France et la Chine : 1248-2014 – Paris : Nicolas Chaudun.

 

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