Certains experts en intelligence économique avancent que les entreprises françaises, quelle que soit leur taille, n’adoptent pas suffisamment des mesures de protection en leur sein. Ils ajoutent également que la France, sous-entendu l’Etat français, ne protège pas assez les entreprises françaises des menaces externes. Or, ce manque de protection et plus largement ce manque de soutien seraient fortement dommageables à nos entreprises et donc, in fine, à notre économie.
Nous avons sur notre territoire des entreprises qui font régulièrement preuve d’innovation dans des domaines divers et variés. Pour tenir leur rang, nos différents secteurs, et en particulier nos secteurs stratégiques tels que la défense et le transport, s’efforcent en effet d’innover en permanence. Ils sont d’ailleurs en partie reconnus pour cette capacité. Leurs compétences, leurs technologies et leurs produits attirent bien des regards, et ce, de tout horizon. Nos entreprises ont su, par leurs savoir-faire se développer, gagner des parts de marché et s’internationaliser. Néanmoins, un élément a été plus ou moins délaissé au cours de leur développement, celui de la sécurité. La protection de nos entreprises n’a pas été en effet à la hauteur de leur développement et du contexte dans lequel elles évoluent quotidiennement. Or, ces dernières font face à des acteurs de plus en plus agressifs et puissants qui n’hésitent pas à déstabiliser, espionner, mener des cyberattaques contre elles afin de collecter leurs données, leurs informations, leurs connaissances et débaucher leurs salariés. C’est au regard de ces menaces et de ce contexte de “guerre économique” que nos entreprises doivent se protéger.
Pour s’en convaincre, il est bon de se remémorer les principales affaires qui ont marqué l’économie contemporaine en la matière. Ceci fera l’objet de notre première partie. Puis dans un second temps, nous verrons comment nous pouvons protéger nos entreprises.
Pourquoi protéger nos entreprises ?
Bien que nous soyons dans un monde en constante évolution, il est toujours utile de se souvenir des faits qui ont marqué l’Histoire tant sur le plan politique qu’économique. Ceci permet d’une part de disposer de connaissances historiques, d’une culture générale, et d’autre part, de se remémorer des stratégies, des tactiques utilisées par certains agents économiques, organisations, Etats, pour parvenir à leur fin.
Après réflexion et sélection, nous mentionnerons dans cette partie les évènements suivants : l’affaire Gemplus, l’affaire Valeo, l’affaire des trains à grande vitesse et enfin l’affaire American Superconductor. Ces dernières sont rentrées dans les annales notamment en matière de renseignement économique. Elles nous permettront de comprendre pourquoi il est important de protéger nos entreprises.
L’affaire Gemplus
La France est particulièrement connue à l’échelle internationale pour posséder sur son territoire de nombreuses pépites. Gemplus, société française basée à l’origine à Grenoble, était l’une d’entre elles. “Etait”, car cette dernière a été rachetée en 1998 par des investisseurs étrangers, plus précisément de nationalité américaine. Pour comprendre ce rachat, il est nécessaire de rappeler quelques éléments.
A l’époque, fin des années 90, Gemplus est en position de monopole sur le marché mondial de la carte à puce. Son chiffre d’affaires et sa croissance en attestent par eux-mêmes. Le développement des téléphones portables ainsi que celui de la carte bancaire va faire de Gemplus un acteur incontournable dans ce secteur devenu stratégique. Face à cet engouement, Marc Lassus, père de Gemplus, a pour projet d’étendre le domaine de compétence de sa société, en particulier dans l’informatique. Pour atteindre son objectif, il a notamment besoin d’importantes ressources financières. C’est pourquoi, il prend la décision d’ouvrir le capital de Gemplus aux acteurs externes. Un fonds de pension américain, nommé Texas Pacific Group, va alors saisir l’opportunité et lui proposer un prêt en actions. Marc Lassus accepte, et c’est ainsi que ce fonds de pension américain va entrer, à hauteur de 26 %, dans le capital de Gemplus. C’est par cette opération en somme très simple, presque basique mais redoutable, que les Etats-Unis ont pris le contrôle de Gemplus. Pratiquement du jour au lendemain, la France se voit retirer une de ses pépites, et cela, sans n’avoir rien vu. A noter au passage que ce fonds de pension des Etats-Unis serait particulièrement proche des services de renseignements américains.
L’entrée de ce fonds de pension dans le capital de Gemplus a des conséquences non-négligeables pour la société puisque ce dernier a désormais la possibilité de choisir au sein de cette dernière son président directeur général, et devient par ailleurs actionnaire majoritaire dans le conseil d’administration de Gemplus. Peu après ces évènements, la nouvelle direction annonce que le siège social de Gemplus déménagera au Luxembourg. Elle effectue ensuite deux plans sociaux consécutifs. Résultat, 1 500 postes sont supprimés. Par la suite, Gemplus se retrouve en difficulté financièrement, notamment parce que les nouveaux actionnaires ont effectué des investissements quelque peu discutables et surtout non-rentables. A cela s’ajoutent quelques mésaventures sur son marché de prédilection, celui de la carte à puce. Pour surmonter ces lacunes, la nouvelle équipe dirigeante de Gemplus souhaite délocaliser à la fois les centres de production et le centre décisionnel aux Etats-Unis. En acceptant ce souhait, cela implique de laisser partir les brevets et technologies françaises aux Etats-Unis. Or, l’Etat s’y opposera. Le fonds d’investissement américain va alors répliquer en nommant Alex Mandl, ancien administrateur d’un fonds d’investissement (In-Q-Tel) proche de la Central Intelligence Agency (CIA) et la National Security Agency (NSA). En réalisant cette opération, les Etats-Unis, par le biais de ce fonds d’investissement, ont finalement réussi à se procurer brevets et savoir-faire d’une société stratégique, qui plus est française. Cela représente un intérêt considérable pour les Etats-Unis, car ces derniers ont pu directement bénéficier du travail d’ingénieurs français. Ceci est d’autant plus frustrant et dramatique pour l’économie française, qu’il aura fallu beaucoup de temps et d’argent, notamment des subventions, pour aboutir au résultat de la carte à puce. Les Américains ayant obtenu ce qu’ils voulaient (brevets, savoir-faire, compétences), vont donc progressivement se retirer de Gemplus en particulier au moment de la fusion entre Gemplus et Axalto en 2006, qui donnera naissance à Gemalto. Toutefois, Alex Mandl restera dans cette nouvelle entité, puisqu’il est en effet l’actuel président exécutif de Gemalto. Ceci permet ainsi aux Américains de conserver une connexion avec ce groupe, ce qui n’est pas sans intérêt. A ce même moment, la France par le biais du fonds stratégique d’investissement, entre au capital de Gemalto. En tant qu’actionnaire majoritaire, l’Etat français pense qu’il est encore temps de rattraper la situation. Mais en réalité, c’est un leurre, il est déjà trop tard. Et c’est ce que va confirmer en février 2015 le journal “The Intercept” notamment en révélant que Gemalto aurait subi un préjudice à la fois par une entité américaine (NSA) et britannique (Government Communications Headquarters) en se faisant voler les clés cryptées de ses cartes Subscriber Identity Module (SIM). Ceci peut paraître sans importance, or ce ne l’est pas. En effet, ces dernières sont utilisées sur les téléphones portables et elles permettent notamment d’écouter les conversations téléphoniques de chacun, et cela, tout en se passant de l’accord des opérateurs téléphoniques et celui de la justice. Par ailleurs, Gemalto aurait également subi un autre préjudice par les Britanniques. Ces derniers auraient réussi à pirater son système informatique, étant ainsi en capacité d’accéder aux données confidentielles de Gemalto. La pénétration informatique constitue donc un véritable risque pour les entreprises, et les conséquences liées à ce type d’attaques sont généralement dramatiques pour l’entreprise en question.
L’affaire Gemplus permet ainsi d’illustrer un type d’attaque que peut subir une entreprise, et ceci quelle que soit sa taille (grande entreprise, entreprise de taille intermédiaire (ETI), petite et moyenne entreprises (PME), start up…). Cet exemple permet également de rappeler que le nombre de fleurons français rachetés chaque année par des investisseurs étrangers ne cesse d’augmenter. Il y a donc urgence. Pourquoi ? Car derrière ces rachats, on ne peut que constater une fragilisation de notre économie qui entraîne des délocalisations, des suppressions d’emplois et une perte de souveraineté nationale. C’est ce qu’Olivier Hassid, expert en sécurité et sûreté des entreprises, appelle une “dilution de la nationalité économique”. Dernièrement, c’est un de nos géants, Technip, qui fusionne avec une société parapétrolière américaine (FMC). Le siège social de ce nouveau groupe, appelé TechnipFMC, sera basé non pas en France, mais en Angleterre, plus précisément à Londres. Ainsi, la fuite de nos géants se poursuit à grande vitesse devant nos yeux.
L’affaire des trains à grande vitesse
Un autre type d’attaque, plus officiel et plus en amont, mais qui peut s’avérer tout aussi dommageable pour nos entreprises, celui de l’appel d’offres. Cette procédure tout à fait légale peut en effet desservir une entreprise lorsqu’en répondant, elle procède à un transfert de technologie. L’affaire des trains à grande vitesse (TGV) illustre parfaitement ce type d’attaque.
A la fin des années 90, la Chine s’intéresse de très près aux TGV. En effet, elle désire développer son propre réseau notamment entre Pékin et Canton. Pour ce faire, elle ouvre, par le biais d’un appel d’offres, son marché aux compagnies étrangères. Compte tenu de l’enjeu, trois constructeurs de nationalité différente, l’un japonais, l’autre allemand et le dernier français sont particulièrement actifs pour saisir l’opportunité qui se présente à eux. Il s’agit en effet d’un marché colossal, un des plus importants pour l’époque, avec des contrats forts intéressants. Les Chinois jouent sur la taille de ce marché pour faire durer la procédure. Quel est l’intérêt ? Faire en sorte que les candidats proposent la meilleure offre possible et surtout la plus détaillée. Chaque candidat va en effet se laisser prendre au jeu, car voulant à tout prix remporter le marché. Comprenant ça, les Chinois décident de mettre fin au premier appel d’offres afin d’en lancer un autre dit “complémentaire” sous prétexte qu’ils n’arrivaient pas à départager les offres des candidats. De nouveau, les trois fabricants de TGV répondent à cet appel d’offres en fournissant toujours plus de données, d’informations sur leurs technologies pour gagner définitivement ce marché. Donc tous donnent plus que ce qu’il faudrait en matière de technologie et de savoir-faire. L’erreur est ainsi commise. Les Chinois ont obtenu toutes les informations et les données dont ils avaient besoin pour développer eux-mêmes leur réseau de train à grande vitesse. Leurs ingénieurs étant désormais capables de produire des TGV. La Chine met donc fin à la partie et décide de ne signer aucun contrat. Résultat, les trois sociétés mondiales de train, à travers cet appel d’offres, ont vu leurs technologies reprises par les Chinois à leur propre compte (transfert de technologie excessif). En opérant ainsi avec la Chine, certains experts en intelligence économique diront que ces trois sociétés ont fait preuve d’une très grande naïveté en pensant que leur TGV s’imposerait tout naturellement. Or, il en a été tout autre.
L’affaire Valeo
Nos entreprises peuvent également se faire attaquer en leur sein. Les personnes dans l’entreprise peuvent en effet constituer une sérieuse menace pour elle. Par exemple, un espion infiltré dans un conseil d’administration peut renseigner les concurrents. Autre exemple, celui des “stagiaires espions”. Ces derniers sont parfois en mesure de collecter des informations confidentielles en masse au sein de l’entreprise. C’est ce qui s’est passé notamment chez Valeo. En effet, une jeune étudiante chinoise nommée Lili Wang a effectué un stage chez l’équipementier automobile français Valeo. Tout en réalisant son stage, cette dernière a collecté, pour ne pas dire dérober, un certain nombre de documents, de données confidentielles, dans le but, apparemment, de réaliser son rapport de stage. C’est en effet ce qu’elle a avancé devant le tribunal correctionnel de Versailles. Pour se défendre, elle ajoute également qu’elle maîtrisait mal le français et que par conséquent, elle n’avait pas compris ce qu’était réellement une clause de confidentialité. En copiant ces documents et ces données, elle ne pensait pas voler son employeur et enfreindre la loi française. Malgré ses arguments de défense, cette jeune étudiante a été condamnée en 2007 à 1 an de prison dont 2 mois ferme pour abus de confiance envers son employeur. Après cette condamnation, elle retourna discrètement dans son pays natal. La coopération éducative et, qui plus est, scientifique dans un grand nombre de cas, est en effet un moyen pour la Chine d’acquérir des données, des informations sur des technologies avancées. Au-delà de ces données scientifiques, ce sont des compétences et des savoir-faire qu’acquièrent les étudiants chinois sur notre territoire. Ces dernières seront, au final, mises au profit de leur État car fortement patriotes.
Derrière cette affaire, il est question en réalité d’espionnage industriel et plus particulièrement de l’espionnage technologique exercé par la Chine. Toute mission d’espionnage entreprise par ce pays se fait sous le commandement de l’Etat chinois. Ce dernier souhaite, par le biais de ces missions, se procurer des technologies pointues en particulier pour développer son industrie d’armement, d’aéronautique, mais aussi pour ses autres types d’industries. Pour satisfaire son souhait, il n’hésite pas en effet à multiplier ses actions d’espionnage. La Chine figure d’ailleurs en haut du classement parmi les pays qui pratiquent l’espionnage industriel. De plus, depuis 2006, elle a inscrit formellement dans le plan gouvernemental notamment à travers son programme intitulé “Ré-innovation” que toute donnée et connaissance mal acquise seraient déposées sous forme de brevet chinois et serviraient ainsi le développement de la nation. Par ces mesures, la Chine encourage ainsi l’espionnage industriel et le transfert de technologie. Toute entreprise qui se refuserait au transfert de technologie envers la Chine ne peut envisager de travailler avec cette dernière.
L’affaire American Superconductor / Sinovel
L’espionnage économique peut également se faire en débauchant des employés d’une entreprise. Les Etats-Unis sont particulièrement conscients de cette menace. Une de leurs sociétés, American Superconductor, spécialisée dans la conception de composants électroniques de haute technologie et de logiciels pour les turbines d’éoliennes en a fait les frais. En effet, un groupe chinois s’est intéressé de très près à cette technologie de pointe développée par des ingénieurs de l’institut de technologie du Massachusetts.
Au début des années 2000, la société American Superconductor est en plein développement à tel point qu’elle part à la conquête du monde en développant parallèlement de nombreux brevets. Parmi les pays où elle souhaite s’implanter, il y a l’Australie. Afin d’être représentée, elle décide en 2004 d’embaucher un certain Dejan Karabasevic. Deux ans après, American Superconductor est approchée par un groupe chinois nommé Sinovel, spécialisé dans la fabrication des structures métalliques des éoliennes. Durant cette même période, Pékin édicte une loi sur les énergies renouvelables. Cette dernière autorise en particulier la construction de fermes éoliennes. Sinovel prend connaissance de ces informations fortement intéressantes pour le développement de son activité. Ainsi, grâce au marché chinois, les perspectives de croissance pour American Superconductor et Sinovel sont grandes. Seulement voilà, Sinovel désire s’accaparer de la technologie de American Superconductor pour devenir maître incontesté dans ce secteur d’activité. La société américaine estimant que ses logiciels étant suffisamment protégés ne prend pas garde à son rival. C’est en 2010 que la société American Superconductor va s’en rendre compte, mais là encore, il est déjà trop tard. En effet, une de ses équipes découvre que Sinovel utilise illicitement l’un de ses logiciels. La société américaine prend donc conscience que son système informatique a été piraté. Elle s’étonne et s’interroge, car son système informatique est réputé pour être inviolable. Ce dernier est effectivement doté d’un système complexe de verrous informatiques. Pour déverrouiller ces protections, il faut impérativement une clé informatique. Or, celle-ci se trouve en Australie. Le siège de la société va donc lancer une enquête en interne. Cette dernière va aboutir au fait que Sinovel a bien obtenu l’aide d’un employé pour connaître la composition de la clé. Peu à peu, l’étau se resserre. La taupe est finalement identifiée, et il s’avère que c’est l’ingénieur serbe embauché en 2004, Dejan Karabasevic, qui a communiqué le sésame. Une enquête judiciaire est ainsi lancée. A mesure de l’avancement de l’enquête, les enquêteurs s’aperçoivent que cet ingénieur a reçu une très grosse somme d’argent. Dejan Karabasevic passe aux aveux et avoue avoir vendu les codes informatiques aux Chinois pour un total de 1 million 700 dollars. En parallèle à cette somme, il avoue également avoir reçu des avantages en nature tels qu’un appartement en Chine et des femmes. Dejan Karabasevic est finalement reconnu coupable devant la justice australienne pour espionnage industriel. Il écope d’un an de prison et 200 000 € d’amende. La sanction est jugée, par certains experts, inappropriée compte tenu de l’ampleur des préjudices envers American Superconductor. En effet, suite à ce litige, la société américaine perd 1 milliard de dollars. En conséquence, elle licencie au total 600 personnes. De plus, depuis cette affaire, elle observe régulièrement des tentatives d’intrusion dans son système informatique. C’est pourquoi, elle décide de faire appel à une société spécialisée dans la cybersécurité afin d’une part, de renforcer la sécurité de son système informatique, et d’autre part, de géolocaliser ces attaques. Il se trouve que la plupart de ces cyberattaques proviennent de Chine. Parmi les attaques enregistrées, il y a celle du faux e-mail. L’ensemble des départements d’American Superconductor reçoit en effet un e-mail d’apparence tout à fait normale avec une pièce jointe. Lorsque les employés ouvrent cette dernière, ils aperçoivent un rapport portant sur Sinovel, ce qui intéresse ces derniers. Cependant, à l’ouverture de cette pièce jointe, un virus se propage sur l’ensemble du parc informatique de la société américaine. Les hackers ont ainsi accès à la totalité des données de la société. Après analyse, la société de sécurité employée par American Superconductor parvient à géolocaliser ces hackers. Une fois de plus encore, ce sont les services chinois qui sont mis en cause, et plus précisément l’unité 61398, un centre d’espionnage qui serait directement rattaché au département du renseignement militaire de l’armée chinoise. Cette unité basée à Shanghai serait spécialisée dans le cyber hacking. A cette époque, des centaines de hackers se seraient concentrés sur des sociétés américaines et canadiennes. C’est en commettant plusieurs erreurs (ligne de code, oublis,…) que cette unité a pu être identifiée.
Cette affaire a ainsi permis de constater que l’espionnage industriel peut dans certains cas être directement sous les ordres d’un État. Pour dénoncer et combattre ce type de pratique, il faut néanmoins des arguments solides. C’est pourquoi, le ministère américain de la justice a lancé une enquête pour atteinte grave à la sécurité afin d’arrêter l’hémorragie en matière de vol de la propriété intellectuelle. En effet, la justice américaine avance que 6 entreprises américaines ont été sauvagement pillées durant la même période. Cette enquête permettra d’identifier 5 officiers appartenant à la fameuse unité 61398. L’identité de ces derniers est diffusée sur l’ensemble de la planète et révèle au grand jour l’existence de cette unité. De plus, le procureur de Pennsylvanie annonce que désormais le cyber espionnage, au profit d’entreprises, sera désormais poursuivi sur le sol américain, même si les opposants sont des États. Cette annonce met particulièrement la Chine en colère. Elle dément formellement ces accusations et refuse de remettre à la justice américaine les 5 prétendus espions. Par ces déclarations, les Etats-Unis ont tenu à rappeler que la Chine est membre de l’organisation mondiale du commerce (OMC) depuis 2001, et que par conséquent, elle doit en respecter les règles y compris celles qui portent sur la propriété intellectuelle.
Malgré ce rappel à l’ordre, nous pouvons dire que le mal est fait puisqu’en effet, American Superconductor constate quotidiennement et amèrement, qu’en volant ses logiciels, Sinovel se développe et exporte ses éoliennes dans le monde entier, y compris aux Etats-Unis.
A travers le rappel de ces différentes affaires, nous avons identifié et compris certaines menaces qui pèsent sur nos entreprises. Ces affaires font écho aux menaces “mortelles” qu’Olivier Hassid et Lucien Lagarde ont récemment dénoncées dans leur dernier ouvrage intitulé Menaces mortelles sur l’entreprise française à savoir “prédation de nos pépites, espionnage industriel, protectionnisme, procédure judiciaire à l’étranger, etc”. Nos entreprises sont également confrontées à bien d’autres menaces, c’est ce que nous rappelons à travers le tableau ci-dessous. Ces dernières sont par ailleurs intensifiées par le développement du numérique.
Tableau n°1 – Menaces : des cas réels
Face à ces nombreuses menaces, nos entreprises doivent impérativement se protéger. Mais toutes n’ont pas consciences du danger qui pèse sur elles. De plus, si département de la sécurité il y a, le budget qu’elles consacrent à ce dernier est fonction de leurs moyens financiers et humains. Il existe donc une forte hétérogénéité en matière de protection de nos entreprises. Or, comme le disent Olivier Hassid et Lucien Lagarde, il y a urgence, car en effet, nos entreprises sont attaquées par des acteurs puissants et agressifs qui eux savent se protéger. Ce sont à la fois des entreprises concurrentes et des entreprises étrangères soutenues parfois par leur Etat qui frappent nos entreprises. A titre d’exemple, nous pouvons rappeler que le nombre d’acquisitions chinoises en Europe n’a cessé de croître ces dernières années. La France n’y échappe pas, bien au contraire. Une grande partie de leurs acquisitions dans le monde se fait en France. Les secteurs de l’immobilier, du tourisme et de l’hôtellerie illustrent par exemple ce phénomène. Des entreprises comme le Club Med sont maintenant passées sous pavillon chinois, en sera-t-il de même pour le groupe Accor Hôtels ? A mesure de ces rachats, on peut craindre que les emplois de demain dans le secteur du tourisme soient offerts non pas par la France, mais par la Chine. Alors même que nos entreprises seraient en capacité de devenir leader sur ce marché.
Au vu de ces éléments, il convient donc de réagir, car finalement, c’est l’économie française qui en dépend. Pour faire face à ces menaces, différentes solutions peuvent être mobilisées. C’est ce que nous verrons à travers notre seconde partie.
Comment protéger nos entreprises ?
Comme nous l’avons vu, le soutien et la protection de nos entreprises sont essentiels de nos jours. Il convient donc de sensibiliser l’ensemble des acteurs économiques aux menaces qui les entourent. Dans une économie mondialisée et à l’ère du numérique, se protéger est nécessaire pour nos entreprises. Pour cela, ces dernières doivent recourir, en partie, à l’intelligence économique et à ses différents volets que constituent la veille, l’influence et la protection du patrimoine matériel et immatériel. A l’aide de ces différents outils, nos entreprises doivent dans un premier temps tenter d’identifier et de comprendre les menaces qui gravitent autour d’elles. Elles doivent ensuite dans un second temps, imaginer et anticiper les différentes formes que peuvent prendre ces menaces et prévoir les conséquences à court terme, moyen terme et long terme qu’elles peuvent avoir sur leur activité si elles étaient amenées à se réaliser. A partir de ce travail méthodique, nos entreprises doivent essayer d’y remédier le plus rapidement possible. A titre d’exemple, nous avons vu à quel point la menace chinoise pour nos entreprises est réelle. Ces dernières doivent donc en prendre compte et comprendre les différents paramètres de cette menace. Par exemple, elles doivent tenir compte du fait que pour asseoir son développement technologique, la Chine n’hésite pas à mobiliser à la fois l’intelligence économique et l’espionnage économique. Pourquoi ? Parce que comme l’explique le général Daniel Schaeffer, spécialiste des questions stratégiques de l’Extrême-Orient “les Chinois se sont aperçus que l’Occident ne voudrait céder que la technologie N – 1 pour garder leur avance sur la Chine” (Le Monde, 2011). Nos entreprises doivent également garder en tête qu’en Chine, “l’intelligence économique y est pensée et définie au sommet d’un Etat fortement centralisé” et que “si tous les Chinois ne peuvent être considérés comme des espions, il faut savoir que les Chinois sont foncièrement patriotes et nationalistes [et qu’enfin] la place que la Chine cherche à prendre est la première place à la fois sur le plan de l’influence, le plan économique et militaire” (ibid). C’est en prenant en compte l’ensemble de ces éléments que nos entreprises pourront mettre en place une défense adaptée au contexte.
Sur un plan plus opérationnel, la protection du patrimoine matériel et immatériel de nos entreprises passe également par la mise en application d’un certain nombre d’actions en leur sein. Ces dernières font souvent appel au bon sens, mais elles n’en sont pas moins importantes à leur sécurisation. Nous avons résumé ces dernières à travers le tableau ci-dessous.
Tableau n°2 – Actions pour sécuriser le patrimoine économique d’une entreprise
Cependant, la protection de nos entreprises ne se cantonne pas uniquement à l’élaboration de scénarios ainsi qu’à la mise en place de bonnes pratiques en leur sein. En effet, même si ceci constitue une bonne base, la sécurisation de nos entreprises passerait également par d’autres leviers selon Olivier Hassid et Lucien Lagarde. Ces derniers sont développés dans son dernier ouvrage.
Pour faire face aux menaces qui pèsent sur nos entreprises, l’une des premières solutions que mettent en évidence Olivier Hassid et Lucien Lagarde, c’est celle de “l’Etat stratège”. Cette dernière consisterait à ce que l’Etat français prenne de nouveau part à la stratégie économique. En d’autres termes, il serait bon de retrouver un État stratège capable d’identifier les secteurs stratégiques de notre économie, ceux d’aujourd’hui, de demain et d’après-demain, et d’en assurer leur développement et leur protection sur notre territoire national via des politiques de soutien adéquates. Le concept de l’Etat stratège ne doit donc pas seulement renvoyer à la question de l’interventionnisme étatique. En effet, ce qui prime, c’est de savoir si oui ou non l’Etat souhaite préserver les entreprises appartenant à des secteurs stratégiques et s’il souhaite ou non accroître la performance de ces dernières. L’enjeu est bien là.
Une autre solution évoquée par Olivier Hassid et Lucien Lagarde concerne le financement de nos entreprises. Dans un premier temps, ils rappellent que la France est un des pays qui épargne le plus en termes d’habitants. L’épargne française est, en effet, relativement conséquente. Ils préconisent donc de mettre cette épargne au service de nos entreprises. A titre d’exemple, ils évoquent le Livret A en France. La quasi-totalité des Français serait détenteur d’un livret A. Ce dernier finance les logements sociaux. Bien que le financement des logements sociaux soit essentiel pour notre société, ils suggèrent qu’une partie du Livret A contribue à financer le développement de nos entreprises. Dans un second temps, toujours en matière de financement, ils soulignent que la France a refusé dans les années 1990 le projet de fonds de pension proposé par Alain Juppé à l’époque. Or, aux Etats-Unis, les fonds de pension permettent de financer, de soutenir et d’accompagner le développement des entreprises américaines. Par ailleurs, ils rappellent également que ces mêmes fonds de pension sont utilisés pour acquérir nos entreprises. Il serait donc temps, selon eux, de permettre à l’épargne française ainsi qu’aux futurs retraités français de financer nos entreprises. Un système de retraite par capitalisation partielle permettrait d’avoir des fonds d’investissement français au service de nos entreprises. Ceci aurait pour effet de conserver à la fois nos entreprises sur le territoire, mais surtout de préserver nos emplois.
Ensuite, les deux auteurs préconisent que l’Etat français ait à sa disposition un droit de veto au sein des entreprises stratégiques notamment pour les protéger de toute dérive. Il faut en effet, selon eux, que l’Etat français soit présent et reste présent dans le conseil d’administration des entreprises françaises stratégiques. Ils estiment que sa présence dans les conseils d’administration doit perdurer, et ceci même après la vente d’une entreprise française à une société étrangère. Cela permettrait d’une part, de limiter la fuite de nos entreprises stratégiques et d’autre part, de contrôler le bon fonctionnement de ces entreprises. Pour justifier cette préconisation, ils prennent l’exemple de la Chine, des Etats-Unis, de la Russie. L’Etat chinois, américain et russe sont, en effet, présents dans l’actionnariat de certaines de leurs entreprises jugées stratégiques pour leur économie. De surcroît, ces Etats sont parfois en capacité de décider qui peut rejoindre ou non le conseil d’administration. N’oublions pas que la guerre économique est en partie réalisée par les Etats notamment pour défendre le tissu économique de leur pays et préserver les emplois sur leur territoire. Il serait donc nécessaire que l’Etat français ait en sa possession ce droit de veto concernant les entreprises stratégiques de nationalité française. Néanmoins, en émettant cette recommandation, Olivier Hassid et Lucien Lagarde ont tout à fait conscience que Bruxelles n’autorise pas ce type de pratique, ce qui constitue selon eux un handicap majeur.
Enfin, plus largement, ils souhaitent qu’au niveau de l’Etat français, il y ait une réelle politique d’accompagnement concernant nos entreprises stratégiques. Et cela passe, en grande partie, par un développement accru de l’intelligence économique au sein de nos entreprises, de notre territoire. Par exemple, ils estiment qu’il faudrait une direction du renseignement uniquement réservée à la sécurité économique, ce qui n’est pas entièrement le cas aujourd’hui. En effet, du fait du contexte que nous connaissons aujourd’hui, les différents services de renseignements (DGSI, DGSE, DPSN) se concentrent davantage au terrorisme. Ce service à la sécurité économique proposé par Olivier Hassid et Lucien Lagarde aurait un budget à sa disposition, serait indépendant et se consacrerait au renseignement économique. De plus, ce service travaillerait en étroite collaboration avec nos entreprises afin de renforcer leur sécurité. Cette proposition est tout sauf inintéressante, car en effet, comme l’explique Alain Juillet, dans la compétition moderne où une grande majorité d’entreprises est quasiment au même niveau technique et financier, ce qui va faire la différence, c’est l’entreprise qui disposera du plus grand nombre d’informations sur ses concurrents. L’entreprise qui a en sa possession ces informations pourra connaître la situation de son concurrent et ainsi anticiper, décider et réagir en fonction de ces éléments-là. Mais pour cela, il faut capter l’information, voir, aller la chercher, d’où l’importance du renseignement économique qui permet d’accéder à “l’information grise”.
Par ailleurs, Olivier Hassid et Lucien Lagarde souhaitent également que Bruxelles cesse de se réfugier derrière les “lois du marché” pour déterminer ses tactiques, ses stratégies et ses politiques. Ils désirent qu’au niveau européen soient développés une véritable politique d’intelligence économique ainsi qu’un centre de défense pour nos entreprises.
Conclusion
Le manque de protection de nos entreprises est généralement associé à une certaine naïveté et une forme d’arrogance de la part de nos dirigeants. Les menaces énumérées tout au long de ce développement ne peuvent nous arriver, car nous sommes français. Et que même si ces menaces venaient à se réaliser, notre rang, nos savoir-faire, nos compétences, nos technologies font que nos entreprises seront en capacité d’encaisser les attaques, de se relever et de continuer leur activité. Or, il s’avère que l’Histoire démontre bien souvent le contraire. Il faut donc en prendre réellement conscience et ne plus sous-estimer nos concurrents, quels qu’ils soient. Ces derniers, et en particulier la Chine, ont en effet des projets très ambitieux. Pour les atteindre, ils réquisitionnent l’ensemble des acteurs économiques de leur pays et utilisent toute sorte de méthodes comme les cyberattaques et l’espionnage industriel. Face à cette concurrence accrue que nous pouvons qualifier de déloyale, protéger nos données, nos technologies, nos compétences, nos brevets est donc plus qu’une nécessité, c’est un impératif auquel doivent se plier nos dirigeants, car derrière l’enjeu est grand, il en va de notre souveraineté économique, mais surtout de nos emplois. Ainsi, comme le dit Olivier Hassid, “les dirigeants d’entreprise ne peuvent plus ignorer les enjeux de sécurité […] ils doivent donc impérativement changer d’attitude et se montrer plus proactifs pour faire gagner leur entreprise en maturité sur le sujet” (Les Echos, 2017). Ils doivent par exemple, selon Olivier Hassid, établir des politiques ainsi que des plans de sûreté, réaliser des audits dans le but d’identifier leurs points faibles, disposer d’une organisation de la sûreté en interne, etc. Autrement dit, nos dirigeants doivent prendre conscience de la réelle utilité de la sûreté économique et y consacrer les ressources nécessaires pour que leurs entreprises perdurent dans le temps. La sûreté économique est devenue un investissement incontournable pour nos dirigeants. Enfin, d’un point de vue global, l’État français et plus largement Bruxelles doivent prendre en considération le contexte géopolitique actuel dans lequel se situent nos entreprises. Chaque Etat étranger met désormais l’accent sur ses entreprises pour les préserver des attaques extérieures. Il convient donc de faire de même pour nos entreprises en matière de sécurité économique.
Par Margaux Laviron et Christophe Maudet, promotion 2016-2017 du M2 IESC d’Angers.
Bibliographie
Le guide de l’intelligence économique, édition hachette, 2014
Olivier Hassid et Lucien Lagarde, “Menaces mortelles sur l’entreprise française”, éditions du Nouveau Monde, 2016
Webographie
Bertille Bayart (2015). “Le Club Med passe sous pavillon chinois”, Le Figaro
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Clément Brault (2016). “Accor Hôtels bientôt sous pavillon chinois ?”, La Croix
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France 24 (2016). “Compétition mondiale : les entreprises françaises en danger ?”
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https://www.youtube.com/watch?v=_kuqLGHYchs
France Culture (2016). “A la guerre économique comme à la guerre“
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Hélène Sallon (2011). “L’intelligence économique au service de l’hégémonie chinoise”, Le Monde
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Olivier Hassid (2017). “Les dirigeants d’entreprise ne peuvent plus ignorer les enjeux de sécurité”, Les Echos
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Portail de l’intelligence économique (2016). “Le dragon à mille têtes : Quand Arte enquête sur l’espionnage économique chinois”
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Portail de l’intelligence économique. “Etat stratége”
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https://portail-ie.fr/resource/glossary/87/etat-stratege
Société française d’énergie nucléaire (2017). “Comment la filière nucléaire protège-t-elle son patrimoine technologique ?”
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https://www.youtube.com/watch?v=NbbButy3xoo