L’humanité a connu jusqu’à maintenant deux grandes révolutions industrielles, la première fût celle du charbon et de la machine à vapeur en 1765. Un an plus tard la seconde révolution industrielle eu lieu : 1870 marque le début de l’ère du pétrole et du moteur à explosion. Aujourd’hui de nombreuses théories se bousculent pour savoir si le début d’internet et des NTIC a marqué le début d’une troisième révolution industrielle. Un auteur s’est d’ailleurs largement intéressé à la question : Jeremy Rifkin. Selon lui l’humanité ne serait pas encore passée dans la troisième révolution industrielle mais cela ne saurait tarder. En effet il y a deux éléments indispensables et caractérisant les révolutions industrielles.
Le premier élément dont il est question est une innovation dans les méthodes de communication. La première révolution eu la machine à vapeur et donc l’imprimerie, la seconde le moteur à explosion et donc l’automobile. Avec internet et les NTIC on peut clairement dire que l’on a atteint ce premier objectif de révolutionner nos méthodes de communication.
A contrario le second objectif que nous n’avons pas encore atteint, et qui constitue la seconde caractéristique d’une révolution industrielle, est un nouveau moyen de produire de l’énergie. En effet la production d’électricité par le biais du charbon, puis du pétrole, avait constitué un élément majeur dans les créations d’innovation inhérentes à ces révolutions.
C’est ici qui Jeremy Rifkin propose de changer notre méthode de production en passant aux énergies vertes, aux énergies renouvelables et c’est tout l’objet de sa théorie de « La Troisième Révolution Industrielle ».
Il s’agira donc de présenter et d’analyser quatre des cinq idées fondamentales de Jeremy Rifkin, les cinq piliers de la troisième révolution industrielle. Le cinquième pilier étant le passage à des transports uniquement électriques et donc découlant des quatre premiers piliers il ne sera pas traité. Le but est de faire un rappel de l’idéologie de Mr Rifkin tout en y apportant un premier regard critique. En effet ces cinq piliers qu’il décrit dans son livre La troisième révolution industrielle, œuvre parût en 2012, commencent à pouvoir se vérifier, 6 ans après. Il s’agira donc de faire une analyse non pas uniquement théorique mais aussi pratique au vu de l’évolution du monde depuis 2012.
1) Le choix de l’énergie verte
L’utilisation des énergies renouvelables comme principal moteur de la production d’énergie est le premier pilier que propose Jeremy Rifkin. Il propose notamment de fonder la production d’énergie mondiale sur cinq types d’énergies en particulier : le solaire, l’éolien, l’hydraulique, le géothermique et la biomasse. En effet, les énergies fossiles étant vouées à disparaître, il paraît plutôt logique de se tourner vers ce type d’énergie qui ne produit pas de déchets, contrairement à l’énergie nucléaire. De plus, et à l’aide de nombreuses études ayant été menées auparavant, Mr Rifkin développe l’idée selon laquelle les énergies renouvelables citées précédemment peuvent fournir assez d’électricité pour répondre aux besoins mondiaux voir plus et cela dans un avenir proche. Mais il y a un point sur lequel nous pouvons remettre en cause l’analyse de Mr Rifkin : se donne-t-on vraiment les moyens pour que les énergies vertes répondent à l’ensemble des besoins énergétique de l’humanité ?
Cette question fondamentale remet en cause l’ensemble du premier pilier de Jeremy Rifkin, il semble donc important d’y répondre. En premier lieu il serait intéressant de connaître à l’heure actuelle l’évolution du mix énergétique européen, six ans après la présentation de cette théorie. J’ai choisi de prendre l’exemple de l’Europe car c’était, selon l’auteur, la région la plus prometteuse en termes de développement de l’énergie verte. On peut déjà avoir un début de réponse, et ce grâce au graphique qui suit. En effet on observe bien une augmentation de la part des énergies renouvelables au sein de l’Union Européenne, mais un passage de 14,4 % à 17 % en 4 ans paraît tout de même assez limité pour que 30 % de notre énergie proviennent d’énergies vertes d’ici 2030.
On peut alors se poser la question de savoir pourquoi, en 4 ans, la part des énergies renouvelables n’a-t-elle pas plus augmentée ?
L’un des éléments de la réponse pourrait éventuellement venir de la réglementation européenne. Pour bien comprendre l’idée selon laquelle la réglementation européenne rend les énergies non renouvelables nécessaires à l’autonomie énergétique de l’Europe, il faut d’abord savoir que la production d’énergie éolienne et solaire (éléments phares de la théorie de Rifkin) a des coûts de production directs extrêmement élevés. La conséquence de cela est que ce type d’énergie se développe uniquement sous l’impulsion de subventions publiques. Or l’Europe est dans un système de marché de l’électricité ultra libéralisé, ces subventions sur le marché électrique font alors office d’exception ce qui induit un double problème : d’un côté le prix de l’électricité augmente, de par le fait que la plupart des subventions soient financées par une hausse de l’impôt sur l’électricité, et d’un autre coté les centrales de non-renouvelables sont toujours nécessaires, filet de sécurité indispensable au vu de l’intermittence de la production d’énergies renouvelable.
Finalement, et au vu de la situation européenne actuelle, on peut penser que produire de l’énergie par le biais de grandes centrales à énergie renouvelable telles que les grands parcs
Éoliens ou solaires ne pourra en aucun cas répondre à la demande énergétique actuelle, du moins aujourd’hui et dans un futur proche.
2) 190 millions de centrales électriques
Le deuxième pilier de Jeremy Rifkin est une suite assez logique du premier. En effet il s’agit ici de donner une autre fonction aux maisons et immeubles qui abritent les européens : les transformer en mini-centrale électrique. L’auteur soulève l’idée selon laquelle nous avons gardé les vieilles habitudes de tout centraliser comme nous le faisions avec les énergies fossiles, or « le soleil brille tous les jours sur toute la terre, même si son intensité varie. Le vent souffle dans le monde entier, même si sa fréquence est intermittente. Partout où nous posons les pieds, il y a sous la surface du sol un noyau géothermique extrêmement chaud. Nous produisons tous des ordures. ».
Ce deuxième pilier semble tout de suite plus réaliste à mon sens, et ce pour deux raisons majeures : la première est le fait que l’intérêt des populations des pays développés pour le réchauffement climatique ainsi que la production d’énergie propre ne fait qu’augmenter au fil du temps. La seconde raison est l’amélioration technique des équipements mit en vente pour que les particuliers puissent produire leur propre électricité et en baisse le coût.
Il paraît tout d’abord essentiel de préciser la corrélation qu’il y a selon moi entre intérêt des populations et production d’électricité au niveau individuel : au jour d’aujourd’hui si certains ménages produisent eux-mêmes leur électricité cela vient en grande partie de leur initiative et des aides potentielles que l’État peut leur apporter pour leur installation, et non d’une campagne publique promouvant l’autoproduction d’électricité. L’intérêt que porte la population pour les problématiques d’énergies renouvelables est donc au cœur du débat ici.
Or on remarque bien aujourd’hui l’intérêt grandissant des populations pour le réchauffement climatique. Pour le souligner on peut reprendre une enquête IFOP dont les résultats ont été publiés l’année dernière. Un point intéressant de cette étude est un tableau qui recense « les risques jugés les plus préoccupants » en France, on remarque alors qu’en 2002 seulement 20% de la population voyaient les risques liés aux changements climatiques comme les risques jugés les plus préoccupants contre 52% en 2017 (voir le tableau en annexe).
Cette opinion évolutive des populations a d’ailleurs bien des conséquences, notamment sur les politiques publiques elles-mêmes. En effet pareillement à l’opinion publique, l’intérêt des gouvernements pour le réchauffement climatique n’a cessé d’augmenter au fil du temps et cela se remarque notamment par le nombre d’initiatives prisent au niveau mondial depuis 2008 et le « paquet énergie climat » adopté par l’Union Européenne : en 2009 la conférence de Copenhague, en 2010 la création du Fonds vert (suite à la COP16 de Cancun), en 2015 la COP21 à Paris, etc..
Ensuite, les équipements permettant une autoproduction de l’électricité à un niveau individuel sont moins chers et plus performants : c’est la seconde raison pour laquelle je pense ce pilier réaliste.
Tout d’abord pour les prix de ces équipements on prendra en exemple ici le prix des panneaux photovoltaïques, moyen principal qu’utilisent les particuliers pour produire leur propre énergie. Au fil des dernières années le prix du photovoltaïque s’est littéralement effondré et c’est l’une des raisons pour laquelle, à mon avis, l’autoproduction d’énergie va rentrer dans les mœurs de notre société.
Mais la baisse des prix n’est pas le seul paramètre faisant de l’autoproduction d’électricité la nouvelle mode du consommateur depuis quelques années. En effet le progrès technique dans le domaine du photovoltaïque a également un impact important. Encore aujourd’hui de nombreuses nouvelles innovations sont à venir. Par exemple les nouvelles cellules solaires dites thermos photovoltaïques.
Ces cellules permettraient de convertir jusqu’à 80% de l’énergie solaire en électricité contre 30% actuellement ce qui rendrait les panneaux photovoltaïques encore plus prisés qu’ils ne le sont actuellement. Autre exemple avec la mini éolienne mise au point par les frères George en 2016 : pour un investissement de 50 000 roupies, soit 675 euros cette mini-éolienne peut répondre aux demandes énergétiques d’un ménage se trouvant dans un pays en voie de développement.
Pour conclure sur ce second pilier je pense que la mise en place de « 190 millions de centrales électriques » est possible et se fera sans aucun doute dans un futur plus ou moins proche, selon l’évolution des technologies permettant la production d’électricité à un niveau individuel, les prix étant aujourd’hui déjà assez bas.
3) Le soleil ne brille pas tout le temps, le vent ne souffle pas toujours
Dans ce troisième pilier Jeremy Rifkin pose le problème de l’intermittence des énergies renouvelables. En effet que peut faire un continent qui dépend à hauteur de 40% des énergies vertes, si sur la même période le vent arrête de souffler et qu’une dépression passe sur la région, empêchant ainsi les rayons du soleil d’atteindre les panneaux solaires ? Pour répondre à cette question l’auteur nous explique que le seul moyen qu’à l’humanité pour intégrer véritablement les énergies renouvelables à la société est de développer une nouvelle forme de stockage de l’énergie. Pour ce faire, et après avoir étudié les différentes possibilités qu’il y avait en 2012, il nous conseil de nous concentrer sur le stockage de l’énergie grâce à l’hydrogène et notamment par le biais de l’électrolyse.
Pour ce qui est de ce troisième pilier de la théorie de Jeremy Rifkin on peut avoir une double vision : d’un côté on pourrait dire qu’on ne peut pas, aujourd’hui, faire une réelle critique de ce troisième pilier qu’expose Jeremy Rifkin mais plutôt un état d’avancement des recherches. En effet la solution hydrogène pour le stockage de l’énergie est encore aujourd’hui la solution qui semble la plus prometteuse, de par ses coûts moindres par rapport aux batteries, de par son aspect pratique par rapport aux stations de transfert d’énergie par pompage (STEP) et de par le fait que l’hydrogène soit présent partout sur Terre.
D’un autre coté apparaît une idée selon laquelle ce troisième pilier ne serait tout simplement pas utile. En effet on entre au jour d’aujourd’hui de plus en plus dans une économie collaborative et ce depuis plusieurs années. On peut alors se poser la question : et si on partageait directement l’énergie que nous produisons de façon efficiente au lieu de la stocker en grande quantité ? On aurait alors seulement besoin de stocker l’énergie en petite quantité et ce pour pallier aux différences entre production et consommation dans certains cas. Avec le développement des technologies liées aux énergies renouvelables un partage direct entre auto-producteurs et consommateurs permettrait de rayer le problème du stockage d’énergie de la liste des piliers qu’il faudrait mettre en place selon Mr Rifkin.
Pour ce qui est de l’actuel état des lieux concernant la solution hydrogène on peut souligner l’initiative d’une startup française Sylfen. En effet, et c’est une première mondiale, le système de stockage d’énergie « Smart Energy Hub » est un système hybride alliant stockage par batteries et hydrogène. Ce système a été développé dans l’optique du second pilier de Jeremy Rifkin : permettre aux bâtiments une autoconsommation de leur énergie. Avec un rendement électrique plus haut que la moyenne l’installation pourrait ainsi permettre à de grands bâtiments alimentés à partir d’énergies renouvelables de prétendre à une autonomie « électrique supérieure à 95% » selon Sylfen.
Au final le troisième pilier de Jeremy Rifkin est pour moi un semi-pilier. En fait l’utilité de ce pilier dépend à mon sens entièrement du quatrième pilier de sa théorie. En effet si le quatrième pilier est mis en place de façon générale et efficiente sur l’ensemble d’un territoire, voire d’un continent, l’utilité du troisième serait négligeable.
4) L’internet de l’énergie
La création d’un réseau électrique intelligent est le quatrième pilier de la théorie de Jeremy Rifkin sur la troisième révolution industrielle. En effet l’un des aspects de sa théorie est aussi de passer dans une économie beaucoup plus coopérative, et ce notamment par le biais d’un partage équitable de l’énergie entre les producteurs autonomes et les consommateurs.
Ce réseau pourrait, selon Rifkin, permettre plusieurs choses : tout d’abord une meilleure gestion des variations de production et de consommation ainsi qu’une meilleure fiabilité puisqu’une meilleure gestion des variations s’accompagnera naturellement par une baisse du nombre de pannes ou de coupures.
Enfin ce réseau intelligent permettrait de faire des économies, au sens monétaire du terme. En effet dans l’idée de Rifkin on pourrait par exemple avoir des compteurs numériques indiquant le prix de l’électricité en temps réel et ainsi pouvoir ajuster ses consommations d’énergie en fonction de l’heure à laquelle le prix est au plus bas. La réalisation de ce pilier me semble aujourd’hui tout à fait possible mais souffre tout de même d’un obstacle assez grand : la coopération internationale.
En effet pour qu’un tel réseau électrique soit suffisamment efficient il faut qu’il soit mis en place de façon internationale notamment en Europe. Or lorsque l’on voit aujourd’hui l’état des relations internationales, et ce partout dans le monde, on se doit de douter qu’un tel réseau puisse être mis en place dans un futur proche. En effet on peut prendre ici toujours l’exemple de l’Europe, qui subit une constante montée des parties populistes depuis quelques années : comment pourrait-on mettre en place un tel réseau après le vote décisif des italiens pour un gouvernement populiste, après un Royaume Uni qui a choisi l’option du Brexit et après une montée constante des partis populistes dans divers pays européens comme la France et l’Allemagne. Si les dirigeants européens ne peuvent s’entendre sur des questions telles que l’immigration et les règles budgétaires européennes comment pourraient-ils se mettre en accord sur une question aussi importante que l’énergie ?
Finalement je pense que la théorie de la troisième révolution industrielle de Jeremy Rifkin n’est pas applicable aujourd’hui ni dans un futur proche pour des raisons technologiques mais aussi de politiques nationales et international. Mais a contrario il y a bien des aspects de sa théorie applicable aujourd’hui même aussi demain, je parle notamment du deuxième et quatrième pilier que l’on mettra sûrement en place.
Par Victor Munter, promotion 2019-2020 du M2 IESCI
Bibliographie / webographie
RIFKIN, J. (2013). La 3ème révolution industrielle. Comment le pouvoir latéral va transformer
l’énergie, l’économie et le monde (Babel).
GADREY, J. (2010). Adieu à la croissance, bien vivre dans un monde solidaire. (Alternative
économiques/ Les petits matins)
JAGLIN, S., VERDEIL, E. (2013) Énergie et villes des pays émergents : des transitions en
question. Flux, N°93-94, p 7 à 18.
https://ec.europa.eu/eurostat/fr/home
https://www.alternatives-economiques.fr/lavenir-radieux-photovoltaique/00082495