A l’ère d’une économie fondée sur la connaissance, la compétitivité des entreprises ainsi que le développement et la croissance économique des pays passent forcément par l’innovation et le progrès technologique. En effet, afin de renforcer la compétitivité régionale dans les secteurs à fort potentiel, certains pays en Afrique, à l’image des pays développés, ont opté pour une politique de pôles de compétitivités et de technopôles.
Le principal problème rencontré par les pays en développement est de s’approprier les parties du savoir qui leur échappent. Il s’agit essentiellement de la réduction de la dépendance technologique et la fixation des stratégies adaptées à leurs caractéristiques économiques. Cet état de fait constitue un facteur important contribuant aux écarts de niveaux de croissance entre les pays développés et ceux en développement. Pour pallier à cela, il est donc nécessaire pour eux de s’insérer dans les réseaux et de profiter du partage et du transfert de technologies. C’est en ce sens qu’on voit l’émergence de pôles de compétitivités et de technopôles dans les grandes villes en Afrique.
Qu’est-ce qu’un pôle de compétitivité ?
Porter définissait les pôles de compétitivité (ou clusters) comme « des concentrations géographiques d’entreprises liées, de fournisseurs spécialisés, de prestataires de services, d’entreprises de secteurs connexes, et d’institutions associées opérant dans différents domaines, où ils se font concurrence mais coopèrent également » (OCDE, 2009, 28). Cette définition montre l’étroite collaboration qu’il doit y avoir entre les unités présentes dans un pôle. Dans le même sens la Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale (DATAR) considère que c’est « la combinaison, sur un espace géographique donné, d’entreprises, de centres de formation, et d’unités de recherche publiques ou privées, engagés dans une démarche partenariale destinée à dégager des synergies autour d’un marché et d’un domaine technologique ou scientifique qui lui est attaché et doit rechercher l’atteinte d’une masse critique pour atteindre une compétitivité mais aussi une visibilité internationale ». Cette définition met en exergue le phénomène de « coopétitivité » qui se met en place dans les pôles. En effet on parle d’une dualité de la compétitivité/concurrence avec la coopération.
Cette position montre les pôles de compétitivité comme un nœud de confrontation entre les acteurs, qui s’engagent dans une démarche partenariale visant à créer les compétences scientifiques et techniques provoquant la croissance économique.
C’est ce qui ressort du rapport de l’OCDE sur les pôles de compétitivité, innovation et entrepreneuriat. Les pôles « soutiennent la croissance économique en offrant un environnement propice à l’innovation et à l’entrepreneuriat dans des activités données qui concourent à la croissance de la productivité grâce aux améliorations de l’efficience, de la qualité et de la différenciation des biens et des services. Bon nombre de ces avantages se produisent naturellement sans nécessité d’intervention publique : les connaissances se diffusent lorsque les travailleurs changent d’entreprise et que des entrepreneurs exploitent des idées provenant de grandes entreprises ou d’instituts de recherche ; les coûts de recherche d’emploi et de formation sont réduits du fait de l’existence de vastes gisements locaux de main-d’œuvre spécialisée ; et les entreprises réalisent des économies d’échelle lorsqu’elles vendent des biens intermédiaires spécialisés sur de vastes marchés locaux. Mais les interventions publiques peuvent aussi jouer un rôle important dans l’émergence et le développement de pôles performants, par exemple, en soutenant les activités de recherche pré-compétitives menées en collaboration, en aménageant des infrastructures de base et spécialisées, en servant d’intermédiaire pour la création de réseaux, en finançant des activités d’éducation et de formation dans des domaines génériques, et en facilitant la coordination entre les acteurs clés et leur mobilisation au service du développement du pôle ». (OCDE, 2009, 24).
Cette politique de cluster a été développé par de nombreux pays comme la France, l’Italie, le Danemark, ou encore les Etats-Unis (à l’exemple de la Silicon Valley). Mais qu’en est-il des pays africains ?
Silicon Africa : un tour des pôles d’innovation prometteurs en Afrique
Certains pays africains ont aussi développé une certaine politique de clusters, même s’ils ne sont pas très développés comparés aux géants en la matière, ils demeurent quand même prometteurs.
Depuis quelques années, les pays de l’Afrique du Nord se positionnent peu à peu et mettent en places plusieurs pôles orientés dans divers domaines. C’est le cas au Maroc et en Tunisie où on compte un grand nombre de technopoles sur des domaines variés allant de l’agroalimentaire à la biotechnologie.
Parmi les grandes villes africaines qui abritent des technopoles et hubs innovants on peut citer Lagos, Kampala et Cape Town.
Lagos sur une politique ambitieuse
Connue pour son industrie florissante du cinéma au point d’être surnommés « Nollywood », Lagos fourmille également d’acteurs de l’économie digitale. La ville a dépassé Le Caire en 2012, et sa population (plus de 20 millions d’habitants) en fait à elle seule un marché suffisant pour démarrer, comme le démontrent Jobberman et Jumia.
L’influence de Lagos est importante à l’échelle du continent. Et c’est à cette échelle que raisonne le pays le plus peuplé d’Afrique et sa dizaine d’incubateurs et autres lieux d’innovation. Ces derniers incubent des start-up qui le plus souvent se testent sur le (grand) marché nigérian avant de conquérir peu à peu le reste du continent, à l’image de Jumia présenté comme l’Amazon africain et qui livre dans 9 pays. Le quartier de Yaba, qui abrite plusieurs incubateurs de start-up digitales, a été surnommé “Yabacon Valley”. Et le récent rapprochement entre Passion Incubator et iDEA montre que l’écosystème se concentre pour mieux s’organiser.
Kampala
Kampala a bénéficié du projet « Link » de Google pour avoir une ville en grande partie fibrée. Capitale de l’Ouganda, le pays est couvert en 4G par le géant opérateur mobile sud-africain MTN. Sa particularité est que les initiatives viennent plutôt du secteur privé, à l’opposé de la majeure partie des pays africains. Le gouvernement n’intervient que dans l’amélioration du cadre de l’investissement pour les entrepreneurs.
La ville abrite un tech hub fondé par Teddy Ruge et Jon Gosier, co-fondateurs de plusieurs organisations de soutien à l’innovation sur le continent comme le réseau AfriLabs et Appfrica. On y a développé plusieurs applications dont les plus célèbres sont safeboda et Fezah Arts.
Safeboda : cette startup cherche à sécuriser le transport en moto-taxi en identifiant les chauffeurs les plus prudents. “Boda” est le mot pour désigner “border” (frontière en anglais) et vient d’une activité consistant à transporter les passagers dans le no-man’s-land entre deux frontières. Depuis, les taxis-motos en Afrique de l’Est s’appellent “boda-boda”.
Fezah Arts, sélectionnée à l’Outbox, permet de trouver un musicien, un DJ ou un groupe pour animer un événement. Elle faisait partie, des 15 startups sélectionnées dans le monde pour rejoindre le programme Blackbox Connect à Palo Alto.
CAPE TOWN
Le développement digital s’appuie essentiellement sur la Cape Innovation and Technology Initiative (CiTi), qui promeut les nouvelles technologies dans la région depuis 20 ans. Et l’évolution est constante : elle a lancé en 2015 le BitHub, pour faciliter l’adoption du Bitcoin par l’économie digitale locale.
L’Afrique du Sud a par ailleurs des partenariats avec les grands groupes comme Microsoft avec le programme BizSpark, qui a accompagné plus de 1600 startups dans le pays. Lesquelles ont créé quelque 300 emplois. Certaines applications connaissent un succès assez important comme 2go qui est une application de messagerie instantanée développée à Capeown et revendique près de 50 millions de téléchargements ou SnapScan, un système de paiement mobile permettant de régler des commerçants identifiés par un QRCode.
La mise en place de ces hubs et technopôles a suscité de nombreux retours positifs mais les résultats restent encore bien en dessous des espérances.
Des résultats ambigus
Les technopôles africaines n’arrivent pas vraiment à prendre leur envol du fait de plusieurs facteurs ;
– des interactions et des transferts de savoir insuffisants avec l’économie du pays (Newman et al, 2016) ;
– un manque de cohérence par rapport à l’avantage comparatif d’un pays, et des choix de site non pertinents (Monga, 2011) ;
– un effet d’éviction des investisseurs privés (comme en Tanzanie) ;
– des goulots d’étranglement dus à une mauvaise coordination des politiques (au Lesotho, par exemple) (BAfD/OCDE/PNUD, 2015) ;
– des procédures de dédouanement lourdes et des infrastructures inadaptées (manque de fiabilité de la fourniture d’électricité, par exemple) (Farole, 2011). En outre, de nombreux regroupements d’entreprises africains restent statiques et ont pour seul objectif de survivre, (Morris et Kaplinsky, 2015).
De plus, les résultats sont encore trop faibles pour espérer avoir un impact considérable sur l’économie d’un pays. En effet, Une enquête sur 91 ZES dans 20 pays d’Afrique subsaharienne montre que ces zones ne comptent que pour 0.2 % des emplois d’un pays (Farole, 2011 ; Kingombe et Velde, 2015).
Pour prospérer, les clusters ont besoin de biens publics
Sans infrastructures adaptées, les regroupements d’entreprises sont obligés d’investir plus que leurs concurrents. Au Ghana, la forte demande pour les services du regroupement de Suame Magazine a accru le nombre d’entreprises participantes, mais un effet d’engorgement dû au manque de biens publics et d’infrastructures s’est fait ressentir, ce qui a entraîné pour les sociétés une baisse de leur chiffre d’affaires (Iddrisu, Mano et Sonobe, 2012) Les entreprises du cluster nigérian de Nnewi ont dû investir elles-mêmes dans des routes et dans des systèmes de distribution d’eau et d’électricité. Cette hausse des coûts généraux réduit la capacité à investir dans la recherche et le développement, ainsi que dans l’amélioration des compétences et des techniques (Morris et Kaplinsky, 2015). Cet obstacle majeur ne peut être dépassé qu’avec l’appui des organismes publics qui pourront mettre les entreprises dans des conditions optimales qui permettraient de générer des résultats probants.
L’idée d’ouvrir des pôles de compétitivité et des technopôles en Afrique semble être pertinente mais le manque de suivi et d’encadrement par les organes des Etats freinent leur évolution. Une meilleure politique publique et une plus grande stabilité encourageraient les acteurs, investisseurs privés qui permettra dans le court et moyen terme de booster l’impact de l’innovation technologique sur l’économie des pays.
Par BA Abdoul, promotion 2017-2018 du M2 IESCI
Sources
https://www.usine-digitale.fr/editorial/silicon-africa-cape-town-mene-la-course.N342271
Banque africaine de développement, Pôles de compétitivité à l’ère de l’économie de la connaissance
Banque africaine de développement, Pôles de compétitivité et développement territorial ; étude sur les technopôles au Maroc
PNUD-OCDE-BAD, Perspectives économiques en Afrique 2017
PNUD-OCDE-BAD, Perspectives économiques en Afrique 2017