Les perturbateurs endocriniens, de quoi parlons-nous ?
Le terme de « perturbateurs endocriniens » désigne les perturbateurs hormonaux, il s’agit en réalité de substances chimiques incorporées dans des centaines de milliers de produits de consommation courante. Ils peuvent aussi bien se trouver dans les cosmétiques, les matières plastiques, les pesticides, l’alimentation et bien d’autres… Ces substances sont suspectées d’avoir un impact sur le système hormonal humain et d’être encore plus dangereux pour les femmes enceintes, les fœtus et les adolescents. Ces effets négatifs se caractériseraient par l’apparition de maladies telles que l’infertilité, des malformations génitales, la puberté précoce, le diabète, cancer de la prostate ou des ovaires, autant de maladies graves dont le nombre ne fait qu’augmenter dans nos sociétés modernes. L’exposition de l’enfant à ces substances pourraient même être la cause de maladies se déclarant à l’âge adulte, il s’agit donc d’un sujet qu’il faut traiter le plus sérieusement et le plus rapidement possible.
Débat transparent, ou mécanismes d’influence sous-jacents ?
Les acteurs du débat, et leurs rôles.
L’opinion publique
Qui sont-ils ?
Ce sont les acheteurs, ce sont également ceux qui font vivre les réseaux sociaux et qui sont les plus influençables par les médias. Nous le savons, les médias peuvent aussi bien être une source d’information que de désinformation. Les entreprises ont très bien compris que l’opinion publique relative à un sujet particulier était très volatile, qu’elle pouvait changer du tout au tout si un évènement nouveau venait à survenir, ou tout simplement si l’on passait le sujet à la trappe. Le trop plein d’informations généré par les technologies de l’information induit de facto chez nos concitoyens une propension à oublier certains sujets pourtant préoccupants s’ils ne reviennent pas assez régulièrement sur le devant de la scène, et ce, même s’il s’agit d’un sujet de santé publique.
Opinion publique & PE
Nous avons conscience de l’existence des perturbateurs hormonaux depuis près d’un demi-siècle, cependant ce sujet reste mal-connu voir inconnu pour la majorité de la population, la formule « perturbateurs endocriniens » ayant été inventée et traduite de l’anglais « endocrine disruptors » en 1991. Le choix des mots est important, si l’on parlait de « perturbateurs hormonaux » tout le monde comprendrait de quoi il retourne sans avoir à faire plus de recherches sur le sujet, mais le mot « endocriniens », bien qu’ayant tout son sens, est encore flou dans les esprits. Les éléments de langage utilisés ne sont pas à négliger et peuvent avoir un lourd impact sur l’intérêt que portera (ou non) l’opinion publique sur un sujet.
Les enjeux d’une réglementation pour l’opinion publique
Concernant les perturbateurs endocriniens, le cas du Bisphénol A à fait grand bruit en France qui est un des pays les plus avancés concernant les règlementations sur ces substances, il a d’ailleurs été interdit dans tous les contenants alimentaires depuis 2015. Le cas du Bisphénol A reste isolé et nous savons aujourd’hui qu’il a d’ores et déjà laissé place au Bisphénol S qui aurait les mêmes propriétés que le premier. D’un côté, on fait peur à l’opinion publique en lui indiquant que ces substances peuvent potentiellement être dangereuses, et de l’autre côté, les réglementations n’ont que très peu évoluées en 50 ans. La population se retrouve parfois démunie face à ce genre de question. Comment éviter les perturbateurs endocriniens quand bien même la Commission Européenne tarde à en donner une définition exhaustive ? La peur des conséquences de ces perturbateurs sur le système hormonal, (infertilité, cancer des glandes thyroïdiennes, des ovaires, de la prostate, …) fait forcément réagir l’opinion publique, mais nous pouvons aujourd’hui trouver une information et son contraire selon que les mots clés que nous utilisons pour nous renseigner sont orientés d’un côté ou de l’autre.
Le manque de transparence autour de la qualification des perturbateurs endocriniens est donc un frein à l’action de l’opinion publique, nous parlons de substances utilisées par la quasi-totalité des industriels et présentes dans la plupart des produits du quotidien. Les éviter induirait un total changement des habitudes alimentaires de la population mais également le changement de tout un mode de vie et de consommation, c’est pourquoi les institutions publiques doivent prendre ce sujet à bras le corps et intervenir en garantissant la sécurité pour les consommateurs.
Les institutions publiques
La commission européenne doit se prononcer
Nations unies et OMS parlent d’une menace mondiale au sujet des PEs. Au niveau européen, le débat des PEs a commencé au début des années 1990. Une institution publique est au cœur du débat, il s’agit de la Commission Européenne. En 2009, la Commission Européenne a été saisie avec pour objectif d’établir la définition officielle des « perturbateurs endocriniens » avant fin 2013 afin de pouvoir identifier le risque induit par l’exposition à ces substances et dans le cas d’un risque avéré, proposer des critères permettant de les interdire à la distribution. Même si aujourd’hui la définition faisant consensus auprès des scientifiques est celle de l’OMS datant de 2002 : « Un perturbateur endocrinien est une substance ou un mélange de substances, qui altère les fonctions du système endocrinien et de ce fait induit des effets néfastes dans un organisme intact, chez sa progéniture ou au sein de (sous)- populations », les critères permettant de qualifier les perturbateurs endocriniens ne sont toujours pas définis par la Commission Européenne.
Processus de décision très long, et pas de consensus entre les gouvernements des états-membres
Ce processus de décision au sein de la Commission Européenne passe par la « DG Santé et Consommateur (SANCO) », la « DG Environnement » et la « DG Entreprise ». La « DG Environnement » est chargée d’établir la liste des critères scientifiques concernant les suspicions relatives aux perturbateurs endocriniens. Cependant, les intérêts défendus par chacune des trois « DG » diffèrent et des conflits existent entre la « DG Entreprise » promouvant les intérêts des industriels, la « DG Environnement » et la « DG SANCO ».
En Décembre 2013, la Commission Européenne devait rendre sa définition des perturbateurs endocriniens, cependant, en Juin 2013 le processus a été retardé car les industriels sont montés au créneau. « Bayer CropScience » a écrit en Juin 2013 à Marianne KLINGBEIL, n°3 du secrétariat général de la Commission Européenne afin de demander une étude d’impact économique permettant d’analyser les effets qu’auraient une réglementation des perturbateurs endocriniens sur les marchés, le 2 Juillet 2013, Catherine DAY n°2 de la Commission Européenne annonce que l’étude d’impact sera réalisée. Une étude d’impact aussi complexe demande du temps, cela repousse la décision de 2 à 3 ans.
En Juin 2016, la Commission avait proposé des critères de définition des perturbateurs endocriniens aux représentants des Etats membre de l’UE mais ces critères avaient été jugés « peu-crédibles » et « trop faibles » par la plupart des Etats membre, dont la France. La Commission Européenne a retravaillé sa copie et proposé en Février 2017 un nouveau document, celui-ci a une nouvelle fois été rejeté car « il ne tenait pas compte de la plausibilité des effets sur la santé des dites substances » et « il ne prenait en compte que les perturbateurs avérés ».
Aujourd’hui, le texte ne fait toujours pas consensus et la Commission Européenne a indiqué qu’il n’y avait pas de date prévue pour de nouveaux débats. Un processus de réglementation qui fêtera bientôt son 10ème anniversaire alors qu’il s’agit ici d’une question majeure relative à la santé publique, nous pouvons nous demander qui sont les parties prenantes tirant les ficelles du débat.
Les Pro-Perturbateurs endocriniens
Pourquoi se dressent-ils contre la régularisation des PEs ?
Une réglementation des perturbateurs endocriniens dans les substances chimiques entraînerait un manque à gagner conséquent pour les industriels de l’agro-chimie et de la pétrochimie, leur but est de préserver leur périmètre de vitalité afin de continuer à accroître leur champ d’action. D’autre part, les professionnels du secteur dénoncent qu’une législation européenne sur ces sujets qui ne soit pas en accord avec le reste du monde désavantagerait les européens sur un plan économique. Les intérêts à défendre sont lourds, alors voyons quelles méthodes ils utilisent afin de se préserver de toutes menaces relatives à leur activité.
Comment les industriels agissent-ils pour défendre leurs intérêts ?
En termes d’influence, nous avons vu que l’industrie n’hésitait pas à contacter directement les plus hautes sphères de nos institutions publiques afin de promouvoir leurs intérêts et opérer des changements de direction concernant les réglementations. Les eurodéputés sont par exemple contraints à une pression permanente émanant de lobbyistes avertis dans le but de faire pencher leur voix dans un sens ou dans l’autre, mais ces actions doivent être accompagnées de faits et d’arguments irréfutables afin de convaincre les représentants. L’opinion publique est bien prise en compte par les industriels dans leur processus de communication.
Influence de la politique et des institutions publiques ? Manipulation de la matière scientifique ?
Un des moyens d’action pour l’industrie est d’alimenter « la manufacture du doute », il s’agira de créer de la matière scientifique contradictoire à celle déjà établie. Le but de la manœuvre étant de créer du doute en donnant l’impression qu’il n’y a pas de consensus scientifique sur ce sujet, cela permet à l’industrie de demander de plus amples études, de défendre une définition des critères plus souple et de gagner du temps lors des processus de réglementation. Par exemple, le rapport « Kortenkamp » proposé à la DG Environnement en Janvier 2012 établissait que les perturbateurs endocriniens était un sujet à prendre en compte au plus vite au niveau politique et réglementaire. Peu de temps après, en Octobre 2012, l’European Food Safety Authority (EFSA) a annoncé avoir été mandaté par la « DG SANCO » afin de mener la même étude sur les perturbateurs endocriniens. Après une étude du panel scientifique participant à l’étude de l’EFSA il a été mis en évidence que 8 des 18 scientifiques avaient des liens contractuels avec l’industrie agro-chimique.
D’autre part, ils font valoir le fait que si on suspendait la distribution des produits comprenant des perturbateurs endocriniens cela serait une catastrophe pour l’industrie, de nombreux produits disparaitraient du marché. L’industrie estime que si l’on interdisait les perturbateurs endocriniens dès lors qu’ils peuvent avoir un effet négatif sur la santé humaine, sans prendre en compte le facteur de puissance, cela amènerait à interdire une cinquantaine de substances chimiques qui aboutirait, in fine, à une perte de 40% de la valeur du marché européen. Cela représenterait de facto d’énormes conséquences commerciales ainsi qu’une destruction d’emploi conséquente. Cet argument est nécessairement pris en compte par nos représentants politiques, l’emploi et le chômage faisant partie des sujets les plus préoccupants pour les ménages européens. L’accord de la Commission Européenne donné à la demande d’une étude d’impact relative à l’interdiction des perturbateurs endocriniens relève en tout point de cet argument.
A noble cause, une belle image ?
Un autre relais employé par les industriels est de mettre en avant que « le principe de précaution limite l’innovation », cela signifiant que renoncer à la commercialisation de produits avant d’être assuré de leur innocuité freinerait les recherches sur de nouveaux moyens de production ou l’amélioration du mode de vie des populations à un niveau mondial. Quand on voit la pauvreté encore présente et l’engagement des institutions publiques afin d’y pallier, cette prise de position des industriels représente un argument de choc afin de freiner les réglementations drastiques qui pourraient être mises en place. D’un autre côté cela permet de susciter la bienveillance de l’opinion publique pour les entreprises favorisant le développement des populations qui en ont besoin.
Sur un autre plan, les industries agro-chimiques accordent beaucoup d’importance à la communication autour de leur réputation, même s’ils souffrent parfois d’une image négative, une simple vue sur le site de « Bayer » permet de se rendre compte de toute l’attention portée à promouvoir les start-ups en e-santé, le sommet mondial des jeunes en agriculture, leur intérêt pour les inquiétudes de la population concernant les produits chimiques. L’utilisation des couleurs, le bleu et le vert, représentant l’eau, le végétal et un slogan « Science For A Better Life » mettant en avant l’aspect presque « écologique » de leur activité ne fait que renforcer cette image positive. On assiste donc à un réel « Greenwashing » permettant d’influencer les perceptions de l’opinion publique en faveur de la marque.
Enfin, l’industrie met un point d’honneur à être présente dans chacun des débats relatifs aux perturbateurs endocriniens et à leur réglementation, afin de se tenir au courant des derniers arguments de leurs concurrents et avoir une vue globale sur le dossier, ceci leur permettant d’anticiper toute action négative pour leur activité. En effet, les lobbys « pro-perturbateurs endocriniens » ne sont pas les seuls à monter au créneau, les lobbys « anti-perturbateurs endocriniens » ont également des intérêts à défendre, et des modes d’actions qui leur sont propre afin de se faire entendre.
Les Anti-Perturbateurs endocriniens
Les opposants aux perturbateurs endocriniens sont nombreux, il peut s’agir d’ONG sensées garantir l’intérêt général et la santé des consommateurs, de la communauté scientifique, mais également d’entreprises qui seraient bien arrangées par une définition drastique de ces substances chimiques. Le BIO étant en pleine expansion dans nos sociétés modernes, nous sommes en droit de nous demander si ces actions demandant une réglementation ne sont pas également le fruit des « lobbys du BIO » et de tous les acteurs à qui cette législation profiterait.
Pourquoi s’opposent-ils aux PEs ?
L’état de la science sur les perturbateurs endocriniens préconise une attention politique concernant le sujet, les preuves scientifiques concernant les effets négatifs des perturbateurs endocriniens sur le système hormonal ne cessent d’augmenter. Pourtant, la situation peine encore à bouger et les propositions de la Commission Européenne sont encore jugées trop laxistes. Les scientifiques se battent contre l’établissement d’un « seuil » de dangerosité concernant les perturbateurs endocriniens, car cela reviendrait à autoriser les industriels à utiliser des substances chimiques susceptibles d’avoir un impact négatif sur la santé de la population à partir du moment où ils respectent une certaine limite. Les scientifiques insistent sur le fait que le degré d’exposition et l’effet « cocktail » de ces substances pouvant décupler ses effets sur le système hormonal est un facteur qui n’est pas compatible avec l’établissement d’un seuil. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (ANSES) à étudier 5 substances chimiques suspectées d’avoir des effets de perturbateurs endocriniens et a rendu son rapport le 10 octobre 2017, même si les effets de PE ne sont pas avérés, ils tirent la sonnette d’alarme une nouvelle fois et demande des études approfondies de la part de l’Agence européenne des produits chimiques.
- Les ONG & Lobbies du BIO ?
Les ONG contestent l’EFSA et la Commission Européenne concernant la réglementation des perturbateurs endocriniens en prônant la nécessité d’un « principe de précaution » total concernant les substances chimiques. Pour les ONG, il faut interdire les substances présumées perturbateurs endocriniens et pas seulement celle ayant un impact nocif sur les humains. D’autre part, elles ne veulent pas d’une réglementation basée sur la puissance, mais uniquement sur le risque de perturbation, ce qui reviendrait à interdire toutes les substances chimiques dès lors quelle sont susceptibles de contenir des perturbateurs endocriniens.
D’autre part, nous voyons émerger des intérêts relatifs à l’interdiction de ces substances chimiques, les réglementations des perturbateurs endocriniens ne portant que sur les produits de synthèses, les acteurs du BIO et du naturel se frottent les mains. En effet, des substances non-chimique telle que « l’huile de neem » utilisée en agriculture biologique et qui est pourtant connue comme étant un perturbateur endocrinien avéré ne serait pas impactées par une législation des perturbateurs endocriniens ne concernant que les produits chimiques. Cette mise au point nous laisse donc entrevoir quelques enjeux relatifs à une réglementation, voyons maintenant comment ces parties prenantes contribuent au débat.
Comment agissent-ils pour se faire entendre ?
- Les scientifiques s’indignent
Depuis 2016, les scientifiques veulent perturber les lobbies qui font pression sur la Commission européenne. En Novembre 2016, une centaine de scientifiques ont ainsi accusés la Commission Européenne de « traîner la patte » en matière de réglementation de ces dites substances. Ils l’accusent de défendre des intérêts industriels en ne prenant pas en compte l’état de la science actuelle afin de favoriser l’activité industrielle au détriment des preuves scientifiques et de l’intérêt général. Pour eux : “Le projet d’établir une réglementation de ce type dans l’Union européenne est activement combattu par des scientifiques fortement liés à des intérêts industriels, produisant l’impression d’une absence de consensus, là où il n’y a pourtant pas de controverse scientifique“. C’est donc un réel rapport de force qui se met en place entre scientifiques qui tentent de se faire entendre par des études toujours plus appuyées.
- Les ONG et les associations, actions spécifiques ?
Les ONG ont d’autres moyens que les scientifiques pour se faire entendre, en Octobre 2013, une campagne de mobilisation citoyenne nommée : « Perturbateurs endocriniens : Environnement perturbé, santé menacée ! » était lancée par un collectif de 12 partenaires « Agir pour l’Environnement ». Cette action se déroulait sous la forme d’un appel aux citoyens, ils avaient jusqu’au 30 juin 2014 pour renvoyer les cartes pétitions afin d’interpeller le Commissaire européen à la santé et aux consommateurs « DG SANCO », Toni Borg, le Ministre du redressement productif, Arnaud Montebourg, ainsi que les groupes de distribution de leur choix afin de manifester leur peur et leur mécontentement. L’objectif de cette campagne était double, d’une part, d’attirer l’attention de l’opinion publique sur cette problématique et d’autre part, de faire pression sur la « DG SANCO », le ministère du redressement productif et la grande distribution afin de mettre en place une définition des perturbateurs endocriniens qui soit la plus inclusive possible, de promouvoir des filières d’excellence certifiées « Zero perturbateurs endocriniens » et d’amener les grandes surfaces à retirer les produits référencés contenant des perturbateurs endocriniens avérés. Cette campagne aura au moins eu le mérite d’attirer un peu plus l’attention sur le sujet.
Par ailleurs, l’ONG « Générations Futures » a par exemple proposé à 7 politiques français une analyse visant à vérifier la présence ou non de perturbateurs endocriniens dans leurs cheveux. De Nicolas HULOT à Isabelle AUTISSIER, tous ont pu découvrir la présence de ces perturbateurs dans leur organisme, jusqu’à 68 substances trouvées, ces actions sont marquantes et engagent à réfléchir au problème.
Le lobby du BIO au cœur du débat
Cette réglementation des perturbateurs endocriniens représente une réelle opportunité pour les entreprises du BIO, en termes d’image et de volume des ventes, plus on fera paniquer l’opinion publique autour des perturbateurs endocriniens, plus la restriction sur ces substances sera importante et plus les parts de marché et les volumes de vente du BIO vont augmenter.
Une véritable entreprise de lobbying se cache donc derrière le marché du BIO, un article publié par Que Choisir en Septembre 2016 en a d’ailleurs fait les frais. Le journaliste Erwan Seznec y dénonçait l’utilisation de pesticides « naturels » par les agriculteurs du bio, ces pesticides : « l’huile de neem, le cuivre, le spinosad, … », même si « naturels », contiennent eux aussi des perturbateurs endocriniens susceptibles d’avoir des effets négatifs sur l’homme. Ce pavé dans la mare lancé par le journaliste a suscité moult réactions de la part des défenseurs du BIO afin de faire interdire Erwan Seznec de publication dans « Que Choisir ».
Ces réactions publiées par e-mail sur la liste de diffusion des membres de la Commission agricole d’Europe Ecologie Les Verts (EELV) ont fuitées, et on peut voir apparaître les noms de :
- Eliane Anglaret, présidente de « Nature & Progrès », une association française du bio
- Jacques Caplat, administrateur du collectif « Agir pour l’Environnement »
- François Villerette, patron de « Générations Futures »
- Serge Rivet, responsable régional au sein de « EELV »
Ces échanges de mails, et un ensemble de sollicitations à l’attention de la commission agricole de l’UFC-Que Choisir ayant pour but : « qu’une décision soit prise pour ne plus accepter d’article de cet auteur ». Serge Rivet invitait même ses compagnons à intervenir : « C’est donc le moment pour envoyer tous les avis et toutes les demandes de droit de réponse, les articles et autres textes qu’un maximum d’entre nous comme de lecteurs voudront envoyer ».
Ces évènements révélés au grand public ne servent pas ces organisations, mais elles posent les questions de l’impartialité des associations et des ONG concernant ces sujets. Comment une organisation telle que « Générations futures » peut-elle défendre l’intérêt général tout en étant financé par le lobby du BIO ?
Conclusion
La médiatisation à outrance et l’amplification des réseaux sociaux à entraîner de fortes conséquences sur le comportement des consommateurs et sur la manière de communiquer pour une entreprise, l’anticipation est devenue le maître mot du 21ème siècle pour toute entreprise souhaitant continuer à se développer.
Pour répondre à ces défis, nous avons vu que l’une des stratégies de l’industrie était de développer des processus d’influence dans le but de manipuler la perception de l’opinion publique et celle des décideurs. Que l’industrie cherche à se promouvoir auprès de « relais d’opinion » afin de convaincre l’opinion publique de sa bonne pratique, ou qu’elle interpelle les principaux décideurs stratégiques sur un sujet particulier afin de garantir ses intérêts, chacune de ses actions doivent répondre aux objectifs clairs et mesurables qu’elle s’est fixée en amont. La finalité de ces stratégies étant de faire passer « le bon message, à la bonne personne, au bon moment » afin d’entretenir son périmètre de vitalité et la bonne conduite de son activité. Lorsque l’on s’intéresse à la question de la réglementation des perturbateurs endocriniens (PEs), cette nécessité d’une démarche proactive des industriels prend tout son sens tellement les intérêts des différentes parties prenantes sur ce sujet sont importants.
Nous l’avons constaté, le débat concernant les PEs est loin d’être clos et l’opinion publique n’a pas vraiment son mot à dire, prise entre les géants de l’industrie d’une part, les ONG d’autre part et dépendante de la Commission Européenne pour identifier quelles sont réellement ces substances, la population ne possède que de vagues informations afin de changer ses habitudes de consommation. La Commission Européenne de son côté fait l’objet de pressions permanentes émanant des professionnels de l’agro-chimie et de la pétrochimie ainsi que des ONG, des politiques et des professionnels du BIO. En effet, bien que le processus de règlementation ait-été engagé il y a près d’une dizaine d’année, il se voit sans arrêt retardé car nous assistons encore aujourd’hui à une bataille féroce entre lobbys industriels et lobbys du BIO. Ce débat donnerait presque l’impression d’une simple guerre économique entre 2 secteurs, menant à oublier les alertes des scientifiques concernant la dangerosité de ces substances chimiques pour la santé publique.
Si les intérêts des industriels sont clairement visibles dans ce débat, nous avons pu relever que les « anti-PEs » pouvaient également retirer beaucoup de bénéfices d’une législation des PEs de synthèse. Ils ne sont pas prêts d’abandonner le navire et la prise de conscience collective en termes de développement durable va dans leur sens, leur poids ne cessera pas d’augmenter dans ce débat et il faudra bientôt trancher sur la question de l’interdiction des perturbateurs hormonaux.
Pour conclure, la stratégie d’influence engagée par les industriels est une réussite à ce jour, le processus décisionnel ayant encore récemment été retardé, la définition des critères des PEs n’est toujours pas établie. Cependant, la considération pour la protection de l’environnement et de la santé ne cesse de croître au niveau international, et ces réglementations sont amenées à entrer en vigueur, si ce n’est dans quelques mois, dans quelques années. Les industries concernées par cette problématique doivent être proactives et tout mettre en œuvre pour s’engager dans ce processus et prévoir dès aujourd’hui des alternatives bénignes à ces substances, car même si leur pouvoir d’influence élevé leur permet de gagner du temps à court termes, il ne leur suffira certainement pas pour faire croire à une innocuité totale des PEs.
Par Pierre Leval, promotion 2017-2018 du M2 IESCI
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