Nusantara : la nouvelle capitale Indonésienne, quand la fuite climatique se substitue à la lutte

Le 18 Janvier 2022, la chambre basse du Parlement indonésien a approuvé le cadre législatif du projet du président Joko WIDODO annoncé en 2019, du déménagement de la capitale Indonésienne Jakarta vers l’île de Bornéo, pour y construire ex nihilo la nouvelle capitale du pays : Nusantara.

Jakarta est la capitale économique et administrative Indonésienne. C’est une ville dense avec près de 30 millions d’habitants sur toute la conurbation, et c’est la plus grande métropole de l’Asie du Sud-Ouest. Mais la ville souffre de la pollution et de catastrophes naturelles fréquentes. En effet, son air est irrespirable, entre des embouteillages records, les centrales à charbon aux périphéries de la ville et les habitants qui brulent leurs déchets. De surcroît, les tremblements de terre, le climat tropical et les pluies diluviennes, la mauvaise maitrise du pompage massif des nappes phréatiques et de l’évacuation de l’eau, ainsi que la montée des eaux à cause du réchauffement climatique, surexpose la métropole aux inondations. Jakarta perd 18cm d’altitude tous les ans et subit un affaissement de sa zone côtière à cause de la montée des eaux, si bien que 20% de la ville est désormais sous le niveau de la mer. Les estimations prédisent que cette proportion risque de doubler d’ici 2050. Jakarta est la ville qui s’ensevelit le plus rapidement au monde à cause de la montée des eaux et du réchauffement climatique. La capitale qui dynamise le pays manque d’infrastructures pour lutter durablement contre la crise qu’elle traverse.

Dépassé par la situation, le président Joko WIDODO annonçait au parlement indonésien en 2019 son projet : transférer les forces économiques et politiques de la ville de Jakarta vers une nouvelle ville. Cette nouvelle ville, Nusantara, n’existe pas encore. Il s’agit d’une zone située à plus de 2000km de Jakarta, sur l’île de Bornéo, une île essentiellement composée de forêt tropical primaire, sur un archipel partagé entre l’Indonésie, le micro-Etat/sultanat de Brunei et la Malaisie.

Si le projet a été accepté le 18 janvier 2022, c’est parce qu’il est avant tout présenté non pas comme le déménagement du centre dynamique du pays, mais comme l’opportunité de construire une ville compétitive, intelligente, écologique, fondée sur les nouvelles technologies et orientée vers l’économie verte, et localisée à l’abri des inondations et risques séismiques constants.

Sur plan, Nusentara est une ville modèle. Il s’agira d’une ville orientée sur les vélos et les piétons, une ville propre, 0 émissions carbones, qui bénéficiera des derniers progrès de la technologies et l’architecture pour être optimale est équipée de transports en commun dernier cri intégré à l’environnement. Mais ce projet pose problèmes sur plusieurs plans.

En effet, la ville durable sera construite sur une forêt tropicale primaire. Il s’agit d’un écosystème immaculé de l’empreinte humaine, l’un des derniers sanctuaires des orang outans et léopards, et d’autres espèces endémiques en danger. Ce sont plus de 260 000 hectares qui sont prévus dans le prospect de la ville de Nusantara. Cet impact écologique est sans compter sur les perturbations liées à la construction (passages d’engins lourds, pollutions sonores, déchets de constructions, retournement des sols, …)   et les changements dans les plans qui sont à prévoir. Dwi Sawung, une représentante de la plus ancienne ONG indonésienne de défense de l’environnement WALHI, démontre que la construction de Nusentara représente 3 risques majeurs pour l’environnement :

  • Impact sur les systèmes de l’eau et de réchauffement climatique : L’urbanisation intense va perturber l’équilibre de l’intégralité du biome, avec une fragilisation des sols et des troubles pour la végétation. La déforestation concomitante va libérer de grande quantité de carbone et affaiblir les capacités de la région à résorber ses émissions, entretenant le réchauffement climatique qui a conduit au transfert sur l’île.

  • Impact sur la faune et la flore : La fragmentation du territoire et l’activité humaine vont de multiples manières bouleverser la vie sauvage de l’île.

  • Pollution et dégâts environnementaux : Il est prévu de déménager plus de 1,5 millions de personnes sur l’île. Ces Nusantariens par leur simple activité vont contribuer à de multiples pollutions et ravager l’environnement, d’autant plus si les pratiques et modes de vie ne changent pas.

Ces préoccupations, comme dans de nombreux pays émergents, ont été écartés du débat. C’est une faute grave que WALHI, et surement d’autres ONG, combattront pour la sauvegarde de l’environnement dans un monde en pleine crise écologique dont les effets dévastateurs commencent à se faire ressentir dans le monde et à Jakarta.

La seconde grande question sur ce déménagement est d’ordre social. On s’attend à ce que le transfert soit inique et inégal. Qui seront les 1,5 millions d’élus promis à l’Eden Nusentara ? Il s’agira de toute la classe politique et de 8 000 fonctionnaires. C’est moins de 1% de la population qui devrait résider sur l’île sous le statut de fonctionnaire. Le reste sera surement destiné aux employés de la ville, envisagée comme un centre d’affaire. Ce sont 56 180 hectares qui seront consacré au palais présidentiel, au parlement et aux bureaux gouvernementaux, ainsi que des routes pour rallier la capitale administrative à d’autres villes.

Contrairement à ce que l’on pourrait s’attendre d’une ville contrainte de transférer ses pouvoirs pour causes de mauvaise gestion climatique et des infrastructures civiles sur un territoire vierge, la nouvelle capitale est construite dans le faste et l’opulence. C’est une enveloppe de 29 milliards d’euros qui est prévu pour la mise en place du projet, en pleine pandémie.

Plus inquiétant encore, c’est la méthode de financement de la nouvelle capitale. Les fonds publics financeront à hauteur de 19 % le projet, le reste provenant de la coopération entre le gouvernement et les entités commerciales et des investissements directs des entreprises publiques et du secteur privé. La capture des décideurs publics peut désormais commencer avec l’implication des entreprises privés dans la construction du nouveaux siège politique du pays.

De plus, le comité chargé de superviser la construction est dirigé par le prince héritier d’Abou Dhabi, le cheikh Mohammed bin Zayed Al Nahyan – qui n’est pas étranger aux ambitieux projets de constructions- et comprend également Masayoshi Son, le milliardaire fondateur et directeur général de la holding japonaise SoftBank, et l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair, qui dirige actuellement le Tony Blair Institute for Global Change. On peut douter de la neutralité de ces parties dans le projet Nusantara. Cette ironie écologique et sociale permet déjà de percevoir les gagnants de l’humanité à deux vitesses.

Enfin la question économique. Jakarta est le poumon économique indonésien. Ce déménagement apparaît d’abord comme une amputation. Les inondations coûtent annuellement 4,5 milliards de dollars à l’agglomération. Le projet ne fait pas état des infrastructures mise en place pour les habitants restant. De plus, ils seront contraints de partir par la force des choses, migrant vers les lieux où les opportunités sont les plus grandes. S’ils venaient à rejoindre Nusantara, qui ne prévoit pas leur accueil, ce seront des bidonvilles qui se bâtiraient aux alentours, nuisant aux forêts, rivières et aux conditions de vie des arrivants.

En réalité, Nusantara sera construite au centre du pays et entre différentes aires urbaines. Elle devrait être rapidement connectée aux autres. La sphère économique devra donc subir un ajustement conjoncturel qui sera surement résorbé rapidement, comme on a pu le constater avec d’autres déménagement de capitale (Brasilia, Abuja ou Putrajaya). Mais ce transfert se fera au détriment des territoires de biodiversité de l’île qui ne pourront faire face aux nouveaux flux, nécessaire au bon fonctionnement économique de la ville.

Conclusion :

Ce projet, économiquement viable sur plan, est problématique à tous les autres niveaux et est symptomatique de l’impuissance des pays, voire leur désintérêt, dans la crise sociale et écologique que traverse le monde.

En effet, le réchauffement climatique montre ses effets directs sur la vie de certaines populations. Au lieu d’ancrer la problématique dans les esprits, avec l’urgence de faire bouger les mentalités et modes de vie, on préfère ne rien changer et recommencer ailleurs. Ce transfert est une fuite qui ne porte pas son nom.

Encouragée par d’autres puissances, Nusantara est une opportunité pour bâtir une ville nouvelle, sans avoir à déloger des populations, et avec des financements internationaux. Mais la ville va créer d’innombrable perturbations environnementales et des fractures sociales, montrant comment la sphère économique l’emporte sur toutes les autres.

L’Indonésie est prête à remplacer son poumon économique. Ce n’est pas la première fois qu’un pays se décide à de telles modifications territoriales. La montée des eaux et le réchauffement climatiques vont faire croître ce genre de transfert, qui apparaissent comme les solutions les plus abouties, mais sont aussi les moins structurelles. Il faut s’attendre à ce que les cartes soit redessinée dans les décennies à venir, et avec une montée de possible tensions géopolitiques. Car si le Brunei et la Malaisie ne sont pas lésés de ce déménagement, qu’en sera-t-il lorsque d’autres villes d’Asie seront englouties ? Le Japon risque de perdre de nombreuses côtes, or les archipels de la mer de Chine sont disputés entre la Chine et le Japon. Les scénarios du GIEC étaient catastrophiques en 2019 avec comme pire prévision une montée des eaux de 2 mètres. Aujourd’hui on sait que cette montée pourrait atteindre les 6 mètres, et que même si l’on s’arrête demain d’émettre du carbone, il y a une telle inertie que l’on n’arrêtera pas la dynamique menaçante de la montée des eaux.

Déménager la capitale à cause de la crise environnementale pour rebâtir sur les derniers puits de biodiversité, c’est mettre un pansement sur une jambe de bois. Il faut que les Etats discutent de transformations structurelles plutôt qu’envisager des mesures palliatives.

Par Matthieu Gourmelon, promotion 2021-2022 du M2 IESCI

Webographie :

https://www.youtube.com/watch?v=tvGeeFXPkZ0

https://www.lesechos.fr/weekend/business-story/7-pays-qui-ont-change-de-capitale-1212812

https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/2022-01-28/a-quoi-ressemble-nusantara-la-future-capitale-de-lindonesie-qui-demenage-car-jakarta-senfonce-d6cac300-457d-4785-828a-18dc46a19e1f

https://www.franceculture.fr/emissions/et-maintenant/l-indonesie-change-de-capitale-pour-raisons-climatiques

https://www.iqair.com/indonesia/jakarta

https://www.cnews.fr/monde/2022-01-19/indonesie-nusantara-la-nouvelle-capitale-du-pays-devoilee-en-images-1172581

https://www.goodplanet.info/2022/01/19/les-deputes-indonesiens-approuvent-la-construction-dune-nouvelle-capitale-nusantara/

https://www.youtube.com/watch?v=G5JoHoX5iWU

https://www.npr.org/2022/01/26/1075720551/jakarta-indonesia-sinking-into-java-sea-new-capital

https://www.youtube.com/watch?v=UMX9B2oXdpU

 

Admin M2 IESC