Nouvelle économie – nouvelles méthodes de lutte

« L’intelligence est le croisement de l’information et de la stratégie. Le prisme est large. Il va du cycle du renseignement – dont la définition « officielle » de l’intelligence économique s’est inspirée – à la manipulation de la connaissance en passant par la désinformation. Dans tous les cas, l’information est au service d’une stratégie : en amont pour définir et comprendre son environnement pertinent, prévenir les risques, détecter les opportunités…; en aval pour décider, leurrer l’adversaire, le paralyser, … », Moinet (François)

Le monde est au bord des changements de l’économie internationale. L’échange de biens, d’informations et de capitaux entre les pays augmente quotidiennement. Les entreprises nationales se transforment en d’énormes sociétés internationales, parallèlement à cela, le volume du commerce international augmente. Ainsi une mondialisation croissante des activitées et une crise du système fordiste des pays développés aboutissant au passage à une économie de la connaissance. L’économie de la connaissance est l’étape la plus élevée du développement de l’économie postindustrielle et de l’économie de l’innovation, caractérisée par la société de l’information ou bien par la société de la connaissance. Mais, également, la prochaine étape du grand développement de l’économie et de la société des pays avancés du monde. L’information est l’arme principale pour conquérir de nouveaux marchés et profits.

Si l’information peut être qualifiée « d’arme », existe-t-il une guerre de l’information ? Quelles nouvelles méthodes de lutte économique sont nées parallèlement au développement de l’économie de la connaissance ? et quels sont les déterminants contemporain de la compétitivité ?

 Pour répondre à ces questions, nous considérerons le concept de guerre de l’information et l’impact du progrès technologique sur la compétitivité des pays ;  dans la deuxième partie, nous parlerons des nouvelles tendances dans le développement stratégique de la FMN et des limitations commerciales ;  dans la troisième partie, nous examinerons les méthodes d’intelligence économique et les nouvelles formes d’interaction entre entreprises.

1. Les déterminants contemporains de la compétitivité des pays

Le développement accéléré des technologies de pointe, des réseaux de transmissions de données, la place de plus en plus grande des médias dans la vie des sociétés sont des phénomènes qu’il n’est plus possible d’ignorer car ils contribuent à modifier fondamentalement la stratégie, la politique, l’économie et le comportement humain. L’information n’est plus une seule nécessité, elle devient un élément majeur de l’art de la guerre économique : elle permet de gagner un conflit qu’il soit militaire ou économique.

La notion de guerre de l’information est valable à la fois en temps de guerre et en temps de paix. La guerre de l’information désigne l’ensemble des méthodes et actions visant à infliger un dommage à un adversaire ou à se garantir une supériorité. Les buts de la guerre de l’information peuvent être des tentatives d’établir une hégémonie sur les réseaux de connaissances (entreprises, universités, grandes écoles, centres d’études et de recherches) en jouant sur des normes macroéconomiques ; l’influence sur l’économie internationale, en mettant en œuvre des règles sur les contrats internationaux, et en utilisant les failles juridiques de l’adversaire d’évaluation du capital immatériel, ou sur les normes en général (en informatique et en télécommunication notamment) ; l’influence politique ; l’acquisition d’information (données ou connaissances) stratégique à propos dudit adversaire … Dans la guerre de l’information, l’efficacité repose sur le partage et non sur la rétention de l’information. Mais quelles sont les déterminants qui contribuent à l’augmentation de la compétitivité des pays et permettent de gagner dans la guerre économique?

Tout d’abord, c’est un niveau de développement des nouvelles technologies d’information et de communication (NTIC). Les nouvelles technologies font depuis longtemps irruption dans notre quotidien: smartphones, Internet des objets, aspirateurs robotisés, voitures avec fonctions de conduite autonome etc. Mais le développement de ces produits est devenu possible grâce à des technologies plus complexes et globales, telles que la blockchain, les équipements de reconnaissances des données, l’intelligence artificielle, les technologies de communication et les automations industrielles etc. Tout cela caractérise la révolution technologique, qui modifie les structures de l’industrie et les règles de concurrence. Les TIC ont pris une importance stratégique en affectant toutes les entreprises. Des indicateurs tels que le niveau d’investissement dans les actifs immatériels, le nombre de brevets par habitant du pays, le nombre de scientifiques, etc., déterminent le niveau de développement technologique du pays et sa capacité à introduire des innovations.

Sur le site WIPO (World intellectual property organisation) est présenté un rapport, Le Global Innovation Index, qui fournit des mesures détaillées sur les performances d’innovation de quelque 130 pays et économies du monde entier.

L’un des indicateurs du progrès scientifique est également le nombre de brevets déposés par habitant, que l’office européen des brevets (OEB) traite en Europe.

Une enquête réalisée auprès de chefs d’entreprise américaines révèlent  que 86% d’entre eux citent l’innovation comme l’un des principaux axes de croissance. Bien évidemment, le développement de la technologie est le principal avantage concurrentiel des pays et des entreprises à l’époque d’une économie du savoir très développée.

Mais il existe un autre indicateur qui prend en compte le niveau de culture, le succès de la politique étrangère d’un pays et ses valeurs politiques – Soft Power. En utilisant des outils de Soft Power, les pays peuvent influencer la perception de leur image aux yeux de leurs résidents et des résidents d’autres pays. Joseph Nye a introduit pour la première fois le concept de « Soft Power » ce qui signifie une forme de pouvoir politique, la capacité d’atteindre les résultats souhaités sur la base de la participation volontaire, de la sympathie et de l’attractivité. Pour atteindre leurs objectifs, les pays utilisent des méthodes de guerre de l’information – l’impact émotionnel des images. Pour cela, ils utilisent  les stratégies de communication, spécifiquement la communication de masse ou en utilisant les réseaux sociaux professionnels, travaillent à travers les industries de la télévision et du cinéma (cinéma indien), organisent des compétitions sportives mondiales ou même un réseau mondial de restauration rapide (McDonald’s). Dans tous les cas, il s’agit de diriger l’opinion à travers des actions de guerre psychologique, de guerre de l’image, de mise en scène et de désinformation, destinées notamment à faire adhérer l’opinion internationale à sa cause, à diaboliser l’adversaire ou à démoraliser le camp adverse. Ici, guerre de l’information est synonyme de propagande, manipulation mentale ou d’influence stratégique.

 Selon le classement du Soft power du CPD (Centre de diplomatie publique) la France prend la première place en 2019. Nous voyons également comment, au cours des quatres dernières années, Les États-Unis ont perdu leur positions en raison de la politique étrangère agressive de Donald Trump.

Nous avons examiné certains facteurs qui déterminent la compétitivité des pays en période de mondialisation et de transition vers une économie de la connaissance. Plus le niveau de développement technologique d’un pays est élevé, plus son économie est développée et donc sa compétitivité plus élevée. D’une part, les NTIC sont un indicateur de la compétitivité du pays, et d’autre part, ils favorisent la diffusion de masse (télévision, Internet, radio) et la collecte d’informations (données personnelles, publicités ciblées) dans le but de renforcer l’impact sur la conscience des consommateurs.

2. Les contradictions du développement stratégique des entreprises : RSE ou Greenwashing ?

Lors de la conférence « Perspectives stratégiques sur la consommation » du Forum économique mondial de Davos en 2019, la question du changement de comportement des consommateurs a été abordée. Dans la société moderne, la question de la responsabilité sociale des entreprises est strictement posée. Depuis 1980, le marketing social et solidaire (et économique) gagne en popularité en raison de l’inquiétude accrue des consommateurs quant à l’origine du produit et à son impact sur la société et l’environnement. Cela a servi de condition préalable au développement du marketing social, ainsi que l’insatisfaction à l’égard des conditions de travail des pays du tiers monde qui est devenu l’impulsion pour le développement de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). De nombreuses entreprises ont commencé à utiliser la RSE comme outil de marketing, plaçant les questions environnementales et la consommation responsable au cœur de la stratégie. Mais la publicité et le marketing sont sujets à de fausses déclarations; une stratégie RSE émise par une entreprise peut se révéler être un simple Greenwashing.

Le greenwashing (éco-blanchiment) est une méthode de marketing consistant à communiquer auprès du public en utilisant l’argument écologique. Le but du greenwashing étant de se donner une image éco-responsable, assez éloignée de la réalité… La pratique du greenwashing est trompeuse et peut-être assimilé à de la publicité mensongère. L’organisation Underwriters Laboratories en collaboration avec Terra Choice a conçu un appareillage de communication dans lequel elle détaille les « péchés » associés aux discours et pratiques de l’éco-blanchiment, c’est-à-dire les différentes formes que prennent les fausses réclamations environnementales corporatives. Leur analyse, produite en 2010, évalue 4 744 produits qui se prétendent « verts » et en arrive à la conclusion que plus de 95 % de ces produits sont coupables d’au moins un de ces péchés. Il s’agit des péchés de la contrepartie cachée, de l’absence de preuve, du tout-flou, de l’étiquette trompeuse,  de la fausseté, de la non-pertinence  et du moindre des maux.

Voici quelques exemples de sociétés qui abusent des politiques RSE :

  • Shell et la multiplication de ses projets de gaz de schiste dans le monde entier (2014 – le Prix Pinocchio dans la catégorie « Une pour tous, tout pour moi ») ;

 

  • IKEA – l’abattage d’arbres centenaires en Carélie (Russie) et la publication de grandes séries de catalogues et le non-respect des obligations relatives à leur traitement.

 

  • La filière nucléaire et le mythe du recyclage: seule une infime partie (à peine 1%) des « matières » produites chaque année est réellement réutilisée. Le reste s’entasse un peu partout en France.

 

Tous ces exemples sont la politique hypocrite de communication des entreprises, qui présente des signes de guerre de l’information et de substitution délibérée des faits. Mais parallèlement à la politique de liberté de communication d’entreprise, ces limites sont nées. Ce « verdissement d’image » participe directement à la désinformation des consommateurs et est donc réglementé par la loi et contrôlé par des organismes comme L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME ou Ademe, qui a publié le guide « anti-greenwashing » pour aider les entreprises à évaluer la campagne publicitaire et sa conformité à la législation environnementale ); l’ARPP (L’Autorité de régulation professionnelle de la publicité). Il apparaît également de nouvelles contraintes et formes d’organisations dans les domaines de l’environnement, de l’éthique et de la société. L’État réglemente le domaine de la protection de l’environnement en créant des commissions spéciales chargées de développer les contraintes réglementaires pour l’implantation d’infrastructures industrielles. Par exemple, la Commission mondiale pour l’environnement et le développement, déclare que le développement doit répondre aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Des contraintes éthiques sont créées dans le domaine des politiques publicitaires des entreprises (publicité mensongère, tromperie sur la marchandise), les condition des RH (les discrimination à l’embauche, dans la rémunération), de processus de production et de gestion (délit d’initié, corruption, ententes). Les Contraintes sociales sont également réglementées par la loi : donner du travail (création d’emploi, limite du licenciement, adoption de combinaisons productives ne pénalisant pas l’emploi, répartition du travail); former les salariés tout au long de leur vie, adaptation aux technologies, remises à jour des connaissances.

Avec l’avènement de nouvelles stratégies de promotion des entreprises, leurs limites apparaissent également, conçues pour contrôler les violations éthiques, sociales et environnementales. Depuis, avec l’aide des technologies de communication modernes, les entreprises peuvent abuser des informations et se substituer aux faits. Il existe une frontière fine entre les politiques de consommation responsable et le Greenwashing.

3. La nouvelle économie engendre de nouvelles stratégies

Une mondialisation croissante des activités, modification de l’échelle du temps et de l’espace grâce aux TIC, le développement des produits immatériels aboutissent au passage à une économie de la connaissance. La nouvelle économie développe de nouvelles méthodes de gestion de l’information et de nouvelles stratégies concurrentielles.

L’intelligence économique peut être définie comme « une nouvelle méthodologie fondée sur la collecte, l’analyse et l’utilisation des informations visant à augmenter l’efficacité des agents économiques (Baulant, 2004, 2017). Méthodologie de de l’intelligence économique comme mode de pensée et mode d’action inclut :

  1. La veille consiste à collecter des informations stratégiques pour permettre d’anticiper les évolutions et les innovations. Selon l’Afnor, la veille est une « activité continue en grande partie itérative visant à une surveillance active de l’environnement technologique, commercial, concurrentiel, etc., pour en anticiper les évolutions ».
  2. L’Analyse prospective consiste à se projeter dans le temps long, celui des transformations (des règles du jeu, transformation des stratégies et des organisations) ; c’est une méthode  pour imaginer les différents modes possibles dans lesquels les organisations agiront et d’anticiper les transformations à venir, de mettre en évidence de nouvelles règles du jeu, de nouveaux espaces d’innovation, des nouvelles capacités d’action.
  3. Les actions stratégiques à long et court terme qui incluent la construction des «avantages concurrentiels» soutenable à long terme (le «losange» de Porter, 1997, 1999).
  4. L’accompagnement de l’action stratégique consiste de la protection du patrimoine immatériel, les réseaux et l’influence et le lobbying.
  5. Retour d’expérience: Echange de pratique et de savoirs, audit d’intelligence économique et auto évaluation, études d’impact, rétro veille sur le processus.

Il existe également d’autres moyens d’augmenter la compétitivité. Selon François Jakobiak, le benchmarketing est un processus continu d’évaluation des produits, services et méthodes par rapport à ceux des concurrents les plus sérieux ou des entreprises reconnues comme leaders. Le benchmarketing intègre non seulement l’analyse des produits et services, mais aussi les méthodes pour obtenir des avantages concurrentiels ; il peut être considéré comme étant avant tout un processus de fixation d’objectifs.

Toutes ces méthodes sont basées sur la collecte, le traitement et l’analyse approfondie des informations. En mettant en œuvre ces méthodes, il est possible d’atteindre un niveau élevé de compétitivité informationnelle. La compétitivité informationnelle est fondée sur la maîtrise des information et des connaissances en utilisant trois outils absents de la compétitivité hors prix : la protection de patrimoine immatériel, les réseaux, l’influence et le lobbying.

La capacité organisationnelle de l’entreprise à travailler en réseau et à gérer des réseaux d’influences donne lieu à de nouvelles stratégies. Le concept de «coopétition» est apparu grâce à une synthèse du «partage des connaissances» et de la «guerre économique». C’est un nouveau type de stratégie, qui comprend le processus de la coopération (s’effectue sur certains segments et par les réseaux) et le processus de la concurrence réalise sur d’autres segments. Un exemple d’une telle interaction peut être l’intégration des entreprises agricoles en Pays de la Loire pour accroître la compétitivité de la région, le projet de la « 3ème révolution industrielle et agricole » (TRIA). Le pari de projet est de rassembler tous les acteurs (entreprises, institutions, projets..) vers la TRIA. Cette synergie permettra aux Pays de la Loire de devenir un territoire leader dans la conception et la mise en œuvre de solutions innovantes. Cette collaboration a été initiée par le réseau des trois chambres consulaires régionales (Chambres de commerce et d’industrie, Chambre d’artisanat et des métiers, Chambres d’agriculture).

L’application de la méthodologie de l’intelligence économique dans la pratique contribue au développement de nouveaux modes d’interaction entre les acteurs d’un même marché. Cette interaction est en mesure de créer un avantage concurrentiel et une situation de «Win-Win» pour tous les participants qui se considéraient auparavant comme des concurrents.

Conclusion

La nouvelle économie contribue au développement de nouvelles méthodes de lutte économique, où les méthodes de guerre de l’information peuvent être un moyen de réussir financièrement des entreprises ou des pays. Selon celui qui l’emploie et suivant le contexte, l’expression « guerre de l’information » peut désigner aussi bien à l’espionnage industriel  dont le rôle du point de vue de l’intelligence économique assure le veille technologique. Le progrès scientifique contribue au développement de technologies pouvant être utilisées contre la société. Dans le cadre des politiques RSE, les entreprises peuvent procéder à un Greenwashing. À l’heure de la mondialisation et d’une nouvelle économie les discontinuités entre droite et gauche, public et privé, ennemi et ami, coopération et compétition disparaissent. Pour le dire autrement, pendant que la guerre économique mobilise une composante de plus en plus importante d’information et de communication l’économie dite de l’information devient de plus en plus conflictuelle.

Par Alisa Zhukova, promotion 2020-2021 du M2 IESCI

Bibliographie

  • Baulant Camille « Specialisation et échanges internationaux : les apports des nouvelles théories de commerce international » (exposé pour les professeurs), 2008
  • Jakobiak François « L’intelligence économique en prtique », 1998
  • Guilhon Alice, Moinet Nicolas « Intelligencr économique. S’informer, se proteger, influencer », 2016
  • Les principes de la guerre d’information, 2001

https://infoguerre.fr/2001/11/les-principes-de-la-guerre-de-l-information/

  • Moinet Nicolas « L’intelligence économique, nerf de la guerre économique », 2019

https://www.areion24.news/2019/02/15/lintelligence-economique-nerf-de-la-guerre-economique/

https://www.futura-sciences.com/sciences/questions-reponses/inventions-brevets-sont-pays-secteurs-plus-innovants-11052/

 

Admin M2 IESC