Depuis son apparition en 2009, la plateforme Ubercab n’a pas cessée de susciter des polémiques et des débats sur sa vraie nature au sens économique et son impact sur la société. Le modèle économique de ces startups est très différent du modèle traditionnel dans lequel une entreprise, faisant partie d’une chaine hautement désintégrée verticalement, vend un bien ou un service à un consommateur. L’arrivée de ces nouveaux acteurs sur le marché des services suscite beaucoup d’interrogations. On est tenté de l’évaluer, d’en mesurer son ampleur et d’en déterminer les menaces ou les opportunités.
Ubérisation : ce néologisme à la mode….
L’ubérisation est un terme apparu en 2014, mais ce n’est qu’en 2017 que le verbe « uberiser » fera son apparition dans le dictionnaire français le « Petit Robert ». Le terme Uberisation est issu d’UBER, une start-up californienne. UBER est une plateforme qui via son application numérique met en relation des particuliers qui souhaitent se déplacer et des chauffeurs. L’essor du numérique et la généralisation des smartphones ont engendré de nouveaux types d’entreprises pourvoyeuses de service qui ont totalement révolutionné la sphère économique traditionnelle. Elles utilisent le digital comme support et vecteur pour redynamiser et démocratiser l’économie de partage ou collaborative. « L’ubérisation peut être définie comme un phénomène récent dans le domaine de l’économie consistant à l’utilisation de services permettant aux professionnels et aux clients de se mettre en contact direct, de manière quasi instantanée, grâce à l’utilisation des nouvelles technologies. » (Wikipédia). Le schéma classique de fonctionnement de l’uberisation est composé de trois acteurs : le prestataire de service qui veut se dégager une marge économique, la start-up à qui appartient la plateforme et qui se paye une commission sur les transactions et le consommateur qui cherchent un bon rapport qualité/prix.
En moins de cinq ans, le phénomène s’est amplifié et s’étend à de nombreux secteurs allant de la restauration avec UBEREAT à l’hôtellerie avec AIRBNB en passant par la location de voiture (DRIVY).
Les transformations résultantes de la société hyper connectée dans laquelle nous vivons aujourd’hui se ressentent dans notre modèle de consommation et nos modes de vie. Comme on dit, une révolution peut en entrainer une autre. Si le numérique propose une nouvelle conception des temporalités, il a également permis à la société de se défaire de la contrainte spatiale et a influencé les comportements et les mentalités de ces derniers. Comme la révolution industrielle, la révolution du numérique a engendré une redéfinition des enjeux socio-économique. Avec un phénomène récent qu’on qualifie d’ubérisation. Ce phénomène qui n’est rien d’autre que la résultante de la révolution numérique combinée avec de nouveaux modes de consommation et de travail suscite de nombreux débats. Il soulève de réelles questions quant à l’avenir du système socioéconomique que nous connaissons actuellement. Pourtant récent, ce phénomène semble déjà sonner la révolution d’un système trop « traditionnel ».
……Un booster de l’économie ou du moins de l’économie collaborative ?
L’économie collaborative, appelée parfois abusivement « ubérisation de l’économie », regroupe des modèles économiques émergents qui mettent en œuvre des particuliers ou des professionnels indépendants, en dehors des filières classiques. Le système de fonctionnement de ce modèle repose sur le partage. Son principe de base est assez simple : c’est de mettre directement en relation deux particuliers sans l’intermédiaire d’une entreprise en favorisant le don ; le partage, la location, l’échange le tout par le biais de plateformes numériques (par exemple : le bon coin, blablacar, airbnb…). L’arrivée de cette nouvelle forme d’économie qui s’est développée grâce aux innovations technologiques a fait sauter ou réduit le rôle d’un maillon de la chaine de l’économie de service et a fait apparaitre un autre profil d’acteur.
L’arrivée de ces nouveaux acteurs a apporté un nouveau souffle à l’économie collaborative. En se plaçant comme pourvoyeur de service et en court-circuitant les intermédiaires de l’offre et de la demande, ils ont développé un modèle d’économie de partage. Ces nouveaux acteurs de l’économie concurrencent les acteurs traditionnels en apportant une compétitivité à tous les stades de la prestation du service (prix, qualité, relationnelle, etc.). Pour les défenseurs de ce nouveau modèle, l’ubérisation a permis aux différents secteurs auxquels elle s’est attaquée de gagner en qualité de prestation et d’innovation pour améliorer les offres. Ce qui est bénéfique pour le consommateur qui aura accès à des services de meilleure qualité à des prix bas.
D’aucuns clament que l’ubérisation de la société est une réponse à plusieurs attentes de la société. Dans la société actuelle, les gens ne cherchent plus forcément à posséder, mais ils veulent juste pouvoir satisfaire leurs attentes dans les plus brefs délais possible et sans excéder la durée d’utilisation nécessaire. C’est-à-dire qu’ils préfèrent avoir accès aux produits désirés via la location ou le copartage que d’en être le possesseur ceux à quoi les plateformes « Uber » ont su répondre. Avec ce nouveau modèle économique, l’impatience du consommateur est comblée.
Cependant certains chercheurs émettent des réserves quant au parallélisme entre ces nouvelles formes économiques du numérique et l’économie de partage. Pour ces penseurs l’économie collaborative n’est pas un synonyme de l’économie numérique ou de l’économie des plateformes. Pour eux, l’activité d’Uber ne pas être qualifiée d’économie de partage. M. Arthur De Grave, spécialiste de l’économie collaborative, pense que « l’économie collaborative » est devenue progressivement un refuge lexical pour un grand nombre de pratiques qui n’en relève pas. En fait, ce n’est pas un secteur, c’est juste une façon différente d’organiser le travail. En regardant les choses avec un peu de cynisme, on pourrait le définir comme un mode de production de valeur qui ne passe pas par l’organisation du travail salarié ; ce qui peut être bien ou mal.
Un autre reproche que font les détracteurs de ce phénomène est qu’ils considèrent l’ubérisation comme une sorte de concurrence déloyale ou faussée. N’étant pas soumis aux mêmes charges et régimes que les entreprises traditionnelles, ces nouvelles start-ups du numérique bénéfice d’une marge de manœuvre plus grande leur permettant d’afficher des prix très compétitifs. Ainsi ces derniers fustigent le manque de législation pour encadrer ce nouveau modèle économique.
…… avec un nouveau type de travailleur et d’emploi
Le statut de travailleur indépendant s’est très largement répandu avec l’ubérisation. Grâce à ce modèle, il est possible à tout un chacun de se lancer comme prestataire de service et de se défaire du salariat. Ce modèle peut être à la fois bien vu par les personnes cherchant des revenus complémentaires et mal vu par les salariés des entreprises traditionnelles. L’ubérisation offre une certaine flexibilité pour le travailleur. Ce dernier a la possibilité de moduler leur temps de travail et leurs lieux de travail. Le statut des travailleurs de ce modèle économique peut être assez précaire. N’ayant plus les contraintes du salariat, les travailleurs affiliés au modèle Uber perdent aussi les avantages que procure le salariat.
Avec l’ubérisation un nouveau profil de travailleur est né : les « slashers ». Le terme anglophone slasher désigne les travailleurs qui n’ont pas d’employeur fixe, mais sont des contractuels avec plusieurs employés. Le risque avec ces slashers est qu’ils n’ont pas de statut reconnu et donc pas de garanties salariales ni de cotisation retraite. Autrement dit, contrairement au « travail traditionnel » qui procure un statut, une certaine garantie sociale, et une reconnaissance via le Code du travail, les prestataires des plateformes numériques ne bénéficient pas de ces avantages. Le risque est totalement porté par le travailleur. Le risque élevé de précarité que comporte ce modèle économique est source de polémique.
Les polémiques sociales sur l’uberisation
L’ubérisation est-elle une menace pour notre société ? En plus d’être accusé d’altérer la structure de l’économie et d’exposer les entreprises traditionnelles à d’une concurrence déloyale, l’ubérisation est accusée d’être une source de précarité. Basés sur une conception assez souple du droit du travail, les prestataires de ces plateformes ne sont pas couverts par le droit du travail, car ils n’ont signé aucun contrat de travail avec ces plateformes. Ce qui les prive de tout accès à l’assurance chômage et à une couverture sociale en cas d’accident durant leurs activités. Ceux d’entre eux qui souhaitent être protégés doivent cotiser au régime social des travailleurs indépendants et aussi à celui du régime d’assurance vieillesse volontairement s’ils souhaitent obtenir une retraite. Ces travailleurs ont donc du mal à accéder aux prestations sociales.
Le caractère non permanent de ces emplois représente un fort risque pour le système social français qui lutte contre la précarité et le chômage. Avec ce système économique, le travailleur indépendant peut se voir imposer une baisse du prix de sa prestation, de se faire virer de plateforme lorsqu’il ne satisfait pas les exigences, et cela sans préavis ni indemnité, car il n’y a pas de convention qui le lie à la plateforme. Et si les travailleurs se révoltent à cause de leur précarité, d’autres personnes seront toujours prêtes à les remplacer. « L’Ubérisation » de l’économie se caractérise par une déréglementation sauvage des professions et des secteurs ainsi que par un contournement frauduleux et généralisé des règles fiscales et sociales. Elle provoque une disparition rapide des droits des travailleurs·euse·s, par le recours massif à l’auto-entrepreneuriat.
Conclusion
L’essor des NTIC a favorisé l’émergence d’un nouveau modèle d’économie avec une multiplication des acteurs et des sociétés du relationnel. Ce modèle permet aux individus d’agir en tant qu’entrepreneurs en échangeant sur des marchés en ligne (sur Internet). Ces marchés, ou plateformes, sont contrôlés par des startups comme Uber, Airbnb, Lyft, Etsy, etc. qui récupèrent, dans la plupart des cas, un pourcentage du montant de la transaction. Ces plateformes apparaissent souvent dans des marchés existants et bouleversent rapidement les rapports de force entre elles-mêmes et les entreprises établies au moyen de leur modèle économique innovateur qui est à l’origine d’une concurrence très asymétrique.
Par Khady Diagne, promotion 2017-2018 du M2 IESCI
Sources
Renan Lechien Louis Tinel « Uberisation : définition, impacts et perspectives » http://www.ipdigit.eu/wp-content/uploads/2016/09/TFE_Renan_Lechien_et_Louis_Tinel.pdf
IUT de Saint-Etienne – Département GACO « Projet tutore de première année « uberisation de la société, quels enjeux socioéconomiques ? » https://www.uberisation.org/sites/default/files/dossier_ptut.pdf
http://www.igas.gouv.fr/IMG/pdf/2015-121R.pdf
Géraldine Russell http://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2015/11/09/32001-20151109ARTFIG00210-ce-que-cache-exactement-le-nouveau-mot-uberisation.php
Alternative à l’urbanisation :https://avenirencommun.fr/app/uploads/2016/12/Livret-JLM-Uberisation_vdef.pdf
L’observatoire de l’ubérisation https://www.uberisation.org/fr/portfolio/luberisation-de-la-soci%C3%A9t%C3%A9-d%C3%A9finition