L’action stratégique est un des piliers de l’intelligence économique au service du développement économique des entreprises. La stratégie était déjà au départ un concept militaire ancien apparu dès la Chine ancienne. Un général chinois du VIe siècle av. J.-C. siècle, Sun Tzu, conseillait de déjouer les plans de l’ennemi par l’information pour gagner une bataille (L’art de la Guerre, VIe siècle av. J.-C.). Cependant, le militaire l’a distinguée de la tactique. La stratégie est un plan planifié sur le long terme pour battre ses adversaires alors que la tactique est au service de la stratégie sur le court terme. Ainsi, la stratégie demande une phase de réflexion pour construire un plan et la tactique doit adapter le plan au contexte. Aujourd’hui dans notre contexte de guerre économique, la tactique serait la gestion opérationnelle dans les structures des entreprises pour atteindre les objectifs du plan stratégique décidés par la direction. L’entreprise est une organisation, un groupement humain. Elle évolue sur un marché d’offre et de demande et fonctionne sur la base de nombreuses interactions avec d’autres acteurs : fournisseurs, clients, concurrents, État.
Cependant, quelle est l’intérêt pour les entreprises de mettre en place un plan stratégique ? Du domaine militaire au domaine de l’économie, l’intelligence économique s’inspire du renseignement militaire et de ses plans stratégiques afin de gagner la guerre économique.
Cet article s’articulera en 3 parties pour répondre à cette problématique. Ainsi, dans un contexte d’économie de la connaissance, l’information doit apporter un avantage concurrentiel (Michael E.Porter). Puis je présenterais quelques outils utiles à la prise de décision stratégique pour se positionner sur le marché par rapport à la concurrence enfin l’Etat doit être un appui dans le processus de patriotisme économique pour soutenir les plans stratégiques.
Dans un contexte d’économie de la connaissance, l’information doit apporter un avantage concurrentiel
Au XXème siècle, les entreprises produisaient en masse, seuls les coûts de production bas apportaient des avantages prix aux entreprises. Puis la recherche d’avantages hors prix avec la différenciation de Krugman devient la nouvelle stratégie. Les entreprises se distinguent sur le marché en offrant des biens innovants par rapport à ceux de la concurrence avec un prix élevé. Les entreprises investissent dans la recherche et le développement pour l’innovation de nouveaux produits en entrant en «coopétition» avec des concurrents pour partager des savoirs. Le marketing rentre aussi dans sa période faste pour cibler les clients potentiels qui seraient intéressés par l’offre et fidéliser les clients. La question première qui se pose aux entreprises est donc «comment gagner de l’argent ?», c’est le business plan.
Avec les nouvelles technologies de l’information et de la communication, la mobilité des informations s’accélère avec la mobilité des biens et des services. Elle sera d’autant plus importante avec la libéralisation du commerce international. L’information devient stratégique dans la compétitivité des entreprises. La règle d’or, donnée par Michael E. Potter, économiste à Havard Business School, est de «donner la bonne information à la bonne personne, au bon moment, pour prendre la bonne décision». Ce fut dès ce passage à une économie de la connaissance que les acteurs économiques devaient être capables d’anticiper les tendances, de détenir les informations pour analyser, traiter ces informations en connaissances utiles à la prise de décisions stratégiques.
L’environnement des entreprises va être en perpétuel changement avec la circulation plus rapide des informations grâce aux nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). Pour pouvoir survivre, les entreprises doivent être donc en proaction pour détecter les signaux faibles, réagir et lier efficacité, rapidité, et innovation pour pouvoir survivre. Pour Michael Porter, l’information doit conférer un avantage concurrentiel. Pour autant, les informations ne doivent pas se limiter qu’à l’informatique. La technologie de l’information inclue les équipements de reconnaissance des données, les technologies des communications, l’automation industrielle et d’autres matériels ou services. Cette révolution de l’information affecte la concurrence sur trois points : Sur le marché, la structure des industries est modifiée et donc aussi les règles de la concurrence. Elle crée des avantages concurrentiels en apportant aux entreprises de nouvelles manières de faire les choses. Enfin, des entreprises peuvent se créer nouvellement et sont souvent issues d’activités existantes. La technologie de l’information a pris une importance stratégique et affecte toutes les entreprises. Pour mettre en évidence le rôle stratégique de la technologie de l’information, le concept à prendre en compte est celui de la chaîne de valeur.
La chaîne de valeur est un ensemble d’activités de l’entreprise qui ajoutent de la valeur pour ses produits ou services. La valeur créée se mesure avec le prix que les clients sont prêts à payer pour ses services et ses produits. Les activités de l’entreprise se divisent en deux grandes familles, les activités principales et les activités de soutien qui doivent aboutir à la valeur totale de l’entreprise. La marge représente la valeur ajoutée. Pour simplifier la description de l’ensemble de la chaîne de valeur, les activités principales sont composées par la logistique interne, la logistique externe, la production, les ventes et le marketing puis les services.
Les activités de soutien sont composées de l’approvisionnement, du développement technologique et de la R&D, de la gestion des Ressources Humaines (GRH), et de l’infrastructure de l’entreprise. Pour obtenir un avantage concurrentiel, l’entreprise doit faire des arbitrages de coûts et de différenciation sur toutes ces activités.
Les liens entre les activités exigent également une coordination entre celles-ci. Il faut une bonne coordination des activités pour livrer dans les délais. Par la suite le produit d’une entreprise qui a été livré alimente la chaîne de valeur de ses acheteurs qui eux-mêmes l’utilisent pour leurs propres activités. Tous ces flux d’activités représentent le « système de valeur » qui intègre la valeur amont, la valeur de l’entreprise et la valeur aval. Ainsi, une gestion habile des liens entre les activités de la chaîne de valeur d’une entreprise et une optimisation et coordination des différentes chaînes de valeur du « système de valeur » deviennent des sources de création d’avantages concurrentiels, élément fondamental qui différencie l’offre des entreprises par rapport à ses concurrents et qui constitue donc sa puissance de différenciation idéalement non imitables. Ors au fil du progrès des technologies de l’information, celles-ci ont transformé la chaîne de valeur. C’est ainsi que les effets de la technologie de l’information affectent la composante du traitement de l’information pour capter, traiter et acheminer les données nécessaires aux activités et diffère des autres technologies de la concurrence, ce qui lui confère une caractéristique stratégique.
Aujourd’hui, la technologie de l’information se diffuse sur toute la chaîne de valeur. Elle abaisse les coûts (documents et personnels remplacés par des logiciels de gestion sur les processus de production), elle renforce la différenciation (aptitude des entreprises à se différencier avec l’intégration de systèmes d’information). Enfin, elle transforme le champ concurrentiel (ouverture d’un plus vaste champ géographique avec coordination des activités au niveau régional, national et international). Dans un contexte de circulation de l’information à grande échelle, ces technologies sont donc des sources d’avantages concurrentiels mais les entreprises se heurtent à un problème de surinformations qu’il faudra gérer avec un management adapté à la gestion de l’information.
Les outils au service de la stratégie
Dans un contexte devenu hyper concurrentiel, la concurrence entre les firmes est tellement importante qu’il est nécessaire que chaque entreprise ait un niveau de productivité et une excellente réactivité. Il est nécessaire de consacrer beaucoup de temps à la réflexion stratégique et à la « prospective » pour la stratégie de l’entreprise, choix fondamentaux qui engagent totalement, dans le long terme, son avenir. Mais la réflexion prospective n’est pas suffisante pour élaborer une stratégie, ce sont deux disciplines différentes. Des techniques particulières existent pour élaborer un plan stratégique. D’ailleurs, toute démarche d’analyse stratégique démarre tout naturellement par un « audit de stratégie » notamment sur les domaines d’activités stratégiques (ensemble de produits qui partagent les mêmes ressources et affrontent les mêmes concurrents). Des outils d’aide à la stratégie existent pour l’entreprise qui souhaite connaître son positionnement.
Les 5 forces de Porter et PESTEL
Ce modèle des 5 forces, ou menaces, aide l’entreprise à se situer par rapport à la concurrence (simulation d’une situation de concurrence). Il se concentre sur un seul domaine d’activité stratégique ou DAS. Ces segmentations stratégiques présentent les mêmes facteurs clés de succès à l’origine de la création de valeur. Le modèle PESTEL (Political, Economic, Social, Technology, Environement, Legal) a des similitudes avec le modèle des 5 forces, cet outil sert à évaluer les facteurs d’influence du macro-environnement et doit être réalisé pour établir une stratégie.
La matrice SWOT
Abréviation de Strengths (Forces), Weaknesses (Faiblesses), Opportunities (Opportunités) et Threaths (Menaces) c’est un outil d’audit et d’analyse de l’entreprise et de son environnement concurrentiel. Cette matrice est généralement utilisée en parallèle du modèle des 5 forces de Porter et de PESTEL. Elle détermine les facteurs internes (Forces et Faiblesses) et externes (Opportunités et Menaces) de l’entreprise. Celle-ci doit être un guide avec l’entreprise toujours analysée par rapport à la concurrence.
La matrice McKinsey
C’est une matrice qui a été développé dans les années 1970 dans les cabinets McKinsey. Elle est aussi connue comme la matrice General Electric et a été au départ conçue pour analyser les domaines d’activité stratégiques (DAS) de ce dernier. Cet outil est plus élaboré que la matrice BCG et essentiellement utile à l’analyse du portefeuille des DAS. Il est utilisé pour définir les domaines d’activités stratégiques qui nécessitent plus ou moins d’investissements, pour développer une stratégie de croissance, d’activités, de nouveaux produits sur des marchés attractifs et déduire quelles activités ne sont plus maintenues. Elle a l’avantage d’être adaptée à plusieurs contextes et à différents profils d’entreprises.
Ces 4 outils d’audit des entreprises sont aussi susceptibles d’élaborer des stratégies marketing. Le marketing est une aide à la décision pour donner de la valeur à son offre par rapport à la clientèle.
La veille informationnelle
Outil de l’Intelligence économique, la veille découle de la prise de conscience qu’il faut maîtriser les flux d’informations, d’une nécessité de mettre en place une nouvelle forme de gestion de l’information tournée vers des notions de qualité et non plus de quantité.
La veille doit avoir un rôle de détection car la connaissance du monde extérieur devient une priorité pour l’entreprise. Ainsi, cette “surveillance” est indispensable à notre époque où l’information est de plus en plus importante. La veille a en tout 8 champs (sociétale, sectorielle, concurrentielle, commerciale, fournisseurs, image, technologique). Plus précisément, elle a pour objectif de découvrir les menaces des concurrents, d’être réactive, d’éviter les effets de surprise et de trouver de nouvelles possibilités industrielles et commerciales. Elle se compose de plusieurs étapes dont la collecte, le traitement, le stockage des informations et des signaux pertinents qui orienteront les décisions des entreprises.
Le rôle des États dans les plans stratégiques des entreprises
L’action stratégique est un pilier de l’intelligence économique qui doit être non seulement une affaire des entreprises mais aussi une affaire d’Etat. Le rapport Carayon de 2003 a ainsi souligné que l’intelligence économique doit s’accompagner de politiques publiques : «Le sens de l’intérêt collectif est l’un des meilleurs atouts d’une politique d’intelligence économique réussie». Pour accompagner les entreprises, l’Etat doit sensibiliser et enseigner l’intelligence économique pour favoriser l’innovation auprès de celles-ci avec une maîtrise des nouvelles technologies de l’information et de la communication. L’Etat peut aussi rapporter des cas de politiques d’intelligence économique à l’étranger comme nouvelles sources de créations.
La France connaît, quant à elle, un véritable retard sur ce sujet. L’information stratégique reste trop souvent confinée dans les directions et administrations alors qu’elle devrait être gérée collectivement (comme c’est le cas aux Etats-Unis, au Japon et en Allemagne). S’ajoute à cela le manque de lois sur la sûreté (secret des affaires) des entreprises ce qui en font des proies faciles pour les investisseurs étrangers qui les rachètent. D’autres menaces contemporaines sont néanmoins préoccupantes et pèsent sur toutes les organisations privées telles que les cyberattaques et les vols d’informations stratégiques. Le tissu entrepreneurial français est tout d’abord composé de 3 Millions de PME et PMI. Autant d’entreprises qui portent 10 Millions d’emplois. Contrairement aux grands groupes internationaux qui sont très bien informés sur ces questions de stratégies et de sécurité, L’Etat «stratège» se doit de donner aux entreprises les moyens de lutter à armes égales surtout aux PME qui sont le moteur de l’innovation mais n’ont pas les moyens d’assurer une politique d’intelligence économique. La protection de la sécurité publique et la sécurité économique doivent être pris en compte au même titre que la défense nationale. D’autres menaces contemporaines sont néanmoins préoccupantes et pèsent sur toutes les organisations privées telles que les cyberattaques et les vols d’informations stratégiques. L’intelligence économique n’a pas toujours été perçue par les dirigeants comme un élément déterminant de la stratégie d’organisation. Pourtant c’est celle-ci qui doit permettre d’anticiper et de concevoir et contribuer à l’exécution du plan stratégique (via les actions de communication d’influence, de lobbying et de guerre de l’information) afin de favoriser la protection et la pérennité des entreprises dans un contexte de forte concurrence internationale.
Conclusion
Aujourd’hui, l’économie est une économie de l’information. L’ère de l’économie n’est plus fondée sur l’argent mais la maîtrise de l’information pour gagner en compétitivité. L’information est la nouvelle matière brute devenu stratégique disponible en quantité avec les technologies de l’information et de la communication dans les chaînes de valeur des entités économiques. C’est l’avantage concurrentiel qui procure un positionnement sur le marché différent par rapport à la concurrence avec un management de gestion de l’information afin de collecter la bonne information au bon moment et à la bonne personne. Le contexte hyperconcurrentiel doit obliger les entreprises à mettre en place des plans stratégiques pour pouvoir innover.
Les outils d’aides à la décision mis à disposition lors d’audits stratégiques représentent des moyens efficaces de les faire. Et, face aux menaces des investisseurs étrangers, cyberattaques, vols stratégiques qui pèsent sur les entreprises nationales, le soutien stratégique de l’Etat doit être décisif et se concrétiser par des relations institutions publiques – dirigeants fortes et des réglementations en faveur de la sûreté.
Par Alice Martinet, master 2 IESC promotion 2016-2017
Sources
“La concurrence selon Porter”, Michael Porter, édition village mondial, 1999
“L’audit de stratégie”, Claude Sicard, édition Dunod, 1994
“L’intelligence économique et la veille stratégique ou la valeur ajoutée de l’information”, dossier master 2 ICD-mention GIDE, Dorothée Leveugle, Anne Laure Sautreau, 2008
“Dossier spéciale intelligence économique L’intérêt de mettre en place une stratégie d’Intelligence Economique en entreprise”, Secem Magazine, janvier-mars 2016
http://www.e-marketing.fr/Thematique/academie-1078/fiche-outils-10154/matrice-McKinsey-307674.htm#sYjRCqOVcerDeAOm.97