DES CONNEXIONS HISTORIQUES ENTRE LE SPORT ET LES MÉDIAS
En Europe, le sport a dès les années 30 été un enjeu et un outil d’influence lorsqu’il a servi de support à l’expansion de l’idéologie nazie lors des jeux olympiques de 1936, notamment sous la houlette de Goebbels. Le destin des médias et du sport étaient déjà à cette époque liés à servir des intérêts politiques.
Pourquoi le sport rentre-t-il dans le champ du lobbying ? Pour cela, commençons par nous demander ce qu’est le lobbying et par quel processus il est possible d’être influent. Il faut être capable de bien savoir communiquer, ce qui semble être le propre des journalistes qui représentent ces médias, mais également de choisir les bons contacts en se servant de la notoriété du média ou du journaliste. On peut alors considérer que la scène médiatique est propice au lobbying. De la même façon, il faut être capable d’intervenir dans le bon timing et là encore, on est dans le quotidien de n’importe quelle presse, avec des acteurs formés pour sortir une information à un moment donné pour être entendu.
Nous verrons que le monde du football est celui qui est le plus imprégné de cette culture lobbyiste notamment depuis que le marché des transferts s’est mondialisé. Le sport est devenu un business, et, comme dans tous les autres champs de l’économie aujourd’hui, il faut être puissant pour exister économiquement et sportivement.
On peut prendre l’exemple de la sortie du reportage sur Canal + sur Karim Benzema qui est intervenue au moment où le principal attaquant de l’équipe de France, Olivier Giroud, vivait des moments difficiles sportivement dans son club d’Arsenal. Karim Djaziri, l’agent de Karim Benzema a saisi l’opportunité en réunissant de nombreux journalistes et anciennes gloires du football pour relancer le débat de la possible sélection de Benzema en équipe de France. Un débat qui est survenu à la suite de l’affaire de la Sextape et qui semble revenir constamment depuis quelques mois sur la scène médiatique, et cela risque de s’intensifier quand on sait que nous sommes à sept mois de la coupe du monde de Football. L’intérêt pour le média en question se trouvait dans les audiences puisque le joueur est une star du football, mais divise aussi l’opinion publique, son cas est souvent associé à des débats de société comme le racisme par exemple. Le sujet touche ainsi beaucoup de personnes, les sportifs et les autres… il y a là donc une réelle concomitance des intérêts entre le sport et les médias. On peut aussi noter que les médias sont le parfait « tiers » auxquels on peut faire appel pour pratiquer le lobbying puisqu’ils sont des leaders d’opinions, et les joueurs ainsi que les agents l’ont bien compris. L’interdépendance tient donc sa racine dans les intérêts croisés qu’ont les médias et l’industrie qu’est devenue le sport.
Les médias ont donc intérêt à « starifier » certains athlètes dans des sports plus médiatisés tels que le football, le tennis ou le cyclisme afin de fidéliser les fans dès lors qu’ils vont traiter de l’actualité de ces champions. D’un autre côté, l’intérêt du sportif est de se servir des médias pour être visible, gagner en notoriété mais aussi d’un point de vue financier. Il s’agit d’un cercle vertueux entre les sportifs et les médias mais qui peut très vite devenir un cercle vicieux du point de vue de l’éthique par exemple. Mais dans tous les cas, que l’on parle en bien ou en mal de certains sportifs, cela sert l’audience des médias. Ainsi lorsque les médias poussent les sportifs à sublimer leurs performances, ces derniers peuvent être tentés d’avoir recours au dopage dans un cas extrême mais là encore, les cas de dopage servent les médias dans leur buzz. On peut alors se questionner sur la légitimité de certaines affaires de dopage. Dernièrement, le fulgurant grimpeur Christopher Froome, multiple vainqueur du tour de France est suspecté d’avoir eu recours au dopage. Et malgré le fait que l’on ne soit qu’au début de l’enquête, l’affaire fait déjà le buzz dans les médias. Le système peut donc se retourner contre ces sportifs et nuire à leur image. Ces stars qui sont nées hier, grâce au relais des médias en partie, ont pour certaines aujourd’hui payé les pots cassés de leur médiatisation puisque même une affaire nuisant à leur image est aujourd’hui une aubaine pour chaque média. Karim Benzema l’a vécu avec la sur-médiatisation de « l’affaire de la sextape » qui a occupé la scène médiatique dans une proportion démesurée lorsqu’on sait qu’elle relevait d’un caractère privé. Les performances sportives de l’attaquant français, bien qu’excellentes sont alors passées au second plan au profit d’une affaire qui a fait beaucoup parlé, et même certains politiques s’en sont mêlés.
Le rôle des réseaux sociaux
Nous avons précédemment vu que l’interdépendance média-sport s’est effectuée en parallèle de l’évolution des supports médiatiques disponibles. Certains restent un outil de communication favorisé, tandis que d’autres sont depuis quelques années en pleine expansion. Jadis les journaux et la radio principalement, c’est aujourd’hui avec la télévision et surtout les réseaux sociaux que les acteurs du monde sportif communiquent, et plus particulièrement Twitter, qui est aujourd’hui un outil d’influence exceptionnel pour les acteurs du monde sportif et les journalistes. C’est désormais très facile de communiquer ou réagir à une information rapidement et souvent à chaud pour certains, ce qui peut être aussi un désavantage. On peut prendre l’exemple d’un des présidents les plus influents du sport du football, il s’agit de Jean-Michel Aulas. Le président de l’Olympique Lyonnais est un habitué de la communication sur Twitter. Dernièrement, il a utilisé le réseau social pour mettre selon certains une pression sur les arbitres du championnat. Effectivement, le 17 décembre dernier, à la suite d’une erreur de la Goal-Line Technologie lors du match de Ligue 1 entre Troyes et Amiens, Jean-Michel Aulas avait twitté « Bravo à ce très jeune arbitre François Letexier qui a sauvé le match grâce à son expertise et sa communication : bravo et Merci », ce jeune arbitre n’était autre que celui du prochain match de championnat entre le Toulouse FC et… l’Olympique Lyonnais.
D’un point de vue stratégique et dans le déploiement des ressources des clubs, on peut constater la prise de conscience de l’importance des réseaux sociaux pour mener une bonne stratégie d’influence. On voit aussi cela à travers le développement du community management à l’intérieur des clubs. Le moindre tweet peut avoir de profondes retombées dans les médias car de nombreuses émissions sportives conçoivent leurs débats en partant de tel ou tel tweet.
On a pu observer cela en novembre dernier notamment lorsque le community manager du FC Nantes avait répondu à une critique du journaliste et ancien sélectionneur de l’équipe de France de football Raymond Domenech. Ici le community manager de Nantes avait utilisé l’humour contre un ancien sélectionneur peu populaire en France pour contrer une remarque de ce dernier, qui nuisait à l’image du jeu proposé par le FC Nantes. Quand on sait que de plus en plus d’investisseurs étrangers (chinois, américains, qataris…) cherchent des points de chute en Europe pour investir dans le sport, on comprend tout de suite pourquoi la moindre remarque péjorative provoque une réaction médiatique chez le principal intéressé.
Les journalistes et consultants au cœur du système
Sans presse pour extrapoler les performances de nouvelles stars en puissance comme Kylian Mbappe, les prix des transferts ne seraient peut-être pas aussi importants. Lorsqu’on sait que le transfert de Mbappe l’été dernier coûtera au PSG 180 millions d’euros, on se dit que les médias ont bien joué un rôle dans cela compte tenu de la starification fulgurante du jeune homme qui, il y a encore un an n’était même pas titulaire avec l’AS Monaco, son club de l’époque. L’intérêt des médias se trouve dans l’audience puisqu’avec le développement d’une star de cette envergure, ils fidélisent de nombreuses personnes qui sont ou deviendront des fans du jeune joueur de 19 ans. De son côté, le joueur a intérêt également à être accessible s’il veut être de plus en plus « bankable » et voir son salaire exploser du fait en grande partie de sa médiatisation.
Les journalistes sont souvent d’anciennes stars crédibles, des influenceurs qui peuvent amener une question d’actualité et favoriser l’attention des personnes concernées. Pour que le message soit entendu dans les meilleures conditions, il faut que l’opinion publique soit favorable et leur crédibilité due à leur passé médiatique et sportif leur permet de capter plus facilement l’attention des téléspectateurs, auditeurs ou lecteurs. Il suffit de regarder les journalistes consultants de Bein sport par exemple, pour constater qu’il existe parmi eux quelques anciennes gloires du sport Français, notamment quelques joueurs de l’équipe de France de football de 1998 (Marcel Desailly, Robert Pirès), qui marquait alors un des moments forts du sport français. D’autres médias ont pour têtes d’affiche des journalistes plus clivant comme Daniel Riolo sur RMC Sport dans l’émission « l’After foot » ou Pierre Menes sur Canal + dans l’émission « Canal Football Club » qui ont souvent des avis très tranchés, sont souvent discutés et relayés sur Twitter renforçant ainsi la prépondérance du réseau social.
Les journalistes peuvent également intervenir dans la mise en valeur des projets économiques des clubs face aux potentiels repreneurs. Aussi, ils sont amenés à valoriser le sport français par exemple pour appuyer le besoin d’investisseurs étrangers dans les clubs français, dans le monde du football souvent. En effet, si de nouveaux investisseurs aux moyens exceptionnels (Chinois, Russes, Qataris…) arrivent dans le championnat de France de football, cela peut permettre d’augmenter les audiences des diffuseurs par exemple d’une part, et d’autre part cela aurait des retombées économiques en termes de droits télévisuels si de nouveaux investisseurs apportaient un projet basé par exemple sur l’arrivée de stars dans le championnat de France. Ici encore, les intérêts sont croisés entre médias et acteurs du monde sportif.
De plus, souvent en liens très étroits avec certains clubs, (exemple : Bernard Lions et l’As Saint-Etienne), les journalistes peuvent ainsi révéler de nombreuses informations sur le marché des transferts. Ils nous livrent en direct à la télévision quelques « scoops » de temps en temps, vérifiables souvent, mais pas toujours. Car en effet, ces médias vivent aussi sur les rumeurs de transferts pour vendre des journaux ou faire plus d’audience. On peut se demander si certains clubs n’ont pas intérêt à profiter de ces liens pour faire sortir des rumeurs à leur guise par la voix des journalistes afin de faire grimper le prix des joueurs. En effet si certaines informations fausses circulent sur le prix d’un transfert faramineux alors qu’il n’y a en vérité aucun transfert en vue, c’est dans le but de faire monter les enchères sur la valeur des joueurs. En France par exemple, avec l’arrivée du Paris-Saint-Germain version qatari, de nombreux clubs sont suspectés de s’être entendus sur des rumeurs de transferts pour faire monter le prix de joueurs suivis par le club de la capitale aux ressources financières illimitées puisque mécaniquement, si plus de clubs sont intéressés par un joueur, la demande du joueur augmente et cela fait s’accroître son prix.
Les joueurs ont également compris que la voix des journalistes était entendue de tous, y compris de leurs clubs et leurs directions. C’est le cas d’Antoine Griezmann qui en mai dernier déclarait à l’émission très regardé de Yann Barthès, Quotidien, qu’il avait 6 chance sur 10 de signer à Manchester United, cela probablement dans le but de faire pression sur ses dirigeants pour qu’ils augmentent son salaire étant donné qu’il est depuis quelques années une des emblèmes du club. Mission réussie pour ce cadre de l’équipe de France puisqu’il a vu son salaire revalorisé fortement à la suite de ces déclarations.
La presse française moins engagée que la presse espagnole par exemple…
Pour faire une petite comparaison, les médias français, bien que très présents dans le monde sportif sont beaucoup moins partiaux qu’en Espagne par exemple où ils sont souvent spécialisés ou à la cause d’un club. On peut encore une fois le voir dans le monde du football, en Espagne avec des journaux comme Marca (spécialiste du Réal Madrid et de l’Atlético) ou El Mùndo deportivo (spécialiste du FC Barcelone et des autres clubs catalans principalement.) On peut ainsi remettre en cause les informations qui ressortent de ces médias de par leur impartialité, qui pourrait faire courir de nombreuses rumeurs afin d’influencer le marché des transferts.
L’interdépendance média-sport conduit à un système d’influence
Afin de conclure de façon pertinente, nous pouvons voir avec ce schéma, l’interdépendance décrite précédemment, qui est propice à la prolifération de l’influence entre le domaine sportif et le domaine médiatique. Il existe des intérêts convergents entre acteurs de la sphère sportive et des médias. Ceci vaut principalement pour les sports collectifs médiatisés (football, rugby). Les intérêts et enjeux économiques, financiers et médiatiques vont être le préalable de la propagation de l’influence sur les supports que sont les réseaux sociaux, les chaînes de télévision, la radio, les articles… L’importance pour exister dans ce système est de bien savoir communiquer, dans un bon timing, en faisant appel à un tiers crédible : les médias pour les acteurs du sport, et inversement.
Pour illustrer cela, on peut se focaliser sur un cas particulier. Nous sommes en 2011, Colony Capital alors actionnaire majoritaire du club cède la propriété du PSG à un fond souverain qatari qui va dès lors détenir 70% du capital. Pendant des mois, ce rachat aura occupé une place importante dans les débats sportifs sur tous les écrans. De nouvelles stars arrivent dans le championnat de France, et parmi elles, la plus emblématique de toutes, Zlatan Imbrahimovic, tellement « starifié » que la majorité des médias et des spécialistes du football l’appelleront couramment par son prénom « Zlatan », c’est dire l’ampleur du phénomène médiatique vu comme une aubaine par les journalistes. Ce phénomène aura même des retombées économiques positives pour les autres clubs français qui verront leurs droits télévisuels augmenter. En effet pour la période de 2016 à 2020, les droits TV attribués à la Ligue 1 et à la Ligue 2 pointent à 748,5 millions d’euros par saison, boostés par les deux grands diffuseurs de matchs, Bein sport et Canal+. Pour information, sur la période 2005-2008, Canal+ déboursait près de 150 millions d’euros de moins par saison.
Le Paris-Saint-Germain, avec sa puissance financière a pu débourser beaucoup d’argent en transferts pour faire venir de nouvelles stars au club comme Kilian Mbappé, l’été dernier pour 180 millions d’euros qui iront dans la caisse d’un autre club du championnat, l’AS Monaco. Ainsi on peut aisément conclure que l’arrivée des qataris est donc un avantage pour les autres clubs de ligue 1 d’un point de vue financier et par conséquent pour les agents de joueurs qui perçoivent des commissions exorbitantes sur les montants de ces transferts. Aujourd’hui, parler du PSG apparaît comme une aubaine et une obligation pour les médias qui peuvent compter sur une hausse de l’influence du club sur les scènes nationale et internationale. Ainsi le PSG occupe désormais beaucoup de place dans les informations et débats livrés par les médias provoquant ainsi une modification de la structure médiatique du sport puisque le PSG a un quasi-monopole sur la présence médiatique désormais, rapprochant ainsi le modèle français du modèle espagnol que nous avons pu décrire ci-dessus.
Par Cyril Relion, promotion 2017-2018 du M2 IESCI
Sources :
https://www.senat.fr/rap/r03-319/r03-3192.html
http://jeanpineau.wixsite.com/projet-116d-medias/linfluence-des-mdias-sur-le-sport
https://www.cairn.info/revue-chimeres-2010-3-page-185.htm
http://fede.over-blog.com/article-2610779.html
http://real-france.fr/dossier-les-medias-espagnols/
Géoéconomie : Bruno Mignot, Alain Juillet, Mémento de stratégie d’influence à usage du dirigeant d’entreprise, Broché, 2015