Dans une économie mondialisée, l’émergence des secteurs spécialisés a permis une séparation distincte des activités de l’entreprise. Les informations et les connaissances étant alors de plus en plus spécialisées et fragmentées, leur production constitue une activité séparée des autres activités de l’entreprise. L’économie de la connaissance va ainsi se focaliser sur la production de connaissances pour la compétitivité. Son objectif est de permettre aux entreprises et aux nations de devenir plus compétitives que leurs concurrents. En termes de croissance, l’économie de la connaissance n’est pas fondée sur des activités matérielles mais sur une recherche intensive de connaissances, donc sur des activités immatérielles.
Pour maîtriser l’information, les entreprises doivent faire appel au cycle de l’information, qui est établi en trois étapes : tout d’abord, recueillir des informations brutes, c’est-à-dire réaliser un travail de veille et de collecte d’informations, ensuite, créer des connaissances à partir de cette information à l’aide de logiciels intelligents et de l’intelligence des Hommes, et enfin, restituer ces connaissances sous forme d’informations stratégiques, ce cycle ne pouvant être mené qu’à travers des travaux d’intelligence économique. Par ailleurs, ces informations et connaissances, produites par les entreprises, nécessitent d’être protégées, à l’aide de brevets ou de tout autre moyen lui conférant un droit de propriété.
L’Intelligence Economique pour la maîtrise et la protection des informations stratégiques
Pour mieux cerner l’importance de l’intelligence économique dans la maîtrise et la protection des informations stratégiques, on peut prendre l’exemple récent de BURBERRY, groupe de luxe Écossais. BURBERRY, dont le siège général est basé au Royaume-Uni (Londres), est une grande entreprise spécialisée dans la confection de chemisiers de luxe (maroquinerie). Elle est propriétaire de plusieurs marques françaises et de marques communautaires. Son motif caractéristique est devenu l’une des griffes les plus célèbres, largement imitée et contrefaite. Aujourd’hui, la notoriété de BURBERRY est reconnue dans le monde entier, car cette entreprise a su s’imposer comme une marque de référence dans le domaine du luxe, au Royaume-Uni comme à l’international. Cependant, cette marque rencontre de nombreuses difficultés de contrefaçon de ses produits, notamment de ses vêtements, parfums et produits de beauté, parapluies et produits en cuir, mais également de ses sites de vente sur internet. Récemment, un litige entre cette marque et des entreprises chinoises a été rapporté. Depuis plusieurs années, BURBERRY est implantée en Chine. Elle y a déjà connu plusieurs litiges pour contrefaçon, notamment avec la marque chinoise Guangzhou. De même, il y a neuf ans, BURBERRY a mené un procès contre Polo de Santa Roberta au sujet de produits de maroquinerie et de sacs à main. En août 2012, BURBERRY a déposé une plainte à l’office des brevets chinois contre Polo de Santa Roberta pour contrefaçon de ses sacs à main et a obtenu gain de cause au tribunal de Hongkong, Polo de Santa Roberta fut condamné pour contrefaçon. Plus tard, malgré les sanctions reçues par ces différentes entreprises chinoise (Guangzhou et Polo de Santa Roberta), ses marques ont été à nouveau contrefaites et attaquées sur les réseaux d’internet par d’autres entreprises chinoises. En 2013, BURBERRY rencontra des problèmes avec l’office chinois des brevets et des marques. L’administration d’Etat de l’industrie et du commerce chinois déclara que la protection de la marque BURBERRY est tombée dans le domaine public, prouvant que la marque n’a pas été utilisée dans le pays pendant trois ans. BURBERRY perdit donc toute protection, encourageant les entreprises chinoises à contrefaire ses produits.
Cet exemple décrit la nécessité de protéger son image et son savoir-faire par des stratégies de protections internationales.
Apparition de l’Intelligence Economique pour maîtriser et protéger les informations stratégiques dans un monde de surinformation
L’intelligenge économique a toujours existé, prenant au cours de l’histoire différentes formes. Au temps de Marco-Polo, « l’honnête homme » de l’intelligence économique, elle était liée aux informations ramenées par les explorateurs et les commerçants, qui constituaient des mines d’informations utiles pour les nations et les grandes entreprises. L’utilisation d’outils d’intelligence économique, tels que la cartographie, s’est développée au XVème siècle, au Portugal, parallèlement à la navigation et à la construction navale. De même, la collecte et l’analyse d’informations s’est accrue durant la seconde guerre mondiale, tandis que la centralisation de l’information par l’Etat s’est vue décrétée principalement sous Colbert au XVIIIème siècle et sous Napoléon au XIXème siècle. Néanmoins, c’est l’implication des informations stratégiques dans le renseignement militaire aux USA qui fut considérée comme le début de l’intelligence économique.
Le terme « Intelligence Economique » est apparu aux Etats-Unis également dans le domaine militaire. Son évolution du domaine militaire à celui des affaires connu différentes étapes. La France, quant à elle, a compris tardivement l’importance de l’intelligence économique, contrairement aux autres pays européens tels que l’Allemagne, la Grande Bretagne ou le Portugal.
C’est la publication en 1994 du rapport Martre, mettant l’accent sur la compétitivité de la France, qui marqua réellement le début de l’intelligence économique en France. Dans ce rapport, intitulé « Intelligence Economique et Stratégies des Entreprises », il est précisé par Martre que « l’Intelligence Economique peut être définie comme l’ensemble des actions coordonnées de recherche, de traitement et de distribution, en vue de son exploitation, de l’information utile aux acteurs économiques ». L’utilisation de ces différentes actions est effectuée de façon légale en garantissant la protection du patrimoine de l’entreprise dans des conditions efficaces.
De nombreuses définitions de ce concept ont par la suite été proposées, du fait notamment des différentes traductions possibles du mot anglais « Intelligence ». Ainsi, Jean-Louis LEVET définit l’intelligence économique comme étant le « mode de pensée et mode d’action de la société de l’information et de la connaissance dans laquelle nous rentrons ». Pour lui, la coopération et la production de connaissances nouvelles sont au cœur de l’intelligence économique. Tandis que la coopération désigne le moyen le plus efficace pour les entreprises ou les nations d’agir ensemble de façon coordonnée et profitable pour tous, la production et la maîtrise des connaissances nouvelles entrainent une compétition entre les entreprises, qui se focalisent alors sur l’interprétation de l’information, la production des connaissances et la capacité d’innovation pour se démarquer de la concurrence. Dans ce cas, elles doivent être capables de définir des stratégies fondées sur des capacités d’anticipation et non sur des comportements d’adaptation. Alain JUILLET, quant à lui, définit, en décembre (2004), « l’Intelligence Economique comme étant la maîtrise et la protection des informations stratégiques utiles aux agents économiques», puis comme étant la « maîtrise et la protection des informations stratégiques utiles aux décideurs économiques» en décembre (2005). Enfin, pour Camille BAULANT (2004), l’intelligence économique peut se définir comme étant « la collecte, le traitement, l’analyse et l’exploitation des informations et des connaissances en vue d’augmenter l’efficacité économique des agents ». Malgré quelques différences de formulation, ces auteurs mettent unanimement en avant, dans la définition de l’intelligence économique, l’importance de la maîtrise et de la protection des informations stratégiques, dans un monde de surinformation.
De nombreux acteurs du monde des affaires, dont les principaux sont les grandes entreprises et les entreprises multinationales, utilisent l’information pour devenir plus puissants, plus compétitifs et obtenir un avantage durable sur le marché. Ils utilisent des outils tels que la veille pour connaître et surveiller leur environnement, collectent des informations stratégiques et les sécurisent pour la bonne marche de l’entreprise.
Les outils de l’Intelligence Economique permettant de maîtriser et de protéger les informations stratégiques
L’intelligence économique vise à maîtriser et à protéger l’information stratégique. Cela se traduit au sein de l’entreprise par la transformation collective des informations en connaissances actionnables permettant d’améliorer sa position concurrentielle, de protéger son patrimoine immatériel et d’influencer sur son environnement. L’entreprise doit tout d’abord engager une réflexion stratégique sur son environnement, sa position et ses objectifs. Pour ce faire, la démarche d’intelligence économique doit être intégrée à cette réflexion afin que l’entreprise devienne très efficace. Cette démarche entretien un lien étroit avec les outils de la stratégie, notamment avec les outils de Michael Porter, mais offre également des outils plus novateurs, tels que l’analyse des dynamiques internes et externes de l’organisation de l’entreprise et de son environnement. L’entreprise peut choisir d’intégrer une démarche d’intelligence économique plus globale, lui permettant de mieux percevoir son intérêt. Pour cela, il est nécessaire d’impliquer l’ensemble des collaborateurs et de leur présenter non seulement ce qu’est une démarche en terme de méthodes et d’outils d’intelligence économique, mais également les modifications éventuelles de comportements à adopter en terme de recherche organisée des informations, de partage de savoirs et savoir-faire, de protection des informations par le brevet, et d’actions d’influence et de lobbying.
La présence de l’entreprise sur le marché l’expose à une forte compétition. Pour y faire face, elle a la possibilité de nouer des partenariats, de travailler en réseau et de coopérer avec d’autres acteurs économiques pour s’adapter à son environnement concurrentiel. Le travail en réseau doit être un point fort pour partager des connaissances, dialoguer avec des parties prenantes et conduire des projets concrets. Lors d’accords de coopétition, mélange entre la compétition et la coopération, l’entreprise se focalise sur le partage des connaissances, de l’innovation permanente et de la création de nouveaux savoirs qui régissent la compétitivité. Ainsi, la coopération s’effectue par les réseaux et la concurrence par l’influence (déploiement d’actions offensives, communication via les réseaux sociaux, médias, colloques, forums,…).
Les outils d’analyse de l’environnement, tels que la matrice de l’intensité concurrentielle et la matrice SWOT, présentent également un intérêt pour l’entreprise en termes d’analyse stratégique et prospective, portant un regard sur le couple menaces/opportunités ou sur le couple forces/faiblesses. Ces outils lui permettent de comprendre son environnement et ainsi de transformer une menace en opportunité ou une faiblesse en force, tout en faisant de la gestion de l’information stratégique une clé de la compétitivité. L’entreprise peut alors effectuer un audit informationnel et un diagnostic des besoins afin de mettre en œuvre, dans l’esprit « intelligence économique », une cartographie des flux d’informations et un cycle de l’information. Le cycle de l’information a été présenté et défini par Robert GUILLAUMOT, président de la SCIP[1] et première personne à avoir développé l’intelligence économique en France, en 1990. Il repose sur trois axes principaux : le premier est fondé sur la veille et la collecte d’informations brutes, le deuxième est basé sur la transformation de ces informations en connaissances et le troisième consiste en la restitution des connaissances en informations utiles à la stratégie économique et à l’action. On note que pour chaque étape correspond un outil d’intelligence économique.
Le principe actuel des avantages concurrentiels
L’innovation est multiple aujourd’hui : innovations radicales, innovations de marché et innovations frugales, et concerne toutes les entreprises du monde.
Les avantages concurrentiels reposent sur le principe d’innovation permanente, qui porte sur tous les niveaux de la chaîne de valeur, de l’amont jusqu’à l’aval : innovation de produits, de procédés, de commercialisation, de marketing et d’organisation sociale. Ainsi, pour appliquer cet état d’esprit, il est nécessaire de recombiner les savoirs et les informations pour leur donner du sens. Le basculement vers l’économie de la connaissance favorise la division cognitive du travail (DCT), fondée sur la segmentation des processus de production en fonction de la nature des savoirs dans une perspective dynamique. Ces savoirs, morcelés, nécessitent une action créatrice pour les recombiner. Cette action exige alors la présence d’une multitude d’agents et d’intermédiaires. L’application de la division cognitive au sein d’une entreprise accroît sa spécialisation mais nécessite de coopérer avec d’autres entreprises. L’innovation permanente est primordiale pour les entreprises. Elle leur permet d’innover selon leur capacité et en adéquation avec leur culture. Les entreprises n’ayant pas les moyens de consacrer un budget à l’innovation peuvent tout de même réaliser des innovations frugales[2], tandis que celles qui y sont aptes peuvent coopérer pour externaliser quelques activités de recherche et développement (R&D) car les coûts d’innovation sont très élevés. D’autre part, de nombreuses entreprises en compétition innovent à court terme car le marché se renouvelle rapidement, la durée de vie des produits n’excédant pas six mois. Le cas le plus notable actuellement est celui de la téléphonie. Apple, par exemple, renouvelle très fréquemment son iPhone afin de conserver ses parts de marché.
En ce qui concerne la gestion de l’information et des connaissances, pour gagner un avantage concurrentiel, elle doit être au cœur des activités de l’entreprise. Selon M. Porter, les technologies affectent l’intégralité de la chaîne de valeur de l’entreprise. Dans ce cas, la performance et le lancement de nouveaux produits ne sont plus les seules cibles des travaux d’optimisation, l’entreprise s’intéresse tant à son image de marque qu’à la gestion de sa marque, de ses brevets, des informations sur ses concurrents ou ses clients potentiels, et des normes techniques et réglementaires. La quantité d’information et de connaissances à gérer par l’entreprise grandissant, elle nécessite la maîtrise du cycle de l’information, des connaissances et des compétences par des méthodes d’intelligence économique, qui reposent sur la collecte sélective et orientée de données brutes, sur leur exploitation efficace et leur intégration dans un stock de connaissances en mouvement qui doit être actualisé et capitalisé afin de synthétiser les informations utiles qui aideront à la prise de décisions stratégiques. D’autre part, parmi les avantages concurrentiels, les économies d’échelle externes sont plus importantes que les économies d’échelle internes. Cependant, la compétitivité informationnelle apparait pour les entreprises comme des avantages renouvelés. C’est aussi un avantage stratégique ou concurrentiel dans lequel l’intelligence économique joue un rôle central à court terme et l’économie de la connaissance un rôle à long terme.
Pour perdurer, ces entreprises cherchent alors à créer un lien entre l’innovation et l’intelligence économique. Elles pratiquent la veille, collectent des informations et les transforment en connaissances utiles en vue d’innover et augmenter leur efficacité. Elles cherchent à se différencier par une politique d’innovation, en intégrant sur leur chaîne de valeur, un processus d’innovation du produit, depuis l’amont jusqu’à l’aval. Elles doivent innover en permanence pour ne pas disparaître et pour accroître leurs parts de marché au niveau national et international. Ces entreprises optent pour une nouvelle forme de concurrence : celle de la différenciation par l’innovation continue et par la technologie. Pour ce faire, la compétitivité informationnelle, ou stratégique, devient plus utile que la compétitivité hors-prix, où les entreprises se différencient par leurs produits (qualité et innovation), et que la compétitivité-prix, où les entreprises se différencient par le prix de leurs produits, toujours dans l’optique de gagner des parts de marché. Les entreprises forment alors des réseaux, s’entourant d’acteurs compétents en termes d’innovation. En effet, elles ne peuvent innover seules car le coût de l’innovation est très élevé. La coopération devient vitale pour tout processus d’innovation, compte-tenu de la spécialisation croissante des activités de recherche et du raccourcissement du cycle de vie des produits. Les entreprises tendent ainsi à se spécialiser sur des gammes de produits innovants. Elles choisissent de se spécialiser, à moyen terme, sur des segments où le coût d’innovation est faible. Ce marché, où le leader économique change très vite, est un marché saturé. La production à moindre coût n’est plus une condition suffisante pour augmenter ses parts de marché. Le marché se renouvelle constamment. Les entreprises doivent en permanence s’adapter aux besoins des consommateurs et orienter leurs choix en innovant continuellement.
Conclusion
Les entreprises évoluent dans un monde économique particulièrement ouvert sur l’extérieur. Les marchés sont en constante mutation, les entreprises agissent tant sur le plan national qu’à l’international, et leurs concurrents sont mondiaux. Avec l’arrivée massive des nouvelles technologies de l’information et de communication (NTIC), les entreprises doivent davantage communiquer, échanger, innover et modifier leur mode d’organisation afin d’être compétitives et capable d’anticiper le marché. La montée en puissance des technologies de l’information devient un enjeu stratégique pour les entreprises car elles doivent être capables d’obtenir la bonne information au bon moment pour y parvenir. Les grandes entreprises l’ont compris et l’appliquent.
Des entreprises comme Apple, Samsung, Microsoft font une compétitivité informationnelle (politique de brevet, politique de captation des clients) et également une modification de logiciels qui permettent de nouvelles fonctionnalités pour leurs clients.
Par Hasmiou Diallo, étudiant du M2 IESC d’Angers
Bibliographie :
BAULANT C., « Avantages concurrentiels et compétitivité informationnelle et stratégique », Master 2 Intelligence économique et stratégies compétitives (Cf. : cours 2015-2016, Université d’Angers).
BRUTÉ DE RÉMUR D., « Ce que l’Intelligence Économique veut dire », Préface d’Alain Juillet, Éditions d’Organisation, mars 2006, Groupe Eyrolles.
PELLETIER A., CUENOT P., « Intelligence Economique, mode d’emploi », « Maîtrisez l’information stratégique de votre entreprise », Édition 2013, Pearson France.
LEVET J.L., « L’Intelligence Économique » Mode de pensée, Mode d’action ; Collection de l’intelligence économique ; Édition 2001, ECONOMICA.
http://www.dynamique-mag.com/article/contrefacon-burberry-marque.3831
http://blogs.wsj.com/chinarealtime/2013/11/28/burberry-fights-fo-its-tartan-trademark-in-china/
[1]SCIP : Society of Competitive Intelligence Professionals, première des associations nationales pour la promotion de l’intelligence économique en France.
[2] L’innovation frugale consiste à répondre aux besoins des consommateurs de la manière la plus simple et efficace possible pour un coût moyen.