La dernière émission de Cash investigation, diffusée le 13 septembre dernier sur France 2, a confirmé une fois de plus son succès sur la toile : « 12 000 comptes twitter sont intervenus, avec 41% de tweets originaux, soit plus que pour les autres émissions » (Sylvestre, 2016) réinvitant le débat sur les industries agroalimentaires dans le monde. Rappelons que rien qu’en France, cette industrie pèse 170 milliards de chiffre d’affaires. Rien qu’à elle, l’industrie du sucre génère 4.3 milliards de chiffre d’affaires, employant 44 500 personnes dans l’hexagone. Dans le même domaine, Nestlé occupe une place importante avec un chiffre d’affaires qui atteint presque 100 milliards d’euros par an, lui conférant la 49e place des plus grosses entreprises mondiales, toutes catégories confondues. Selon le classement Fortune Global 500, publié en juillet 2016, Walmart reste leader mondial depuis trois années consécutives. Cette dernière étant une multinationale spécialisée dans la grande distribution, ses intérêts ne semblent pas bien éloignés de ceux des industries agroalimentaires. Tous ces chiffres démontrent donc la puissance de ce secteur, puissance en termes économique mais aussi sociologique et sociale. En effet, ces industries réussissent depuis des années à dicter, pour ne pas dire imposer, des modes de consommation qui tendent à devenir des modèles culturels. Nous avons souvent l’image traditionnelle du petit déjeuner américain avec des œufs et du bacon, mais détrompez-vous, ce type d’alimentation ne fait pas partie du patrimoine culinaire étatsunien. Il a effectivement été « à la mode » suite à une campagne de lobbying provenant de l’industrie porcine. Pour cela, ils ont appliqué une méthode bien connue qui est l’appui de la communauté scientifique : manger des protéines au petit déjeuner est bon pour la santé ! Il n’en fallait pas plus pour convaincre les américains. Aujourd’hui, les industries agroalimentaires, comme toutes industries, ne peuvent se passer de campagnes d’influence qui interviennent dans le cadre de politique d’intelligence économique. C’est ce que nous allons voir, spécialement dans le cadre des lobbies du sucre.
Définition et importance de l’intelligence économique
Avant de rentrer dans le vif du sujet, rappelons quelques bases sur l’intelligence économique. Elle peut se définir de différentes manières. Allain Juillet, ancien haut responsable en intelligence économique, l’énonce comme la « maîtrise et protection des informations stratégiques utiles à tous les acteurs économiques ». Cette dernière est une définition large, plutôt en faveur de la compétitivité des entreprises. Jean Louis Levet (2001), quant à lui, la définit comme « un mode de pensée et un mode d’action ». L’un est indissociable de l’autre, il doit y avoir un aller-retour permanent entre ces deux modes. Dans toutes stratégies, il faut tout d’abord penser à long terme, définir des objectifs, des indicateurs, des missions, des modes d’action avant d’agir. Mais cela ne suffit pas, la mise en pratique est nécessaire via le mode d’action.
Développons le mode de pensée, il requiert la maîtrise de deux conditions essentielles : l’économie de la connaissance et le cycle de l’information. Notre société est aujourd’hui entrée dans une économie dite de la connaissance avec la mobilité des informations : tout est devenu mobile, les biens, les capitaux et les informations. Il existe encore de la compétitivité prix et hors-prix, mais désormais l’information ainsi que la connaissance deviennent des enjeux stratégiques pour devenir un acteur clé sur le marché. Avoir des informations ne suffit donc pas, il faut avoir l’information pertinente, au bon moment et la transmettre à la personne adéquate. De nos jours, le savoir est fragmenté. Il se divise en petits morceaux où un individu ne possède plus qu’une infime parcelle de connaissance. Ce n’était pas le cas avant la mobilité des informations, nous étions dans la configuration où un individu était égal à un morceau de savoir. Nous sommes rentrés dans l’hyperspécialisation de la connaissance. Les individus sont donc aujourd’hui dans l’obligation de collaborer ou du moins communiquer pour avancer dans la recherche. Même les plus fervents opposants comme Airbus et Boeing doivent coopérer sur certains aspects. C’est ce que l’on peut appeler la « coopétition ». Partager ses connaissances, ses savoir-faire concernant certains segments de la fabrication, mais rester en concurrence sur d’autres. Cela est devenu vital dans un monde qui tend à être global. De plus, la deuxième condition au mode de pensée est la maîtrise du cycle de l’information. Celui-ci peut se définir comme « Issu du cycle du renseignement, cycle de vie et de transformation de l’information inscrit au sein d’un processus opérationnel adapté à l’entreprise. Le cycle itératif a pour vocation de transformer une information brute en une information utile à la décision. » (Baulant, 2015).
En effet c’est un processus qui vise à transformer des informations collectées par le veilleur en connaissances. Puis ces connaissances sont transformées, exploitées pour avoir des informations utiles à la décision qui peuvent ensuite se transformer en savoirs. Dans le monde d’aujourd’hui, l’information brute est en surnombre alors que l’information utile à la décision est en sous-nombre. Il ne sert à rien d’avoir de l’information si les acteurs économiques ne la transforment pas en information utile pour la décision. Guillaumot (fondateur de la Society of Competitive Intelligence Professionals en 1992) a théorisé ces trois étapes du cycle de l’information en 1990. L’information brute, selon lui, va être un outil au travers de la collecte et de la veille. Ensuite, il y a la création de connaissance ou de savoir à partir de l’information à travers deux formes d’intelligence: l’intelligence artificielle et humaine. Et enfin transformer ces connaissances en informations utiles à la stratégie économique et à l’action par la synthèse. Le concept du cycle de l’information a évolué, il comprend aujourd’hui, selon Baulant (2015), un certain nombre d’étapes. Il ne se limite pas à la transformation des informations brutes en connaissances, puis en connaissances stratégiques utiles à la décision. En effet, il comprend cinq grandes étapes. La première est « la veille sous toutes ses formes », la deuxième étape est celle du « traitement de l’information et l’analyse prospective », qui incluent par exemple la création et l’entretien de bases de données et de connaissances et l’analyse rétrospective et prospective de ces informations et ces connaissances. La troisième étape est l’action stratégique qui prend comme outil la matrice « SWOT dynamique » (« le fait de savoir transformer une menace en opportunité et une faiblesse en force »). La quatrième étape est l’accompagnement de l’action stratégique, étape additive du cycle de l’information telle que théorisé par Guillaumot (1990). Enfin, le retour d’expérience, primordial dans toutes activités de partage.
Le mode d’action quant à lui repose sur les trois grands piliers de l’action stratégique. En premier lieu, il y a la protection multiforme du patrimoine matériel et immatériel. Celle-ci comprend la protection des brevets et de la contrefaçon, la maîtrise du droit, l’influence sur des normes de production etc. Le réseau est la deuxième composante de ces trois grands piliers. Il sert à « gérer le partage des connaissances, à favoriser une pratique auto-organisationnelle des organisations et permet des rendements croissants d’échelle » (Baulant, 2015). Chaque membre du réseau doit avoir un intérêt à participer à celui-ci. Il est donc nécessaire d’adopter une démarche proactive. Ne pas rester passif et attendre que les autres membres nous apportent de l’information. Il faut être dans la capacité de générer un partage commun. Le réseau doit donc être cultivé avec sérieux. Nous verrons plus loin que ce pilier, dans les industries agroalimentaires, joue un rôle central. Enfin, le dernier pilier, intérêt de nos propos aujourd’hui est l’influence et le lobbying « qui permettent d’appuyer les avantages concurrentiels : l’information est un moyen stratégique pour gagner la guerre économique » (ibid). Les stratégies d’influence sont un processus d’allocation, de planification et de modulation de ressources informationnelles, cognitives, humaines et financières dans le but d’orienter l’environnement en fonction de ses intérêts (Zerbib, 2016). Ces stratégies, partie intégrante d’un processus d’intelligence économique, sont plus que nécessaires aux entreprises pour rester en place sur le marché. Aucune entreprise présente sur le marché mondial ne saurait s’en passer. D’où la nécessité, de plus en plus croissante, de développer des politiques d’intelligence économique y compris pour les plus petites entreprises. Elles manquent de moyens, de stratégies, de vision à long terme pour augmenter leurs parts de marché. Il est nécessaire d’adopter une démarche proactive concernant leur environnement : agir et réagir par rapport à ce dernier. La politique de l’autruche (attendre la tête dans le sable) ou du pompier (Massé et Thibaut, 2000) (éteindre le feu) sont des attitudes à proscrire dans un monde d’hyperconcurrence. L’intelligence économique devient donc un enjeu décisif dans la sphère économique, notamment dans le cadre des entreprises agroalimentaires.
Le cas du lobby du sucre
Le cas du lobby du sucre est très intéressant puisque contrairement à d’autres lobbies tels que celui des armes ou du tabac, il se veut plus discret. Nous sommes influencés par ce dernier à toutes sortes d’occasions que nous ne soupçonnons même pas. Il est bien ancré dans notre société et ce depuis de nombreuses années. Cela commence dès notre plus tendre enfance, en primaire, là où les comportements s’affirment, se créent. Là où la socialisation s’opère, où les habitudes se créent pour toute une vie. Voilà où s’installe le lobby du sucre.
Tout d’abord, quand nous parlons du lobby du sucre, de qui parlons-nous ? En France, c’est le CEDUS (centre d’étude et de documentation sur le sucre) qui défend les intérêts de l’industrie sucrière. Elle regroupe : les producteurs de betterave, les producteurs de canne à sucre et les raffineurs. Plus généralement, le lobbying en France comme dans le monde est assuré par les grosses entreprises agroalimentaires que nous connaissons tous, telles que Ferrero, Coca-Cola, OranginaSchweppes, Pepsico, Danone, Nestlé, Kraft Foods et Kellogg’s. Dans une économie mondialisée, où l’hyperconcurrence occupe une place prépondérante, les firmes multinationales font la course à un chiffre d’affaires et à des parts de marché toujours plus grandes. Leurs buts sont donc multiples : agir sur la réglementation européenne dans notre cas, pour que leurs produits ne soient pas stigmatisés comme trop sucrés, faire consommer toujours plus de sucre, vendre plus, susciter le désir et l’envie chez les consommateurs. « Dé-diaboliser » l’effet du sucre, cacher son effet néfaste, arriver à toujours conserver une image récréative du sucre. Enfin, avoir la science de leur côté pour appuyer toutes leurs positions est à la fois un objectif mais aussi un moyen d’arriver à tous les buts énoncés ci-dessous. Nous allons donc mettre en lumière quelques-unes de leurs stratégies d’influence pour tenter de vous montrer l’étendue de leur puissance.
En premier lieu, le CEDUS possède une belle vitrine internet : lesucre.com. Il suffit de taper sucre sur un des moteurs de recherche pour qu’il arrive sous vos yeux, cliquez et laissez-vous séduire !
Le site est très coloré, dynamique, avec dès la page d’accueil des questions qui suscitent le débat. Mais le site se veut rassurant sur toutes les polémiques actuelles : « « Les complications engendrées par un excès de sucre concernent essentiellement les gros buveurs de soda, ceux qui boivent plus de trois, quatre litres par jour, et risquent le surpoids. […] Il ne faudrait surtout pas croire que […] l’on va régler le problème du diabète dans le monde en interdisant les bonbons aux enfants ou le gâteau occasionnel » précise le Pr André Grimaldi, diabétologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris. ». En effet, buvez du soda, cela n’est pas mauvais pour votre santé. « La Société Française de Pédiatrie a également pris position : « Il n’y a, a priori, pas d’addiction au sucre. Si l’on voit effectivement aujourd’hui un peu plus de diabètes de type 2 chez les jeunes, ce n’est pas l’excès de sucre qui en est la cause. Le responsable est en effet non pas la consommation accrue de sucres, mais l’augmentation de l’obésité massive » ».Une fois de plus, le site essaie de tourner des arguments en sa faveur, l’addiction au sucre n’est pas avérée ou du moins formellement prouvée. Semer le doute, être confus, entretenir le débat pour gagner du temps. Voilà les maîtres-mots de toutes stratégies d’influence, quelles qu’elles soient. En effet, l’addiction au sucre est formellement prouvée. Les conclusions de Serge Ahmed, chercheur au CNRS, suite à une expérimentation sur des rats sont effarantes : le sucre serait plus addictif que la cocaïne. Il a mené cette expérience sur 100 rats. Sur ces derniers, déjà rendus dépendants à la cocaïne, 90 préfèrent ingérer de l’eau sucrée plutôt qu’une dose supplémentaire de cocaïne. Ces conclusions en feraient pâlir plus d’un ! De plus, le site du sucre n’oublie pas de mettre en avant ses effets positifs : « Il ne faut pas oublier que, simples ou complexes, naturellement présents ou ajoutés, les glucides fournissent sous forme de glucose l’essentiel de l’énergie indispensable au fonctionnement des cellules de notre organisme. Et que ce n’est pas le sucre en lui-même qui pose problème mais bien un excès durable de consommation de produits gras et sucrés. ». Le sucre serait donc indispensable pour le bon fonctionnement des cellules de notre organisme ? Encore une fois, des études scientifiques ont prouvé le contraire. Le professeur James, mandaté par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), a donc effectivement montré qu’il n’y a besoin d’aucun sucre ajouté pour le bon fonctionnement de notre organisme dès 1990. Le sucre naturellement présent dans les aliments serait suffisant (rappelons que le sucre ajouté est présent partout : dans les plats préparés, les desserts, les boissons etc.).
Plutôt dire que ces conclusions, comme d’autres de sa part, ont fait rage du côté des lobbies du sucre. En 2003, le professeur James publie un rapport qui établit un lien direct entre le sucre et l’obésité : étant donné que le cerveau a du mal à compter le nombre de calories que nous avalons en présence du sucre, nous grossissons. Jusqu’ici, on ne reprochait au sucre que de donner des carries. Le ministre de la santé américain de l’époque s’était déplacé en personne pour contredire cette étude. La priorité pour le lobby du sucre est d’avoir le plus grande nombre de scientifiques de leur côté, quitte même à devoir les payer pour qu’ils aillent dans leur sens. C’est un va et vient incessant entre les lobbies et les organismes scientifiques. Souvent, des experts scientifiques sont aussi membres de grosses industries. C’est le cas d’Albert Flynn qui est le président du groupe d’experts nutrition de l’EFSA (l’autorité européenne de sécurité des aliments) et qui, par la même occasion, est membre du conseil de Kraft Foods depuis 2003. Les lobbies entretiennent donc des liaisons étroites avec les organismes scientifiques pour avoir leurs appuis. Avoir la science de son côté est le meilleur argument pour vendre. Voici un schéma qui résume bien leur stratégie :
Il y a donc le lobby du sucre (le CEDUS) et le syndicat européen de l’agroalimentaire qui défendent les intérêts de toutes les industries agroalimentaires en Europe. Ces deux organismes qui ont des liens évidents avec les industries agroalimentaires mandatent des experts scientifiques pour établir des études, des expérimentations qui ne contredisent pas leurs stratégies économiques. Ces experts scientifiques se retrouvent dans des institutions du type EFSA ou CREDOC (centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie) qui ont une autorité scientifique décisive et qui produisent des rapports scientifiques reconnus officiellement du fait, théoriquement, de leur indépendance. Cependant, en 2012, sur les 21 experts de l’EFSA, 13 ont déclaré avoir un lien avec l’agroalimentaire (Nestlé, Danone, Coca, Ferrero, Kellogg’s). Cette indépendance est donc toute relative. Ces mêmes rapports servent ensuite à alimenter les stratégies du CEDUS sur son site internet comme nous avons pu le voir mais aussi les industries agroalimentaires pour défendre leurs produits. Tout cela enrobé de millions et de millions distribués ici et là. Voici donc comment nous retrouvons des études, qui paraissent sérieuses, sur la non-corrélation entre le sucre et l’obésité, le sucre et les risques de diabète et le sucre et son addiction.
Leurs stratégies d’influence ne s’arrêtent pas à la communauté scientifique, elles opèrent également sur le plan politique. En plus de corrompre les scientifiques, l’industrie du sucre soudoie les députés, notamment les députés de la commission européenne qui votent les lois en vigueur dans l’Union Européenne. Nous allons prendre l’exemple des étiquetages sur les aliments, bataille qui fait rage depuis des années maintenant dans l’industrie agroalimentaire, la première commença en 2005. En Angleterre, cela fait déjà neuf ans qu’ils ont adopté un système d’étiquette tricolore : rouge, orange et vert mis bien en évidence sur chaque produit.
En effet, ce système est simple et intuitif : en vert, le pourcentage de graisse ne représente qu’une faible portion de nos besoins journaliers, orange un pourcentage moyen et rouge un pourcentage très élevé. Par exemple, dans ce produit, le sucre représente 47% de nos apports journaliers, ce qui est très élevé pour un seul produit. En consommant ce produit, quasiment la moitié de nos besoins journaliers en sucre seraient assurés. C’est donc un système assez efficace outre-manche, il y aurait cinq fois plus de chance de choisir des produits plus sains. Ainsi notre consommation quotidienne de sucre chuterait de 19%, ce qui est loin d’être négligeable.
La commission européenne a donc voulu adopter ce système, mais il y a eu une forte opposition des lobbies du sucre. Selon les eurodéputés, cela aurait été une des plus grandes opérations : un an et demi de lobbying qui s’est caractérisé par une pression permanente des lobbies en envoyant des milliers et milliers de mails, avec des consignes de vote, des invitations à déjeuner, à des colloques, tout cela dans un seul but : voter non. Quels sont les arguments avancés par les lobbies ? Le premier est la stigmatisation. Toutes ces industries craignent qu’une grosse pastille rouge sur leurs produits effraie le consommateur, que leurs produits soient étiquetés « mauvais pour la santé » ou « dangereux ». La stigmatisation est l’argument majeur dans toute l’industrie agroalimentaire concernant cet étiquetage. La bataille est aussi de mise pour les industries concernant la viande. Depuis Nestlé, par exemple, a affirmé que ces aliments faisaient partie de « notre patrimoine alimentaire ». Il ne faut donc pas les bannir de notre alimentaire. Nestlé va même plus loin, c’est au consommateur de se responsabiliser quant à sa consommation, la tâche ne revient pas aux industriels. Résultat : à 2 voix près, les étiquetages avec des feux tricolores sont donc rejetés. En 2007, Nestlé a été le premier à sortir un étiquetage sur ses emballages. Voici l’exemple d’étiquette sur un paquet de céréales au chocolat :
Cela n’a été qu’un voile pour essayer d’informer le consommateur. En effet, cette étiquette est illisible et trompeuse pour la plupart d’entre nous. Les pourcentages mis en avant correspondent seulement à 40g de produit, ce qui est relativement peu. De plus, les céréales Chocapic sont un produit destiné aux enfants, or les repères nutritionnels journaliers sont calculés pour un adulte ! Faut-il encore savoir ce que sont des lipides, « dont saturés ». Le lobby du sucre a donc gagné cette première bataille, puisque cet étiquetage n’informe en rien le consommateur. Un autre étiquetage, celui des « 5C », sur le même principe que celui tricolore est actuellement en plein débat. Leurs stratégies d’influence passent donc par la mise en relation directe et régulière avec les députés via des réunions informelles, des déjeuners au restaurant, dans le but de convaincre, d’influencer les députés de voter des lois en leurs faveurs ou, qui du moins, ne les desservent pas.
En outre, les lobbies du sucre ne s’arrêtent pas là, ils sont présents sur tous les fronts, y compris directement auprès de leur cible privilégiée : les enfants. Vous connaissez sans doute « la semaine du goût » qui a lieu une fois par an dans toutes les écoles primaires ? Qui en a bien sûr l’initiative ? Le CEDUS, via la Collective du sucre. Cela fait vingt ans que cette semaine du goût existe et cela n’est pas prêt de s’arrêter. Durant cette semaine, dans toutes les écoles du pays, le sucre est mis en avant par de grands chefs cuisiniers auprès des enfants. On leur explique comment réaliser des recettes sucrées, on leur distribue des prospectus sur la confection des desserts baptisées « récréations gourmandes », on leur enseigne les bienfaits du sucre pour leur concentration, leur vitalité, telle de la propagande. « Il s’agit de faire fructifier le capital sympathie du sucre ». Ces enfants sont dans une position de spectateurs, consommateurs de ce qu’on leur enseigne et reproduisent ainsi ces comportements chez eux. Les lobbies du sucre s’arrangent donc pour dicter des comportements dès le plus jeune âge, ils impulsent ces comportements pour qu’ils soient bien ancrés pour la suite de leur vie, pour qu’ils deviennent des consommateurs assidus de ces produits. Dans la continuité de cette stratégie, un accord-cadre de coopération entre le Ministère de l’éducation nationale et le CEDUS a été signé discrètement, sans faire de bruit, récemment. Ainsi, les fabricants de sucre pourront assurer directement dans les écoles l’éducation nutritionnelle, la prévention du surpoids et de l’obésité et concevoir des activités autour du goût et du bien manger. Pour s’adresser aux enfants, le lobby du sucre utilise des techniques de manipulation qui valorisent le sucre subtilement. Comme par exemple, présenter des bonbons qui s’apparentent à des fruits bons pour la santé, donner l’image de la bonne maman qui distribue des friandises à son enfant au retour de l’école. Autant de rappels positifs évoqués dans la tête des enfants.
Enfin, un des derniers aspects des stratégies d’influence des lobbies du sucre est le financement de programmes de santé. Prenons le cas du programme « VIF » : vivons en forme. Il est né dans deux communes du Nord de la France : Fleurbaix et Laventie. Le but était de contrôler le régime des jeunes, de promouvoir une alimentation diversifiée chez les enfants et de mettre en avant la pratique régulière d’un sport. En 2004, l’initiative est étendue à dix villes avec le programme EPOD (ensemble prévenons l’obésité des enfants.). Aujourd’hui ce programme est rebaptisé VIF. Ce dernier organise des congrès réguliers où Nestlé, Orangina, Ferrero et Kellogg’s apparaissent comme des partenaires de choix pour vivre en forme. Avec VIF, Ferrero lutte contre l’obésité alors que le sucre remplit plus de la moitié d’un pot de Nutella (57%). En effet, Ferrero a investi plus de 600 000 euros dans ce programme, environ 2/3 du budget total de VIF. Une fois de plus, les industries agroalimentaires veulent donner une bonne image de leurs produits. La non-stigmatisation des produits est également une motivation clé chez Ferrero comme nous l’avons évoqué précédemment. Par exemple, leurs produits se retrouvent dans les écoles lors de petits déjeuners pédagogiques, (juxtaposant les fruits et les yaourts) où l’on apprend aux enfants à manger sainement. Christophe Roy, directeur du programme, affirme que les partenaires ne peuvent pas intervenir dans le fonctionnement du programme, dans la définition des objectifs et dans la mise en œuvre des activités. Mais quand une entreprise finance 2/3 de son budget, est-ce vraiment le cas ? Orangina Schweppes finance également EPOD depuis sept ans. Pour eux « la meilleure défense, c’est l’attaque ». Investir dans ces programmes de santé permet pour les industriels de se défendre et d’affirmer que leurs produits sont sains et bons pour la santé. Alors qu’il n’en n’est rien, une canette d’Orangina contient six morceaux de sucre. Finalement, financer ces programmes est une technique d’infiltration commerciale permettant de mettre en œuvre une tactique de diversion. C’est une des meilleures méthodes pour l’industrie de s’assurer qu’aucun pays ne prendra des mesures contraignantes en la matière, mentionne Philipp James (chercheur en médecine).
Nous avons donc mis en lumière plusieurs des stratégies d’influence dans le cadre des lobbies du sucre. En terme plus technique, nous pouvons dire que c’est du lobbying : « ensemble d’interventions directes ou indirectes en charge d’orienter l’arbitrage d’institutions publiques en fonction d’intérêts particuliers » (Zerbib, 2016) car ce lobby influe sur les institutions publiques. Mais c’est aussi des relations publiques : « discipline qui a vocation à orienter l’attitude et le comportement du ou des publics dont une entité dépend pour exercer son activité » (ibid) car les industriels du sucre influent directement sur ses consommateurs. Enfin c’est une stratégie que l’on peut qualifier de conjoncturelle car elle cherche à « moduler à la marge le système de norme, de valeur et de croyance qui forme un système déjà établi. » (ibid). En effet, ces industries cherchent à influencer sur un système déjà établi et non à en créer un nouveau.
Conclusion
Pour conclure, l’influence est un des leviers de l’intelligence économique d’aujourd’hui. Ces stratégies d’influence peuvent être positives comme négatives, mais dans tous les cas restent nécessaires à toutes survies d’entreprises. Elles sont vitales pour les industries, surtout dans le cas des entreprises agroalimentaires comme Nestlé, Kraft Foods, Ferrero où leurs produits sont contestés. Sans ce lobbying et ces relations publiques, leurs produits seraient beaucoup moins consommés et bien plus remis en question. Le citoyen serait mieux informé et tenterait d’être acteur de sa consommation. Ces stratégies d’influence sont nécessaires à toutes entreprises à partir du moment où tout est devenu contestable : les écrans de smartphones sont mauvais pour les yeux, les ondes émises de celui-ci sont nocives pour le cerveau, le composant de tel nouveau produit sur le marché ne respecte pas l’environnement. Tout porte à contestation puisque nous vivons dans un monde de plus en plus développé, dominé par l’argent, la concurrence et le pouvoir. Les entreprises n’ont donc plus directement le choix. On porte souvent un regard accusateur sur ces dernières, mais cela n’est-il pas plus contestable de voir des médecins se laisser corrompre, en remettant en cause le principe même de leur profession, pour de l’argent ?
Par Margaux Laviron, étudiante promotion 2016-2017 du M2 IESC d’Angers
Bibliographie :
Cours Méthodologie de l’intelligence économique, BAULANT C., M1 IESC, Université Angers, 2015.
Cash investigation – Sucre: comment l’industrie vous rend accros ?
URL: https://www.youtube.com/watch?v=Rja_Riy_90M
Cash investigation – Industrie agroalimentaire : business contre santé.
URL: https://www.youtube.com/watch?v=7RXHDEi79EI
Etiquetage nutritionnel alimentaire : les consommateurs français veulent le codage en 5 couleurs !
LEVET J-L., 2001, Intelligence Economique, mode de pensée, mode d’action, Paris, Economica, collection l’IE.
Le lobby du sucre démasqué
URL : https://lelobbydusucredemasque.wordpress.com/
Le Sucre
URL : http://www.lesucre.com/
MASSE G. et THIBAUT F., 2000, Intelligence économique : Guide pour une économie de l’intelligence, Editions De Boeck Université.
Simplifions l’étiquetage
URL: https://www.youtube.com/watch?v=GAwTyEEHnOs&feature=youtu.be
SYLVESTRE G., 2016, Langue de bois, salami et lobbying, les bonnes recettes de #cashinvestigation,
Cours Techniques d’influence et de lobbying, ZERBIB R., M2 IESC, Université Angers, 2016.
Bonjour,
Etant membre de l’organisation que Margaux dénonce dans ce mémoire, à savoir le CEDUS (Centre d’Etudes et de Documentation du Sucre), je me permets de commenter cet article et d’apporter notre point de vue.
Ne pas vous répondre signifiait que nous validions tout ce qui était écrit, tandis que le simple fait de répondre peut vous faire dire que nous sommes décidemment un épouvantable lobby ! Mais nous ne pouvons pas laisser véhiculer les faits dont nous sommes faussement accusés.
Comme vous le précisez, nous représentons la filière sucre française dans son ensemble, c’est à dire les planteurs de betteraves sucrière en métropole, les planteurs de cannes à sucre dans les DOM et les fabricants de sucre.
Avec mon équipe, nous vérifions toujours nos sources, et nous suivons la littérature scientifique internationale pour les sujets pointus. Nous connaissons bien évidemment en détail le produit et les sujets qui l’environnent. Notre objectif n’est absolument pas de « manipuler » ou de « toujours faire consommer davantage ». Vérifiez-le par vous-mêmes : dans toutes nos communications, nous encourageons à une consommation « équilibrée et sans excès ».
Par ailleurs, il se trouve que « le sucre » est un sujet sur lequel on entend beaucoup de choses dans l’espace public, souvent contradictoires, parfois fausses. Donc nous concevons notre rôle moins comme un rôle de promotion (c’est l’apanage des entreprises et de leurs marques) que comme un rôle d’information et de communication génériques. Notre objectif est bien davantage de clarifier que de semer la confusion…
Je me permets donc d’apporter quelques éléments détaillés et vérifiés nous concernant ou concernant le sucre et la santé. Nous pouvons en débattre et vous pouvez aussi venir au CEDUS consulter notre fonds documentaire.
Vous écrivez : « En effet, l’addiction au sucre est formellement prouvée. Les conclusions de Serge Ahmed, chercheur au CNRS, suite à une expérimentation sur des rats sont effarantes : »
Il s’agit d’une expérience sur une centaine de rats réalisée en 2007 sur la saccharine et répliquée sur le sucre, qui apporte des informations intéressantes sur les circuits de la récompense en réponse à la saveur sucrée. Mais on est loin d’une expérience en conditions réelles et chez l’homme. D’autres scientifiques travaillent sur ce sujet. La récente publication “Sugar addiction: the state of the science” passe en revue l’ensemble des études scientifiques (chez l’animal et chez l’Homme) et conclut qu’il semble prématuré en 2016 de valider le concept d’addiction au sucre. On accepte bien sûr d’en débattre mais sur ce sujet de l’addiction à l’alimentation et au sucre en particulier, la controverse scientifique existe, nous n’inventons rien.
D’autres chercheurs ont des positions sur le sujet : vous pourrez les lire ici :
http://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/data/814/reader/reader.html?t=1472151020943#!preferred/1/package/814/pub/815/page/8
http://prodinra.inra.fr/ft?id={A1397805-28BB-4011-9F17-2CAAAA8F3D2C}
« Il ne faut pas oublier que, simples ou complexes, naturellement présents ou ajoutés, les glucides fournissent sous forme de glucose l’essentiel de l’énergie indispensable au fonctionnement des cellules de notre organisme. Et que ce n’est pas le sucre en lui-même qui pose problème mais bien un excès durable de consommation de produits gras et sucrés. ». Le sucre serait donc indispensable pour le bon fonctionnement des cellules de notre organisme ? »
C’est juste, le sucre en lui-même n’est pas indispensable au bon fonctionnement de notre organisme. En revanche, le glucose oui cf cours de biologie ex http://www.assistancescolaire.com/eleve/TST2S/biologie/reviser-le-cours/la-respiration-cellulaire-tst2s_bio05
Le sucre, c’est une source de glucose que l’on trouve naturellement dans les fruits, les légumes et aussi ajouté dans les confitures, les biscuits etc. Vous pourrez regarder notre vidéos sur ce sujet ici : http://www.lesucre.com/mediatheque/sucre-naturel-ou-ajoute-quelles-differences
« Les lobbies entretiennent donc des liaisons étroites avec les organismes scientifiques pour avoir leurs appuis. »
Cette partie de votre article reprend bon nombre d’éléments de Cash investigation sur le sucre diffusé en 2012. Comme représentants du secteur sucre, nous sommes parfois audités par les autorités sanitaires comme d’autres secteurs, organisations de consommateurs ou professionnels de santé. Les experts scientifiques qui siègent dans ces agences ou autorités sanitaires sont tenus de faire une déclaration publique de leurs éventuels liens d’intérêt. Ce sont les agences qui décident si il y a conflit d’intérêt ou non, selon le sujet d’expertise.
« En plus de corrompre les scientifiques, l’industrie du sucre soudoie les députés, notamment les députés de la commission européenne qui votent les lois en vigueur dans l’Union Européenne »
Cela nous laisse sans voix parce que c’est une accusation gratuite et sans fondement. Et parlez-vous du Cedus, d’autres secteurs ou entreprises ? C’est bien vague. Quand une accusation est aussi grave, elle se doit d’être sourcée.
« Le lobby du sucre a donc gagné cette première bataille, puisque cet étiquetage n’informe en rien le consommateur. »
Ce n’est pas clair pour nous : vous parlez du Cedus, des lobbies ? Mais pour résumer, l’étiquetage du sucre dans la liste d’ingrédient et des sucres dans le tableau nutritionnel est déjà en place sur l’ensemble des produits alimentaires européens.
Les industriels sont conscients que l’information du consommateur doit être améliorée. Un test des différents étiquetages est en cours auprès des consommateurs.
« Les lobbies du sucre s’arrangent donc pour dicter des comportements dès le plus jeune âge, ils impulsent ces comportements pour qu’ils soient bien ancrés pour la suite de leur vie, pour qu’ils deviennent des consommateurs assidus de ces produits. »
Non, nous ne « dictons » pas les comportements des enfants. Nous adressons uniquement des documents pédagogiques aux enseignants qui les commandent (aucun envoi non sollicité). Ces documents présentent uniquement le sucre, son origine et ses propriétés. L’enseignant choisit lui même d’utiliser tout une uniquement une partie des documents : nous n’intervenons en aucun cas dans les écoles.
« Dans la continuité de cette stratégie, un accord-cadre de coopération entre le Ministère de l’éducation nationale et le CEDUS a été signé discrètement, sans faire de bruit, récemment. »
Il s’agit d’un accord portant uniquement sur les filières professionnelles en restauration –hôtellerie signé en 2013, qui traduit par écrit le fait que nous travaillons depuis de nombreuses années avec les lycées professionnels et notamment la mention complémentaire en Dessert de restauration. Nous organisons avec eux le Championnat de France du Dessert. L’éducation à la nutrition, ce n’est pas dans nos attributions et ce n’est pas le rôle du secteur agro-alimentaire. Voir notre commentaire sur le sujet : : http://www.lesucre.com/sucre-et-equilibre/alimentation/de-quoi-parle-t-on/le-role-d-information-du-cedus.html
“Durant cette semaine [du goût], dans toutes les écoles du pays, le sucre est mis en avant par de grands chefs cuisiniers auprès des enfants”
Comme vous le rappelez, cela fait plus d’une vingtaine d’année que la Semaine du Goût a été lancée par le Cedus. Aujourd’hui, nous n’en sommes plus partenaires mais cette opération continue de proposer dans les leçons de goût, suivant les chefs ou les professionnels des métiers de bouche, une éducation à la diversité des saveurs et des aliments.
En conclusion, le Cedus est bien là pour informer et aussi défendre l’image du sucre lorsqu’elle est attaquée. Nous assumons le fait de participer au débat sur la place du sucre dans l’alimentation. Vous avez des convictions, on le voit dans votre analyse mais aussi dans le choix de vos références en bibliographie. Nous restons à votre disposition si vous souhaitez poursuivre l’échange.
Marie du CEDUS