Si vous demandez autour de vous, dans votre entourage ou même lors d’un entretien d’embauche à votre interlocuteur « connaissez-vous l’intelligence économique ? », on vous répondra probablement « non, pouvez-vous m’expliquer ? ». Pourtant, partout et dans bon nombre d’organisations et entreprises, on utilise la méthodologie « intelligence économique » comme outil stratégique sans même en avoir conscience dans la plupart des cas. Effectivement, le monde d’aujourd’hui, dans sa mutation économique et technologique implique le recours à la collecte d’informations, sa diffusion ainsi que son traitement à des fins stratégiques. Pour que l’intelligence économique soit efficace et utile, il semble important que les acteurs du monde économique en France aient conscience de son utilisation. Cette problématique, j’en ai d’autant plus eu conscience de par mon expérience d’étudiant en Master 2 : Intelligence économique et stratégique à l’international, dans le cadre notamment de ma recherche de stage de fin d’études. Les offres de stage et les entretiens passés ont pour moi été révélateurs de la place de l’IE dans l’entreprise en France. La difficulté semble venir du fait que l’IE peut être considérée comme une méthodologie plutôt que comme un domaine d’étude, une discipline à proprement parler comme peuvent l’être par exemple le commerce, les ressources humaines ou encore le marketing.
La place de l’intelligence économique (ie) dans le monde de l’entreprise
Si les entreprises laissent de côté la formalisation de l’IE tout en l’utilisant sans vraiment le savoir dans la plupart des cas, cela veut certainement dire que l’IE est aujourd’hui inévitable pour permettre aux entreprises de « survivre » dans un monde de plus en plus complexe. Ainsi, collecter de l’information, la traiter pour en faire de la connaissance utile à la décision est courant dans toutes les organisations qui font donc plus ou moins de la veille stratégique, à différentes échelles. Les très petites entreprises ainsi que certaines PME vont avoir tendance à effectuer une veille terrain pertinente mais qui va prendre beaucoup de temps pour des entreprises qui n’ont pas forcément les ressources nécessaires à y consacrer.
À une autre échelle, les grandes entreprises, certaines starts up ou les PME dites « innovantes » font de l’intelligence économique de manière peut être plus formalisée. Basée sur des systèmes d’information, des outils de veille pour certains assez onéreux et donc hors de portée des plus petites entreprises. Certaines grandes entreprises auront même un pôle dédié à l’intelligence économique mais cela est assez peu représentatif de l’environnement des entreprises françaises puisque environ 95 % des entreprises françaises comptent moins de 10 salariés et n’ont pas forcément les moyens de formaliser l’IE dans leur stratégie.
Même dans les grandes entreprises ou PME, on peut noter que l’échange d’informations est très compliqué entre les différents pôles que sont le département commercial, le département des ressources humaines etc … Cela a notamment été mis en lumière dans le rapport Martre dirigé en 1994 par Henri Martre et Phillipe Clerc sous la houlette de Christian Harbulot et Phillipe Baumard, deux spécialistes de l’IE.
Ce rapport a dressé l’état des lieux de l’IE dans les secteurs privé et public et dresse un constat cohérent avec mon propos « La pratique est fragmentée entre les différents départements – commercial, financier, technologique, sécurité, concurrence – sans que l’ensemble de ces fonctions soit intégré véritablement dans un processus efficace de prise de décision. D’autre part, les entreprises n’ont pas cherché à construire entre elles des courroies de transmission. Savoir-faire et expériences ne sont que très rarement échangés ou transmis au détriment d’une véritable stratégie nationale d’entreprise. ». On peut aussi noter que l’intelligence économique dans l’entreprise est majoritairement centralisée dans la capitale parisienne. Ailleurs sur le territoire français, on retrouve très peu d’entreprises ayant formalisé l’intelligence économique au centre de l’organisation afin d’échanger et de diffuser des informations essentielles dans leurs prises de décisions.
Via cette étude réalisée par l’ARIST Bretagne, on peut tout de même relativiser le manque d’importance et de connaissance de l’IE dans les entreprises françaises puisque plus de 83 % des entreprises interrogées jugent la veille « importante ou très importante » notamment, 65,9 % d’entre elles désignent l’influence comme « importante ou très importante » dans leur déploiement stratégique. On peut noter que la veille est vue de manière plus importante que la sécurité et l’influence avec par exemple 17% de plus pour la veille par rapport à l’influence. Ce qui illustre peut être le mal français dans l’utilisation des informations et l’échange de celles-ci à l’intérieur des entreprises pour leur donner une réelle valeur ajoutée dans leurs stratégies.
Le recrutement des entreprises : le révélateur passé au crible
Comme nous avons pu le voir précédemment, l’élément révélateur du manque de formalisation de l’IE en France est le recrutement des entreprises. Il suffit de regarder les offres d’emploi ou offres de stage pour ma part comme nous avons pu le voir ci-dessus, pour se rendre compte du manque de connaissances de la manière d’aborder l’IE pour les entreprises françaises.
Des domaines comme le community management ou l’e-reputation recrutent beaucoup aujourd’hui, il s’agit de domaines qui s’apparentent très bien à la méthodologie intelligence économique, seulement la formation « intelligence économique » est très rarement mentionnée dans les formations exigées sur ces offres.
Nous pouvons nous pencher sur quelques exemples d’offres de stages ou d’emploi qui démontrent le manque de formalisation de l’intelligence économique dans le monde de l’emploi. Ici par exemple, cette offre de stage propose un poste de community manager avec des missions de veille et de benchmark ainsi que la gestion des réseaux sociaux : des missions très familières aux étudiants et spécialistes en intelligence économique. Or, dans le profil recherché, il n’est aucunement mentionné « master intelligence économique » ou un autre intitulé qui s’en rapprocherait.
Quelques fois, les postes proposés requièrent une formation d’intelligence économique malgré un intitulé de type « chargé d’étude en communication » « assistant commercial» « chargé de mission marketing ». Très souvent, la veille économique, la veille stratégique ou la veille concurrentielle composent une grande partie des missions du poste et très rarement le poste de veilleur est mentionné dans l’intitulé du poste de l’offre. Le recrutement du personnel est très vague dans son approche de l’intelligence économique, cela montre bien le retard de la France en matière d’intelligence économique même si aujourd’hui cela tend à s’améliorer depuis le rapport Martre notamment.
De la même manière, l’offre de stage ci-dessus est très révélatrice des difficultés de la mise en valeur de la méthodologie d’intelligence économique. Effectivement, une nouvelle fois, la veille fait partie intégrante des missions proposées, seulement, le poste nécessite aussi un volet commercial et c’est donc en cela que les entreprises vont chercher à recruter des profils de type « école de commerce » et d’ailleurs l’intitulé du poste « stage développement commercial » met bien en valeur cela.
Une autre chose qui peut, peut être desservir l’intelligence économique : c’est le manque d’informations des directeurs ou directrices des ressources humaines dans les entreprises qui pour la plupart ne connaissent pas forcément l’IE et ne prennent pas le temps ou n’ont pas le temps de comprendre lors de la lecture des CV, quand on sait qu’ils en reçoivent des dizaines et face à des profils plus communs de type « école de commerce » ou « marketing », cela ne pardonne pas. C’est donc pour cela que les étudiants en intelligence économique doivent faire preuve de pro-action pour valoriser leur formation et chercher des offres de stages et d’emploi pouvant « matcher » avec la méthodologie de l’intelligence économique.
Comment valoriser la formation en intelligence économique ?
Pour bien aborder les recherches, il faut bien se mettre en tête une chose: la formation en intelligence économique est jeune en France et par conséquent, il faut du temps pour les jeunes étudiants de l’IE pour occuper une place de cadre ou plus et avoir l’opportunité de transformer l’IE au cœur des entreprises, être force de proposition et permettre une prise de conscience de l’IE.
Aujourd’hui, on peut penser qu’une grande partie des cadres de ces entreprises ont suivi une école de commerce ou une formation marketing par exemple. Le constat est qu’aujourd’hui, la veille est vue comme un outil encore trop marginal dans les entreprises françaises, comme un outil qui ne servirait pas directement la prise de décision stratégique en entreprise. Les métiers d’analyste, consultant liés à l’IE sont très rarement évoqués dans les intitulés du poste.
Cela peut poser problème dans la veille que l’on peut effectuer pour chercher un stage ou un emploi, c’est pour cela qu’il faut commencer par faire ses recherches en changeant d’opérateurs de recherche ou tout du moins en essayant de faire des requête du type « intelligence économique or veille stratégique or veille concurrentielle etc…. il faut être capable de ne pas s’arrêter sur l’intitulé du poste.
Lorsque l’on tape uniquement « intelligence économique » comme recherche dans un métamoteur d’offres d’emploi de type « Indeed » par exemple, les résultats sont très limités en termes de quantité. Sur la recherche ci -dessus, on obtient seulement 17 résultats. En tapant tout simplement « veille concurrentielle » on obtient pour la même recherche plus de 1000 résultats. Avec le même procédé, en tapant « community manager » on obtient également plus de 1000 résultats pour notre recherche, ce qui confirme bien que la recherche de stages doit se faire par domaine et non en utilisant le terme méthodologique « intelligence économique ».
Une fois une offre de stage ou d’emploi intéressante et attractive trouvée, il faut impérativement mettre en place une stratégie pertinente pour que les recruteurs s’arrêtent sur le CV d’un étudiant en IE. Il est alors nécessaire de penser à modifier le titre du master en « stratégies compétitives », « master économie » ou « master information » ou penser à mettre en valeur des matières d’enseignement sur le CV telles que la veille, le management de projet, l’e-reputation, l’analyse de données… Aussi, si en parallèle de ses études, l’étudiant a pu travailler en job étudiant ou saisonnier, il faut penser à valoriser ces expériences pour compléter la formation en intelligence économique, par exemple avec une expérience commerciale ou marketing, de prospection…
Dernière possibilité, à la fin du master 2 intelligence économique, se diriger vers un master de type commercial, marketing ou de management pour compléter les acquis en intelligence économique et répondre de la meilleure manière aux besoins des entreprises en se dotant d’une double étiquette.
Pour conclure, il semble crucial d’aborder l’IE comme une méthodologie et non un domaine de compétence. L’IE doit justement permettre d’être plus efficace dans ces domaines de compétences. Son approche dans l’entreprise en France doit encore être structurée dans l’échange et la diffusion de l’information. Les étudiants de master IE doivent également jouer un rôle auprès des recruteurs et des entreprises pour mettre en valeur les bienfait’ de l’intelligence économique.
Par Cyril Relion, promotion 2017-2018 du M2 IESCI
Sources :
- La documentation française. Rapport Martre. Henri Martre et Philippe Clerc
- Saida Rabhab-Rave, Intelligence économique et performance des entreprises : le cas des PME de haute technologie, Vie & sciences de l’entreprise, 2007/1 (N° 174 – 175)
- Didier Danet,L’intelligence économique : de l’Etat à l’entreprise, Les Cahiers du numérique 2002/1 (Vol. 3)
- Frank Bournois, Pierre-Jacquelin Romani, Institut des hautes études de défense nationale L’intelligence économique et stratégique dans les entreprises françaises, , FeniXX réédition (Economica), 2016
Webographie :
https://www.insee.fr/fr/statistiques/2569436?sommaire=2587886
http://1001startups.fr/chiffres-cles-entreprises-en-france/
http://resources.grouperandstad.fr/economie-que-pesent-reellement-les-pme-et-tpe-en-france/
http://www.france24.com/fr/20151112-Intelligence-economique-eric-delbecque-strategie-entreprise