L’intelligence économique dans le monde de la recherche

« L’intelligence économique consiste à collecter, analyser, valoriser, diffuser et protéger l’information économique stratégique, afin de renforcer la compétitivité d’un État, d’une entreprise ou d’un établissement de recherche », première phrase de la circulaire du 15 septembre 2011 (circulaire n°5554/SG) intitulée « Action de l’État en matière d’intelligence économique », adressé par le Premier ministre, Monsieur François Fillon, à ces ministres. Cette circulaire met en avant l’importance de l’intelligence économique dans le monde de la recherche. Plus particulièrement dans son annexe deux, où il est écrit que « l’État doit concentrer son action sur la valorisation de la recherche publique […] ».  En effet, nous sommes dans un monde où la connaissance et l’innovation prennent de plus en plus d’importance dans le développement économique. La recherche publique est l’un des plus grands producteurs de ces savoirs. C’est ce contexte particulier qui incite fortement le monde de la recherche public à se tourner vers des questions qui semblent loin de ces intérêts, et qui pourtant lui sont devenus d’une grande importance. L’importance croissante de l’intelligence économique dans la recherche publique est le résultat direct de la stratégie nationale de recherche et d’innovation mise en œuvre par ses différentes composantes, qu’il s’agisse des universités, des établissements de recherches (INRA, CNRS, CIRAD…) ou du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Le savoir créé par nos université, nos organismes de recherche et autres établissements de l’enseignement supérieur, a vocation à être partagé avec le monde des entreprises où ce savoir deviendra le terreau de l’innovation. Cependant cette diffusion d’informations et de savoir au sein du tissu économique du pays doit être protégée. Et pour cela il faut travailler avec les acteurs de la recherche, qui n’ont pas encore les bons réflexes en matière de protection de ces informations. C’est la raison pour laquelle de nombreux travaux se sont développés pour leur apprendre les « bonnes pratiques » de protection.
Dans ces quelques pages, nous analyserons le « Guide de l’intelligence économique pour la recherche », qui a été écrit en réponse à la circulaire du 15 septembre 2011 par la Délégation interministérielle à l’intelligence économique (D2IE) en collaboration avec le ministère de l’enseignement supérieur de la recherche, les universités et les organismes de recherche. L’objectif d’un tel guide est de donner les clefs qui permettent : « d’assurer un bon positionnement français sur les marchés internationaux, de renforcer la compétitivité économique des établissements de recherche et ainsi favoriser le rayonnement de la recherche française » (extrait du « Guide de l’IE » page 6 : construction du guide). Pour cela l’accent est mis sur cinq domaines :

1. la veille stratégique
2. la gestion du patrimoine immatériel
3. le développement d’une politique de sécurité des systèmes d’informations
4. le développement de l’interface entre la recherche publique et le monde socio-économique
5. le renforcement de la politique internationale.

Pour atteindre ces objectifs, les structures de la recherche publique peuvent demander de l’aide auprès des services spécialisés dans le domaine de l’intelligence économique. Nous pouvons par exemple, citer la délégation interministérielle à l’intelligence économique (D2IE), l’INPI ou les CCI.

La veille stratégique

La veille est déjà présente dans la recherche publique. Les scientifiques des instituts de recherche et des universités sont familiarisés avec la veille scientifique et technique. Même si souvent cette veille est focalisée sur le domaine de recherche du chercheur ou de l’institut. En matière d’intelligence économique, il faudrait développer une veille stratégique, axée autour du transfert maîtrisé de technologie vers l’industrie (extrait du « Guide de l’IE », page 11 : veille stratégique), avec une visée nationale. Les établissements de recherche ont des besoins informationnels particuliers. Ils sont principalement orientés vers  des besoins en informations techniques, réglementaires, normatives… La dynamique que veut lancer la circulaire du 15 septembre 2011 est de rapprocher le monde scientifique de celui de l’entreprise. Or les besoins informationnels des entreprises sont orientés vers des informations techniques, financières, commerciales, géopolitiques, sociologiques… On observe ici un premier frein à la rencontre de ces deux mondes, ils n’ont pas les mêmes besoins informationnels.
L’intégration de l’intelligence économique doit permettre de former un pont entre ces deux domaines, de faire évoluer la veille et de sensibiliser les chercheurs des instituts  publiques aux problématiques des publications de brevet, la e-réputation et le positionnement de l’établissement dans les classements nationaux et internationaux, qui sont des informations importantes et recherchées par les entreprises.
Trois pistes de travail sont discutées dans le « guide de l’IE », il s’agit de l’information brevet, et de ces bases de données qui « sont d’excellent outil(s) de diffusion de la connaissance » (extrait du « Guide de l’IE », page 12 : l’information brevet) ; les normes, qui représentent « une source d’information majeure pour la veille stratégique » (extrait du « Guide de l’IE », page 12 : les normes) ; et les meetings (colloque, salon, conférence, réunions…) qui permettent d’échanger et de récupérer des informations, de créer un réseau…
Il ne s’agit pas d’ajouter une charge de travail supplémentaire aux instituts de recherche mais plutôt de les aider à réorganiser leur mode de fonctionnement de veille. Mettre en avant les services de valorisation et les services d’informations déjà présents au sein de la recherche.

Gestion du patrimoine immatériel

La recherche publique possède un patrimoine immatériel très vaste. Les premiers éléments de ce patrimoine sont bien sûr les informations scientifiques et les informations techniques, mais aussi les savoir-faire, connaissances et compétences de tous les chercheurs, ingénieurs et agents qui composent l’effectif de l’établissement de recherche. Ces connaissances peuvent être sous différentes formes, brevets, savoir-faire, article, base de données… Toutes ces informations font partie du patrimoine immatériel de nos établissements de recherche. Il est important de protéger ces informations pour « mettre en valeur [et] protéger l’innovation, […] et faciliter le transfert des laboratoires de recherche publics verse le secteur économique. » (extrait Norme AFNOR FD-X50-146 ; Mangement de l’innovation- Management de la propriété intellectuelle ; décembre 2010). Pour préserver ces informations stratégiques, il faut développer des « mesure(s) de protection, qu’elles soient juridiques ou opérationnelles, visant à préserver l’ensemble de ces informations. » (extrait du « guide de l’IE » page 19 : gestion du patrimoine immatériel). L’objectif de développer de telles stratégies est essentiellement la protection de ces informations. La sensibilisation du personnel travaillant dans les instituts de recherche est importante, or cette protection peut être source d’emplois scientifiques ou industriels, de revenu (par l’intermédiaire du dépôt de  brevet). L’une des pistes mise en avant dans le « Guide de l’IE » pour développer cette protection, est la formalisation de celle-ci par le biais des contrats. En effet, prévoir une clause de propriété intellectuelle dans les contrats est une solution  simple et facile à mettre en application et qui permet de freiner la perte d’informations stratégiques. Il existe d’ailleurs des textes de loi en vigueur sur ce sujet, comme le décret n°2001-1425 du 2 novembre 2011 portant application de l’article 413-7 de Code Pénal et qui est relatif à la protection du potentiel scientifique et technique de la nation. (http://www.legifrance.gouv.fr/eli/decret/2011/11/2/PRMX1118649D/jo/texte source legifrance du décret).

Politique de sécurité des systèmes d’information

La politique de sécurité des systèmes d’information se veut avant tout être une forme de protection « des données et des processus » mais tant aussi à assurer une démarche « d’efficacité et  de compétitivité. » (extrait du « Guide de l’IE » page 39 : politique de sécurité des systèmes d’information). Ce secteur concerne l’ensemble du personnel des instituts de recherche publique. L’un des problèmes rencontrés par le monde de la recherche dans ce domaine, est la multiplicité des acteurs qui interviennent souvent dans l’écriture d’un article, le dépôt d’un brevet… Il faut clairement définir les rôles, droits et devoir de chacun des intervenants et définir par avance les informations et, ou données qui pourront être transféré à chaque participant. Fin 2011, l’ANSSI (Agence Nationale de la Sécurité des Systèmes d’Information) a commencé la rédaction d’un document destiné à donner des lignes directives aux ministères et aux établissements de recherche publique. L’objectif est de mettre en place une politique de « culture de sécurité des systèmes d’information » globale. Une première version de ce document intitulée « Politique de sécurité des systèmes d’information de l’État » (version 1.0) a été publiée le 17 juillet 2014. Ce document est destiné aux personnels des établissements concernés. Il s’agit de règles de sécurité simple, telle que la vérification fréquente de la mise à jour d’un anti-virus, l’utilisation de supports informatiques connus et fiables (clef USB, disque dur externe…), d’effectuer des sauvegarde régulières, d’utiliser des mot de passe… sans les afficher sur un post-it !
L’ANSI publie ainsi régulièrement des guides de bonnes pratiques et des recommandations à appliquer pour maximiser la protection  des systèmes de sécurité.

Développement de l’interface entre la recherche et le milieu socio-économique

Depuis plusieurs années le ministère de l’Éducation supérieur et de la recherche développe des stratégies pour rapprocher le monde de la recherche fondamentale et le monde socio-économique. Il s’agit de la stratégie nationale de recherche et d’innovation (SNRI) qui a permis de définir trois axes prioritaires de recherche. Tout d’abord la recherche française doit s’inscrire dans un cadre européen. Elle doit accentuer ces actions de promotion, de recherche fondamentale et appliquée, et continuer sur la voie de l’innovation. Dans ce cadre, une meilleure maîtrise de ces risques et de ces conséquences sur l’innovation doit être pris en compte. Il est alors indispensable de passer par des phases de pluridisciplinarité et des interfaces interdisciplinaires qui rapprochent les connaissances et les savoirs, et qui permet d’élaborer des approches adaptées aux différents enjeux de la société actuelle.
Le rapprochement de l’industrie et de la recherche peut se faire par le biais des politiques de valorisation. Celles-ci doivent tenir compte  des besoins et attentes de chacun des participants. Il s’agit de la production et la diffusion du savoir pour la recherche, ou de l’obtention de solution concrète, valorisable pour l’entreprise. La coopération recherche-industrie est soumise à des réglementations, concernant l’aspect protection intellectuelle, et un aspect plus juridique lorsqu’un flux financier est présent dans les échanges.
Les laboratoires sont souvent dans l’incapacité de détecter des débouchés pour les nouvelles technologies qu’ils développent. Cela est possible lorsque la technologie est trop en avance sur son temps, le marché n’est pas encore réel ou l’application industrielle de la technologie n’est pas encore bien cernée. Une technologie peut aussi avoir du mal à se concrétiser si les besoins des entreprises ne sont pas bien compris par la recherche, ou si l’offre proposée par la recherche n’est pas connue des entreprises. Ces technologies « dormantes » sont souvent difficilement prises en compte par les laboratoires, car les opportunités de développement économique sont hors de leurs champs d’expertise. Les cellules de valorisation sont présentes pour diminuer ces aspects négatifs résultant d’un manque de dialogue entre l’industrie et la recherche. La prise de conscience de ces problématiques a permis le développement d’outils renforçant le dialogue entre entreprise et recherche. Ces outils peuvent prendre des formes différentes, il peut s’agir de salon, colloque, séminaire ou de programmes de recherches et développement bilatéraux, des laboratoires communs…

Politique internationale

La recherche française est souvent mise en avant. Il est vrai que la recherche française est très prolifique. La France se classe sixième au rang des publications scientifiques en 2013 (« Le positionnement de la France dans le monde par ses publications scientifiques » Laville F., Roth C., et Tailibert M-L., publication du ministère de l’Éducation supérieur et de la Recherche.). Cependant elle doit étendre sa visibilité sur la scène internationale, développer ses  collaborations internationales. Mais il ne faut pas oublier que de telles collaborations représentent un danger, ou à minima des risques pour la protection du patrimoine scientifique. C’est pourquoi il est recommandé « d’intégrer  dans la politique internationale de l’établissement, de façon cohérente et lisible, des concepts d’intelligence économique. » (extrait du « Guide de l’IE », page 55 : politique internationale). Une bonne stratégie internationale se construit dans le temps, l’espace et résulte d’un objectif précis. Elle accompagne une stratégie scientifique dans sa valorisation. Les chercheurs français possèdent dans ce domaine une grande liberté d’action. Pour que la stratégie d’un établissement de recherche soit acceptée par le ministère de l’Éducation supérieur et de la Recherche, elle doit respecter quelques recommandations et s’intégrer dans la politique d’intelligence économique préconisée par le ministère. Les critères sont aux nombres de  quatre :

1. préserver l’image de la France à l’internationale
2. maintenir dans la mesure du possible les technologies développées au sein du territoire français
3. veiller à ce que les résultats financés par des fonds français soient bien attribués à la France au prorata de sa participation (brevets, articles scientifiques…)
4. concilier les intérêts nationaux et les intérêts des chercheurs ou de leurs établissements

L’intelligence économique occupe une place croissante dans les politiques de développement de la recherche publique. Tous les acteurs de la recherche prennent conscience de son importance, dans le soutien à la recherche mais également dans la protection des informations et connaissances. Si la France veut maintenir son rang à l’échelle internationale, elle doit mettre en place une politique de sécurité de l’information plus poussée et développer le cadre juridique des contrats de collaboration entre les institutions  publiques de recherche et les entreprises et les collaborations scientifiques internationales.

Un effort particulier est mis en avant dans le dialogue entre recherche et industrie. La collaboration entre entreprises privées et recherche publique s’améliore mais elle reste encore trop en retrait et ce manque de collaboration peut parfois bloquer le développement de technologies innovantes.

Par Chloé Lobozzo, étudiante promotion 2015-2016 du M2 IESC

Bibliographie :

« Guide de l’intelligence économique pour la recherche » ; publié par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, 05 février 2015
« Action de l’État en matière d’intelligence économique » ; circulaire du 15 septembre 2011, circulaire n°5554/SG
Mangement de l’innovation- Management de la propriété intellectuelle ; Norme AFNOR FD-X50-146,  décembre 2010
Décret n° 2011-1425 du 2 novembre 2011 portant application de l’article 413-7 du code pénal et relatif à la protection du potentiel scientifique et technique de la nation ; journal officiel de la République Française du 04 novembre 2011
Site internet de la délégation interministérielle à l’intelligence économique, http://www.intelligence-economique.gouv.fr/
« Un organisme de recherche s’approprie la veille stratégique » ; Cathala Marie-Hélène, Falize Caroline, Fauré Marie-Colette ; 12ème Forum Européen IES, Troyes, 24-26 septembre 2014
« Politique de sécurité des systèmes d’information de l’État » (version 1.0) ; publié par l’ANSI le 17 juillet 2014.
« Le positionnement de la France dans le monde par ses publications scientifiques » Laville F., Roth C., et Tailibert M-L., publication du ministère de l’Éducation supérieur et de la Recherche
Site de l’observatoire des sciences et des techniques, http://www.obsost.fr/frindicateur/analyses_et_indicateurs_de_reference

 

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