Le processus de la mondialisation a profondément changé les échanges, les comportements, et les stratégies des entreprises. Alors que les échanges internationaux s’expliquaient par la spécialisation selon les avantages comparatifs de Ricardo pendant plusieurs années, de nouveaux échanges apparaissent à partir de la libéralisation des flux de capitaux au début des années 90. Si les échanges étaient, tout d’abord, basés sur une économie internationale représentée par la relation entre des Etats-nations et leur spécialisation selon une division internationale du travail, ils sont très rapidement passés à une économie multinationale où la spécialisation se fait désormais selon une division internationale des processus de production et dont les cadres nationaux ont volé en éclat. Autrement dit, la libéralisation des flux de capitaux a permis aux entreprises d’acquérir une taille mondiale basée sur une sphère financière dont les flux n’ont plus de liens avec l’origine de l’entreprise. On observe donc une transition avec un effacement de l’Etat-nation au profit d’entreprises transnationales avec une chaîne de production internationalisée, se voulant multiculturelles et présentent sur le marché mondial. Ce passage à une économie globale est le résultat d’un changement d’environnement et de contexte. Les entreprises doivent s’adapter à leur environnement ou agir pour l’influencer et pour réussir leur stratégie. Dans tous les cas, l’environnement d’une entreprise est un facteur non négligeable dans la réussite ou non de sa stratégie. Ainsi, même si les acteurs nationaux publics ont été relayés au second plan par ces firmes, ces dernières ne peuvent pas ignorer les prérogatives de chacun d’entre eux sur leur territoire respectif. Enfin, les relations internationales ont toujours un impact et doivent être prises en compte dans l’environnement de l’entreprise. Si le marché est devenu mondial, les entreprises n’en restent pas moins attachées à un territoire. La plupart du temps, ce territoire est celui d’origine de l’entreprise et c’est à partir de celui-ci que l’entreprise bâtira sa stratégie de conquête.
Nous allons nous poser la question de savoir quel est l’impact de la géopolitique sur l’activité économique des entreprises et sur leur stratégie.
- La place de la géopolitique et des relations internationales aujourd’hui
Tout d’abord, il n’y a jamais eu autant de conflits internationaux qu’aujourd’hui, ce qui met les relations internationales et la géopolitique au devant de la scène. Pour cause, les différents conflits nationaux ou internationaux impliquent nécessairement la prise de position des autres pays qui sont plus ou moins liés aux autres nations par rapport à ce fait. La conséquence de cette prise de position est un remaniement systématique des accords passés ou ceux à venir. Les conflits récents en Centrafrique, en Ukraine ou davantage inscrits dans la durée comme en Irak, imposent une prise de position à la fois militaire et politique des Etats.
Ainsi chaque décision géopolitique est le reflet d’une stratégie de la part des dirigeants des nations mais celles-ci sont parfois profondément ancrées dans les mœurs nationales. La raison mise en exergue pour justifier la prise de la Crimée par la Russie est liée à l’histoire et au passé commun entre ce pays et cette péninsule. Mais au delà de ses premières apparences, il s‘agit surtout d’un choix stratégique pour acquérir un point d’ancrage, le port de Sébastopol, en Crimée pour avoir accès aux eaux chaudes (la mer Noire puis la mer Méditerranée) car tout le nord de la Russie est impraticable par les bateaux à cause des eaux gelées. Cette prise de position à la fois politique et militaire cristallise des tensions qui rappellent le contexte de la guerre froide mais qui oblige aussi et surtout les autres nations de l’Union européenne à choisir un « camp ». Les conflits internationaux, résultats de choix géopolitiques stratégiques, sont à l’image d’un monde en mutation perpétuelle où rien n’est figé dans le temps. « Les conflits font naître ou disparaître des marchés de plus en plus conditionnés par l’évolution des rapports de force entre Etats »[1].
La prochaine cartographie des acteurs au Proche-Orient sera le jeu de relations, d’influences, de prise de positions et de soutiens politico-militaires car « des ensembles régionaux se constituent, ou se fragmentent, des acteurs disparaissent ou inversement émergent, constituant ainsi de puissantes dynamiques de restructuration des champs économiques. »[2]
- L’étroit lien entre la géopolitique et l’activité des entreprises
On peut donc voir que la géopolitique n’est pas qu’un simple facteur que l’entreprise doit prendre en compte, mais elle fait partie intégrante de l’existence même des firmes transnationales et de leur activité économique. Dans une économie globale telle que nous la connaissons aujourd’hui, les accords, les traités de libre-échange ou à l’inverse des conflits et des désaccords entre plusieurs nations ont des impacts importants sur l’activité économique de chaque pays et par conséquent pour les entreprises qui les composent. On observe donc un lien étroit entre les relations internationales, la géopolitique menée par les Etats et l’activité des entreprises. Ce lien n’est toutefois pas à sens unique. Même s’il est difficile de comparer un chiffre d’affaire d’une entreprise et le PIB d’un pays, il est cependant intéressant de mettre en avant le pouvoir d’influence de ces firmes et de leur poids économique grandissant. « Le nombre de leurs employés très important pour les plus grosses (Toyota comptait 316 000 employés en 2008), leurs réserves financières, le réseau mondialisé qu’elles constituent les rendent aussi influentes que des États mais par d’autres canaux que ces derniers »[3]. Le lobbying fait partie de ces moyens. Tout ceci fait des firmes transnationales des acteurs géopolitiques.
Un contexte où un évènement historique peut engendrer des choix politiques qui influencent et impactent la stratégie des entreprises. La chute de l’URSS en 1991 met fin à un conflit international ; les anciens pays du bloc soviétique deviennent des enjeux stratégiques pour les entreprises notamment américaines qui ont su investir dans les pays d’Europe de l’Est dès le lendemain de la guerre froide. Stratégiquement, ces pays étaient et sont toujours des viviers de main-d’œuvre moins chère mais surtout représentent un potentiel de nouveaux marchés pour y construire des filiales relais : produire localement pour capter le marché intérieur. Pour cela, il fallait des pays avec un niveau de vie élevé et une forte population, et les pays d’Europe de l’Est remplissaient ces conditions.
Afin d’illustrer encore davantage le lien entre les relations internationales et l’activité économique des entreprises, lors de la fondation de l’Union européenne avec comme acteurs principaux la France et l’Allemagne, les accords actés de l’origine à aujourd’hui ont conduit ces deux nations à ce qu’elles soient, l’une comme pour l’autre, le premier partenaire commercial de son homologue. Ainsi, la géopolitique impacte positivement, lorsqu’il s’agit d’accords commerciaux, ou négativement, lorsqu’il s’agit de conflits, mais elle ne reste en aucun cas sans conséquence.
- La géopolitique actuelle et les perspectives d’avenir pour les entreprises
Comme vu précédemment, il n’y a jamais eu autant de conflits internationaux qu’aujourd’hui et par conséquent, chaque conflit est une source d’interrogation sur l’avenir économique, politique et social des pays impliqués dans ces conflits. Le bassin méditerranéen est le reflet de bouleversements, d’un coté, politiques et, d’un autre côté, économiques. Alors que l’économie de l’Europe est au point mort, l’autre côté de la méditerranée est sujet à de nombreux conflits plus connus sous le nom de « printemps arabe ». Les révolutions en Tunisie, en Egypte, et au Yémen, les guerres en Lybie et en Syrie impliquent une redistribution et une restructuration des modèles de gouvernance. Mais ces conflits impactent nécessairement l’activité économique de ces pays, les entreprises nationales sur un premier plan mais aussi, les firmes transnationales sur un second plan qui peuvent s’interroger sur le bien fait ou non d’investir dans des entreprises locales, ou faire construire des usines tant que les conflits ne sont pas terminés.
Des prises de positions de certaines nations et des accords entre des firmes peuvent avoir des résultats défavorables pour certaines entreprises transnationales. Afin d’illustrer ces propos, prenons le cas de PSA et du marché automobile en Iran. En 1978, PSA rachète Chrysler Europe et hérite de la place de constructeur américain déjà bien implanté en Iran. Cependant, la révolution islamique en 1979 provoque un changement de pouvoir non voulu par les américains. Parallèlement, le marché de l’automobile se développe en Iran et passe en 30 ans de 160 000 voitures produites à 1 680 000 dont 478 719 par PSA en 2011 ce qui en faisait son second marché. Mais, après des difficultés financières, PSA est contraint de céder 7% de son capital à General Motors en 2012. Peu de temps après, PSA annonce son retrait du marché iranien mettant en avant que leur activité sur ce marché devenait trop difficile à cause des sanctions économiques prises par l’ONU notamment vis-à-vis des banques. Toutefois, c’est bien l’Etat américain qui a fait pression sur PSA à travers General Motors en rappelant à PSA que l’entreprise elle aussi peut être touchée par les sanctions prises contre l’Iran. Les États-Unis vont même encore plus loin en mettant sous pression les banques qui voudraient traiter avec l’Iran mais aussi en instaurant l’Executive Order Act 13645 en 2013 sur une stipulation très technique mais efficace dans leur stratégie. « La fourniture de pièces détachées ou de services à des sociétés iraniennes est sanctionnée, mais, concernant le secteur automobile, la fourniture de véhicules « entiers » n’est pas condamnée »[4]. Une aubaine pour General Motors qui exporte des véhicules entiers ce qui leur a permis d’asseoir leur position sur le marché automobile iranien à l’instar de PSA qui s’est vu exclure du marché. Une nouvelle fois, un conflit ou un désaccord entre plusieurs nations impactent positivement ou négativement les entreprises.
Toutefois, si les sanctions américaines restent en place, plusieurs accords avec l’Iran permettraient d’entrevoir certaines opportunités pour PSA dans les années à venir. Tout d’abord, un rebond du marché iranien en 2014 mais aussi une recherche de partenaire de l’ancien partenaire local de PSA. Malheureusement, PSA aura assurément des difficultés à reconquérir le marché tant que les tensions avec l’Iran restent en place ce qui continue d’alimenter la baisse des échanges entre ces deux pays. La France est passée de la 4ème place en 2000 à la 15ème place en terme de partenaire commercial avec l’Iran[5].
Pour conclure, on constate que les relations internationales et l’activité des entreprises sont étroitement liées. A travers un certain contexte historique ou certains choix politico-militaires de certaines nations, la stratégie des entreprises s’adapte à l’environnement international. Si certains évènements peuvent se traduire par des opportunités et des enjeux économiques, d’autres, à l’inverse, peuvent avoir des impacts néfastes et destructeurs sur l’économie des pays et leur tissu d’entreprise sur le territoire.
La volonté de créer un traité Transatlantique de libre échange entre l’Union Européenne et les Etats-Unis sera aussi le théâtre d’accords commerciaux initiés par des Etats qui auront des conséquences sur l’activité économique des entreprises américaines et européennes. Toutefois, il sera intéressant d’observer et d’analyser le jeu d’acteurs et d’influence que cet accord a engendré et dont il fait encore l’enjeu d’opposition aujourd’hui.
Par Maxime Olejniezak, étudiant promotion 2014-2015 du master 2 Intelligence Economique et Stratégies Compétitives d’Angers
https://www.linkedin.com/in/maximeolejniezak
Bibliographie
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Rosière, Stéphane, « La place des firmes dans la tradition et l’actualité géopolitiques », Revue Géographique de l’Est, vol. 50 / 1-2 | 2010. http://rge.revues.org/2942
Meyer, Guillaume (2014). « L’Iran, un marché stratégique pour PSA ». Portail de l’IE. http://www.portail-ie.fr/article/1111/L-Iran-un-marche-strategique-pour-PSA
Mark Bailoni, Sylvie Daviet, Michel Deshaies, Simon Edelblutte, Jacques Fache, Frédéric Leriche, Yann Richard et Stéphane Rosière, « Introduction : les firmes, acteurs géopolitiques », Revue Géographique de l’Est, vol. 50 / 1-2 | 2010. http://rge.revues.org/2966
Fiorina, Jean-François (2013). « Les grandes entreprises, acteurs géopolitiques ? ». Grenoble Ecole de Management. http://notes-geopolitiques.com/les-grandes-entreprises-acteurs-geopolitiques/
Richard, Yann. « Les stratégies de Gazprom : un problème géopolitique ? », Revue Géographique de l’Est, vol. 50 / 1-2 | 2010. http://rge.revues.org/2875
Badel, Laurence, et Beltran, Alain (2009). « Entreprises, État et risques géopolitiques au 20e siècle ». Les cahiers Irice.
« Mistral : la France pourrait ne « jamais livrer » la Russie, selon Le Drian ». Les Echos. 05/12/2014. http://www.lesechos.fr/monde/europe/0203992181333-mistral-la-france-pourrait-ne-jamais-livrer-la-russie-selon-le-drian-1071894.php
Fiorina, Jean-François. (2014). « Géopolitique: un “outil business” indispensable pour exister sur les marchés mondiaux ». Le Huffington Post. http://www.huffingtonpost.fr/jeanfrancois-fiorina/geopolitique-un-outil-bus_b_4702654.html
[1] 2 Taje, Medhi. (2013). « L’entreprise ne peut plus ignorer la géopolitique ». Kapitalis. http://www.kapitalis.com/afkar-2/15239-l-entreprise-ne-peut-plus-ignorer-la-geopolitique.html
[3] Rosière, Stéphane, « La place des firmes dans la tradition et l’actualité géopolitiques », Revue Géographique de l’Est, vol. 50 / 1-2 | 2010. http://rge.revues.org/2942
[4] 5 Meyer, Guillaume (2014). « L’Iran, un marché stratégique pour PSA ». Portail de l’IE. http://www.portail-ie.fr/article/1111/L-Iran-un-marche-strategique-pour-PSA