Avec la récente mutation de la DPSD (Direction de la Protection et de la Sécurité de la Défense) en DRSD (Direction du Renseignement et de la Sécurité de la Défense), par décret ministériel en date du 7 octobre 2016, le gouvernement français porte plus l’action de la sécurité économique de la Base Industrielle et Technologique de la Défense (BITD) française sur la collecte et l’exploitation d’information d’origine grise, voir noire. Mais également avec le Service de l’Information Stratégique et de la Sécurité Economique (SISSE, ancienne Délégation Interministérielle à l’Intelligence Economique, D2IE), cet organe chargé de promouvoir, sensibiliser et de porter des actions sur les entreprises de tous secteurs et de toutes tailles (de la PME à la Grande Entreprise) à la collecte, la protection et la sécurisation de leurs informations propre grâce à des dispositifs d’Intelligence Economique (IE).
Or ces 2 approches, que l’on pourra appeler le Renseignement Economique et Financier (REF) qui a pour mission la contre-ingérence et la sécurité économique de nos secteurs stratégiques, et l’IE qui a pour mission d’accroitre la compétitivité des entreprises françaises au sein d’un contexte ultra-compétitif et mondialisé grâce à l’utilisation d’information provenant de sources ouvertes (informations blanches), la sécurisation de celle-ci ainsi que la pratique de lobbying pour influer sur les marchés, semblent aller de pair.
D’une part, d’après les rapports de la Délégation Parlementaire au Renseignement (DPR) de 2015 et 2016 (portant sur les activités de renseignement de 2014 et 2015), la prise en compte du REF a été trop faible par rapport aux menaces qui portent sur les intérêts souverains de la France (ce qui a été clairement explicité dans la Loi de Programmation Militaire 2013-1168 portant sur les années 2014 à 2019). Or, pour l’année 2015, la DPR a su féliciter les avancées quant aux propositions d’améliorations qu’elle a formulées dans les anciens rapports au sein des différents services et ministères compétents. Cela prévaut également pour l’amélioration et les actions conduites par le SISSE, l’ancienne D2IE (avec comme Commissaire à l’Information Stratégique et à la Sécurité Economique, M. Jean-Baptiste Carpentier, ancien directeur de TRACFIN et Délégué Interministériel à l’Intelligence Economique).
Ainsi, on peut observer une pluralité de définition de l’Intelligence Economique. Jean-Louis LEVET la définit comme « la capacité à comprendre notre environnement et à anticiper le changement. » Pour cela elle se fonde sur la maîtrise de l’information et la production de connaissances nouvelles. Dans le cours magistral de « Finalités et Enjeux de l’Intelligence Economique » de M. Dominique MUSSEAU, elle est caractérisée comme reposant sur 3 piliers : la Veille (recherche d’informations), la Sécurité/Sûreté (sécurisation des informations, des personnes et des matériels) et l’Influence (changer la mentalité des marchés, consommateurs, afin de gagner des parts de marché).
Concernant le REF, la DPR dans son rapport de 2015 concernant les activités de 2014 le définit tel quel : « le renseignement économique, dans une acceptation tant défensive qu’offensive contribue à la protection des entreprises et du patrimoine scientifique face aux menaces extérieures, à la sécurisation des approvisionnements stratégiques et à l’identification des stratégies des investisseurs ».
D’autre part, l’intelligence économique trouve ses racines au sein du renseignement économique. En effet, à tout âge, les services de renseignements ont cherché à s’approprier des connaissances étrangères tant dans le domaine de la sécurité nationale que pour améliorer les dispositifs industriels et les innovations technologiques par des moyens clandestins. Ce que l’intelligence économique réprouve. Ainsi pour elle, l’IE va utiliser des moyens légaux (des sources ouvertes contenant des informations blanches) et favoriser la recherche, le traitement, la protection et la transmission d’information via les réseaux entre entreprises et les organismes d’Etat.
La politique publique d’Intelligence Economique en France :
Depuis la réception du rapport Carayon en 2003, la France a pris en compte le potentiel sécuritaire et d’accélérateur économique qu’est l’IE. Ainsi elle a mis en place un organisme auprès du Premier Ministre et du Président de la République afin de veiller, protéger et sensibiliser les acteurs économiques stratégiques ou non de notre pays. Pour ce faire, le poste d’HRIE a cédé la place à la D2IE en 2009 qui a su montrer la pleine mesure de la bonne pratique de l’IE. La D2IE a, aujourd’hui, à sa tête, Jean-Baptiste Carpentier depuis juillet 2015. Aujourd’hui, la D2IE a été remplacée par le SISSE, dans une optique gouvernementale de renforcement des actions de la D2IE et du SCIE. Donc, le SISSE regroupe en son sein la D2IE et le SCIE. Que nous allons détailler ci-dessous.
Dans un premier temps, la Délégation Interministérielle à l’Intelligence Economique. C’est l’organisme au sein du SISSE qui est en charge de mettre en place et d’appliquer les directives de la politique publique d’Intelligence Economique définie par le PM et son gouvernement. Les axes de travail dont a autorité la D2IE sont :
- La veille, l’anticipation, les alertes et les analyses
- La sécurité économique, comprenant l’identification et la prévention des risques, notamment immatériels (savoir-faire, réputation, etc.)
- L’influence de long terme sur l’environnement économique (ex : la régulation internationale de toute nature)
- La pédagogie et la sensibilisation des acteurs publics et privés.
Afin de faire appliquer les politiques et les actions économiques publiques décidées par le gouvernement et les moyens pour mettre en œuvre ces politiques, la D2IE se fait seconder par le SCIE (Service de Coordination de l’Intelligence Economique). Sa fonction propre est la « mise en œuvre de la politique publique d’IE proposé par la D2IE » (http://www.intelligence-economique.gouv.fr/qui-sommes-nous/les-acteurs-de-lintelligence-economique/au-niveau-ministeriel). Pour pouvoir appliquer les politiques décidées par la D2IE et le gouvernement, « ses missions s’exercent principalement en matière de veille et de soutien à la compétitivité » (http://www.intelligence-economique.gouv.fr/qui-sommes-nous/les-acteurs-de-lintelligence-economique/au-niveau-ministeriel). En d’autres termes, le SCIE va aider les agents économiques à développer « une capacité propre d’analyse stratégique et d’anticipation » tant à la fois globale (vision internationale, anticipation des grandes évolutions dans le domaine de la recherche et l’innovation à l’échelle mondiale) que locale (volonté d’augmenter la compétitivité, mise en place de veille concurrentielle, scientifique, technologique, juridique,… mais aussi en terme de protection (protection matérielle et immatérielle, lutte contre contrefaçons et blanchiments d’argents,…). Egalement, le SCIE va aider les agents économiques à « acquérir une expertise et une formation en terme de veille » auprès principalement des PME-TPE (http://www.economie.gouv.fr/scie/dispositif-et-missions-0).
En plus des missions qu’elles mènent auprès des acteurs économiques nationaux (entreprises principalement), la D2IE, via l’IHEDN, forme les dirigeants et agents économiques ainsi que le personnel de la Défense aux questions d’IE lors de séminaires organisés périodiquement depuis 1996. De plus, dans le cadre de la réforme du dispositif d’IE par décret du PM du 22 août 2013, le volet pédagogique est l’un des axes majeurs de la politique publique d’IE (Rapport d’Activité de l’IHEDN 2014).
Grâce à ces actions concertées, dont les résultats sont peu connus du grand public tels que : l’anticipation de phénomènes économiques, le travail en partenariat avec le ministère de la recherche, l’accompagnement du travail national et européen sur le secret des affaires ainsi que la mise en place d’un diagnostic de sécurité pour toutes les entreprises désirant faire face à l’ingérence extérieure. La DPR, dans son rapport d’activité pour l’année 2014, « félicite les liens fructueux que la D2IE a pu nouer avec le coordonnateur du renseignement et les services eux-mêmes » (Rapport de la DPR, 2015). Ainsi nous allons voir quels sont ces acteurs du renseignement qui facilite le travail du SISSE (ex-D2IE).
Le Renseignement Economique et Financier en France :
Selon le rapport de la DPR de 2015, le RE ou plutôt le Renseignement Economique et Financier (REF) n’est pas assez pris en compte dans les politiques et les missions des différents services alloués à la protection du patrimoine et de la souveraineté économique français. Or, la France, depuis de nombreuses années s’est dotée d’organismes et d’agences lui permettant d’assurer sa sécurité et sa souveraineté économique contre des ingérences extérieures.
En donnant une fonction plus « économique » à ces services de renseignement, ces organismes auront 4 grands rôles dans la protection et l’appui des intérêts économiques et commerciaux selon Charlotte Lepri:
- Assurer un appui en matière de contre-espionnage, fournir des rapports au gouvernement sur les activités clandestines dirigées contre les intérêts économiques et commerciaux de notre pays.
- Collecter des informations inaccessibles aux responsables politiques et leur produire des analyses à valeur ajoutée sur des questions stratégiques.
- Mener des « activités spéciales » pour influer sur des évènements, des comportements ou sur la formulation des politiques dans d’autres pays.
- Fournir des informations sur les capacités et intentions que des adversaires économiques cherchent à dissimuler (surveillance des accords commerciaux, recueillir des informations sur des pratiques commerciales déloyales ou malhonnêtes, surveillance du respect des ententes internationales entre Etats membres pouvant avoir des répercussions sur les intérêts économiques et commerciaux de notre pays.
En France, la population a une vision négative voir illégale (« barbouze ») du renseignement. En réalité, celui-ci tire ses informations depuis des sources humaines ou électroniques, grâce aux informations d’origine humaine, à l’utilisation de logiciels ou encore de notes provenant de cabinets d’experts-comptables. On pourra ainsi classer le renseignement, l’information comme étant noire (source illégale), grise (vide juridique) ou blanche (source légale).
La recherche du REF, puis le traitement de celui-ci pour finalement devenir des informations pouvant être traitées et utilisées par l’IE au niveau étatique va se faire à différents échelons et par différents organismes.
Ainsi la recherche, à proprement parler, du REF par des organismes étatiques va se faire tout d’abord via les agences de renseignements du ministère de l’économie et de la défense. Pour ainsi anticiper sur nos partenaires, les actions et innovations que ceux-ci pourraient produire. Aujourd’hui tous les acteurs de la communauté du renseignement vont avoir des prérogatives en termes de REF. Bien que selon les parlementaires, la culture du renseignement et particulièrement celle du REF est encore « embryonnaire dans notre pays » alors même que « la menace économique n’a jamais été aussi grande » (rapport de la DPR, 2015, p.37).
Au jour d’aujourd’hui, la grande majorité des REF recueillis par les services de renseignements sont tirés de sources ouvertes, via Internet qui a changé le paysage de l’information en étant immédiatement disponible et visible à tous. Ainsi, ceux-ci utilisent ces nouveaux outils sans avoir à recourir à des moyens clandestins pour obtenir les REF. Mais les pratiques peuvent changer d’un service à un autre (C. Lepri, 2008, p.18).
Premièrement, la DGSE, service de renseignement extérieur, va évoluer sur les territoires étrangers et va agir hors des limites fixées par la D2IE et l’IE. Son action est tout d’abord du renseignement sécuritaire pour protéger la France et les français. Mais elle va également mener des actions de renseignements économiques via la DR et son service de sécurité économiques (https://fr.wikipedia.org/wiki/Direction_g%C3%A9n%C3%A9rale_de_la_S%C3%A9curit%C3%A9_ext%C3%A9rieure#Direction_du_renseignement). Malgré cela, la DGSE peine à produire des notes de RE efficace via la collecte et l’exploitation de ceux-ci puisqu’étant tributaire du ministère des finances dont « elle reçoit extrêmement peu de demande » (Rapport de la DPR, 2015, p.52).
Un autre organisme de la recherche du REF, la DGDDI a à sa disposition la DNRED. Celle-ci a pour mission de surveiller les mouvements liés ou connexes à des opérations commerciales (rachats d’entreprises, investissement d’entreprises étrangères dans des entreprises nationales, Offre Publique d’Achat, etc.). Mais elle a également des prérogatives dans le renseignement commercial, économique et financier (rapport de la DPR, 2015, p.48).
Par la suite, après cette collecte du REF par ces organes étatiques, d’autres services vont être en charge également de la collecte de REF mais aussi de la protection de nos entreprises. Premièrement, la DGSI a dans ses pôles d’activités, « une action de préservation de la souveraineté économique, scientifique et technologique par son action de contre-ingérence économique et de protection du patrimoine économique ». La contre-ingérence économique va s’opérer sur divers domaines (captation de savoir-faire, acte de malveillance, prédation financière, débauchage stratégiques, etc.). Pour contrer ces diverses menaces qui pèsent sur les acteurs économiques, elle va faire de la prévention auprès de ces acteurs mais également cartographier les menaces auxquelles ils peuvent faire face via des outils statistiques et d’analyses (http://www.interieur.gouv.fr/Le-ministere/DGSI/La-protection-du-patrimoine-economique). Deuxièmement, la DRSD (ex-DPSD), dépendant du ministère de la Défense, va également avoir une action de contre-ingérence et de protection du patrimoine économique, industriel et scientifique. En effet, celle-ci détermine les vulnérabilités induites par une société reliée directement ou indirectement avec l’économie de la Défense via son service enquêteur. Elle s’insère pleinement dans le REF telle que le décrit la DPR dans son rapport de 2015. Aujourd’hui, elle suit près de 2000 entreprises liées à l’économie de la Défense. Enfin, TRACFIN, la cellule du renseignement financier (CRF) est quant à elle rattachée au ministère des finances. Elle a pour mission principale de lutter contre les circuits financiers clandestins, le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Mais outre ses différentes prérogatives, elle s’assure principalement de l’exploitation et de l’analyse des renseignements propres à établir toutes opérations financières délictueuses. Ainsi, elle transmet toutes ses notes d’informations aux personnes habilitées par le code monétaire et financier (l’autorité judiciaire, les administrations d’Etat et les services de renseignement spécialisés et les cellules de renseignements financiers homologues) (http://www.academie-renseignement.gouv.fr/tracfin.html).
Finalement la collecte du REF va également se faire à l’étranger via l’entité diplomatique. En effet, comme sur le modèle des britanniques aux prémices du REF et de l’IE, leurs ambassadeurs étaient formés à la création de réseau leur permettant d’anticiper sur les besoins d’un pays étranger mais également à collecter des REF via leurs homologues étrangers, les chefs d’entreprises, etc. (Cours C. Baulant, MIE chapitre 2, 2015) Les ambassadeurs français ont imité ce système leur permettant d’obtenir du REF via leurs réseaux grâce aux outils de veille et d’information sur les évolutions économiques majeures, ainsi que sur les risques pouvant peser sur les établissements de recherche.
Les données extraites de ces outils leur permettent de traiter des informations scientifiques et économiques obtenues en ambassade via les services scientifiques des ambassades. Ces ambassades, par la suite, émettent des bulletins électroniques au gouvernement et aux entreprises françaises afin de les informer des avancées technologiques et scientifiques mondiales.
Ainsi, dans notre société perpétuellement en mouvement, l’Intelligence Economique et le Renseignement Economique et Financier vont de pair. L’un découle de l’autre, mais l’IE dans une certaine mesure, nous permet d’anticiper les actions de nos adversaires grâce à une connaissance accrue de notre environnement extérieur, tout cela en restant dans une approche légale de la collecte et de l’exploitation des données et des renseignements. Mais, avec le scandale des écoutes de la NSA en 2013, est-ce que le REF n’est pas aussi un bouclier efficace contre les ingérences économiques et technologiques des pays alliés à la France ? Est-ce que ces deux éléments vont nous permettre de protéger et de conserver notre compétitivité industrielle et technologique actuelle ?
Par Alexandre Bineau, promotion 2016-2017 du M2 IESC
Webographie :
http://www.entreprises.gouv.fr/information-strategique-sisse
http://www.defense.gouv.fr/drsd/breves/dpsd-devient-drsd
http://www.economie.gouv.fr/scie/dispositif-et-missions-0
http://www.interieur.gouv.fr/Le-ministere/DGSI/La-protection-du-patrimoine-economique
http://www.academie-renseignement.gouv.fr/tracfin.html
Bibliographie :
- Charlotte LEPRI, Les services de renseignement en quête d’identité : quel rôle dans un monde globalisé ?, 2008
- Olivier CHARDAVOINE, La politique publique d’Intelligence Economique, 2015
- DELBECQUE et al, Intelligence Economique, 2012
- Jean-Christophe DAMAISIN d’ARES, Intelligence Economique et Renseignement, 2016
- Rapport de la Délégation Parlementaire au Renseignement pour l’année 2014, Rapport de janvier 2015
- Rapport de la Délégation Parlementaire au Renseignement pour l’année 2015, Rapport de janvier 2016