Les terres agricoles, des ressources stratégiques

Au salon de l’agriculture, le président Emmanuel Macron s’est retrouvé le 24 février face aux problèmes des agriculteurs. De multiples discussions ont eu lieu sur plusieurs thèmes comme sur le glyphosate, sur la PAC etc …. Son discours du 22 février à ce sujet est très important. Il estime que les terres agricoles sont “un investissement stratégique dont dépend notre souveraineté”. Et qu’il faut mettre des « verrous ». Cette phrase met en lumière un des enjeux majeurs de ce siècle, comment nourrir la population. La population mondiale actuelle est de 7,5 milliard et l’ONU estime qu’en en 2050 elle serait autour de 9,5 milliard d’habitants. Cela pose un problème vis à vis de l’alimentation. En effet, on a vu une réduction de la  faim dans le monde depuis le 20ème siècle. Cependant, selon le WFP (World Food Program) il reste toujours 795 millions de personnes qui souffrent de la faim soit 1 personne sur 9. De plus, les prévisions sur ce domaine sont très difficiles voire impossibles.

Avec une telle population dans le monde, se pose la question de comment la nourrir. Chaque pays a pour objectif de nourrir sa population et cela devient un élément stratégique. En effet, un pays qui n’arrive pas à nourrir sa population peut être touché par la violence notamment avec des “émeutes de la faim” en 2007 et 2008. Par exemple les émeutes à Abidjan en Côte d’Ivoire, à Haïti, en Indonésie etc …. Ce fut le cas dans des pays d’Afrique et d’Asie. Face à ces risques, de nombreuses solutions sont apportées où certains Etats achètent des terres arables directement ou par le biais d’entreprise. Certains pays comme la Chine achètent directement des terres ou encore la Corée via une holding. Cela devient donc un enjeu stratégique pour les pays qui ont des problèmes d’approvisionnements.

Cependant en plus d’une population mondiale qui croit on a des soucis vis à vis des terres agricoles. Notamment avec les cas de pollution ou des soucis environnementaux que ce soit des inondations, des sécheresses, etc …. Ainsi, on peut prendre l’exemple en Chine de champs pollués par les métaux lourds. La sécheresse, elle, touche de nombreux pays, le Portugal par exemple est touché par une sécheresse très importante. 85 % du pays est touché par une sécheresse sévère dont 9% par une sécheresse extrême. Il y a donc des terres agricoles qui peuvent disparaître à cause de l’environnement.

Enfin cette question de comment nourrir sa population n’est pas nouvelle. Malthus et Ricardo 2 économistes anglais ont théorisé sur cette question. On peut reprendre la théorie de Ricardo qui reste parfaitement d’actualité. Cette théorie suppose qu’il existe différentes rentabilités de récolte sur les terres agricoles. Les paysans vont cultiver sur les terres les plus fertiles et plus la population augmente, plus la demande de nourriture augmente et plus on va cultiver de terres de moins en moins fertiles. Et en réalité toutes les terres ne se valent pas pour cultiver ce qui a une valeur supérieure aux autres.

Partie 1 : Le contrôle de terre arable : un enjeu majeur ?

1. Un phénomène mondial

On  voit sur cette carte que la vente de terres agricoles est un phénomène mondial. On remarque que les pays acheteurs sont des pays ayant une population supérieure à ce que pourrait nourrir leurs productions nationales. Parce que leurs populations sont grandes comme en Chine ou en Inde, mais aussi des pays se trouvant dans des zones désertiques tels que le Qatar ou l’Arabie Saoudite. Cette carte permet de montrer les tendances cependant, elle n’est pas à jour, car elle date d’avant 2010. Il y a eu un accroissement de ce type d’investissement depuis le début des années 2000.

Ce phénomène est très présent en Afrique, surtout en Afrique de l’Est où de nombreux pays ou entreprises essayent de se tailler un morceau pour garantir leurs approvisionnements. Comme vous pouvez le voir sur la carte (une acre est 2,5 fois plus petite qu’un hectare). Ceux qui critiquent cet accaparement de terre dénoncent cela comme un nouveau « scramble for Africa ». Pour rappel, il s’agit du nom donné au partage de l’Afrique au XIX siècle par les puissances européennes de l’époque. A nouveau il s’agit d’un partage mais cette fois entre toutes les puissances du monde mais surtout les pays de l’OPEP et les BRICS qui ont des difficultés d’approvisionnement. Jacques Diouf, ancien directeur du FAO qualifie cela de « néocolonialisme agraire ». On peut ajouter que ce sont en partie des pays ayant des troubles qui subissent ces investissements. Puis si on se réfère à la première carte certains de ces pays ne peuvent déjà pas répondre à la faim dans leurs pays. Selon un rapport de la banque mondial de 2010 2/3 des accaparements de terres entre 2008 et 2009 se font au 2/3 en Afrique subsaharienne.

Ce phénomène ne se passe pas qu’en Afrique cela se passe aussi en Amérique du Sud notamment en Argentine et au Brésil 2 géants dans la production agricole, mais aussi en Amérique du Nord, en Asie, en Océanie et même en Europe. En effet, des pays investissent dans les pays du Sud, car ce sont des terres peu chères cependant elles ne sont pas autant productive que celles des pays utilisant beaucoup plus de produits phytosanitaires ou ayant de meilleures irrigations. C’est pour cela que certains pays en voie de développement achètent des terres dans les pays du Nord. Ce qui peut conduire à des polémiques comme ce qui s’est passé en France dernièrement où une entreprise chinoise a acheté 900 hectares dans l’Allier. Cela pose aussi la question de la qualité de la terre qui est achetée. C’est ce qui explique en parti cet achat chinois. Et c’est en partie la raison de ce type d’investissement en Ukraine. En effet, historiquement, l’Ukraine fut le « grenier » de l’empire russe puis de l’URSS.

Après avoir vu que c’est un phénomène mondial qui touche tous les pays, nous allons nous intéresser à la stratégie d’un pays : la Chine

2. L’exemple de la stratégie chinoise

Nous allons voir maintenant pourquoi la Chine investit dans les terres arables et quelles sont les stratégies qu’elle a mise en place.

Pour commencer, il faut comprendre que la Chine contient 1/5 de la population mondiale pour moins de 9% des terres arables dans le monde. La chine a connu dans son histoire de terribles famines, encore récemment. Sous Mao, elle a subi une grande famine à l’orée des années 60 se soldant par 10 millions de morts ce qui laisse un souvenir dramatique. Ensuite, la politique industrielle chinoise a eu des conséquences sur l’environnement et donc sur les rivières sur les différentes terres arables. De plus, de nombreux scandales sanitaires ont touché la Chine.

Par exemple le scandale du lait en poudre contaminé à la mélamine qui a conduit a plus de 300 000 intoxications dont des centaines de morts. Des intoxications aux métaux lourds dont de la viande. Des choux aux formols un produit pour conserver le produit lors des transports non réfrigéré, or, c’est un produit cancérigène. Et il y a encore beaucoup d’autres cas. Cela a touché la confiance des consommateurs.

En plus de cette optique, la Chine investit afin d’être autosuffisant. Cet objectif d’autosuffisance concerne tous les produits à l’exception du Soja nécessaire à l’alimentation du bétail et dont ils importent 80% de leurs besoins. Dans sa volonté de contrôler ses approvisionnements en nourriture, l’Etat a poussé les acteurs chinois à investir dans les terres arables. Par exemple, le Chongqing Grain Group a investi 2,5 milliard de dollars dans l’acquisition de terres au Brésil dédiées à la culture de soja. Elle a réussi à faire main basse sur des terres agricoles en Australie en 2017. En effet, le consortium chinois, Dakang Australia Holdings a acquis l’équivalent de 1% du territoire australien en terres arables. Et ce n’est là que quelques investissements qu’ils ont fait. Ils ont acheté des terres dans le Missouri aux États-Unis, dans l’Allier en France, en République Démocratique du Congo, etc …. De plus cette stratégie dans une moindre mesure, c’est aussi d’acquérir des produits de qualité afin de redonner confiance aux consommateurs chinois.

Cependant, face à cette stratégie, il y a eu de nombreux levers de bouclier pour critiquer et ou dénoncer le pillage des ressources. Face à cette montée des critiques, la Chine a décidé de favoriser les prises de position dans les entreprises agroalimentaires, mais aussi de développer des partenariats. Ainsi le spécialiste du soja en chine, COFCO, a pris position dans différentes entreprises agroalimentaires comme le suisse Nidera. En termes de partenariat Synutra alliée à la coopérative locale bretonne Sodiaal produit environ 100 000 tonnes de lait en poudre, ce qui fait écho avec le scandale expliqué plus tôt. La Chine a aussi tenté de faire un partenariat avec d’autres pays pour des terres comme en Ukraine auwuel ils ont dû y mettre fin face aux critiques de plus en plus virulente vis à vis de ce partenariat.

On voit donc que la Chine essaye de protéger ses approvisionnements en nourriture de la même façon qu’elle essaye par exemple de protéger son approvisionnement en pétrole. On voit donc l’importance de l’autosuffisance en nourriture. Cela pose aussi la question du futur. En effet, quelle stratégie va mettre en œuvre la chine. Et comment va-t-elle répondre aux critiques, aux réactions violentes et juridiques ?

Partie 2 : Les critiques et les lois misent en place contre l’achat de terre arable

1. Les critiques

De plus en plus de critiques sont émises par des personnalités politiques des ONG, vis à vis de ces investissements. Pour commencer l’ONG GRAIN est une « organisation internationale qui soutient la lutte des paysans et des mouvements sociaux pour renforcer le contrôle des communautés sur des systèmes alimentaires fondés sur la biodiversité ». Cette ONG a tiré la sonnette d’alarme et a voulu créer une base de données recensant ces achats de terres. C’est exactement la même idée que le projet « Land Matrix ». Ces bases de données ont pour but de récupérer toutes les informations sur chaque transaction. La critique principale qui fut résolue en partie est la transparence des projets. En 2010, ce fut le pic de terres agricoles vendues avec plus de 90 millions d’hectares vendus, et c’était une des critiques les plus virulentes émises notamment pour combattre la corruption. Ensuite, une critique émise dans de nombreux cas d’achat est l’appropriation et le « vol » de terre. Il s’agit le plus souvent de critique politique vis à vis d’un certain laisser faire sur ces questions. Pascal Canfin, actuel directeur de WWF France avait écrit un article dessus en 2009 énonçant à peu de chose près les mêmes critiques que l’ONG Grain et montrait le souci d’une financiarisation des terres agricoles.

La question de la financiarisation des terres est de plus en plus forte. En effet, en plus de leurs capacités à produire de la nourriture ces terres sont devenues des biens spéculatifs. Tel des biens immobiliers, ils sont aussi sensibles aux bulles spéculatives. On voit dans le monde une inflation des terres agricoles à des vitesses différentes selon les zones géographiques. En France, le prix de l’hectare en moyenne entre 1997 et 2016 a augmenté de 54% ce qui est très élevé. Cette augmentation du prix a un coût pour les agriculteurs et notamment pour les jeunes qui souhaiteraient s’installer. Cependant, la France ne se laisse pas faire et notamment à travers les SAFER.

2. Une réponse juridique ? Le cas français

Les Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer) sont un modèle typiquement français. Elles ont été créées en 1960 à l’époque où la France voulait être auto suffisante pour ce qui est de se nourrir. Elles sont reparties sur tout le territoire et sont au nombre de 26. Vous pouvez voir les différentes missions des Safer sur le schéma suivant. « Leur rôle est de réguler le marché des terres agricoles : ayant une vue d’ensemble sur le marché foncier, les Safer ont pour mission d’éviter une flambée des prix et de structurer les nouveaux usages de ces terres en donnant la priorité à l’installation de jeunes agriculteurs ». Elles servent surtout pour intervenir lors de la vente de terre agricole. « Prenons l’exemple d’un agriculteur qui part à la retraite et souhaite vendre sa ferme. Il trouve un acheteur, se met d’accord avec lui sur le prix de vente et passe devant le notaire pour conclure la transaction. Celle-ci doit obligatoirement être signalée à la Safer locale. Si celle-ci considère que le prix est trop élevé ou que l’acheteur n’a pas le bon profil, elle peut casser la vente en usant de son droit de préemption. » On voit qu’elles détiennent une arme pouvant protéger les achats de terre agricole par des étrangers. Cependant, des montages juridiques permettent de passer à travers ce mécanisme. Pour remédier à ce problème le Parlement vient de voter des amendements pour préserver les terres agricoles françaises d’un rachat étranger et de l’inflation des terres.

Conclusion

On peut voir que les terres agricoles sont un enjeu stratégique pour chaque pays comme l’a dit Macron. On voit un exemple de stratégie, face à cet enjeu et comment elle a évolué. En effet, les critiques sont de plus en plus fortes et les pays commencent à se doter de juridictions pour éviter un monopole étranger. Cependant, cela reste une ressource que l’on peut développer pour favoriser la croissance économique.

Par Alexandre Penloup, promotion 2017-2018 du M2 IESCI

Webographie

https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/metiers/agriculture/emmanuel-macron-veut-mettre-des-verrous-reglementaires-sur-les-achats-de-terres-agricoles-par-des-etrangers_2623688.html

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http://www.lepoint.fr/monde/la-chine-a-la-conquete-des-terres-agricoles-23-02-2018-2197309_24.php

https://www.le-cartographe.net/index.php/dossiers-carto/asie/92-chine-politique-dexpansion-agricole-a-letranger

http://geopolis.francetvinfo.fr/la-course-aux-terres-agricoles-en-afrique-6107

https://fr.wikipedia.org/wiki/Crise_alimentaire_mondiale_de_2007-2008

http://www.fao.org/home/fr/

https://landportal.org/news/2015/06/act-it-four-key-steps-stop-land-grabs

https://globalfoodpolitics.wordpress.com/2012/11/26/the-second-scramble-for-africa/

https://fr.wfp.org/faim/faits-et-chiffres

https://www.courrierinternational.com/une/le-portugal-un-pays-sec

http://www.momagri.org/FR/tribunes/Le-monde-manquera-t-il-de-terres-pour-nourrir-les-hommes-du-21eme-siecle-_646.html

https://www.planetoscope.com/sols/1175-disparition-de-surfaces-agricoles-dans-le-monde.html

http://www.rfi.fr/decryptage/20130614-accaparement-terres-etrangeres-achat-pays-riches-agricole-fonds-investissement

https://www.capital.fr/economie-politique/la-chine-acheteuse-vorace-de-terres-agricoles-a-letranger-1273793

https://www.latribune.fr/blogs/pekin-business/20150217trib1d6949dce/agro-alimentaire-la-nouvelle-strategie-chinoise.html

http://geopolis.francetvinfo.fr/l-appetit-des-investisseurs-chinois-pour-les-terres-agricoles-australiennes-100219

https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/metiers/agriculture/terres-agricoles-l-empire-mondial-de-la-chine_1437316.html

http://www.slate.fr/story/82771/speculation-terres-agricoles

http://bfmbusiness.bfmtv.com/france/le-prix-des-terres-agricoles-francaises-n-a-jamais-ete-aussi-eleve-1176074.html

https://reporterre.net/Le-Parlement-limite-l-accaparement-des-terres-agricoles

https://reporterre.net/Les-Safer-gerent-elles-bien-les-terres-agricoles

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http://www.elysee.fr/declarations/article/transcription-du-discours-du-president-de-la-republique-emmanuel-macron-a-la-nouvelle-generation-agricole/

Admin M2 IESC