Avec ses 17 075 400 km², la Russie est le pays possédant le territoire le plus vaste au monde. Il est source de richesses naturelles comme le pétrole, le gaz ou encore le minerais d’uranium. La Russie a aussi un positionnement stratégique. Entre Europe et Asie, elle est limitrophe de nombreux pays comme la Finlande, l’Estonie, l’Ukraine, le Kazakhstan ou encore la Chine qui est l’un de ses principaux partenaires commerciaux. On peut donc dire que naturellement la Russie a toutes les cartes en main pour être une puissance mondiale. Elle souhaite aujourd’hui étendre ses secteurs stratégiques aux nouvelles technologies et se lance dans la course de l’Intelligence Artificielle. La Russie souhaite que son leadership soit indéniable et indiscutable. Elle s’impose parfois même par la force au Moyen-Orient et devient plus influente que les Etats-Unis ou l’Europe dans les conflits qui sévissent dans ces régions. Comment protège-t-elle aujourd’hui ses secteurs stratégiques ? Mais aussi, pionnière dans les domaines militaires et de la sécurité, peut-elle étendre son leadership aux autres secteurs d’activité de son économie ?
A l’origine, un secteur stratégique : les hydrocarbures
Le développement économique de la Russie est essentiellement dû à ses ressources naturelles. Le pays compte de nombreux gisements d’énergie fossile comme le pétrole, le gaz, le charbon ou encore le minerais d’uranium. La Russie possède aussi des métaux rares, en 2005, elle détenait la première place au niveau mondial de stock d’or. Pour ce pays l’enjeu a donc toujours été d’exploiter ses ressources naturelles qui comptent à hauteur de 95,7% de la richesse de la Russie.
Vladimir Poutine va alors définir les hydrocarbures comme secteur stratégique. Ces ressources sont sous l’emprise d’oligarques et donc profitent à des riches industriels puissants, au lieu de servir l’économie du pays. En devenant secteurs stratégiques les hydrocarbures et surtout les profits qu’ils peuvent générer sont plus facilement contrôlés par le gouvernement. La Russie est aujourd’hui le troisième producteur d’énergie au niveau mondial, elle est la première exportatrice de gaz, se situe à la deuxième place en ce qui concerne le pétrole et à la troisième pour ses exportations de charbon.
Mais la Russie ne compte pas s’arrêter là. A l’horizon 2035 elle souhaite augmenter sa production d’énergie primaire et ses exportations énergétiques. Elle se fixe l’objectif d’une hausse de sa production entre 8,6% et 21,2% en 2035 par rapport à son niveau de 2018 et une hausse de ses exportations entre 16,1% et 32,4% sur la même période. Le pays envisage aussi de substituer petit à petit sa consommation nationale de pétrole par le gaz naturel et ainsi, que sa part dans la consommation énergétique passe de 41% (2018) à 46-47% (2035). Parallèlement, la part du pétrole devrait diminuer de 39% à 31,2% sur la même période et engendrer une baisse de sa production nationale. La Russie s’est enrichie grâce au pétrole mais elle ne peut pas uniquement compter sur ses ressources naturelles pour développer son économie. D’autant plus que d’autres pays sont mieux pourvus qu’elle en ressources rares …
La Russie est devenue un acteur incontournable du Moyen-Orient qui reste aujourd’hui le premier exportateur de pétrole au monde. Pourtant rien ne laissait entendre qu’elle prendrait une telle position. Elle devient plus influente que l’Europe et les Etats-Unis alors que ses moyens économiques et militaires sont nettement inférieurs. La Russie s’engage dans les combats sévissant dans ces régions et conclut de nombreux accords avec les différents acteurs impliqués. Ses objectifs stratégiques sont multiples. En premier lieu, elle souhaite faire reculer l’hégémonie américaine au Moyen-Orient. Ce territoire représente donc pour la Russie un moyen de s’opposer aux décisions américaines quant à sa gestion des différents conflits. Il est aussi primordial pour la Russie de combattre le terrorisme dans ces régions avant qu’il ne puisse arriver jusqu’aux frontières russes. Enfin, par sa présence au Moyen-Orient, le pays contrôle le secteur économique du pétrole. Ces intérêts ne sont pas les mêmes que les Américains qui souhaitent avant tout garantir leurs approvisionnements afin que le prix du baril n’augmente pas. Pour la Russie l’objectif est inverse. Lorsque les conflits mènent à l’instabilité du pays et font s’envoler les prix du baril, le rouble connaît une inflation qui profite à la Russie. En effet, comme vu précédemment la Russie s’enrichit de plus en plus grâce à ses ressources en gaz et envisage de diminuer sa consommation nationale de pétrole.
L’ambition de la Russie est aujourd’hui d’étendre ses secteurs stratégiques à d’autres pans de son économie. Vladimir Poutine annonce en février 2008 sa « stratégie de développement à l’horizon 2020 ». Il met en avant cinq secteurs d’activité : l’aviation, la construction navale, l’énergie, l’information et la médecine. Dans ces secteurs stratégiques les nouvelles technologies et l’Intelligence Artificielle sont des leviers indispensables de croissance.
Un développement de l’Intelligence Artificielle dans le secteur militaire bientôt répandu dans toute l’économie russe ?
Depuis l’époque soviétique et la dictature qui sévissait en URSS entre 1922 et 1991, une culture du renseignement gouvernemental s’est fortement développée et est restée ancré dans les racines du pays. Durant cette période le KGB était chargé de la sécurité du pays, cela passait par de l’espionnage, mais aussi par l’exécution des opposants politiques et des organisations attaquant le parti. Aujourd’hui la Russie met toujours au cœur de sa politique le contrôle des informations. Le KGB a été remplacé par le FSB, créé en 1995, le service fédéral de sécurité de la fédération de Russie est le service secret du pays chargé des affaires de sécurité intérieure. Le secteur militaire possède un rôle majeur dans cette course à l’information stratégique. En 1992 le GRU est créé, c’est la direction générale des renseignements de l’Etat major des forces armées de Russie.
Vladimir Poutine a très vite compris que pour réaliser son ambition, tous les secteurs stratégiques de l’économie russe devaient être protégés des concurrents internationaux et de l’espionnage industriel. Le 25 décembre 2008 une liste de 295 entreprises russes jugées stratégiques pour le pays, est publiée. Les principaux acteurs de l’énergie comme Gazprom, Rosneft ou encore Loukoïl y figurent. Des géants de la métallurgie sont aussi présents : Norilsk, Nickel, Rusal, mais aussi des médias comme Première Chaîne et Russia Today. La Russie souhaite aujourd’hui développer et protéger un tout nouveau secteur qui pourrait lui permettre d’assoir son leadership au niveau mondial, celui de l’Intelligence Artificielle.
Pour Vladimir Poutine, « l’intelligence artificielle est l’avenir, non seulement pour la Russie, mais pour toute l’humanité. Cela présente des opportunités colossales, mais aussi des menaces difficiles à prévoir aujourd’hui. Quiconque deviendra le leader dans ce domaine deviendra le dirigeant du monde. ». Ce discours du chef du gouvernement russe prononcé le 1er septembre 2017, montre que depuis maintenant plusieurs années la Russie s’intéresse à l’IA et qu’il est indispensable de maîtriser ces nouvelles technologies pour être influent. Une première loi voit ensuite le jour le 10 octobre 2019 afin de définir quels sont les objectifs et les moyens que possèdent le pays dans sa course à l’IA. Cet oukaze est la « : « Stratégie nationale du développement de l’intelligence artificielle pour la période s’étendant jusqu’à 2030 », on y retrouve un état des lieux du développement de l’IA. Dans ce texte juridique figurent aussi les ressources tant techniques qu’humaines dont dispose la Russie pour mettre en place son ambition. Le gouvernement russe met l’accent sur un principal frein au développement de l’IA : le manque de coordination des différents acteurs du pays. L’objectif est de soutenir la recherche scientifique dans ces nouvelles technologies, notamment en rendant plus accessible les données. Les produits et services développés en Russie utilisant de l’IA doivent aussi être commercialisés plus facilement à l’international afin de devenir un acteur conséquent du marché mondial. Le gouvernement russe souhaite que la population prenne conscience des enjeux de l’IA et que la jeune génération puisse se former sur ses nouveaux métiers indispensables à l’économie de demain.
La Russie a commencé à s’intéresser à l’IA avant tout dans un but militaire et sécuritaire. En 2018, Vladimir Poutine annonçait que 33% des matériels et systèmes d’armes russes étaient robotisés. Afin d’aller plus loin la Russie travaille sur un système de régulation des relations sociales par le biais d’une IA utilisant des algorithmes complexes. En effet, la Russie se penche aujourd’hui sur ce que l’IA ne peut pas encore capter aussi finement que le cerveau humain, les relations sociales. Elle entame donc de nombreuses recherches scientifiques sur l’intelligence neuromorphique qui vise à modéliser et imiter les fonctions du cerveau humain.
Les ambitions de la Russie sont nombreuses aujourd’hui, mais le pays doit encore faire face à beaucoup de défis. Son économie s’est développé grâce à ses ressources en énergie, il faut maintenant diversifier ses activités afin que les autres secteurs puissent bénéficier de retombées positives. La Russie cherche à sortir de cette dépendance envers ses hydrocarbures. Elle diminue sa consommation de pétrole et garde le contrôle sur les pays du Moyen-Orient, principaux exportateurs de l’or noir. Sa culture du renseignement et de la gestion de l’information stratégique notamment dans le domaine militaire est propice au développement de l’IA, enjeu majeur afin d’assoir son leadership international.
Par Céline Métais, promotion 2019-2020 du M2 IESCI
Sources
- « Les ressources naturelles, l’économie de la Russie »; Advantour
https://www.advantour.com/fr/russia/economy/natural-resources.htm
- « La stratégie énergie 2035 de la Russie »; Source : Ifri ; Publié le 11 décembre 2019
https://www.connaissancedesenergies.org/la-strategie-energie-2035-de-la-russie-191211
- « Cette stratégie secrète de la Russie qui lui a assuré le leadership au Proche-Orient »; Publié le 30 octobre 2019
- « La stratégie russe de développement de l’intelligence artificielle »; Publié le 26 novembre 2019
https://theconversation.com/la-strategie-russe-de-developpement-de-lintelligence-artificielle-127457