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Les MOOCs, déjà 3 ans : Bilan et perspectives d’avenir

Shai Reshef, président de l’université californienne « University of the people » a confié que lorsque « vous formez une personne, vous pouvez changer sa vie. Quand vous en formez beaucoup, vous pouvez changer le monde[1] ». Son objectif ? Démocratiser l’accès à l’éducation aux États-Unis et repérer les nouveaux talents. Pour cela, il lance en 2009 un système gratuit permettant une formation en informatique et en gestion. Le phénomène de la formation en ligne en lui-même a augmenté exponentiellement en 2012 lorsque les principales universités prestigieuses américaines (Harvard, MIT, Berkeley, etc.) ont déposé sur des plates-formes en ligne des cours 2.0 entièrement réalisés de façon à ce qu’ils puissent être suivis à distance. L’appellation MOOC (Massive Open On-Line Course) est créée en 2008 par George Siemens et Stephan Downes pour un cours d’informatique. Du fait de l’utilisation universelle de ce terme, il n’existe pas d’équivalent en français. Il peut être traduit par un cours massif ouvert à tous et gratuit. Plusieurs articles de presse et universitaires considéraient les MOOCs comme l’avenir de la formation continue en université en permettant de réduire les coûts de formation, véritable problématique dans la plupart des pays développés et notamment aux États-Unis. De la même manière qu’Internet a révolutionné l’économie, les MOOCs permettraient de rajouter l’éducation à cette liste. Trois ans après la mise en place de ces cours sur des plates-formes aujourd’hui mondialement reconnues (EDX, Udacity, etc.), l’heure est au bilan et à la réflexion sur l’avenir de ce phénomène.

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  • Tour d’horizon du phénomène des MOOCs :

À mesure que les MOOCs se sont développés à travers le monde, plusieurs modèles économiques les ont accompagnés avec une tendance générale à la gratuité, un accès libre aux cours et une certification d’obtention payante. Cependant, du fait de la multitude de MOOCs existants aujourd’hui, il est difficile d’apporter une définition générale au phénomène. Nous retiendrons donc pour cette analyse la suivante : le MOOC est « un mode de formation qui associe la souplesse du e-learning (choix des jours et des horaires, pas de déplacement économique.) et l’interactivité du présentiel (échange avec le formateur, partage de pratiques, enrichissement de son réseau professionnel.)[2]». Le MOOC est donc défini par l’objectif qu’il est censé atteindre. On distingue deux différents types de MOOC. Les cMOOC qui insistent sur la mise en relation des acteurs et les xMOOC qui se rapprochent d’un cours magistral où la transmission de connaissances se fait du tuteur à l’élève[3]. Nous verrons que ce dernier modèle tend à être de plus en plus utilisé, notamment dans le cas de la certification payante. Tous les pays ne sont pas au même stade d’avancement, les États-Unis restent les précurseurs d’un phénomène qui s’est transformé en véritable objectif stratégique sur ces trois ans d’évolution. Des plates-formes telles qu’EDX (issue d’une entente entre l’université d’Harvard et le MIT) et Coursera concentrent une part importante des cours en ligne disponible. Pour ces universités prestigieuses, plus que le simple objectif de suivre une mode, ces investissements sont le moyen de rendre visible leur formation au monde entier et ainsi continuer d’attirer les meilleurs élèves. D’un autre côté, pour des pays en plein développement, tel que l’Inde, l’instauration des MOOCs répond à un besoin fondamental d’éducation, de places disponible dans les écoles et de coût. Autant de situations qui influent fortement sur l’avenir des MOOCs et ses transformations actuelles.

  • Après 3 ans d’existence, le bilan :

Depuis 2012, les universités prestigieuses du monde entier ont cherché à se doter de cours en ligne avec plus ou moins de succès. Sur près de 3000 MOOCs disponible, 25% ont été réalisés par des universités européennes[4]. Ce retard conséquent oblige les pays européens à se doter d’un modèle stratégique permettant d’exister sur ce marché en devenir. La France, par exemple, multiplie les initiatives. Annick Suzor-Weiner, chargé de mission pour l’agence universitaire de la francophonie (AUF) concède que « l’on a un rôle à jouer en francophonie »[5]. Concurrencer les États-Unis sur les cours en anglais et créer sa propre plate-forme de diffusion n’est pas une stratégie viable. Leur objectif est de développer des MOOCs en français et allier les universités francophones africaines à ce projet afin d’avoir une visibilité forte sur le plan international. Le site Digischool veut, quant à lui, se démarquer de la concurrence en n’utilisant pas la logique du partenariat et ainsi continuer à faire intervenir des professionnels du domaine du MOOC concerné pour créer ses cours. Les intervenants sont payés 200 euros pour 10 minutes de cours en ligne[6]. Cristallisation de cette volonté de rattraper le retard accumulé, début 2014, sous l’impulsion du ministère de l’enseignement supérieur, la plate-forme française FUN (France Université Numérique) a été lancée. Ouverte à tous, elle regroupe des MOOCs en français.

Les études et rapports sur les MOOCs fleurissent à mesure que le phénomène se développe et le bilan n’est pas aussi concluant que l’on pourrait le penser. Premièrement, en matière d’assiduité. Selon EDX, plus d’un million de personnes ont suivi les MOOC d’Harvard et 800 000 ceux du MIT. Cependant, seulement 5% ont validé le MOOC dans son intégralité. Selon une étude réalisée début 2014 par le Babson Survey Research Group, sur 2800 établissements américains, seulement 5% ont conçu des MOOCs[7]. Cette même étude a interrogé les universitaires américains sur l’avenir de ce système et il en ressort que seulement 23% d’entre eux pensent que les MOOC ont un avenir à long terme contre 28% en 2012. Deuxièmement, sur le plan financier. Le prix d’un MOOC de qualité peut coûter « de 13 000 à 40 000 euros selon l’équipe qui la conçoit[8] » auxquels se rajoutent « plusieurs centaines de milliers d’euros pour l’accès aux grandes plates-formes et à leurs solutions d’hébergements[9] » et les modèles économiques ne sont pour l’instant pas rentables. Que les plates-formes utilisent de la publicité, un abonnement, la facturation des certifications délivrées, aucune n’a réellement réussi à dégager des gains de production. Ce constat se rajoute au fait qu’un MOOC n’est pas forcément stable, certaines matières doivent être constamment mis à jour et l’obsolescence rapide de certains cours lié au numérique implique que les universités doivent adapter leur MOOC à la demande des consommateurs d’une part mais aussi aux changements intrinsèques à la matière. Ce dynamisme constitue un frein mais aussi une opportunité pour les acteurs des MOOCs.

Ces acteurs sont d’ailleurs également en pleine mutation. Longtemps cantonnés au monde universitaire, les MOOCs intéressent de plus en plus les professionnels avec le développement du cours faisant intervenir les deux parties comme le MOOC « Technology entrepreneurship » : « Lancé par l’université de Stanford, le MOOC Technology entrepreneurship dédié aux entreprises technologiques où se succèdent enseignants et professionnels de la Silicon Valley (Google, LinkedIn.) propose aux candidats à la création d’entreprise de créer des groupes de travail avec d’autres apprenants accompagnés par un mentor – spécialiste du financement de start-up ou entrepreneurs qu’ils ont choisi[10] ». Les dynamiques de groupe ainsi créés participent au renouvellement du MOOC et à son enrichissement. Ce rapprochement n’est pas un cas isolé.

  • Une transformation du modèle d’origine vers le monde de l’entreprise et la gratuité :

Dans son livre « Une brève histoire de l’avenir », publié en 2006, Jacques Attali analyse que « le savoir disponible double tous les sept ans et doublera tous les 72 jours en 2030[11] ». De ce constat en découle rapidement un autre : la formation continue va prendre une place croissante dans notre vie et elle revêtira une variable stratégique très importante lorsque l’on considère les chiffres actuels du chômage. En effet, notre économie de l’information requiert d’être constamment formé pour s’adapter collectivement aux changements initiés par elle. Certaines entreprises ont déjà entamé un rapprochement avec le monde du MOOC. D’après une étude de l’université de Duke et de RTI International, 73% des employeurs en ont une opinion favorable[12]. Les plates-formes de cours en ligne telles qu’EDX et Udacity ont compris que la formation professionnelle était un marché très juteux et comptent bien profiter de leur situation de quasi-monopole pour développer des partenariats avec des entreprises.

C’est précisément sur ce point que les universités américaines notamment ont un coup à jouer car nombre d’entre elles ont déjà développé des relations fortes avec des entreprises, le financement privé y représentant une part très importante. EDX, qui rassemble le MIT et Harvard, possède un carnet d’adresses lui permettant de parier sur l’avenir de la plate-forme dans la formation professionnelle. EDX s’est d’ailleurs associé à Google afin de créer une plate-forme[13] permettant à chacun de créer son MOOC, l’entreprise héberge les sites tout en proposant du contenu. Elle dispense notamment un MOOC sur le développement d’application mobile.

En France, ce phénomène gagne aussi en visibilité notamment avec la plate-forme Neodomia qui est spécialisée dans l’hébergement de MOOCs d’entreprises. Des secteurs rendent déjà obligatoires des certifications dans leur domaine comme l’AMF (Autorité des marchés financiers) qui fait passer un test à tous les nouveaux entrants dans les établissements financiers. C’est d’ailleurs le cas de l’entreprise First Finance dont le président assure détenir « de 60 à 70% des budgets de formation métiers des grandes banques françaises[14] ». Les entreprises sont particulièrement intéressées par ce système car grâce à la certification, les salariés bénéficient d’une formation complète tout en étant assurés des compétences acquises. Surtout que les futurs demandeurs de formation seront bientôt les générations dites d’Y et Z qui ont grandi dans le numérique et qui seront bien plus habituées à ses usages. Ils posséderont donc les outils nécessaires à l’application efficace des MOOCs dans leur formation continue. Nous pouvons même penser qu’en mettant en place ce genre de partenariats université-entreprise, le recrutement se fera dans l’avenir en passant par ce genre de cours en ligne car les entreprises auront à leur disposition les résultats effectifs des étudiants.

L’autre phénomène est le glissement du modèle du MOOC gratuit et ouvert à un grand nombre de participants vers une forme payante et restreinte à un petit groupe. Le lancement par la Harvard Business School d’une plate-forme différenciée d’EDX en est la preuve[15]. L’école utilise sa propre technique pour la diffusion de ses cours en ligne qui sont maintenant payants. Plusieurs services sont proposés. Premièrement, le service CORe (Credential of readiness) qui est une formation sur deux mois destiné à des audiences diverses : des étudiants d’art, d’ingénierie, de droit et dont la formation en commerce et en économie pourrait leur apporter des outils utiles dans leur carrière. Des cours de spécialisation sur l’entrepreneuriat ou l’innovation y sont dispensés. Également proposé par HBX, HBX live, qui est une classe virtuelle mettant en interaction en temps réel, plus de 60 participants de l’université d’Harvard mais également du reste du monde.

L’objectif d’Harvard est clair : allier une volonté d’indépendance de plate-forme en ligne tout en renforçant ses partenariats avec les universités du monde entier et notamment en Asie.

En touchant des audiences différentes et en rendant l’accès au cours payant (environ 1500 dollars par cours[16]), la prestigieuse université américaine est peut-être en train de redessiner ce que sera le MOOC de demain : un outil d’aide à l’apprentissage payant, en groupe réduit mais disponible dans le monde entier, axé sur la formation initiale mais aussi sur la formation continue.

En trois ans, le modèle de base du MOOC a connu des évolutions qui l’ont peu à peu rapproché d’un modèle plus en adéquation avec la demande de l’économie actuelle. Cristallisé par une relation croissante avec les entreprises et une formation continue des salariés. Cependant, le MOOC gratuit, par l’impulsion de projets tel que la Khan Academy[17], continue à séduire nombre d’institutions qui y voient une efficace force d’éducation massive notamment pour les pays en développement possédant une jeune population ayant soif de savoir.

Tony Grandin, étudiant du M2 IESC promotion 2014-2015

http://www.doyoubuzz.com/tony-grandin

[1] « Shai Reshef: Un diplôme universitaire à faible coût | Talk Video | TED.com ». https://www.ted.com/talks/shai_reshef_a_tuition_free_college_degree?language=fr.

[2] « Les MOOC, avenir de la formation professionnelle en entreprise ? | Baverel conseil rh ~ recrutement ~ GPEC ».http://bconseilrh.fr/?p=253

[3] Depover, Christian. « Quels modèles économiques et pédagogiques pour les MOOC ? », juin 2014. http://dms.revues.org/530.

[4] 5 6« INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE – Enseignement numérique : la francophonie à la traîne ! – France 24 ».

http://www.france24.com/fr/23092014-intelligence-economique-mooc-enseignement-universite-numerique-cours-en-ligne-concurrence/.

[7] « Grade Change : Tracking Online Education in the United States ». http://www.onlinelearningsurvey.com/reports/gradechange.pdf.

[8] Cisel, Matthieu. « Monter un MOOC : combien ça coûte ? | La révolution MOOC ». http://blog.educpros.fr/matthieu-cisel/2013/11/12/monter-un-mooc-combien-ca-coute/.

[9] Depover, Christian. « Quels modèles économiques et pédagogiques pour les MOOC ? », juin 2014. http://dms.revues.org/530.

[10] « Face aux critiques, les Mooc revoient leur copie – L’Express ».

http://www.lexpress.fr/emploi/formation/face-aux-critiques-les-mooc-revoient-leur-copie_1612659.html.

[11] Attali, Jacques. Une brève histoire de l’avenir. Paris: Fayard, 2006.

[12] « The employer potential of MOOCs, a survey of human resource professionals’ thinking of MOOC.pdf ».

http://www.rti.org/pubs/duke_handbook-final-03252014.pdf.

[13] « mooc.org ». http://mooc.org/.

[14] Esposito Odile. « Le Mooc menace-t-il la formation professionnelle classique ? ». http://www.latribune.fr/actualites/economie/france/20131028trib000792807/le-mooc-menace-t-il-la-formation-professionnelle-classique-.html.

[15] « Harvard Business School launches HBX, a new online education platform | Harvard Magazine ».

http://harvardmagazine.com/2014/03/harvard-business-school-launches-online-hbx.

[16] « Harvard Business School launches HBX, a new online education platform | Harvard Magazine ».

http://harvardmagazine.com/2014/03/harvard-business-school-launches-online-hbx.

[17] « Khan Academy ». https://fr.khanacademy.org/.

Bibliographie :

Attali, Jacques. Une brève histoire de l’avenir. Paris: Fayard, 2006.

Cisel, Matthieu. « Monter un MOOC : combien ça coûte ? | La révolution MOOC ». http://blog.educpros.fr/matthieu-cisel/2013/11/12/monter-un-mooc-combien-ca-coute/.

———. « Pourquoi les entreprises se lancent dans les MOOC ? ». http://www.latribune.fr/blogs/mooc-and-co/20140409trib000824439/pourquoi-les-entreprises-se-lancent-dans-les-mooc-.html.

Depover, Christian. « Quels modèles économiques et pédagogiques pour les MOOC ? », juin 2014. http://dms.revues.org/530.

Esposito Odile. « Le Mooc menace-t-il la formation professionnelle classique ? ». http://www.latribune.fr/actualites/economie/france/20131028trib000792807/le-mooc-menace-t-il-la-formation-professionnelle-classique-.html.

« Face aux critiques, les Mooc revoient leur copie – L’Express ». http://www.lexpress.fr/emploi/formation/face-aux-critiques-les-mooc-revoient-leur-copie_1612659.html.

« Grade Change : Tracking Online Education in the United States ». http://www.onlinelearningsurvey.com/reports/gradechange.pdf.

« Harvard Business School launches HBX, a new online education platform | Harvard Magazine ».

http://harvardmagazine.com/2014/03/harvard-business-school-launches-online-hbx.

« INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE – Enseignement numérique : la francophonie à la traîne ! – France 24 ».

http://www.france24.com/fr/23092014-intelligence-economique-mooc-enseignement-universite-numerique-cours-en-ligne-concurrence/.

« Khan Academy ». https://fr.khanacademy.org/.

« Les MOOC, avenir de la formation professionnelle en entreprise ? | Baverel conseil rh ~ recrutement ~ GPEC ».

http://bconseilrh.fr/?p=253.

« mooc.org ». http://mooc.org/.

« Open Education | Open Education Europa ». http://www.openeducationeuropa.eu/fr/european_scoreboard_moocs.

« Shai Reshef: Un diplôme universitaire à faible coût | Talk Video | TED.com ». https://www.ted.com/talks/shai_reshef_a_tuition_free_college_degree?language=fr.

« The employer potential of MOOCs, a survey of human resource professionals’ thinking of MOOC.pdf ».

http://www.rti.org/pubs/duke_handbook-final-03252014.pdf.

Admin M2 IESC

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