Les défis stratégiques des relations BRICS-Afrique pour les pays d’Afrique subsaharienne

L’Afrique est présenté par des articles et des économistes comme un continent d’avenir. Face aux enjeux mondiaux de protection de l’environnement, de développement durable et inclusif, et de sécurité, la place de ce continent en perpétuel devenir est sujette à réflexion. La prophétie sur le brillant avenir de l’Afrique est mise en avant depuis tellement longtemps qu’elle en devient un mythe, bien que basé sur des indicateurs comme :

  • La poussée démographique qui prévoit une multiplication par 11 de la population africaine en un siècle, passant de 287 millions à 2,5 milliards d’habitants de 1950 à 2050 avec une population très jeune (plus de la moitié aura moins de 25 ans).
  • Les terres arables estimées à plus de la moitié des terres propices à l’agriculture dans le monde, et dont 80% restent à exploiter.
  • Les ressources minières non exploitées, estimées à 30% des ressources minières mondiales par le rapport 2020 de la Rand Merchant Bank sur l’investissement en Afrique, avec de faibles taux de main d’œuvre et une croissance rapide du secteur minier.

Les pays les plus côtés sont l’Afrique du Sud, première puissance minière du continent, le Nigéria premier producteur de pétrole brut en Afrique, le Botswana premier producteur mondial de diamant, la République démocratique du Congo surnommée scandale géologique tant son sol est riche en cobalt (60% de la disponibilité globale), la Namibie avec le diamant le cuivre et l’uranium, la Guinée couvre à elle seule 95% de la production de bauxite du continent, le Ghana producteur de bauxite de manganèse de diamant et de cacao, le Burkina-Faso dont la production annuelle d’or est passée de moins d’une tonne à 60 tonnes entre 2000 et 2020, le Cameroun producteur de bauxite de Nickel et de fer, et le Niger qui approvisionne le continent en uranium à hauteur de 44% et exporte 40% de sa production.

Ces indicateurs sont donc bien réels. Pourtant, la réalité montre aussi que le continent compte la plupart des pays en voie de développement, sous-développés et pauvres. Le Niger, le Burkina-Faso, la République Démocratique du Congo et la Guinée sont en tête de liste des pays les plus pauvres du monde. Se pose alors la question de la pertinence des indicateurs pour un continent en développement. Prenons l’exemple du World Happiness report, publié par l’ONU depuis 2012, qui classe 156 pays selon le degré de bonheur de leurs citoyens. Ce classement se base sur une enquête dont l’objectif est d’accorder plus d’importance au bonheur et au bien-être en déterminant comment réaliser et mesurer le développement social et économique. Les facteurs inclus l’environnement social, le degré d’urbanisation, le bien-être humain… ce qui explique le fait que l’Afrique manque au rendez-vous si l’on considère ses réalités. En effet, soixante années après la vague d’indépendance des pays africains dans les années 60, le bilan est lourd : Manque d’infrastructures sociales (hôpitaux, écoles), crise politique, corruption, inégalités, 41% de la population du continent est dans une situation de pauvreté extrême. Selon Guy GWETH, responsable du Doing business in Africa et président du centre africain de veille et d’intelligence économique (CAVIE), il faudrait réactiver le conseil de tutelle de l’ONU pour encadrer l’Afrique. Il préconise, dans un entretien donné à Financial Afrik, de mettre l’Afrique sous la tutelle de l’ONU sur 30 ans pour fournir un cadre, des normes et un arbitre indépendant à la jeunesse africaine en effervescence.

Le contraste qu’il y a entre les capacités de production de matière première de ces pays et leurs capacités à créer et à redistribuer la richesse, montre un handicap stratégique. De plus, le renforcement des relations internationales entre l’Afrique et les pays émergent (BRICS) questionne la place et le rôle du continent dans l’ordre économique mondial actuel. Si depuis plusieurs années les pays d’Afrique de l’Est comme l’Ethiopie et le Rwanda font des pas de géants en termes de développement, la route est encore longue pour instaurer des partenariats gagnant-gagnant avec les pays émergents et les pays développés. Concrètement, quelle est la nature des relations liant l’Afrique aux pays émergents ? Comment le continent peut-il s’appuyer sur ses relations internationales et ses atouts pour construire un développement stable et constant, nécessaire à l’équilibre mondial ?

La diplomatie sino-Africaine

Les relations entre l’Afrique et la Chine (premier partenaire des pays africains, échanges commerciaux évalués à plus de 200 milliards de dollars américains), nouées depuis plus d’un demi-siècle par les démarches diplomatiques de Zhou Enlai, sont souvent perçues comme une autre ruée vers le continent. Elles sont basées sur les principes d’égalité, d’aide, de respect de souveraineté et de bénéfices mutuels. En se présentant comme un pays en voie de développement (aujourd’hui le plus grand pays en développement), la Chine a créé un climat de confiance et d’empathie avec ses partenaires, qu’elle choisit pour des relations constantes sur le long terme. Ces relations, autrefois concrétisées par des actions humanitaires puis culturelles avec la création d’une soixantaine d’instituts Confucius et la multiplication des bourses accordées à plus de 120.000 étudiants africains, ont évolué vers des fusions-acquisitions et des financements de projets. La construction d’infrastructures s’est ajoutée à la quête de matières premières. La diplomatie sino-Africaine met en avant la non-ingérence dans les politiques des états au profit d’échanges commerciaux solides, stratégie vivement critiquée par les Etats-Unis. Il faut noter qu’avant de retrouver leur autonomie sur la consommation du pétrole, les Etats-Unis importaient 3 fois plus de pétrole d’Afrique que la Chine.

Alors que les chiffres corroborant le principe d’aide de la Chine aux pays africains sont quasiment insaisissables, l’idée reçue selon laquelle la Chine investit massivement en Afrique est très répandue. Les fusions dans les secteurs énergétiques et miniers ne sont pas aussi conséquentes que les financements de projets, générateurs de dettes. Les investissements chinois sont loin derrières ceux des pays Européens (comme la France et le Royaume Uni) partageant avec l’Afrique un passé colonial. Les rapports de certains pays africains avec ces derniers se réduisent, tandis que la Chine, qui a souvent joué sur les relations géopolitiques internationales pour attirer ses alliés, accueille dans son équipe les pays à fort potentiel « mis à l’écart ». C’était déjà le cas avec l’Egypte en 1963 après les conflits découlant de la nationalisation du canal de Suez, avec le Mali et le Ghana qui avaient rejeté le projet du Général de Gaulle de création d’une communauté des Etats africains. L’approche Chinoise porte la marque d’une stratégie hautement pensée en phase avec sa volonté de souveraineté et ses objectifs de développement à l’horizon 2049 pour le centenaire de la révolution de 1949.

Les relations Russo-Africaines

L’union Soviétique est à l’origine de l’initiative d’indépendance des pays colonisés adoptée par les Nations Unies en 1960. Les relations russo-africaines, également de longue date, marquées par des relations diplomatiques depuis le moyen âge, se sont développées dans les années 1950 avec les programmes d’échanges formant des diplomates, des dirigeants et des experts. Ces relations se sont estompées avec la chute de l’union soviétique avant que les liens ne se resserrent en 2006 puis ne se renforcent avec les sommets des BRICS. La fin de la guerre froide a sonné le glas des inégalités entre Etats. Ayant une place très importante dans les BRICS par sa présence active à l’ONU, au FMI, à l’OMC et dans les alliances, la Russie occupe une position d’influence et mène une stratégie de capitalisation de ses avantages sur l’échiquier mondial notamment dans le secteur de l’énergie. Elle renforce ses relations avec l’Afrique depuis l’arrivée de l’Afrique du Sud en 2011 dans les BRICS. Au cours des 5 dernières années, le commerce entre la Russie et l’Afrique a doublé.

Le 23 Octobre 2019 s’est ouvert à Sotchi le premier sommet Russie-Afrique, dont la devise était « pour la paix, la sécurité et le développement » co-présidé par Vladimir Poutine et Abdel Fattah Al-Sissi, président de l’Egypte. Cet évènement inédit dans l’histoire de la Russie moderne a rassemblé 6000 participants et des représentants de 54 Etats Africains dont 45 chefs d’Etat. 92 accords, contrats et mémorandum d’accord ont été signés sur les exportations et le commerce extérieur, la coopération internationale, les hautes technologies, le transport et la logistique, l’extraction de ressources minérales et l’exploration pétrolière et gazière, les investissements et les activités bancaires pour une valeur de 1004 billions de RUB. Dans une interview publiée par l’agence de Presse Russe Tass à la veille du sommet, le président Russe a mis en avant la proximité historique avec le continent et ses pratiques sans exigence politique avant de dresser la liste des pays concurrents désirant nouer des accords avec l’Afrique. Il a cité l’Europe, les Etats-Unis, la Chine, la Turquie, les pays du Golfe, la Corée, Israël, l’Inde, le Brésil. Ce dernier adopte la même stratégie que la Chine, pour nouer des relations économiques et stratégiques avec le continent, en évoquant un passé commun avec les pays africains. Tandis que l’Inde, comme la Russie, évoque les relations de longues dates avec les pays d’Afrique de l’Est à l’instar de la Tanzanie, du Kenya et de l’Ouganda, et les pays d’Afrique de l’Ouest.

Les pays émergents esquissent leur avenir avec l’Afrique à coup de stratégies sans s’abstenir de lui rappeler son passé. Cette approche stratégique de soft power (avec la collaboration de la société civile, des médias et des entreprises) et de diplomatie économique semble porter ses fruits auprès des dirigeants africains à en croire les conclusions d’accords à foison. Si le président Russe a parlé de concurrents c’est parce qu’il existe effectivement un marché. Mais quelles sont les stratégies des pays africains sur ce marché ? les atouts ambivalents que sont la jeunesse de la population et les ressources naturelles ne sont pas exploités de façon à sortir ces pays de la pauvreté.

L’Afrique n’est pas un pays

Pour bénéficier d’un partenariat gagnant-gagnant il est nécessaire d’avoir une stratégie claire. L’une des raisons pour lesquelles le continent peine à mettre en place une stratégie qui lui permettra de maitriser ses interactions avec le reste du monde est que l’Afrique n’est pas un pays. Ces 54 pays n’ont pas les mêmes avantages compétitifs. Ils se différencient également par leur culture, leur histoire et leur langue. Avant d’intégrer la stratégie d’une union, chaque pays doit poser les bases de sa propre stratégie par rapport à ses objectifs et ses besoins. Certains pays comme le Ghana et la Côte d’Ivoire sont de bons élèves. Ces deux pays de l’Afrique de l’Ouest, classés au top 20 des marchés ayant le plus grand potentiel de croissance future du commerce, se sont mis en commun face aux industriels depuis 2019 sur le marché du Cacao.

Ayant compris que le tout est supérieur à la somme des parties, ces pays, produisant à deux 70% de la production mondiale de cacao, avaient réussir à obtenir de leurs acheteurs une prime de 400 dollars/tonnes à partir de la campagne d’octobre 2020. En septembre dernier, la Côte d’Ivoire a démarré la construction de deux usines de transformation de cacao à Abidjan (la capitale) et à San Pedro (port cacaoyer) dans l’optique de porter la transformation de fève de cacao sur le territoire de 500.000 à 1 millions de tonnes. Ce projet est soutenu par un prêt chinois de 216 milliards de Francs CFA (plus de 300 millions d’euros). En contrepartie la Côte d’Ivoire devra destiner 40% de sa production à des usines chinoises. La création d’emplois que génère ces infrastructures cadre avec d’une part, les objectifs de la Chine de passer un cap de sa stratégie manufacturière créatrice de main d’œuvres en tenant compte de la dynamique démographique de l’Afrique afin d’éviter une poussée migratoire, et d’autre part avec l’objectif Ivoirien de garantir des revenus à la population.

Le plus grand défi commun des pays africains est la réduction de la pauvreté. Pour cela il faut non seulement lier les échanges internationaux aux besoins d’infrastructures et de développement, mais aussi à une prise de conscience collective. Des rapprochements privé-publique-para publique aux niveaux nationaux sont nécessaires, ainsi qu’une intégration régionale et des « batailles » en front commun. Au-delà de créer des emplois, les pays devraient soutenir les PME, faciliter l’accès au capital aux jeunes, débiteurs des dettes générées par les emprunts consentis auprès des pays émergents, qui souhaitent entreprendre et innover, promouvoir les capacités de production, lutter contre les inégalités et la corruption, investir dans l’éducation, et le plus important fédérer les populations autour des états et de leurs institutions. Il faudrait mettre en place des politiques publiques afin d’aboutir à un développement inclusif. Les gouvernements n’ont pas à porter tout seul la responsabilité du développement. Aussi il faudrait instaurer des climats de confiance interne dans chaque pays, gage nécessaire à la culture de la résilience chez les peuples.

L’Afrique a la capacité de faire face à ses défis. Les pays ont leurs destins en main et se doivent d’avoir des stratégies compétitives claires sur la base de leurs histoires et de leurs cultures, en mettant à contribution leurs experts ayant bénéficié de formations de qualité dans des domaines variés, dans le cadre des programmes d’échanges. Il est nécessaire de reconnaitre et de valoriser le patrimoine culturel pour se distinguer. Mettre en place des indicateurs d’évaluation compatibles avec les réalités des pays. Enfin, les pays africains doivent brasser large pour pouvoir atteindre leurs objectifs en même temps que les objectifs mondiaux de protection de l’environnement. Il n’est pas question de rattraper un retard mais de poser de bonnes bases pour se réinventer.

Par Colette Armandine AHAMA, promotion 2020-2021 du M2 IESCI

Bibliographie et sources

Arkhangelskaya, Alexandra. « Le retour de Moscou en Afrique subsaharienne ? Entre héritage soviétique, multilatéralisme et activisme politique ». Dans Afrique contemporaine 2013/4 (n° 248), pages 61 à 74.

Chaponnière, Jean-Raphaël. « Un demi-siècle de relations Chine-Afrique Évolution des analyses ». Dans Afrique contemporaine 2008/4 (n° 228), pages 35 à 48.

https://fr.statista.com/statistiques/917055/pays-les-plus-pauvres-monde/

https://worldhappiness.report/

https://summitafrica.ru/fr/

https://www.tunisienumerique.com/interview-de-vladimir-poutine-a-loccasion-du-sommet-russie-afrique/

https://www.sc.com/en/media/press-release/our-new-trade20-index-reveals-the-rising-stars-of-global-trade/

Pour aller plus loin

https://www.diploweb.com/La-Chine-et-ses-objectifs-geopolitiques-a-l-aube-de-2049.html

https://ressources-magazine.com/actus/mines-ou-investir-en-2020%E2%80%89/

https://www.rmb.co.za/landing/where-to-invest-in-africa

https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/09/23/la-cote-d-ivoire-lance-la-construction-de-deux-nouvelles-usines-de-transformation-du-cacao_6053261_3212.html

https://www.financialafrik.com/2020/09/16/guy-gweth-il-faut-reactiver-le-conseil-de-tutelle-de-lonu-pour-encadrer-lafrique/

Sigles et Définitions

BRICS : sigle en Anglais désignant le rapprochement des 5 pays émergents (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud)

ONU : Organisation des Nations Unies

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