Les brevets et la protection de la propriété intellectuelle, des enjeux stratégiques pour la Chine et ses entreprises

Qu’est ce qu’un brevet ?

Selon le droit de la propriété intellectuelle, un brevet est un titre de propriété industrielle qui permet à son titulaire d’interdire à une tierce personne l’exploitation de son invention. La durée d’un brevet est généralement de 20 ans sauf pour les brevets issus de la recherche pharmaceutique qui ont une durée plus longue. La protection liée au brevet est propre à un territoire. En effet, lors d’un dépôt de brevet, le déposant doit choisir les différents pays où il souhaite que son invention soit protégée. Il doit donc faire des démarches auprès de chaque organismes compétents pour chaque pays où il souhaite se protéger. Pour que la demande de brevet soit validée par les organismes compétents, il est nécessaire que l’invention soit une solution technique à un problème technique. Il faut donc que l’invention respecte la condition de nouveauté, qu’elle soit issue d’une activité de créativité et qu’elle ait une application industrielle.

Le principal enjeu des brevets pour les entreprises ?

Le principal enjeux pour les déposants de brevets est de pouvoir acquérir une position de leader sur un marché en étant premiers à intégrer un marché tout en étant protégé par les réglementations. Cette acquisition de position de leader est d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit d’innovations de rupture. Dans ce cas là, le brevet offre à l’entreprise déposante une situation de « monopole » temporaire sur un marché sur lequel il est libre d’exploiter pleinement son invention par la commercialisation de celle-ci. Ce fut le cas de l’entreprise Xeros, entreprise spécialisée dans la production de photocopieur et d’imprimante, qui fut la première à inventer une interface graphique pour les utilisateurs (GUI) de ses produits en 1973. Cette interface graphique a été exploitée par la suite par Apple en 1983 pour son ordinateur multitâches LISA suite à la session de droit, la société Xeros n’ayant pas les capacités d’exploiter le potentiel de cette interface. Cette session de droit a permis à Apple de devenir l’un des leaders dans le domaine de l’informatique et cela encore aujourd’hui.

Cependant, lorsqu’il s’agit d’innovations de rupture, il existe des risques importants pour les entreprises. En effet, une invention demande du temps, de l’argent et des moyens humains, ce sont des risques à court termes pour les entreprises. Le risque à long terme est aussi important que ceux générés à court terme. On peut qualifier le risque à long terme par la capacité d’une invention à être adoptée par les consommateurs lors de la commercialisation de celui-ci. En effet, dans le cas d’une innovation de rupture, il arrive souvent qu’une innovation ne trouve pas de demande, en tout cas pas de demande immédiate. C’est le cas par exemple de l’invention de la capsule de café dans les années 90 qui n’a pas su convaincre les investisseurs. L’inventeur John Sylvan, suite à l’échec de la commercialisation de son produit, a vendu les parts qu’il avait dans la société Keurig pour un montant de 50 000 d’euros alors qu’aujourd’hui, la capitalisation de cette société, spécialisée dans la fabrication et la distribution de café, est de plus de 4,7 milliard d’euros. Son invention, qui est tombée dans le domaine public en 2012, est à l’origine de la guerre des capsules que l’on a connue ces dernières années notamment avec Nespresso. Selon les chiffres de TNS Sofres, le taux d’échec des nouveaux produits et services est compris entre 70 % et 80 %, cela s’expliquant avant tout par une demande pas encore prête à adopter le produit parce qu’elle n’en voit pas l’utilité. Cela est d’autant plus vrai avec l’internet des objets et notamment avec le paiement avec le téléphone portable. Aujourd’hui, le paiement à l’aide du portable existe, mais la demande est faible parce que les consommateurs ne voient pas l’intérêt de sortir leur téléphone plutôt que leur carte bancaire.

Focus sur la situation des brevets en Chine

Selon les statistiques de l’OMPI, les entreprises chinoises ont déposées 526 000 brevets en 2011 et 653 000 en 2012 sur le territoire chinois, soit une augmentation de plus de 24 % en un an. On peut expliquer cette augmentation fulgurante de dépôt de brevets par des entreprises chinoises par une intensification de la concurrence sur ce marché entre les entreprises chinoises et avec les entreprises étrangères. En effet, le marché Chinois est considéré par les entreprises étrangères comme un marché stratégique. Le marché chinois est composé d’environ 1,4 milliard de consommateurs en 2015 ce qui leur permet de développer leur chiffre d’affaire notamment pour les industries de bien d’équipements, de biens de consommations. De plus suite à l’abolition de la loi de l’enfant unique, le marché chinois en terme de consommateurs est susceptible d’augmenter. En outre, le Cabinet Ernst & Young estime que d’ici une dizaine d’années, la classe moyenne chinoise représentera environ 220 millions de ménages ayant un revenu annuel compris entre 10 000 et 30 000 dollars. Cette prévision explique en parti pourquoi les entreprises étrangères seront amenées à se développer de plus en plus sur le territoire chinois mais aussi pourquoi les entreprises chinoises sont amenées à se protéger de plus en plus sur leur territoire. On peut donc affirmer qu’il y a aujourd’hui une véritable prise de conscience de la part du Gouvernement Chinois et des entreprises chinoises en matière de protection de la propriété intellectuelles en Chine.

La prise de conscience de l’importance de la propriété intellectuelle par le Gouvernement Chinois

Aujourd’hui, on peut véritablement parler de prise de conscience de la part du Gouvernement Chinois en ce qui concerne les brevets. Cette prise de conscience se caractérise dans les faits par une homogénéisation des règles juridiques concernant le droit de propriété intellectuelles sur le territoire chinois avec les pratiques internationales. Ainsi donc, il y a eu ces dernières années un travail réalisé par le Gouvernement Chinois pour que les institutions juridiques puissent juger au mieux les cas de violation de brevets et de contrefaçons. En effet, la culture en Chine sur le copiage diffère avec d’autre pays. Dans la culture chinoise, le copiage est un savoir faire qui est valorisable tandis que dans d’autre pays, le copiage est considéré comme une violation du droit de propriété intellectuelle. Parmi l’une des mesures prises par le Gouvernement Chinois pour la lutte contre la contrefaçon, il y a l’intégration de la bonne foi dans le système juridique. Le système de bonne foi repose sur une méconnaissance du contrefacteur de l’existence d’une protection sur un produit. En outre, cette notion de bonne foi est difficilement défendable par le contrefacteur comme chaque brevet fait l’objet d’une annonce nationale dans un registre.

On peut expliquer la démarche du Gouvernement Chinois en matière de renforcement de la propriété intellectuelle par le fait qu’il a conscience du potentiel de son marché pour les investisseurs étrangers. En effet, la Chine souffre d’une image négative auprès des investisseurs étrangers en matière de contrefaçons. Il est donc primordiale pour que les entreprises étrangères investissent en Chine, que la réglementation sur la protection des droits de propriétés intellectuelles puissent les inciter à faire cette démarche. Néanmoins, cela ne va pas à l’encontre des intérêts des entreprises chinoises qui ont elles aussi intérêts à voir la protections de leurs inventions augmenter.

La prise de conscience de l’importance de la propriété intellectuelle pour les entreprises Chinoises

Aujourd’hui, les entreprises chinoises ont elles aussi conscience de l’importance des brevets. Cela se traduit donc par une augmentation des procès entre entreprises chinoises avec tout dernièrement le cas de Sogou et Baidu. Récemment, le procès entre deux entreprises chinoises Baidu et Sogou pour violation de brevets a sensibilisé le public et les entreprises chinoises sur l’importance que prend le droit de propriété intellectuelle en Chine. En effet, le 16 novembre 2015, Sogou a assigné devant la cour de Shangai et Beijing la société Baidu pour violation de brevet et contrefaçon, lui demandant des dommages et intérêt à hauteur de 180 millions de Yuan. Sogou, fondée en 2004, est une filiale d’une des plus importante société chinoise, SOHU, selon l’annonce de 2015 du ministère de l’industrie et de l’information technologique Chinois qui place cette entreprise à la 6ème place de son classement. Les domaines d’activités stratégiques de Sogou sont le développement de moteurs de recherches, les services de télécommunication par internet (service mail pour professionnels et particulier) mais aussi le développement de softwares (antivirus, programme pour modifier la langue de frappe pour les caractères spéciaux (INPUT)). La société Baidu est connue comme étant le premier moteur de recherche en Chine, est classée au troisième rang du classement du ministère de l’industrie et de l’information technologique de ChinE. Cependant, cela n’a pas empêché la société Baidu de se faire assigner par son concurrent chinois Sogou qui considère que Baidu a violé neuf brevets développés dans le cadre de son logiciel INPUT.

Les principaux brevets concernés sont :

1) Méthode d’enrichissement d’une base de donnée avec les termes les plus utilisés

2) Méthode de saisie prédictive pour l’utilisateur reposant sur la base de donnée INPUT

3) Méthode d’allocation d’un mot à un ensemble de caractères selon le sens de celui-ci

4) Méthode d’ajout, suppression de mots sur le dictionnaire INPUT

5) Méthode pour que l’utilisateur puisse enrichir la base de donnée de caractères si celui-ci n’existe pas

6) Liste des effets de caractères pour le logiciel INPUT

7) Saisie intelligente d’émoticône selon un ensemble de caractère.

 Le procès n’est pas encore commencé entre le Baidu et Sogou, le tribunal n’ayant pas encore décidé d’une date. Cependant, peu importe qui gagnera, la principale utilité de ce procès est de sensibiliser les chinois à l’importance de la propriété intellectuelle et des efforts que fait le gouvernement concernant la lutte contre la contrefaçon. Ce procès entre ces deux grandes entreprises chinoises remet au goût du jour l’affaire qu’il y a eu entre ces deux sociétés en 2014. En 2014, la société Baidu avait assignée la société Sogou pour concurrence déloyale, les personnes utilisant INPUT sur Baidu se retrouvaient redirigées vers les sites internet des moteurs de recherches de Sogou et non plus de Baidu cela allant contre la volonté des utilisateurs de Baidu. Baidu a donc pu obtenir des dommages et intérêts de la part de Sogou d’une valeur de 500 mille Yuan (environ 72 mille euros). On peut analyser le procès de cette année comme une tentative de revanche de la part de Sogou sur la société Baidu.

Ce n’est pas la première guerre sur la propriété intellectuelle que Sogou mène dans le domaine d’internet. En 2007, Sogou avait accusé Google de copier sa base de données pour l’utiliser dans son moteur de recherche. Cette affaire c’est terminée par des excuses publiques de Google à Sogou, se qui représente une grande victoire pour elle.

 Aujourd’hui en Chine l’augmentation de la protection du droit de propriété intellectuelle est une véritable opportunité pour les entreprises chinoises. En effet, comme on a pu le voir avec le cas de Google cité précédemment, les entreprises chinoises se protègent de plus en plus face aux entreprises étrangères aussi bien à l’international que sur leur territoire. L’une des caractéristiques de la protection du droit de la propriété intellectuelle sur le territoire chinois est l’augmentation de brevet ayant pour rôle de créer des barrières à l’entrée. En effet, on peut expliquer l’augmentation significative de dépôt de brevets par les entreprises chinoises, notamment celles dans le domaines des nouvelles technologies et de l’internet, comme un moyen de créer des barrières à l’entrée pour les entreprises étrangères et nationales. En limitant le champs d’actions des entreprises concurrentes sur le marché chinois grâce aux brevets, les entreprises chinoises renforcent leur position de leader sur un marché à fort potentiel de croissance. On peut analyser le renforcement de la protection de la propriété intellectuelle en Chine comme une conséquence de la célèbre guerre des brevets entre Apple et Samsung, qui a fait prendre conscience aux entreprises chinoises des importants enjeux financiers qui tournent autour de celle-ci. Il existe aujourd’hui en Chine une augmentation des patents trolls, des brevets ayant uniquement pour but de nuire à des sociétés étrangères.

Les brevets, une véritable arme de guerre sur le marché chinois

 Pour conclure cet article sur les brevets en Chine, nous pouvons dire que ce sont des véritables armes économiques au service de l’État Chinois et des Entreprises Chinoises dans une économie tournée vers la production et la consommation de connaissances. Selon un article du journal du CNRS, « En Chine, on refait toutes les expériences scientifiques, au cas où on serait passé à côté de quelque chose », ce qui montre bien l’importance de la connaissance pour un pays qui compte 1,4 milliard d’habitants et donc 1,4 milliards de cerveaux. La mise en place d’une protection intellectuelle est une stratégie permettant à la Chine de filtrer les capitaux étrangers sur son marché, n’acceptant que les entreprises générant une forte valeur ajoutée grâce à la création de connaissances hyper spécifique que les entreprises chinoises ne sont pas capable de produire, tout en favorisant le développement de ses entreprises sur son marché et à l’internationale.

Par Huan Huan Huang, étudiant promotion 2015-2016 du M2 IESC

Bibliographie :

Le Monde : « Les classes moyennes exploseront dans les pays émergents »

http://www.lemonde.fr/economie/article/2014/02/04/d-ici-a-2022-les-classes-moyennes-exploseront-dans-les-pays-emergents_4359401_3234.html

Le Figaro : « Quand l’inventeur des capsules de café regrette sa création » 11/03/2015

http://www.lefigaro.fr/societes/2015/03/11/20005-20150311ARTFIG00045-quand-l-inventeur-des-capsules-de-cafe-regrette-sa-creation.php

TNS sofres : « Gagner la bataille de l’innovation » 04/03/2013

http://www.tns-sofres.com/etudes-et-points-de-vue/gagner-la-bataille-de-linnovation

BFM Business : « Pourquoi les français restent rétifs au paiement mobile ? » 25/11/2015

http://bfmbusiness.bfmtv.com/entreprise/pourquoi-les-francais-restent-retifs-au-paiement-mobile-931739.html

Planète expert : « Chine : Chiffres clés »

http://www.planet-expert.com/fr/pays/chine/chiffres-cles

Le journal du CNRS : « Les flop de l’innovation »

https://lejournal.cnrs.fr/articles/les-flops-de-linnovation

Statistiques du Ministère de l’industrie et de l’information technologique Chinois

http://www.miit.gov.cn/n11293472/n11293832/n11293907/n11368261/16733883.html

Cours de M. Yves Dolais en Droit international

Admin M2 IESC