Le 29 janvier 2020 Sarah Abitbol, célèbre patineuse artistique, témoigne des violences sexuelles qu’elle a subi de la part de son entraîneur entre 1970 et 1990. Après des années de silence elle porte plainte contre Gilles Beyer pour viol sur mineure, elle avait 15 ans au moment des faits. Elle explique pourquoi elle brise cette omerta : « Pas pour se venger, mais pour aider la parole à se libérer. » Son cas n’est pas isolé, « cela existe partout, dans toutes les disciplines et toutes les fédérations » s’exprime Rémi Heitz, procureur en charge de l’enquête. De nombreuses personnes sont ainsi sortis du silence ces derniers mois et ont témoigné des violences qu’ils ont eux aussi subi. Des sportifs et sportives ont à leur tour déposé plainte contre leur entraîneur, leur encadrant ou encore leur président de club pour des agressions sexuelles, pour la plupart datant de plusieurs années. Ils viennent de multiples milieux sportifs comme l’athlétisme, l’escalade, le tennis ou encore l’équitation et sont tant professionnels qu’amateurs. Une réelle omerta règne depuis de nombreuses années dans le milieu sportif où les jeux de pouvoirs sont très importants. Les dirigeants et entraîneurs sont puissants et leur rôle est prépondérant dans la carrière et la réussite des jeunes sportifs. Greg Décamps, auteur d’un rapport sur les violences sexuelles dans le sport en France compare la fédération de patinage artistique « à un système mafieux, dans lequel les gens se couvrent, se protègent et se menacent les uns les autres. En face, il y a deux groupes : les victimes, nombreuses, qui sont réduites au silence, et ceux qui savaient mais qui n’ont jamais parlé par crainte de représailles ». L’affaire Sarah Abitbol illustre cette mentalité présente dans le milieu sportif. Dans les années 2000 Gilles Beyer, l’entraîneur de la patineuse, est entendu par la justice sur une affaire similaire et est démit de ses fonctions de conseiller technique sportif. Cependant, il continuera sa carrière au club des « Français volants » et réalisera même de nombreux mandats au bureaux exécutif de la Fédération française des sports de glace jusqu’en 2018. Dans ce contexte d’omerta, une libération de la parole peut-elle vraiment faire changer les mentalités dans le sport français ?
Pourquoi les victimes sortent aujourd’hui du silence ?
Créé en 2007 par la militante féministe américaine Tarana Burke, le hashtag « Me Too » a pour but de permettre aux victimes de témoigner sur les réseaux sociaux d’agressions et harcèlements sexuels qu’elles ont vécu. De nombreuses femmes ont ainsi raconté leur histoire et ont fait preuve d’une immense solidarité les unes envers les autres. Ce mouvement a pu prendre énormément d’ampleur grâce aux témoignages de célébrités notamment du milieu du cinéma, qui ont fait la une de la presse. Dans le sport, tout le monde sait que des violences du même genre ont lieu depuis des années mais personne n’en parlait jusqu’à maintenant. Selon Philippe Liotard, anthropologue du sport à l’Université Lyon 1, « c’étaient des cas qui étaient un peu isolés. On n’en parlait que lors de procès. Ce qui est intéressant, c’est qu’il y a désormais une écoute. On trouve des gens qui sont plus capables de témoigner, mais surtout, on est prêt à les écouter sans les remettre en question. Avant, il y avait de la suspicion ». La médiatisation et l’ampleur de mouvements comme « Me too » facilite la libération de la parole des victimes. Elles ne témoignent pas uniquement pour réclamer justice et guérir des violences tant morales que physiques qu’elles ont vécu, mais surtout pour inciter d’autres personnes subissant des agressions sexuelles à sortir du silence. La victime d’abus ne se sent plus seule et à travers les témoignages similaires qu’elle entend, elle prend conscience que ces violences ne sont pas normales et qu’il n’y a aucune raison d’éprouver de la honte ou de la culpabilité. Certaines personnes vivant de tels traumatismes ne s’identifient pas comme des victimes. Pour elles, l’agression relève de leur faute, d’autant plus dans le milieu sportif où la frontière de l’intimité est très facilement franchie.
Le milieu sportif est propice au développement de violences sexuelles
Selon le rapport de 2009 de Greg Décamps « les jeunes sportifs sont deux fois plus exposés aux violences sexuelles que les autres ». Une certaine barrière de l’intimité peut facilement être franchie par les encadrants qui ont une réelle emprise psychologique sur ces jeunes et un impact direct sur leur carrière de sportif. Décamps explique que « tous les sportifs craignent pour leur carrière. Certains arrivent même à se convaincre qu’il s’agit d’un passage obligé pour devenir un champion, que ‘tout le monde est passé par là’. Ils acceptent d’être malmenés pour atteindre le plus haut niveau. ». En effet, la relation entre le sportif et son entraîneur peut très rapidement basculée dans une situation de dominant-dominé. Le sociologue Philippe Liotard parle d’une « relation spéciale entre un athlète et un entraîneur qui a le pouvoir de transformer son corps pour le mener vers la performance. Une relation affective se crée et il peut y avoir un glissement vers une relation de prédateur où l’adulte va profiter de son pouvoir ». Pour Véronique Lebar, présidente du Comité éthique et Sport, « dans ce milieu, le corps est un véritable outil de travail et de performance, qu’on est presque obligé de toucher, ne serait-ce que pour apprendre des mouvements ». Cette proximité indispensable à la pratique du sport, permet aux agresseurs de dépasser les limites petit à petit en toute impunité. Le jeune sportif ne va pu comprendre où sont les barrières à ne pas franchir pour l’adulte.
Pratiquer un sport et particulièrement de haut niveau, peut aussi isoler l’enfant. Il passe de longues heures à s’entraîner dans son club et doit aussi se déplacer pour des stages ou des compétitions qui ont parfois lieu loin de chez lui. Des situations propices aux dérives où le coach se retrouve seul avec l’enfant peuvent alors avoir lieu lors d’entraînements qui se terminent tard ou alors de déplacements en voiture. L’emprise de l’entraîneur peut alors être totale sur l’enfant, « il devient un parent de substitution. C’est à travers lui, ses regards, ses remarques, que la performance et la reconnaissance sont perçues » explique Véronique Lebar. Le jeune sportif développe une admiration totale et une obéissance aveugle envers son entraîneur qui peut alors profiter de ce pouvoir.
Les solutions pour prévenir et lutter contre les violences sexuelles
Sébastien Boueilh, ancien rugbyman violé par le mari de sa cousine qui l’emmenait à ses entraînements, se bat au quotidien auprès des associations sportives pour parler de son expérience dans le but de prévenir. Avec l’association « Colosse aux pieds d’argile » dont il est le directeur il réalise des interventions auprès des associations, des entreprises ou encore lors de conférences pour parler de son expérience, de partager cette dernière et d’aider des victimes potentielles. Cette association œuvre dans un but social pour prévenir, sensibiliser, former et aider toutes les personnes aux contacts des enfants mais aussi les enfants, car pour Sébastien Boueilh ce sont les enfants les premières victimes.
Mais avec les mouvements « Me too » et l’explosion des scandales dans le milieu sportif, il est intéressant de chercher à lutter contre ses violences et mettre en place des plans d’actions à l’échelle de la loi. C’est dans ce sens que notre ministre des Sports, Roxana Maracineanu qui est une ancienne nageuse de haut niveau, explique que « le sport met en jeu une relation vraiment particulière entre l’entraîneur, à qui tout le monde fait confiance au nom de la performance, et l’entraîné », par ces mots il est intéressant de noter que la ministre elle-même affirme avoir ressentie cette emprise durant sa carrière. Ainsi, pour elle, la première action à laquelle il faut être vigilant en tant que responsable est d’« être à plusieurs adultes pour s’occuper de l’enfant, à veiller à ce qu’il ne soit pas seul avec l’adulte, » et cela dans le but d’éviter que « petit à petit » l’enfant ou l’athlète ne s’enferme « dans une relation affective qui peut connaître des dérives ». Ainsi, la ministre préconise une organisation simple qui paraît intéressante sur le plan fonctionnel mais qui peut coûter pour une association. En effet, avoir plusieurs encadrants nécessitent souvent une formation mais aussi peut avoir un coût mensuel si ce dernier doit être salarié.
Mme Maracineanu a détaillé son plan d’action pour la lutte contre les violences sexuelles. Des annonces qui ont pour but de calmer l’opinion publique mais aussi d’en finir avec cette omerta. Ainsi, alors que le vendredi 21 février dernier, s’est tenu une convention nationale de prévention des violences sexuelles dans le sport au siège du Comité national olympique et sportif français. Les mesures phares de la ministre ont été présentées. Parmi ces mesures nous pouvons apercevoir le contrôle d’honorabilité pour les 1,8 millions de bénévoles au sein des associations sportives. Cette mesure serait obligatoire pour les éducateurs sportifs qui ont une carte professionnelle. Une absence qui traduisait un véritable angle mort de la pédo-criminalité dans le domaine du sport. Cette mesure était en expérimentation dans la région Centre-Val de Loire et a pu faire ses preuves en identifiant vingt cas problématiques, dont une condamnation pour pédophilie. Dans un premier temps c’est la fédération française de football qui va expérimenter cette mesure à l’échelle nationale.
Parmi les autres solutions, l’exécutif souhaite mettre en place un module de formation obligatoire pour les éducateurs sportifs et portant sur l’éthique et l’intégrité ainsi que la mise en place d’un code de déontologie. Il sera aussi possible pour le numéro d’enfance en danger de recueillir des témoignages spécifiques dans le domaine du sport afin de garder une étude et un suivi statistique de la mesure. Mais l’action du gouvernement ne s’arrête pas ici. En effet, les fédérations sportives devront proposer des plans de prévention spécifiques avec la direction des sports chargée de traiter les signalements de violences sexuelles qui sera aussi renforcée avec trois nouveaux agents.
Des mesures qui se complètent par la mise en place d’un dispositif d’alerte pour permettre de prendre rapidement des mesures de police administrative un peu comme les procédures pénales de jugement rapide. Mais aussi, une mission interministérielle dédiée a été lancée avec à sa tête Fabienne Bourdais qui a été nommé déléguée ministérielle chargée des violences sexuelles dans le sport. Ces solutions sont collectives car elles ont pour objectif de créer des discussions et des concertations avec les fédérations, les experts et les services de l’Etat comme le vendredi 21 février derniers pour aboutir à de nouvelles propositions d’ici mai 2020.
Pour conclure
Alors fin de l’omerta ? Début des changements dans le monde sportif ? Pour Julian Jappert, c’est presque « impossible », à l’heure actuelle, de dénoncer ces violences. Pourtant le mouvement « Me too » du sport fait clairement ressortir les violences sexuelles du sport. Mais le constat que fait Sébastien Boueilh rejoint Julien Jappert. En effet, il faut encore allez chercher les victimes qui ont toujours se sentiment de culpabilité même après des années le sentiment d’admiration perdure et cela d’autant plus dans le sport. Véronique Lebar l’exprime là encore « le pouvoir, l’emprise sont trop forts, même des années après », « de la part du sportif, il y a toujours une autocensure ». Ainsi, pour une majeure partie des acteurs « Ce n’est pas du tout la fin de l’omerta » (Véronique Lebar). Ce n’est certes pas fini mais comme toute dérive elle est aujourd’hui reconnue par le gouvernement. Ce dernier met en place depuis la refonte de la loi concernant les violences sexuelles dans la première décennie, des mesures qui ont pour objectifs de durcir la législation et d’obliger les contrôles par les acteurs du sport. Une forme de responsabilisation des institutions qui va dans le positif, qui est encourageante pour la suite et qui marque le début de changement dans le monde sportif.
Par Céline Métais, promotion 2019-2020 du M2 IESCI
Sources
- « Le mouvement #MeToo »; L’Express
https://www.lexpress.fr/actualite/societe/le-mouvement-metoo_2038073.html
- « La patineuse Sarah Abitbol témoigne : « J’ai été violée par mon entraîneur à 15 ans »»; rédigé par Emmanuelle Anizon ; publié le 29 janvier 2020
- « Agressions sexuelles dans le milieu du sport : fin de l’omerta ? »; Rédigé par Benjamin DODMAN et Stéphanie TROUILLARD ; Publié le 03/02/2020
- « Accusé de viols par l’ex-patineuse Sarah Abitbol, son entraîneur admet “des relations inappropriées”»; France 24 ; Publié le 31/01/2020
- « Face aux violences sexuelles dans le sport, Maracineanu dévoile son plan » ; France 24 ; Le HuffPost ; Publié le 21/02/2020
- « Un entraîneur d’athlé des Yvelines accusé de “harcèlement sexuel” par des sportifs »; Le HuffPost avec AFP ; publié le 18/02/2020
- « Violences sexuelles dans le sport: l’escalade touchée par quatre plaintes »; Le HuffPost ; publié le 15/02/2020
- « Face aux accusations de viols, la Fédération équestre “embarrassée” et “inquiète” »; Le HuffPost ; publié le 13/02/2020
- « Comme Sarah Abitbol, les sportives de haut niveau sont plus exposées aux violences sexuelles »; rédigé par Marine Le Breton ; publié le 29/01/2020