Le Big Data agricole

L’agriculture fait face à de nombreux défis, que ce soit en France ou à l’international, avec en premier lieu, la nécessité de nourrir 9,7 milliards d’individus à horizon 2050. Mais au niveau global, ces défis s’accompagnent de contraintes non négligeables telles que la gestion des effets du réchauffement climatique, de la pression sur la ressource en eau ou encore de la diminution des terres disponibles. En France, l’agriculture va également devoir veiller à améliorer sa compétitivité, notamment face à ses voisins européens face à qui elle a perdu du terrain depuis quelques années. Comme partout dans le monde, l’agriculture française va également devoir travailler son attractivité auprès des jeunes générations, en réduisant par exemple la pénibilité du travail agricole ou en offrant la possibilité aux agriculteurs d’avoir plus de temps de loisir. A l’aval, le monde agricole va devoir également s’adapter aux exigences de plus en plus pointues des consommateurs vis à vis de leur alimentation, que ce soit en termes de qualité ou de traçabilité.

Si un grand nombre de problèmes apparaissant dans les exploitations agricoles ont jusqu’à présent été gérés grâce à la propre expertise et l’expérience des agriculteurs, l’émergence de nouvelles technologies telles que l’Internet des objets et l’intelligence artificielle leur permettent dorénavant d’adopter une approche fondée sur les données. Alors que l’intelligence artificielle est apparue au milieu des années 50, ses récents développements, notamment en matière de deep learning, vont permettre d’apporter la pierre qu’il manquait à l’édifice de l’agriculture de précision. En effet, alors que les exploitations agricoles vont produire de plus en plus de données grâce à l’explosion du nombre de capteurs et la numérisation de l’activité agricole, ce big data agricole va pouvoir nourrir de nombreux algorithmes basés sur des techniques de machine learning et de deep learning. Grâce à ces algorithmes, les agriculteurs vont pouvoir bénéficier d’une aide précieuse dans leur activité quotidienne, que ce soit à travers l’autonomisation des robots agricoles, la surveillance en temps réel de leurs animaux ou encore l’analyse de leurs cultures grâce à des drones ou des satellites tout en améliorant leur empreinte écologique, etc.

L’agriculture numérique

La révolution numérique touche tous les secteurs de l’économie, y compris l’agriculture. On parle aujourd’hui « d’agriculture numérique », c’est-à-dire d’une agriculture qui utilise les technologies de l’information et de la communication (TIC) : technologies d’acquisition de données (satellites, capteurs, objets connectés, smartphones…), de transfert et de stockage (couverture 3G/4G, et bientôt 5G, réseaux bas débits terrestres ou satellitaires, clouds) et technologies de traitement embarquées ou déportées (supers calculateurs accessibles par des réseaux de communication très haut débit). Ces technologies peuvent être mises en œuvre à toutes les échelles de la production agricole et de son écosystème, que ce soit au niveau de l’exploitation (optimisation des opérations culturales, de la conduite de troupeau…), dans les services d’accompagnement (nouveaux services de conseil agricole basés sur des données collectées automatiquement), ou à des échelles plus grandes comme dans un territoire (gestion de l’eau) ou dans une chaîne de valeur (amélioration des intrants comme par exemple les semences, meilleure adéquation entre la production et le marché…).

L’agriculture numérique a été initiée il y a plus de quarante ans avec les premiers programmes de satellites civils d’observation de la terre. Son développement s’est poursuivi avec l’explosion des capacités de calcul dans les années 1980 (premiers modèles numériques de cultures, systèmes experts, lancement de l’agriculture de précision) et, plus tard, avec de nouvelles opportunités technologiques comme les smartphones, les communications par satellite, le GPS, de nouveaux satellites équipés de capteurs plus sophistiqués (multi longueurs d’onde, radar…) et, enfin, dernièrement avec les objets connectés. Nous sommes donc aujourd’hui dans une conjoncture très favorable pour l’agriculture numérique, au croisement de processus d’innovation technology push et market pull. Les TIC sont considérées comme des opportunités pour l’agriculture aussi bien pour les pays européens que pour les pays en développement dans lesquels « les contributions des TIC à l’agriculture sont à la fois en évolution rapide et mal comprises, avec des questions en suspens sur la manière de rendre ces innovations réplicables, évolutives et durables pour une population plus nombreuse et plus diversifiée ». Par ailleurs, « l’agriculture et l’alimentation numérique » sont identifiées comme l’un des dix domaines clés des technologies numériques, avec trois domaines d’intérêt : robotique, agriculture de précision et big data. L’agriculture s’empare donc de ces dispositifs qui produisent des masses de données toujours plus grandes à partir desquelles la connaissance peut être extraite grâce à des techniques de fouille de données (data mining).

Quelques exemples de techniques d’utilisation du big data dans l’agriculture

Nous vous présentons quelques projets développés ces dernières années sur le big data agricole. La plupart sont mis en oeuvre par des start-up françaises.

La numérisation du temps du pâturage du troupeau

L’entreprise Applifarm spécialisée dans le secteur d’activité de la programmation informatique, notamment dans le big data agricol, a développé Smart Grazing, un nouveau module de monitoring du temps de pâturage via des colliers connectés développés avec la collaboration de DigitAnimal, l’Institut de l’élevage, Sigfox et Bureau Veritas. Cette nouveauté géolocalise les animaux via le traitement des données GPS pour simplifier la gestion du temps de pâturage pour les éleveurs, les coopératives et les transformateurs. Elle permettra également de connaître en temps réel la position du troupeau.

Le temps de pâturage d’un troupeau entre dans de nombreux cahiers des charges de transformateurs (laiteries, abattoirs, etc.), nécessitant la tenue d’un carnet de pâturage par les éleveurs. Plutôt que de tenir un registre « papier » ou de cocher les dates sur un calendrier, il existe une solution numérique apportant de multiples avantages, tant à l’éleveur qu’aux gestionnaires du cahier des charges.

Un algorithme calcule au fur et à mesure le temps de pâturage du troupeau, pour connaître le nombre effectif de jours de présence en pâture, localiser les prairies ou les paddocks, ou encore calculer les surfaces associées. Grâce à ces données et à l’équipement des colliers, l’éleveur constitue automatiquement un carnet de pâturage numérisé.

Pour les opérateurs de la filière, cette solution offre une garantie du temps de pâturage, pouvant servir à la labellisation du lait (pâturage local, lait de foin, respect de réglementations, zones de collecte).

Avec sa betterave connectée, Tereos se rapproche des exploitants

Grâce à sa betterave connectée, le groupe coopératif Tereos entame une nouvelle phase dans sa relation avec les agriculteurs. Ces derniers peuvent désormais bénéficier de conseils personnalisés pour améliorer leur rendement en sucre, et accroître leurs revenus. Comment ? Grâce aux résultats remontés sous forme de graphiques par la betterave connectée sur les conditions de récolte.

Cet objet est issu de recherches menées depuis une quinzaine d’année sur les phénomènes biologiques de la betterave et la manière de conserver son sucre après la récolte. Le groupe qui rassemble 12 000 coopérateurs, transforme au total 19,8 millions de tonnes de betteraves pour produire plus de 2 millions de tonnes de sucre par an en France.

Pour analyser les causes des chocs pendant le processus de récolte, une dizaine d’ingénieurs agronomiques ont ainsi conçu en 2017 un objet connecté de forme et de poids identique à celui d’une betterave. Celui-ci permet de suivre le parcours de la plante du champ à l’usine. Il est doté d’un accéléromètre fonctionnant en bluethooth pour détecter les chocs et leur intensité.

IOTA est la meilleure option pour valoriser le big data agricole

La start-up française de l’agtech OKP4, fondée en octobre 2018, s’est fixée pour objectif de rassembler, valoriser et partager les données du monde agricole pour permettre au secteur de gagner en efficience. Sa plateforme Smart Farmers vise ainsi à récolter des informations sur des relevés de température, le suivi de l’utilisation de matériel ou encore des rendements grâce aux capteurs déjà déployés par les agriculteurs. Pour faire face aux problèmes d’interopérabilité entre les différents objets connectés sur le marché et assurer son business-modèle, OKP4 mise sur une technologie clé : IOTA.

Avec ce protocole de communication open-source, qui permet d’effectuer des échanges de données, via des unités de calcul décentralisées, et des transactions d’argent virtuel, la start-up entend en effet valoriser le big data agricole sans avoir besoin de partenariat avec les constructeurs d’objets connectés. “IOTA va nous permettre de décupler les connexions à d’autres systèmes et de passer d’une économie de la data à une économie de la connaissance. Grâce aux utility tokens de la cryptomonnaie associée à IOTA, nous pourrons rétribuer les agriculteurs en fonction des informations qu’ils apportent à l’ensemble de la communauté”, se réjouit Fabrice Francioli, cofondateur d’OKP4. Lorsque les données des agriculteurs sont utilisées par d’autres membres, les contributeurs sont rétribués sous forme de tokens au prorata de l’utilisation de leurs données pour leur permettre à leur tour d’utiliser Smart Farmers. L’accès aux datas sera cependant soumis à un abonnement de base.

Par Mohamed MBAPANDZA, promotion 2018-2019 du M2 IESCI

Bibliographie

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Ben Henda, Mokhtar. « Adaptation normative des Big Data et du Learning Analytics », Évelyne Broudoux éd., Big Data – Open Data : Quelles valeurs ? Quels enjeux ? Actes du colloque « Document numérique et société », Rabat, 2015. De Boeck Supérieur, 2015, pp. 197-212.

Bies-Péré, Henri. « Une agriculture plus technologique sera-t-elle une agriculture plus respectueuse ? », Le journal de l’école de Paris du management, vol. 136, no. 2, 2019, pp. 31-37.

Durand, Cédric, et Razmig Keucheyan. « Planifier à l’âge des algorithmes », Actuel Marx, vol. 65, no. 1, 2019, pp. 81-102.

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http://www.mon-cultivar-elevage.com/content/numeriser-le-temps-de-paturage-avec-smart-grazing

https://www.journaldunet.com/ebusiness/internet-mobile/1424591-avec-sa-betterave-connectee-tereos-se-rapproche-des-exploitants/

https://www.lesechos-etudes.fr/etudes/agroalimentaire/intelligence-artificielle-dans-agriculture-defis-opportunites-perspectives/

Admin M2 IESC