L’arrivée de dispositifs de « cloud gaming » : vrai changement dans l’industrie du jeu vidéo ?

Comme le cinéma ou la musique, le marché du jeu vidéo a entamé une transition vers un modèle au sein duquel les consommateurs n’achètent plus le produit mais payent un abonnement à une plateforme centralisée à partir de laquelle ils peuvent accéder à un catalogue de jeux vidéo. Si les géants des jeux vidéos utilisent de tels dispositifs depuis années (Sony avec le Playstation Now depuis 2017, Microsoft avec le Xbox Game Pass depuis 2017, Electronic Arts avec Origin Access depuis 2016), d’autres acteurs comme Google ont créé une offre avec l’objectif de concurrencer les acteurs historiques du gaming. Focus sur ces démarches ainsi que sur leur avenir.

« Gaming on Demand » / « Cloud gaming » : de quoi s’agit-il ?

Le « Gaming on Demand » (jeu vidéo à la demande) fait référence à la mise en relation entre l’offre et la demande de jeux vidéo via une plateforme centralisée. En se connectant à la plateforme, les joueurs ont accès à plusieurs produits (plus ou moins nombreux selon les plateformes). Les plateformes en question peuvent être gratuites ou payantes (abonnement mensuel) et proposent majoritairement des jeux payants (c’est par exemple le modèle de Steam, la plus populaire des plateformes PC).

Parmi les services de « Gaming on Demand », certains dispositifs proposent aux joueurs la possibilité de jouer sans avoir à télécharger le jeu auquel ils souhaitent jouer : on parle de « Cloud Gaming ». Concrètement, le Cloud Gaming permet d’ « exécuter le jeu sur les serveurs du fournisseur de service situés dans un ou plusieurs Data Center. Via Internet, les images sont transmises en temps réel sur l’écran de l’utilisateur (de la même manière qu’une vidéo YouTube ou Netflix)[1] ». Le Cloud Gaming permet donc de s’affranchir des contraintes liées à la machine au profit d’un système complètement dématérialisé. Google propose un service de Cloud Gaming avec Stadia. On peut également citer le service français Shadow développé par Blade. D’autres entreprises travaillent sur des dispositifs qui s’inscrivent dans la même logique. Microsoft a notamment communiqué sur le projet xCloud.

De tels dispositifs présentent plusieurs avantages. D’abord, cela permet de bénéficier de ses jeux sur tous les supports dotés d’un écran (smartphone, tablette, téléviseur, ordinateur). La polyvalence du système est donc un vrai atout par rapport aux dispositifs traditionnels. Ensuite, les systèmes Cloud Gaming sont pensés de manière à limiter au maximum les temps de chargement. Les jeux sont donc très faciles d’accès et ne nécessitent aucun téléchargement ou aucune mise à jour comme cela peut être le cas sur des dispositifs plus traditionnels. Enfin, à condition d’avoir une connexion internet de qualité, il est possible de faire fonctionner la quasi-totalité des jeux sans avoir de matériel ultra-performant et pensé pour le gaming. Effectivement, les fournisseurs comme Google ou Blade disposent d’une puissance de calcul telle qu’ils offrent la possibilité aux joueurs de faire fonctionner des jeux en qualité optimale. Cela présente donc un avantage de prix non négligeable : plus besoin de se procurer des ordinateurs coûteux pour profiter des derniers jeux.

Si le Cloud Gaming présente des avantages incontestables, il reste perfectible à plusieurs niveaux. Comme évoqué précédemment, une connexion internet haut-débit et stable est nécessaire pour pouvoir jouer sans latence. Le problème n’est pas vital pour des jeux solos mais il est absolument clé pour ce qui est des jeux multijoueur qui exigent de n’avoir aucune latence. D’autre part, il semble que la proximité par rapport aux serveurs joue également un rôle. Par exemple, un utilisateur de Google Stadia qui se trouve tout près des serveurs Google aura moins de latence que le joueur qui en est éloigné. Le problème de la propriété semble également poser problème aux joueurs. En effet, le Cloud Gaming a pour conséquence (comme Netflix pour le cinéma ou Spotify pour la musique) de rendre impossible la possession des jeux. Enfin, ces dispositifs consomment une quantité phénoménale de données (près de deux fois plus que pour le streaming d’un film). Lorsqu’on connait les enjeux environnementaux auxquels nous faisons face aujourd’hui, nous avons affaire à un vrai inconvénient. Nous reviendrons sur ce dernier problème à la fin de cet article.

Premiers résultats et projets

Bien que tous les spécialistes s’accordent pour dire que le marché du Cloud Gaming est prometteur et potentiellement source de profits juteux, les dispositifs lancés par les principales entreprises du secteur ont reçu un accueil mitigé.  Le service Stadia de Google a par exemple connu des débuts compliqués. Entre le 5 (date de lancement) et le 19 Novembre 2019, Stadia n’a été téléchargé que 175 000 fois. Compte-tenu des investissements consentis et de l’ampleur du projet, ce chiffre est plutôt moyen. À titre de comparaison, Microsoft avait vendu plus d’1 million d’exemplaires de Xbox pendant les premières 24h de sa sortie. Cela s’explique notamment par les soucis de latence évoqués précédemment ainsi que par le modèle d’affaires retenu par Google qui oblige les utilisateurs à payer les jeux auxquels ils souhaitent jouer en plus de l’abonnement mensuel. Stadia proposait un catalogue de 22 jeux à sa sortie ce qui peut également bloquer par rapport à des dispositifs traditionnels qui offrent un catalogue de jeux bien plus vaste. Le géant californien n’a d’ailleurs pas beaucoup communiqué sur les résultats de Stadia. Depuis, il semble qu’il n’y ait aucune amélioration notable. Google doit même faire face à des problèmes internes puisqu’un Community Manager avait assuré en Novembre 2019 à un twitto italien que les jeux achetés disparaissaient du catalogue si le joueur stoppait son abonnement. Pourtant, Google a démenti quelques jours plus tard en affirmant le contraire. Ces éléments de communication ont largement contribué à nuire à la réputation de Stadia dans le sens où ils avaient été largement repris sur le réseau social Reddit sur lequel les joueurs du monde entier échangent et donnent leur avis.

L’entreprise française Blade avait, elle, divisé par deux le prix de son abonnement mensuel lorsque Google avait lancé Stadia. Le prix était alors passé de 29,95 euros par mois à 12,99 euros par mois (alors que Stadia est proposé à 9,99 euros par mois). Si le nombre de souscription à leur service est moins élevé que celui de Stadia, il semble plus en adéquation avec les objectifs de la start-up française. Shadow possède également l’avantage de faciliter l’accès à l’ensemble des jeux qui existent (et pas seulement une vingtaine comme Stadia).

Microsoft, acteur bien ancré sur le marché du jeu vidéo depuis plusieurs années, va lancer en 2020 son service Cloud Gaming nommé xCloud. Avec plus de 54 jeux disponibles, le catalogue de xCloud est bien plus vaste que celui de Stadia. De plus, les futurs utilisateurs n’auront que l’abonnement mensuel à payer ; ils auront ensuite accès gratuitement à l’ensemble des jeux disponibles dans le catalogue. Microsoft parait donc en position idéale pour profiter des possibilités qu’offre le Cloud Gaming.

Quelles perspectives pour le Cloud Gaming ?

Alors que les spécialistes s’attendaient à un vrai changement de structure du marché du jeu vidéo, il est clair que la transformation n’a pas eu lieu. Une étude de Médiamétrie montre pourtant d’une part qu’une très large partie de la population française joue aux jeux vidéo (72% des adultes) et d’autre part qu’ils ont tendance à jouer sur plusieurs supports.

Le graphique ci-dessus prouve que les joueurs utilisent en moyenne entre 2 et 3 supports pour jouer. Les plus représentés sont les smartphones, les ordinateurs puis les consoles de jeu TV. Au vu de ces statistiques, le Cloud Gaming qui offre la possibilité de jouer à ses jeux sur tous les supports présentés dans le graphique pourrait convenir au joueur français moyen. Cela lui permettrait de jouer à ses jeux sur tous ses supports. Le modèle du Cloud Gaming est donc pensé pour convenir à ces utilisateurs. Les problèmes de latence évoqués précédemment (qui sont aujourd’hui le principal frein pour de nombreux gamers) mériteraient donc d’être résolus pour offrir une vraie chance au Cloud Gaming. L’arrivée et la généralisation de la 5G devrait permettre de résoudre une partie de ces problèmes de latence en permettant aux français de bénéficier d’une connexion internet adaptée à ces offres.

Il semble tout de même que les joueurs réguliers (les plus susceptibles de souscrire à un abonnement mensuel) soient attachés au modèle traditionnel et jouent à des jeux différents en fonction des supports. Les jeux mobiles sont pensés pour être accessibles et ne pas demander beaucoup de temps au joueur alors que les jeux PC ou consoles sont aujourd’hui à tout point de vue de meilleure qualité. Le Cloud Gaming, par la possibilité que cela offre de jouer aux mêmes jeux sur tous ces supports, ne fait donc pas l’unanimité. Le fait que les joueurs ne soient pas toujours propriétaires des jeux auxquels ils jouent est incontestablement un inconvénient pour beaucoup de clients potentiels.

La consommation excessivement importante de données que nécessite le Cloud  Gaming est à l’opposé des revendications environnementales que prône un nombre croissant de citoyens. Le processus est, certes, déjà lancé mais il pose question. Est-il souhaitable d’aller vers une généralisation de ce genre de service sachant qu’à termes, la quasi-totalité de la population jouera au moins occasionnellement ? Cela aboutirait à une consommation de données considérable qui ne ferait qu’accentuer les problèmes environnementaux auxquels nous faisons face.

Pour finir, Sony et Microsoft ont récemment annoncé qu’ils sortiraient la prochaine génération de console de salon fin 2020. Les informations dont nous disposons actuellement ne permettent pas d’affirmer avec certitude qu’elles seront compatibles avec des services de Cloud Gaming. Toutefois, il est par exemple probable que Microsoft profite de l’occasion pour lancer son xCloud. Sony doit également réfléchir à la mise au point d’un système similaire. Le salut du Cloud Gaming passera donc peut-être par la compatibilité avec les consoles de salon auxquelles beaucoup de joueurs restent attachés.

Article d’Antonin Rohard, promotion 2019-2020 du M2 IESCI

[1] Définition tirée du site spécialisé www.lebigdata.fr. Se référer aux Sources pour plus d’informations.

Sources

Site web de Shadow : https://shadow.tech/frfr

Article qui rend-compte des difficultés de Stadia lors de son lancement : https://www.lesechos.fr/tech-medias/hightech/jeux-video-les-debuts-difficiles-de-google-stadia-dans-le-cloud-gaming-1150147

Article qui traite du soucis de communication chez Google à propos des jeux achetés : https://www.numerama.com/tech/574128-stadia-affirme-sur-twitter-que-les-jeux-achetes-en-promo-disparaissent-a-la-fin-de-labonnement-google-dement.html

Définition du Cloud Gaming : https://www.lebigdata.fr/cloud-gaming-tout-savoir

Page web dédiée au projet xCloud : https://www.xbox.com/fr-FR/xbox-game-streaming/project-xcloud

Article qui présente l’offre Cloud Gaming de Microsoft : https://www.phonandroid.com/microsoft-devoile-les-54-jeux-gratuits-de-xcloud-son-tueur-de-google-stadia.html

Article qui rend-compte de la stratégie de Shadow face à l’arrivée de Google sur le marché : https://www.latribune.fr/technos-medias/innovation-et-start-up/shadow-leve-30-millions-d-euros-et-divise-par-deux-son-prix-pour-contrer-google-831898.html

Étude Médiamétrie sur les habitudes des français en matière de jeu vidéo : https://www.mediametrie.fr/fr/le-jeu-video-sancre-dans-le-quotidien

 

 

Admin M2 IESC