La position de la France à l’ère de la reconnaissance faciale

Introduite petit à petit dans nos sociétés, la reconnaissance faciale fait aujourd’hui de plus en plus de bruit, et les discours s’apparentent à ceux d’une société Orwellienne. Considérée d’une part comme un facteur de risque et d’autre part comme une excellente opportunité, elle reste encore peu expliquée. Pourtant, son utilisation de plus en plus répandue dans certains pays comme la Chine (avec un contrôle généralisé par vidéosurveillance), et le marché en forte expansion autour d’elle, rendent intéressant le débat qu’elle soulève. Il est important de souligner que les valeurs et les modèles de gouvernance des pays, fondamentalement différents, impactent le degré d’acceptation et d’adoption des innovations.

En général, les traitements des données biométriques, analysées pour authentifier un individu (c’est-à-dire déterminer irréfutablement son identité), sont de plus en plus répandus. La CNIL définie la biométrie comme l’ensemble des techniques informatiques permettant de reconnaitre automatiquement un individu à partir de ses caractéristiques physiques, biologiques, voire comportementales. L’analyse des caractéristiques physiques propres aux individus, comme la voix, le visage, l’iris, les empreintes digitales et la reconnaissance faciale, leur permettent de se protéger contre la fraude et le vol. Cependant, prises hors du cadre personnel, ces pratiques posent des problèmes éthiques et de sécurité. Aujourd’hui, au-delà de l’authentification des téléphones et appareils électroniques, on peut payer ses courses dans certains pays avec la reconnaissance faciale, s’enregistrer à l’entrée d’un local pour participer à un évènement (concerts, match etc…), et la technologie peut aller plus loin. Cette innovation qui combine intelligence artificielle et avancée technologique refroidit les ardeurs de certains pays dont les pays de l’Union Européenne. Au-delà de la nécessité d’adapter la législation, les questions que soulèvent la reconnaissance faciale remettent en cause la maturité de la population à laquelle l’innovation serait apportée.

Il est nécessaire de comprendre, d’une part ce que la reconnaissance faciale pourrait emmener concrètement comme changement dans nos sociétés, et d’autre part ce qu’elle comporte comme risque. Alors que nos pays prennent le temps de faire le tour du sujet, et de se doter de législations adéquates pour réguler et protéger leurs valeurs, un marché en plein essor se développe. Il est important de ne pas rater la fièvre du marché et de se retrouver submergé par l’innovation développée par les sociétés étrangères une fois que le public ciblé arrivera à maturité. Ces sociétés étrangères auront déjà maitrisé les coûts et auront gagné en compétitivité. Les efforts de l’Union Européen dans la protection de sa souveraineté face au digital, la protection des données personnelles et la sauvegarde de la société éthique, bien qu’étant dans l’intérêt des citoyens, fragilisent les entreprises Françaises qui sont face à la concurrence rude, presque déloyale, des sociétés étrangères, en termes d’innovation. D’où l’urgence pour l’UE d’adopter une stratégie claire en ce qui concerne la reconnaissance faciale. Il en va de sa compétitivité et de sa place dans la course mondiale à l’Intelligence artificielle. Cet article analyse la position de l’UE en général et de la France en particulier, face à la reconnaissance faciale.

La reconnaissance faciale et les problèmes qu’elle soulève

Le principe de cette technologie est qu’un programme utilise l’intelligence artificielle pour analyser un visage. Des capteurs 2D et 3D mesurent la distance entre les yeux et à partir de celle-ci analysent des milliers de données biométriques afin de trouver un code qui correspond au visage. Grâce à ce code on peut être identifié ou s’authentifier. Dans le cadre de l’authentification aucun problème ne se pose dans la mesure où elle est souvent l’initiative de la personne authentifiée. C’est donc une comparaison d’informations données à un système. Par exemple pour déverrouiller un téléphone, une application, ou accéder à un bâtiment. L’identification au contraire suppose un apprentissage du système de qui on est, sans avoir besoin de donner délibérément des informations préalables. Ou alors le système dispose d’informations procurées par une entité par exemple dans le cas du paiement sans carte bancaire ou d’un contrôle d’identité. Ceci est inquiétant dans la mesure où n’importe quelle société disposant de données personnelles susceptibles de permettre la reconnaissance faciale peut nous identifier. Libéraliser cette pratique pourrait donc conduire à une surveillance de masse. Si, dans certains pays comme la France, les citoyens sont réfractaires à la mise en place d’une surveillance par leurs gouvernements, à plus forte raison la surveillance de sociétés privées peut être inquiétante dans un contexte où les données personnelles sont de plus en plus vendues.

Etat des lieux au sein de l’Union Européenne

Pour l’union européenne, les enjeux sont de taille. Rejeter la reconnaissance faciale reviendrait à abandonner la course à l’IA. Toutefois, elle veut éviter la surveillance de masse à l’insu des citoyens, préserver la vie privée, les droits essentiels et l’égalité de traitement. Le 28 Janvier, le conseil de l’Europe (qui a également travaillé sur l’élaboration du RGPD) a publié des directives strictes concernant la reconnaissance faciale notamment en interdisant la détermination du sexe, de la couleur de peau, de l’âge, du statut social, pour éviter la discrimination surtout dans l’emploi, l’éducation et l’assurance. Par exemple en Chine, le système développé par Dahua serait capable de détecter les Ouïghours et d’alerter la police. Les interdictions s’adressent aux développeurs, aux gouvernements et aux entreprises. La réglementation européenne dispose que le consentement n’est pas un fondement juridique suffisant pour utiliser la reconnaissance faciale dans la sphère publique ni dans la sphère privée. La position de l’UE est d’autant plus compréhensible que les voix sur les réseaux sociaux s’élèvent contre l’adoption de la reconnaissance faciale. A l’initiative de plusieurs associations, une pétition est lancée depuis quelques semaines pour bannir la surveillance biométrique dans l’union. Dans le monde entier, des actions sont entreprises, par des internautes, des activistes, des artistes, pour bannir la reconnaissance faciale et préserver les données et les vies privées.

La France a déployé la reconnaissance faciale à l’aéroport de Nice en 2019 puis de Lyon en 2020 afin de fluidifier le parcours des voyageurs. Tandis que 97% des aéroports es Etats-Unis utilisent cette technologie, ce déploiement se fait au grand dam de la CNIL qui s’inquiète du nombre sans cesse croissant de caméra dans les villes françaises. Les ambitions du pays pour les smart city nécessitent une maitrise de tout ce qui touche à l’IA et un cadre juridique et réglementaire solide.

Il y a moins d’un mois, les journaux révélaient qu’une plainte a été déposée en France contre la société américaine Clearview AI. Cette société qui a développé un système grâce à des données collecté sur le web est accusée de surveillance illégale au Canada et dans d’autres pays dont la France. On se rappelle également l’affaire IDEMIA de l’année dernière. Cette société française était citée parmi les mauvais élèves par Amnesty international. L’ONG avait accusé certaines sociétés Européenne d’exporter leur technologie de reconnaissance faciale en Chine. IDEMIA, qui était au temps des faits une filiale de Safran, s’est défendue en assurant que la technologie n’était pas déployée et a réitéré sa vision d’un cadre réglementaire clair pour la reconnaissance faciale en Europe.

L’hexagone n’est pas en marge des ambitions de l’UE en termes de protection de données et de réglementation de l’IA. Cependant, l’intérêt de la France pour la reconnaissance faciale n’en est pas moindre. Il y a un réel potentiel qui peut être exploité en maintenant une couture entre innovation et réglementation. Les entreprises Françaises ont une double charge. Elles doivent être compétitives à l’international tout en respectant les contraintes et les valeurs du pays. L’UE pourrait idéalement offrir un cadre où ces entreprises pourraient se développer sans enfreindre les règles en vigueur.

La question des traitements biométriques en général et la reconnaissance faciale en particulier renvoie au même sujet qui suscite les débats depuis quelques années : les données personnelles et leurs traitements. L’union européenne en s’attelant à la tâche de réglementation propose une porte de sortie face à la complexité du sujet et à la gestion libérale et risquée de certains pays. Toutefois, le sort des entreprises du secteur doit être toujours pris en considération surtout parce qu’il s’agit d’un marché en forte croissance (augmentation de 20% par an au cours des trois dernières années) dominée par la Chine, le Japon et les Etats-Unis. Il est nécessaire de créer un marché intérieur de l’IA et d’éviter de se montrer réfractaire au changement aujourd’hui pour être dans un futur proche les importateurs de cette technologie.

Par Colette Armandine Ahama, promotion 2020-2021 du M2 IESCI

Sources

https://www.cnil.fr/fr/definition/biometrie

http://www.economiematin.fr/news-reconnaissance-faciale-ethique-progres

https://siecledigital.fr/2021/01/29/vers-un-encadrement-de-la-reconnaissance-faciale-en-europe/

https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/reconnaissance-faciale-un-debat-utile-et-necessaire-875195.html

https://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/reconnaissance-faciale-la-societe-clearview-ai-accusee-de-surveillance-de-masse-illegale-20210204

https://siecledigital.fr/2021/02/22/pourquoi-la-reconnaissance-faciale-fait-peur/

https://www.usine-digitale.fr/article/le-francais-idemia-accuse-d-avoir-vendu-un-systeme-de-reconnaissance-faciale-a-la-police-chinoise.N1007364

CNIL = Commission nationale informatique et libertés

UE = Union Européenne

 

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