La marchandisation des organes

Aujourd’hui, le capitalisme et la mondialisation sont présents dans tous les domaines, que ce soit matériel, immatériels ou même dans les domaines touchant la vie et le vivant avec la marchandisation de l’humain. Trois temps de cette marchandisation se distinguent à travers les âges. Durant la période Néolithique puis, plus particulièrement durant l’Antiquité, la première forme marchande de l’humain apparaît avec l’esclavagisme avant de prendre fin seulement au XIXème siècle. Le deuxième temps s’est accentué au XXème siècle avec la mondialisation et la recherche croissance de profit. Pour ce faire, la production était externalisée dans des pays moins développés, les coûts de production étaient minimisés et les salaires des employés très faibles : pour garder leurs emplois, ces derniers acceptaient leurs conditions de travail. La précarité de ces travailleurs pousse certains d’entre eux sur le marché des organes, où la rémunération de leur organe leur permet d’améliorer au moins temporairement, leurs conditions de vie, même si c’est contraire à l’éthique. Ce qui nous conduit donc à la troisième forme de marchandisation, celle des organes. Les prouesses médicales et le développement des nouvelles technologies, notamment des biotechnologies, repoussent toujours plus les limites de la médecine. Le médecin peut aujourd’hui s’appuyer sur les machines pour lui venir en aide et / ou lui servir de support durant l’opération. On peut alors se demander quels sont les enjeux liés à la marchandisation des organes dans le contexte actuel d’innovation technologique ?

I. Le don d’organe comme bien marchand

Au sens le plus strict du terme, la marchandisation représente le fait de recevoir des profits à partir d’une activité, d’un bien ou service non – marchand. Ce terme reste ambigu car il s’agit de savoir si on peut tirer des bénéfices à partir de n’importe quelle source, ou s’il existe encore des sources qui font polémique dans nos sociétés actuelles ? Aujourd’hui dans certaines cultures, il y a certains biens qui sont exclus des marchés, de par la morale et les coutumes, comme les services sexuels ou tous les produits issus du corps humain (sang, organes, tissus, …). C’est notamment le cas du Japon qui n’approuve en aucun cas la marchandisation des organes et qui préfère, pour faire face à la demande, développer les organes artificiels. Même si les médecins japonais possèdent les connaissances, les compétences et les savoirs faire en matière de greffe, ils préfèrent développer les organes artificiels. Cela s’explique par les us et coutumes : les japonais se tiennent à l’idée qu’il n’est pas possible que l’on puisse vivre après la greffe du cœur d’un mort, et pendant très longtemps, ils pensaient que la mort cérébrale ne pouvait pas être considérée comme un critère de mort à part entière.

A. De la sacralisation du corps humain à sa marchandisation

Cette polémique autour de la marchandisation des organes se pose principalement, selon Ruwen Ogien, en raison des « préjugés liés à notre culture » et de sortes de conventions sociétales. Dans certaines cultures, le corps humain est « sacralisé », c’est – à – dire qu’il n’a pas de prix et que vendre une partie de son corps serai perçu comme une transgression des normes morales et sociales. C’est le cas de la France qui figure parmi les premiers pays à voter des lois « bioéthiques » en 1994. Ces lois garantissaient la gratuité du don d’organe qui devait toujours être effectué avec le consentement du donneur tout en préservant son anonymat. Toujours selon lui, avec le progrès de la médecine et également le changement progressif des mentalités et des normes sociales, « on pourrait être amenés à considérer les parties et les produits de notre corps non plus comme des objets quasiment sacrés, mais comme des choses aussi remplaçables qu’une table de cuisine ou une machine à laver ». En effet, d’autres pays au modèle économique semblable à celui de la France (pays démocratique et développé) comme les Etats-Unis restent ouverts à la marchandisation du corps humain. Les lois de bioéthiques françaises sont de plus en plus jugées paternaliste et désuètes car elles n’incluent qu’un modèle familial celui du couple hétérosexuel. De nombreux débats divisent alors notre société comme celui de la PMA (Procréation Médicalement Assistée) pour toutes. Aux Etats-Unis la PMA n’est pas régulée. Il est possible de congeler ses ovocytes, d’avoir un enfant après 50 ans ou encore de choisir le sexe de son futur bébé et cela pour toutes les femmes, qu’elles soient hétérosexuelles, lesbiennes, mariées, célibataires ou mères porteuses. En 2015, 72 913 enfants sont nés par PMA soit environ 2% du nombre total des naissances aux Etats Unis

Outre les raisons sociales qui expliquent en partie la complexité qui touche au don et la vente d’organe, il y a aussi des raisons éthiques. Encore aujourd’hui, même si les mœurs évoluent progressivement, le corps est sacralisé et sa valeur est inestimable, éternelle et universelle. Kant différencie une personne physique et morale d’un objet. En effet, pour lui « une personne possède une valeur intrinsèque, inaltérable. On ne peut pas lui donner un prix ». Cette notion d’inestimable est reprise dans l’idée de dignité d’une personne humaine, qui possède une valeur mais pas de prix. Pour les Kantiens, la marchandisation du corps porte atteinte à cette dignité humaine ainsi qu’au principe de dignité et d’universalité du corps humain.

Pour d’autres auteurs comme Hervé Kempf, le développement des marchés internationaux et la recherche croissante de profits ont entrainé la création progressive de marchés du corps (sexe, organe, bébé), qui se fait plus souvent au détriment des plus pauvres : pour essayer de survivre, les personnes les plus dans le besoin peuvent marchander leur propres enfants, leurs organes ou même se vendre à des personnes parfois peu scrupuleuses ni regardantes en matière de dignité humaine et de respect d’autrui. Le marché des organes crée alors une situation de dominant – dominé puisqu’il va chercher des groupes de personnes considérées comme vulnérable et participe à ce marquage en développant un mécanisme incitatif. Cependant, même hors du système de marché, la relation dominant – dominé se pose puisque les personnes les plus pauvres seront perdantes car elles seront dans l’incapacité de se payer les soins médicaux. En effet la précarité de certaines populations les poussent sur ce marché des organes. En Chine, alors que le commerce d’ovocyte est interdit par la loi, des étudiantes n’ont pas d’autres choix que de vendre leurs ovules pour payer leurs études. Peu d’entre elles connaissent les risques. Pourtant, si l’opération ne se déroule pas comme prévu, en plus de mettre en danger leur santé elles peuvent être poursuivies par la justice.

Dans son chapitre « Tout s’achète et tout se vend », Kempf utilise des expressions à la signification très forte comme « location de ventre », « commerce de la chair et de trafic d’organes ». Les termes qu’il utilise ici montrent encore une fois cette idée que le corps humain est intouchable, inviolable et que vendre une partie est un acte condamnable. Cependant, tout est une question de perception. Pourquoi dit – on qu’une femme, qui reçoit une compensation financière pour porter un enfant d’autrui, qu’elle « loue son ventre » ? Un kinésithérapeute, qui utilise ses mains pour masser en échange d’argent, ne louerai – t – il pas ses mains ? La mère porteuse n’est donc pas considérée pareil que le kinésithérapeute ? Pourquoi estime – t – on qu’une mère porteuse met en « location » son ventre alors qu’on estime que ce dernier propose un service médical ?

B. Les différentes théories et modèles du marché des organes

Comme on a pu le voir, différents penseurs se sont interrogés sur le sujet, mais il existe de nombreuses théories qui ont été développées.

Kaserman et Barnett se sont tournés vers une approche du don d’organe post mortem, mais qui peut également être réalisé entre des personnes en vie. Pour ce faire, ils se sont appuyés sur la méthode standard de la théorie des marchés : l’offre augmente avec le prix tandis que la demande diminue en fonction du prix. Dans une logique de don, la demande est supérieure à l’offre, il faut donc inclure un prix de marché pour ajuster l’offre à la demande. Ce mécanisme mène alors à une hausse du surplus des offreurs et la hausse de la quantité offerte va entraîner une hausse du bien-être collectif. Les deux auteurs ne prenant pas en compte la spécificité qu’ici, les biens échangés sont des organes, peut – on vraiment considérer que la mise en place d’un prix de marché permettrait d’augmenter le bien – être global ? Pour eux, comme le prix d’équilibre permettrait de mettre en adéquation l’offre et la demande, alors la solution marchande serait une solution acceptable pour réguler ce marché.

D’autres chercheurs vont plus loin et cherchent à inclure dans ce premier modèle certaines contraintes liées à la transplantation des organes. C’est le cas de Becker et Elias. Ils incluent dans cette théorie des marchés, l’aspect monopolistique : selon la demande, le système de santé proposerait aux offreurs possibles d’acheter leur(s) organe(s). Dans un cas de don, l’offre est totalement inélastique au coût. Or, si on rajoute progressivement une incitation financière, l’offre sera plus volatile. Mais ce marché est également spécifique au niveau de la demande : ce sont les médecins qui placent les personnes ayant besoin d’une greffe sur une liste d’attente, la demande est donc fluctuante. Or aujourd’hui, avec le progrès médical et la baisse des coûts de transplantations, la demande ne cesse d’augmenter, il faut donc accroître l’incitation financière. Même si la demande augmente, on observe un changement des comportements : restant malgré tout un coût pour les demandeurs, ces derniers vont plus facilement suivre les traitements post – opératoires pour favoriser la réussite de leur transplantation.

Hansmann lui va plus loin encore et applique la notion de marché à terme pour les organes. Ce type de marché représente l’engagement pris par un donneur d’ordre qui aura lieu à une certaine échéance, qui est ici la mort. Dans ce type d’engagement, la rémunération peut être financière ou peut prendre la forme d’une place prioritaire sur liste d’attente en cas de transplantation future, sur un membre de la famille par exemple. Il développe aussi l’idée d’un accord sur un prélèvement post – mortem : le défunt peut donner droit à une compagnie d’assurance sur ses organes en contrepartie d’une réduction de prime d’assurance maladie de son vivant.

II. Dysfonctionnements du marché et creusement des inégalités

Les différentes théories expliquées ci – dessus amènent à se poser des questions sur la marchandisation des organes. En effet, inclure des incitations financières ou des avantages en cas de prélèvement post – mortem peuvent conduire à un ensemble de risques. De plus, les législations différentes entre les pays et le business que peut représenter le marché des organes ont favorisé le développement d’un vrai trafic international. Selon l’OMS, 10% des transplantations annuelles dans le monde proviennent de ce trafic.

A. De l’altruisme vers la vénalité : anomalies du marché des organes

Le marché des organes est un marché spécifique qui ne peut pas se comporter comme les autres marchés de biens et de services de notre économie. On observe donc différentes anomalies dans le fonctionnement de ce marché.

Tout d’abord, la mise en place d’une rémunération financière mettrait de côté la volonté d’aide, un sentiment de devoir envers autrui. C’est ce que Cooper et Culyer appellent le « risque de monopole de l’altruisme ». Cette question en entraîne directement une autre, qui est de savoir si, en acceptant une rémunération, le donneur annule le caractère altruiste de son don ? On pourrait alors observer un effet d’éviction en fonction du prix fixé des organes. Deux motivations rentrent en compte chez l’individu souhaitant vendre ses organes : une motivation extrinsèque (le donneur attend une récompense extérieure pour son geste) et une motivation intrinsèque (le donneur réalise ce geste pour des raisons personnelles, qui lui sont propres, par altruisme par exemple). Dans le cas du don du sang, une enquête réalisée en 1970 par Richard M. Titmuss montre que mettre en place une rémunération des donneurs n’est efficace que si le prix est assez élevé afin de compenser la perte de motivation intrinsèque. 59 des 213 individus interrogés sont prêts à donner leur sang gratuitement, en les rémunérant d’1€ ils ne sont plus que 41 donneurs. A partir d’une rémunération à 5€ le nombre de donneurs augmente avec le prix. C’est ce qu’on appelle l’effet d’éviction.  La mise en place d’une compensation financière peut donc avoir un effet négatif. Un système marchand appliqué aux organes risque donc d’entraîner une diminution des dons altruistes et une augmentation de l’offre contre rémunération sans être sûre que les deux effets ne se compensent. En effet, la motivation intrinsèque s’explique par le fait que les agents adhérent à certaines normes et valeurs, qui leur rendent impensable l’idée d’être payé pour être prélevé d’un organe. Pour eux, le faire par altruisme serait plus acceptable moralement.

Un marché des organes peut aussi donner lieu à de nombreuses asymétries d’information qui affectent le fonctionnement du marché. En effet, en Iran, de nombreuses personnes ayant vendu leur rein regrettent cette décision et pensent avoir été mal informées des conséquences. Les hôpitaux aussi peuvent souffrir d’une asymétrie d’information : le donneur peut posséder plus d’informations, notamment sur sa santé. Prenons par exemple, le cas d’un don du sang rémunéré. En 1960, il n’y avait aucun moyen de détecter si un donneur avait contracté l’hépatite, les médecins s’informaient donc auprès du donneur sur son état de santé. Lorsqu’une rémunération était offerte, une majorité des donneurs était une population à risque qui cachait certaines informations. Se développe alors sur le marché du sang, une sélection adverse.

Enfin, l’anthropologue Lawrence Cohen pointe du doigt le marché des reins dans certains pays, créant d’importantes externalités négatives qui peuvent mener à une division plus forte entre les classes sociales : « la généralisation du marché aux reins dans un pays où la population est fortement endettée transforme le rein en collatéral généralisé au crédit. Il existe ainsi une externalité négative forte au commerce des reins : soit il force les individus à gager un rein pour accéder au crédit, soit il créé un différentiel de taux d’intérêt entre les personnes disposées au gage et celles n’y étant pas disposées Les personnes dans le besoin vont plus facilement vendre ou mettre en gage un de leur organe, contre rémunération, afin d’améliorer leurs conditions de vie. Tandis que les personnes plus aisées peuvent facilement avoir recours à une transplantation. Ils se tournent alors vers le marché des organes des pays émergents comme celui de la Chine, où la législation opaque sur les transplantations permet le développement d’un marché illégal.

B. Le développement d’un marché illégal

Les organes deviennent aujourd’hui des biens marchands rares accessibles uniquement à une certaine catégorie de population : la classe aisée. Un nouveau phénomène se développe, le tourisme de transplantation. En passant par des réseaux illégaux, de plus en plus de personnes se font opérer en Chine. Ils payent des dizaines voire des centaines de milliers de dollars s’assurant ainsi une greffe immédiate dans les jours qui suivent et passent devant les locaux sur listes d’attente. Pour certaines greffes les malades n’ont même pas besoin de se déplacer. Ils commandent sur Internet la marchandise et se font livrer en très peu de temps. Ce marché très opaque ne fournira pas d’informations sur la provenance des organes. Mais aujourd’hui de nombreux scandales éclatent en Chine et les langues se délient petit à petit.

Le China Daily dénonce les pratiques du gouvernement chinois qui ferme les yeux sur le prélèvement forcé d’organes de prisonniers politiques dans les hôpitaux militaires. Selon le quotidien, 90% des organes prélevés post mortem en 2009 appartenaient aux prisonniers condamnés à la peine capitale et aux individus « volontaires ». Ces pratiques font énormément polémiques en Chine où le don d’organe est réprimandé par la culture du pays. Dans la tradition chinoise, les morts doivent être enterrés sans mutilation. Il est donc quasiment impossible d’obtenir des informations sur l’identité des donneurs qu’ils soient « volontaires » ou non. En 2015, le gouvernement chinois s’était engagé à ne plus prélever d’organes sur les prisonniers voués à l’exécution. Pourtant, en juin 2019, une organisation indépendante nommé China Tribunal prouve que ces pratiques ont toujours lieux. Des minorités religieuses gênantes pour le gouvernement comme les Tibétains ou encore les Ouïgours sont envoyés en prison où ils sont torturés. Leurs organes sont prélevés contre leur gré parfois même de leur vivant…

Aujourd’hui, le trafic d’organes humains est un marché plus que lucratif. D’après un rapport du Global Financial Integrity, il serait classé dans les dix premières activités économiques illégales rapportant le plus dans le monde avec des bénéfices pouvant aller de 6OO millions à 1,2 milliard de dollars par an. De nombreux pays cherchent à démanteler ce trafic. En mai 2008, 150 représentants gouvernementaux et responsables médicaux et scientifiques créent la Déclaration d’Istanbul. Ce texte met en évidence que les greffes « doivent provenir de dons et ne faire l’objet d’aucune transaction financière, qu’elles doivent faire preuve de critères cliniques et éthiques » et que « le commerce de transplantation devrait être interdit parce qu’il mène inexorablement à l’inégalité et à l’injustice ». Ainsi, cette déclaration a incité de nombreux pays comme Israël, les Philippines ou encore le Pakistan de renforcer leurs lois contre le trafic illégal d’organes.

III. La bio-impression pour créer des organes artificiels

Aujourd’hui, avec le développement des nouvelles technologies et des méthodes médicales, on assiste à une modification de l’offre. En 2012, Shinya Yamanaka gagne le prix Nobel pour son projet de cellules souches reproductibles grâce à des modifications cellulaires. Cette avancée médicale permet de produire en quantité illimitée des cellules qui ainsi, pourraient permettre de régénérer des organes entiers. Nous assistons aussi au développement de nouvelles technologies comme les impressions en trois dimensions, les nanotechnologies ou encore l’intelligence artificielle qui permettront, peut – être, à terme de compenser ou de remplacer le don d’organe. Cependant, leur développement inquiète sur la scène internationale, car de nombreuses voix s’élèvent pour montrer les limites et les risques liés au développement croissant des nouvelles technologies pour l’humain.

A. Un marché prometteur …

La bio – impression se base sur les techniques d’impression en trois dimensions et consiste à imprimer, couche par couche, des tissus vivants à partir d’assemblage de cellules vivantes. Sa complexité s’explique par le fait qu’il prend en compte une notion temporelle : il faut du temps pour que les cellules interagissent, s’organisent de manière autonome pour former finalement des tissus fonctionnels. Les premiers travaux de bio-impression date de 1988, le Dr Robert J. Klebe de l’Université du Texas, initie la méthode de « Cytoscribing ». Elle consiste à super positionner des cellules grâce à une imprimante inkjet classique. Aujourd’hui, la bio – impression se limite à la production de tissus organique simple. En effet, la complexité des organes tels que les reins, le foie ou le cœur nécessite une viabilité à long terme et donc de résoudre le problème des structures vasculaires, à l’origine des échanges du corps.

Les Etats-Unis sont pionnières dans le domaine de la bio-impression, cette technique se développe notamment dans les laboratoires et universités américaines. Aujourd’hui, ce nouveau marché s’étend au reste du monde. Les leaders restent tout de même les Etats-Unis suivis par le Canada. On peut citer le start up californienne Organovo qui imprime des tissus de rein, de foie, mais aussi de poumons. En Europe, ce sont l’Angleterre et l’Allemagne qui se démarquent sur le marché de la bio-impression. En France la législation est jugée très contraignante par les entreprises qui comme Carmat envisage d’aller sur le marché américain pour lancer sa prothèse de cœur.

Ce marché est en effet très lucratif, il est évalué à 100 milliards de dollars et est très prometteur dans le futur (on estime une croissance de 35,9% entre 2017 et 2022).

B. … qui suscite des débats

Le 15 avril 2019, des chercheurs présentent une nouvelle prouesse technologique : une équipe israélienne a réussi à imprimer en 3D un cœur humain, de la taille de celui d’un lapin, à partir de cellules souches. Ils sont parvenus à reconstituer l’anatomie du cœur, dans son ensemble, comprenant ses cellules et des vaisseaux sanguins et ils l’ont fait à partir de différents types de cellules provenant d’un seul patient. Cette avancée nécessite encore plusieurs années de recherche mais sa portée est très importante au vu du manque de donneurs pour les greffes cardiaques.

Cependant, cette innovation crée d’ores et déjà des débats sur le plan international. Tout d’abord puisqu’elle repose sur l’utilisation de cellules souches embryonnaires, ce qui pourrait influer sur le choix ou non de l’utilisation de la bio – impression dans certains pays. Ensuite, son coût suscite également des débats puisque seulement la faible fraction de la population la plus riche pourrait en avoir recours. Cela pose de réels problèmes du point de vu de la question de l’accès au soin car cette évolution risque d’entraîner une division de la population : les plus riches seront alors dans la capacité de se soigner et ainsi vivre plus longtemps en bonne santé. De plus, les interrogations se renforcent sur les questions de bioéthiques : repoussant toujours les limites de la technologie et de leur utilisation, certains acteurs parlent d’ « évolution artificielle de l’homme » et se demandent si, dans un futur lointain, la bio – impression pourrait mener à un clonage intégral, voir la création d’un humain amélioré avec des os plus résistants ou alors des poumons oxygénés différemment.

Conclusion

Aujourd’hui tout s’achète et tout se vend. Tout ce qui est rare est précieux et tout ce qui est précieux coûte cher. Mais à l’heure où une pénurie de dons d’organes se fait ressentir, peut-on d’un point de vue moral, mettre un prix sur une partie d’un être humain ? A travers le temps le corps humain a toujours été vu comme une chose sacrée qui ne peut être marchandé comme n’importe quel bien. Mais aujourd’hui, à l’heure où chacun prône sa liberté individuelle, chaque personne est propriétaire de son corps et libre d’en faire ce qu’elle veut. Cependant, notre société capitaliste nous permet-elle vraiment d’être libre ? Des étudiantes chinoises contraintes de vendre leurs ovules pour payer leurs études ou d’autres encore mettant en gage leur rein pour accéder au crédit. Un marché des organes ne peut fonctionner comme n’importe quel marché. Il créé des effets d’évictions, des asymétries d’informations, des externalités négatives, mais surtout, des inégalités entre les plus riches et les plus pauvres. La rareté des organes profite à certains qui n’hésitent pas à créer un véritable business sur un marché parallèle complètement opaque et illégal. En Chine, le trafic s’est énormément développé et la provenance des organes fait froid dans le dos. Des alternatives commencent à se développer aujourd’hui, la bio-impression permet déjà de créer des organes artificiels. Cette solution divise tout de même la société, les questions de bio éthique sont dans toutes les têtes. Reste à savoir quelle part voulons-nous accorder à la nouvelle technologie dans nos vies. Déjà omniprésente dans notre quotidien, sommes-nous prêts à aller plus loin et à l’intégrer aussi dans notre corps ?

Par Céline Métais et Clarisse Bouet, promotion 2019-2020 du M2 IESCI

Sources

  • La « marchandisation du corps humain » : les incohérences et les usages réactionnaires d’une dénonciation ; Ruwen Ogien ; publié le 15/05/2012

https://www.raison-publique.fr/article534.html

  • Un marché des organes ? ; Brice Couturier ; publié le 09/05/2014

https://www.franceculture.fr/emissions/les-idees-claires/un-marche-des-organes

  • Un marché sans marchandise ? Répugnance et matching market ; Nicolas Brisset ; 2016

https://www-cairn-info.buadistant.univ-angers.fr/revue-d-economie-politique-2016-2-page-317.htm

  • La marchandisation de l’humain ; Cités ; 2016

https://www-cairn-info.buadistant.univ-angers.fr/revue-cites-2016-1.htm

  • Chine: un rapport dénonce la poursuite de prélèvements forcés d’organes ; AFP ; publié le 18/06/2019

https://www.lepoint.fr/monde/chine-un-rapport-denonce-la-poursuite-de-prelevements-forces-d-organes-18-06-2019-2319560_24.php

  • Chine: des étudiantes vendent leurs ovocytes pour financer leurs études ; RFI ; publié le 13/05/2019

http://www.rfi.fr/asie-pacifique/20190513-chine-trafic-ovocytes-jeunes-femmes-etudiantes

  • Etats-Unis. Des ovules qui rapportent gros ; LOS ANGELES TIMES ; publié le 25/05/2012

https://www.courrierinternational.com/article/2012/05/16/des-ovules-qui-rapportent-gros

https://www.franceculture.fr/emissions/le-journal-des-sciences/le-journal-des-sciences-du-vendredi-19-avril-2019

  • Bio-impression et médecine régénérative : où en est-on ? ; Pascal Bally · Vincent Weber ; publié le 26/10/2018

https://www.inneance.fr/bio-impression-et-medecine-regenerative-ou-en-est-on/

  • Nanotechnologies, Un nouveau pan de la médecine ; Inserm, publié le 01.06.15

https://www.inserm.fr/information-en-sante/dossiers-information/nanotechnologies

  • Aux Etats-Unis, la PMA est libre: “c’est mon corps, mes ovocytes” ; l’Obs ; publié le 27/06/2019

https://www.nouvelobs.com/societe/20190627.AFP9291/aux-etats-unis-la-pma-est-libre-c-est-mon-corps-mes-ovocytes.html

  • Qui a peur des marchés d’organes ? ; Ruwen Ogien ; 2009

https://www.cairn.info/revue-critique-2009-12-page-1025.htm#s1n2

[1] Chiffres du Center for Disease Control

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