En 1956 Raymond Kopa alors joueur du Stade de Reims s’engage au Real Madrid pour 52 millions de francs, ce qui équivaut aujourd’hui à 1 million d’euros environ, il est considéré comme le premier gros transfert du monde du football. À l’époque, cela paraît déjà quelque peu démesuré, un homme échangé contre une somme à 8 chiffres. Pourtant, aujourd’hui, on pourrait presque en sourire, car la superstar française de l’époque a été échangée contre la même somme d’argent qu’un bon joueur de deuxième division française en 2018.
L’été dernier, le joueur le plus cher de l’histoire du football, Neymar est transféré du Fc Barcelone au Paris-Saint-Germain pour la modique somme de 220 millions d’euros. Le calcul n’est pas bien compliqué, Neymar vaut aujourd’hui près de 220 fois plus que le meilleur joueur de la saison 1956 (lauréat du ballon d’or), Raymond Kopa. Le point de départ de cette hyperinflation date de l’arrêt Bosman en 1995 qui a favorisé la mobilité des joueurs entre les différents pays, ce qui montre que même le monde du football n’échappe pas à l’influence de la mondialisation. Ces nouvelles dispositions ont pour conséquence une inflation salariale, et par conséquent une augmentation du prix des transferts. En 2016, notamment sous la poussée et la puissance financière des clubs de football chinois, le marché des transferts a enregistré des mouvements record puisque lorsqu’on s’intéresse aux 200 transferts (achats de joueurs) les plus onéreux du marché international, on arrive à un total de 3,4 milliards d’euros dépensés sur le marché des transferts. Par comparaison, pour l’année 2005, la somme des 200 transferts les plus chers accumulés représentait environ 800 millions d’euros. Le montant total des grands transferts européens a été multiplié par plus de 4 en 11 ans seulement, ce qui est considérable.
La hausse des droits TV et la démesure du marché anglais
Un élément fondamental entre en jeu dans l’inflation exponentielle du prix des transferts de joueurs, c’est la hausse des droits télévisuels reversés aux clubs puisqu’en général, les droits sont versés en fonction des performances sportives des clubs qui sont eux-mêmes dépendants des ressources dont ils disposent. Ce fossé entre les clubs est renforcé par les compétitions européennes qui redistribuent des droits télévisuels considérables, ce qui renforce les revenus des clubs qui avaient déjà de grandes ressources, ils peuvent ensuite réinvestir dans l’achat des meilleurs joueurs du monde. Le championnat anglais est le championnat européen qui génère le plus de droits télévisuels. Ainsi la puissance financière des clubs anglais, via la globalisation des transferts va avoir un impact sur le marché des transferts car les clubs vendeurs partout en Europe principalement, ont bien conscience de la hausse du consentement à payer des clubs anglais et en profitent pour faire monter les enchères, on entrent clairement dans un cercle vicieux. Sur la période 2016-2019, les clubs anglais vont se partager plus de 5,1 milliards de livres sterling, 5,8 milliards d’euros soit environ 27 fois plus que pour les saisons 1992-1997.
Le marché de la tierce propriété limité depuis 2015
Qu’est-ce que la tierce propriété ? Un club souhaite s’offrir un joueur avec de belles perspectives d’avenir mais celui-ci suppose un investissement trop lourd pour le club intéressé qui n’a pas le financement nécessaire à l’achat du joueur. Alors le club peut faire appel à la tierce propriété pour supporter le coût. On peut prendre par exemple un joueur qui vaudrait 10 millions d’euros quand bien même le club intéressé ne serait prêt à débourser que 5 millions d’euros. C’est à ce moment-là que la tierce propriété entre en jeu. Le club se finance auprès d’un fonds d’investissement et lui cède 50% de ses droits sur le joueur. Ainsi le club compte parmi ses recrues un joueur valant 10 millions d’euros mais n’aura dépensé que la moitié. Puis, imaginons deux ans plus tard que le joueur se révèle et attire l’attention d’un club plus huppé prêt à sortir son chéquier à hauteur de 30 millions d’euros. Ainsi lors de la transaction, le club qui avait misé sur lui ainsi que le fonds d’investissement se partageront les indemnités de transfert liées à la transaction proportionnellement à leurs détentions respectives initiales de droits sur le joueur. Chacun touchera 15 millions d’euros et se verra donc réaliser une plus-value intéressante.
Ce qui paraît frappant, c’est le fait que le club réalise une plus-value sur un joueur dont il ne pouvait même pas financer entièrement le transfert deux ans plus tôt. C’est ici qu’on voit l’apport conséquent de la tierce propriété. Des clubs avec des moyens financiers restreints peuvent ainsi s’offrir et conserver quelques années des joueurs talentueux pour en tirer bénéfice dans le futur. Ils dégageront ensuite de nouvelles ressources financières pour être un peu plus compétitif sur le marché des transferts. Dès lors les agents peuvent entrer en jeu et conseiller à des fonds d’investissement d’acheter les droits des joueurs dans des clubs où ils ont placé plusieurs joueurs comme l’agent Jorge Mendes l’a fait avec le FC Porto notamment. L’intérêt est commun car les clubs peuvent s’offrir des joueurs de qualité à moindre coût, le fonds d’investissement va faire une plus-value à la revente pendant que les agents toucheront une commission astronomique de leur côté.
Le premier mai 2015, la tierce propriété (TPO) a été interdite par l’instance du football mondial, la FIFA. Cela dans le dessein de limiter les effets néfastes des TPO sur le marché des transferts. En effet, on sait que les fonds d’investissement détiennent les droits de plusieurs joueurs, or il s’avère que ces joueurs qui appartiennent au même fonds d’investissement peuvent être amenés à être adversaires lors d’un match. Ainsi il convient de s’interroger sur l’intégrité de certaines rencontres de football. On peut se demander si les joueurs sont réellement guidés par leurs performances sportives ou par la spéculation boursière des fonds d’investissement.
Les TPO étant désormais prohibés, les fonds d’investissement tels que Doyen Sports, XXIII Capital, Fair Play Capital cherchent des alternatives à ces barrières mises en place par la FIFA. Le fonctionnement est le même qu’avec les TPO à un détail près et qui n’est pas sans importance, les fonds d’investissement ne détiennent plus un actif (une partie d’un joueur) mais une créance sur cet actif ce qui ne semble pas être illégal. Ces fonds se défendent devant les critiques qui les accusent de déguiser les TPO en TPI en indiquant que les clubs sont libres de revendre les joueurs quand ils le veulent du moment qu’ils remboursent leurs dettes auprès des fonds comme le ferait n’importe quel ménage ayant acheté sa voiture à crédit par exemple.
Il est important de noter que les dettes contractées par les clubs peuvent être titrisées et donc se retrouver mélangées à d’autres types d’encours pour ainsi être vendues comme n’importe quelles obligations. Ces tranches de dettes deviennent alors ce que l’on appelle des « soccer bonds ». Les investisseurs peuvent donc obtenir l’acquisition de ces soccer bonds sans le savoir. Voilà une situation qui n’est pas sans rappeler la crise des subprimes en 2008 avec des banques, des investisseurs qui détenaient des obligations gonflées de dettes immobilières issues de ménages américains considérés comme insolvables. On voit donc ici les interactions du marché des transferts avec les marchés financiers. Depuis l’interdiction des TPO, certains clubs auraient déjà profité des TPI comme le Benfica Lisbonne, l’Athlético de Madrid et le FC Porto… Doyen Sports aurait ainsi déjà accordé plus de 100 millions d’euros de crédit depuis 2011 et XXIII capital 73 millions de dollars.
Construction d’un nouvel avantage concurrentiel : l’agent et l’ouverture sur le marché chinois en plein essor
Aujourd’hui, la Chine joue un rôle qui déstabilise le monde occidental dans ses nouvelles stratégies économiques et politiques. Et le monde du football n’y échappe en rien. Une des grandes stratégies chinoises consiste à renforcer la cohésion entre les autorités et les entreprises dans le but d’être de plus en plus compétitif. Xi Jimping, le président de la République Populaire de Chine accorde une grande place au football dans son « Rêve chinois » car il estime qu’il s’agit d’un moyen de renforcer le sentiment nationaliste et que le football regorge de ressources économiques. Il a émis trois ambitions à ce sujet : que la Chine se qualifie de nouveau à la coupe du monde de football, ce qui n’est plus le cas depuis des années, qu’elle l’organise et qu’elle la gagne éventuellement. Ainsi à partir de cela, l’autorité chinoise encourage vivement les nombreux milliardaires du pays à investir dans le football pour pousser sa candidature entre autres. Ces investissements massifs dans le football se manifestent à l’échelle mondiale puisque les milliardaires chinois n’investissent pas uniquement en Chine mais également en Europe où on les retrouve par exemple dans le capital de clubs comme Lyon ou Bordeaux en France par exemple.
Pour trouver une place importante sur la scène du football mondial comme sur d’autres marchés économiques comme le décrit Christian Harbulot dans La main invisible des puissances, la Chine va mettre en place plusieurs stratégies. Tout d’abord, elle va rechercher à récupérer la connaissance des pays en pointe dans le domaine, en l’occurrence sur le marché européen en attirant dans son championnat national des joueurs et entraîneurs européens afin qu’ils y apportent leur expérience. Harbulot nous dit également que la Chine essaie de capter un maximum de matière première sur plusieurs marchés économiques et on peut se demander si le développement de nombreuses infrastructures sportives dans le but de faire venir un maximum de jeunes joueurs chinois n’entre pas dans cette stratégie où l’on pourrait considérer les jeunes joueurs comme cette matière première ? Aussi il nous indique le souhait de la Chine de créer des dépendances durables du reste du monde vis à vis de l’offre chinoise. Cette dépendance ici ne pourrait-elle pas être leur excellence en termes d’infrastructures, en termes de connaissances avec les joueurs et entraîneurs de renom recrutés par les clubs chinois, mais également d’un point de vue financier avec des clubs chinois proposant des salaires mirobolants venant concurrencer les plus grandes puissances financières des clubs anglais notamment ?
Cette évolution, les agents comme Jorge Mendes ou Mino Raiola en ont bien conscience et ils n’ont pas tardé à faire valoir leurs talents pro-actifs en se rapprochant du football chinois. La stratégie de Jorge Mendes en est la parfaite illustration.
En Janvier 2016, il a officialisé sa nouvelle collaboration avec le fonds d’investissement chinois Fosun et son richissime propriétaire et homme d’affaire Guo Guangchang. Ce dernier est entré dans le capital de la société par action Gestiflute détenue par Mendes. Les deux hommes ont également prévu d’ouvrir une joint-venture pour influer sur le marché chinois. Ainsi grâce à ce partenariat, les clubs chinois pourront profiter plus aisément du réseau de Mendes pour faire venir des joueurs de renommée internationale dans leur championnat. En quoi cela est également profitable à Mendes ?
Ce dernier pourra dès lors dénicher de nouveaux partenaires commerciaux pour ses joueurs dont il a la gestion des droits commerciaux. Il profitera de son implantation locale pour bénéficier de nombreuses recettes de ce point de vue. Ainsi, il pourrait user prochainement de cela et des hauts salaires proposés par les clubs chinois pour attirer ses joueurs en Chine leur promettant de nombreux contrats commerciaux faramineux pour lesquels il aura de nouveau le droit à une commission. On voit ici encore que son influence va être mise au profit de son rôle de leader auprès de ses joueurs et entraîneurs dont il a la gestion.
Pour conclure, l’essor du métier d’agent parfaitement représenté par les tumultueux agents Mino Raiola et Jorge Mendes va de pair avec l’hyper-inflation sur le marché des transferts déclenchée par l’arrêt Bosmann en 1995 et relayé par l’augmentation des droits tv et l’émergence de nouveaux marchés comme celui de la Chine notamment. Mais cette nouvelle niche est à relativiser lorsque l’on sait que le marché chinois doit faire face à une nouvelle réalité puisque le gouvernement chinois a mis en œuvre une nouvelle taxe qui oblige les clubs qui souhaiteraient s’offrir un joueur coûtant plus de 45 millions de yuan (5,9 millions d’euros) à reverser l’équivalent à un fonds national de développement de jeunes joueurs chinois, ainsi les transferts franchissant cette barre symbolique paieront le double pour s’adjuger les services d’un bon joueur. Les agents sont donc moins régulièrement à même de toucher des commissions faramineuses sur ce marché depuis cette réforme.
Par Cyril Relion, promotion 2017-2018 du M2 IESCI d’Angers
Webographie
http://ecosport.blog.lemonde.fr/2016/02/26/apres-la-tpo-les-tpi/
http://www.sofoot.com/la-chine-taxe-a-100-les-transferts-des-etrangers-444512.html
http://ecosport.blog.lemonde.fr/2016/02/26/apres-la-tpo-les-tpi/
Bibliographie
Brocard Jean françois, Marché des transferts et agents sportifs : le dessous des cartes . (2010/3:pages 79 à 89), Géoéconomie.
Stefan Szymanski, Professional Asian football leagues and the global market,
Pages 16 à 38 (2016), Asian economic policy review
Bastien Drut et Gaël Raballand, Football Européen et régulation, un question de gouvernance des instances dirigeantes , (2010/03 : pages 39 à 52), Géoéconomie.
Harbulot Christian,La main invisible des puissances, Ellipses, 2007