Rappelons la situation d’Israël, il s’agit d’un petit pays avec une superficie d’environ 22 000 km² (148ème mondial) pour moins de 9 millions d’habitant (96ème au 30 septembre 2017), récent (fondé en 1948) et qui pourtant occupe la 25ème place du classement mondial en termes de PIB nominal par habitant en 2014, 10ème pays le plus innovant d’après l’indice d’innovation Bloomberg publié début 2017 juste derrière les Etats-Unis (occupant la 9ème place) et devant la France ou le Royaume-Uni et 7ème exportateur mondial en 2016 d’armement. Comment lutter et s’imposer face à une concurrence internationale où dominent les géants (à eux deux la Chine et les Etats-Unis représentent 23% des exportations mondiales) ? Depuis sa création et notamment en raison de sa géopolitique Israël a essentiellement misé sur la recherche et son capital humain. Le pays s’est, en effet, au fil des années doté d’une force innovatrice qui, à la vue des résultats précédent, lui a permis de faire sa place sur les marchés internationaux, lui permettant de se spécialiser dans les hautes technologies, d’exporter sur des secteurs stratégiques et de produire de nombreuses start-ups à forte valeur ajoutée. Le classement 2017 Cleantech 100 qui recense les 100 entreprises mondiales les plus innovantes dans le secteur des technologies propres a même intégré quatre sociétés israéliennes. De fait l’économie israélienne est dynamique et possède un taux de croissance pour 2016 de 4% surpassant même les estimations, son taux de chômage est également faible en particulier en comparaison à celui que l’on connait en Europe avec 4,8% de la population active.
Contre les prévisions des grandes entreprises de l’industrie militaire d’Israël, les exportations pour l’année 2015 ont connu une légère augmentation, totalisant un chiffre d’affaire de 5,7 milliards de dollars américain et le mercredi 29 mars 2017 le Ministère de la Défense a annoncé une forte progression des ventes de matériel militaire puisque les contrats obtenus par les entreprises d’armement israélienne atteindraient 6,5 milliards de dollars pour l’année 2016 soit une hausse de 14% et de 70% pour le marché Africain, preuve de la performance de ce secteur en Israël qui fait désormais partie des dix premiers exportateurs mondiaux d’armement. Si l’on regarde de plus près la composition de ces exportations, on peut notamment voir la spécialisation d’Israël dans la technologie de pointe. Effectivement, celles-ci se composent à 20% d’amélioration des avions et systèmes aériens, à 18% par les systèmes de défense anti-aérien, 15% par les systèmes de défense anti-missiles, 13% par les munitions et 8% par les renseignements. Une des forces d’Israël est de savoir mettre en valeur son savoir-faire pour remporter des parts de marché et notamment dans l’expertise et la lutte contre le terrorisme.
La combinaison d’une politique industrielle basée sur l’innovation technologique en se spécialisant sur les secteurs hautement spécialisés, l’utilisation de l’armée en vue de forger une population, les technologies développées au sein de Tsahal induit par le climat d’hostilité dans lequel se situe Israël et les transferts de technologies que permet l’armée, a permis à Israël de se doter d’une économie forte, innovante et d’exporter son savoir-faire.
“En 2016, nous détenions environ 20% de l’investissement mondial de la cybersécurité privée,” déclarait Netanyahou. En 2016 4,8 milliards de dollars ont été investis dans des start-ups israéliennes, soit 11% de plus qu’en 2015, avec une start-up pour 1800 habitants, Israël est le pays possédant le ratio de start-up par habitant le plus important au monde, ce n’est pas sans raison qu’Israël est surnommée la nation Start-up. En effet, en plus de ce ratio, le pays dispose du plus grand nombre de scientifiques et techniciens au sein de sa population active (145 pour 10 000 alors que les Etats-Unis en ont 85 pour 10 000), Israël engage aussi 4,11% de son PIB dans la R&D et fait preuve d’un réel soutien à l’innovation et à l’accompagnement des start-ups. Ainsi le poids dont dispose Israël sur la scène économique internationale est en grande partie dû à son positionnement industriel, ses politiques actives, sa population et en particulier la place de premier choix qu’occupe le domaine de la cybersécurité dans la société israélienne.
Alors que l’innovation est un point central de la réussite de l’économie israélienne, en lien avec les évolutions de la société, lorsque B. Netanyahou a été élu en 2009 premier ministre d’Israël, son gouvernement a entrepris de développer et de renforcer l’industrie de la cybersécurité. Comme souvent, l’Etat israélien va jouer là aussi un rôle moteur dans ce secteur afin de le dynamiser. De fait, si la cybersécurité présente un intérêt certain dans la protection du territoire ou des individus en général ce domaine va aussi être identifié comme stratégique pour l’économie du pays notamment parce qu’Israël détient un avantage en la matière et est à même d’être un leader de ce secteur. En effet, la situation particulière d’Israël d’être en conflit permanent et situé eau milieu d’Etats contre qui il est ou a été en guerre fait que le pays a développé une pratique et un savoir-faire fort en matière de cybersécurité et de cyberdéfense ce qui est bien en accord avec le discours de David Ben Gourion, qui dès l’indépendance d’Israël (1948) disait que le pays devra trouver sa force dans la recherche.
Alors que le pays bénéficie d’une croissance forte (4% pour 2016), son économie est fortement soutenue par l’industrie des nouvelles technologies (plus d’un tiers du PIB israélien). Depuis maintenant de nombreuses années la stratégie du pays a été de se spécialiser dans la haute technologie autant pour se doter d’un arsenal défensif performant et maintenir l’intégrité du pays que par la suite de développer une économie de pointe qui puisse s’exporter. Ainsi, dans cette industrie de pointe 20% des entreprises se consacrent à la cybersécurité, nouvelle priorité de l’Etat d’Israël depuis quelques années. Précisons que la cybersécurité n’est pas uniquement liée à la défense intérieure mais plus largement à la société dans son ensemble comme le montre aussi l’intérêt que porte le secteur de l’automobile dans l’intelligence artificielle et la cybersécurité via notamment l’exemple de MobilEye. Il s’agit d’une entreprise israélienne, fondée en 1999, qui a développé une technologie dans le domaine des transports afin de réduire le risque de collision de véhicules et qui a été rachetée par Intel pour un montant de 15 milliards de dollars. Là aussi dans le secteur automobile Continental a racheté récemment pour environ (l’exactitude de la transaction n’est pas encore connue) 400 millions de dollars la start-up israélienne Argus Cyber Security en développant des technologies dans la cybersécurité automobile.
Un rapport de Start-up Nation Central (“a not-for-profit, completely neutral and non-conflicted organization that promotes Israeli innovation”) nous indique qu’il y avait en 2016 trois cent soixante-cinq entreprises actives dans le domaine de la cybersécurité dont 65 créées dans la même année, sachant qu’en 2012 on en recensait 182. Le chiffre a donc doublé en à peine quatre ans, preuve de l’accent mis sur ce secteur. De plus, pour situer cette importance et la position dominante dont dispose Israël en la matière malgré sa situation complexe, on peut également noter que le secteur de la cybersécurité en Israël a réussi à lever 581 millions de dollars (une augmentation de 9% par rapport à 2015) en investissement représentant 15% du capital mondial investit dans l’industrie de la cybersécurité, seuls les Etats-Unis possèdent un niveau d’investissement supérieur. La présence de multinationales dans ce secteur se fait également plus grande, en 2016 Volkswagen a entrepris une coopération avec Israël pour créer l’entreprise CYMOTIVE Technologies afin de se développer dans la cybersécurité des voitures connectées.
Si l’industrie de la cybersécurité occupe bien une place de premier choix en Israël, elle bénéficie également d’un fort rayonnement à l’international (en plus du fait d’être deuxième derrière les Etats-Unis en matière de levée de fonds). D’ailleurs l’entreprise Hydro-Quebec (entreprise énergétique canadienne) a cette année conclu un partenariat avec Israël dans le but de renforcer sa sécurité en matière de cyber-attaque. Dans le dernier classement publié par Cybersecurity Ventures : le Cybersecurity 500, listant les 500 entreprises les plus dynamiques et innovantes dans l’industrie de la cybersécurité. Parmi ce classement, 36 entreprises sont israéliennes et trois de celles-ci font parties du top 50. En comparaison, la première entreprise française qui apparait est à la 105ème place. Ainsi, le dynamisme des entreprises de cybersécurité israéliennes a permis à son industrie d’exporter, selon le Israel Export Institute, pour un montant de 3,5 milliards de dollar en 2015, ce qui représentait environ 5% du marché mondial. Là encore seuls les Etats-Unis disposent d’une part de marché plus importante. On remarque alors bien que si l’industrie de la cybersécurité est bien dynamique sur le territoire israélien, elle dispose également à l’international d’une forte visibilité et d’un statut de qualité.
L’industrie de la cybersécurité israélienne apparait aujourd’hui comme étant performante et dynamique mais il a bien fallu l’organiser, la promouvoir et favoriser son développement. En cela l’Etat israélien a joué un rôle important. Ainsi, même si Israël s’est rapidement intéressé aux systèmes d’information et de défense du numérique (de fait Tsahal, l’armée de défense israélienne a très rapidement intégré les techniques de guerre de l’information) ce n’est qu’en 2011 qu’une institution centrale est créée (l’Israel National Cyber Bureau) suite à un échange entre le premier ministre B. Netanyahou et le professeur Ben-Israël pour faire face à la menace informatique, qui aura pour but de répondre aux différentes menaces lorsqu’elles apparaitront. Cette structure va permettre de relier tous les acteurs du domaine du « cyber », le gouvernement, les entreprises et aussi les universités. Ce bureau a pour objectif de dynamiser le secteur de la cybersécurité et plus largement du « cyberespace » et va donc également participer au financement de projets. Si cette institution relie bien agent public et privé dans la partie gouvernement il faut bien y inclure l’organe militaire. Ainsi l’Israel National Cyber Bureau (INCB) va coordonner un certain nombre de projets avec le ministère de la Défense qui depuis 2012 dispose également d’un pôle dédié au monde du cyber ayant un rôle coordinateur et de surveillance des différents partenariats entrepris entre les différents organes de la sphère public et les entreprises de cybersécurité. Toutefois les entreprises du secteur privé alors qu’elles agissent sur le plan mondial peuvent parfois être réticente à collaborer à la vue de tous avec leur gouvernement. C’est pourquoi en 2015 est établit l’Autorité Nationale de la cybersécurité ayant pour but de remplir l’objectif de coordination de la cybersécurité tout en retirant l’Etat des décisions des entreprises. Ainsi plusieurs programmes sont mis en place dans le but de développer les cyber-technologies aussi bien dans le monde civil que militaire qui vont principalement passer par des soutiens à la R&D. Ce point est particulièrement représenté par les deux programmes « Masad » et « Kidma », deux programmes soutenant la R&D le premier ayant pour but d’aider les entreprises israéliennes à développer des solutions technologiques pour répondre aux besoins de la cybersécurité (le programme a par ailleurs connu une bonne réussite c’est pourquoi en 2015 Israël a relancé une « version 2.0 » de ce programme). Le programme Masad effectué en coopération avec le ministère de la Défense avait pour but de développer les technologies de la cybersécurité pour le civil et pour la défense.
En plus de soutenir la R&D le gouvernement israélien va aussi établir une politique visant à attirer les investissements étrangers. Déjà à partir de 1991 le gouvernement d’Israël développe des incubateurs, placés sous responsabilité de l’OCS (Office the Chief Scientist connu désormais sous le nom d’Israel Innovation Authority), dans le but de répondre à la fois à l’arrivée des migrants venant d’ex-URSS en stimulant l’emploi dans les sciences et de développer l’innovation au sein du pays. Ces incubateurs vont alors permettre à chaque individu ayant une idée innovante de transformer cette idée (si le projet est retenu ; notons par ailleurs que le critère de la possibilité d’exportation du futur produit est important dans les choix de projet puisque le marché intérieur d’Israël étant très petit la majeure partie de son économie est basée sur l’exportation) en produit commercialisable. Les incubateurs sont des entreprises qui permettent à des entrepreneurs de développer une idée innovante qui en est à un stade préliminaire d’existence en fournissant une structure qui va leur prodiguer soutien financier, technique et managérial. Le but final est d’exporter des biens innovants produits sur le marché israélien toutefois de par le stade de ces idées le risque économique est élevé et peut donc rebuter les entrepreneurs à les développer.
L’Etat israélien se refuse à laisser passer de côté des idées pouvant être à la base de produits à succès, il assume donc ce premier risque en finançant le projet à ses débuts c’est-à-dire là où il y a le plus de risque. Le gouvernement s’implique beaucoup dans ces programmes puisqu’en plus de pouvoir dynamiser son économie, il acquiert lors de l’entrée dans l’incubateur des parts pour se rémunérer en cas de succès. La période d’incubation permet à l’entrepreneur d’attirer un investisseur qui va prendre le relais de l’Etat à la fin de la période d’incubation en matière de financement. L’Etat joue bien un rôle important pour attirer ici les potentiels investisseurs dans le sens où il va prendre en charge la période la plus risqué du projet. JVP Labs et Team 8 sont deux incubateurs particulièrement actifs dans le domaine de la cybersécurité. La création du CyberSpark fait également partie de cette politique mise en place dans le but d’attirer les investissements étrangers, il s’agit d’une joint-venture entre le INCB et les entreprises leaders de l’industrie de la cybersécurité ayant pour but d’offrir un cadre d’innovation, d’opportunité et de collaboration sans pareil. Le CyberSpark regroupe aussi bien des PME locales, que des grands groupes et des acteurs publics, il représente l’image et l’intérêt du cluster industriel.
Cette année le gouvernement israélien a même renforcé ses tentatives d’attraction des investissements étrangers en augmentant les incitations fiscales en faveur des centres de R&D. Les Multinationales bénéficient alors d’un taux d’imposition de 6% et de taxation des dividendes de 4% pours les investissements en R&D. Preuve de l’ampleur actuel des investissements étrangers pour la technologie israélienne est que l’on comptabilise plus de 300 centres de R&D de multinationales en Israël.
Toutefois créer un écosystème favorable au développement de l’industrie cybersécurité ce n’est pas uniquement favoriser les investissements en R&D, multiplier les programmes et coordonner les actions, il faut également une population qui soit à même d’innover dans ce domaine, le facteur humain a aussi une importance toute particulière. Cette importance se voit assez bien en Israël puisque la cybersécurité y est enseignée dès le collège, est une option au lycée et il existe une spécialisation en cybersécurité dans certaines universités. On notera par ailleurs qu’il existe uniquement en Israël un doctorat en cybersécurité. Il existe une telle spécialisation dans le monde de l’enseignement en Israël vis-à-vis de la cybersécurité car l’essor de son industrie est tel que le pays rencontre quelques difficultés en termes de ressources humaines.
Pour combler ce manque là aussi différents programme sont mis en place tel que le programme « Magshimim » (qui a été adopté comme programme national suite à au succès des deux années de test) qui vise à instruire une population jeune notamment en matière de programmation et de langage informatique. L’Etat affecte également des bourses d’études et de recherches en lien avec le domaine du cyber mais aussi bien à des étudiants en sciences dures qu’à d’autres en sciences humaines. Plus qu’être simplement performante l’industrie de la cybersécurité dynamise et mobilise une grande partie de la société israélienne. Ce secteur en plein essor contribue à faire de ce petit pays un poids lourd en matière de hautes technologies sur la scène internationale ainsi qu’une destination recherchée pour les investissements de R&D.
Par Léandre Meier, promotion 2017-2018 du M2 IESCI
Webographie
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https://www.bloomberg.com/graphics/2015-innovative-countries/ (méthodologie de l’indice d’innovation bloomberg)
Harbulot Christian, « Le monde du renseignement face à la guerre de l’information », Hermès, La Revue, 2016/3 (n° 76), p. 80-85. URL : https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2016-3-page-80.htm