La Crise yéménite : des affrontements tribaux à l’internationalisation de la guerre

Le Moyen-Orient est de nos jours, sans doute, l’une des régions les plus instables au monde. Il s’agit de la région qui compte en son sein le plus de conflits. Cela va de la Syrie, en passant  par l’Irak, la Palestine, le Liban mais aussi, aujourd’hui d’un pays dont on parle peu à savoir le Yémen. Ce dernier est en proie à de violents affrontements tribaux depuis 2004. Ces affrontements purement internes ont pris une tournure internationale aux relents de guerre de positionnement hégémonique depuis que des puissances telles que l’Arabie Saoudite (avec l’appui des Etats-Unis) d’un côté et l’Iran de l’autre s’y sont mêlés. Ce qui fait que beaucoup d’experts  ont qualifié cette guerre, de guerre « Sunnite contre Chiite ». L’apparition d’Al-Qaïda dans la Péninsule Arabique (AQPA)  n’arrange pas les choses.

En réalité, cette guerre va au-delà du simple clivage Chiite/Sunnite, les enjeux pour ces deux puissances régionales sont avant tout stratégiques. S’il y a sans aucun doute en arrière-plan, le clivage Chiite/sunnite au Yémen, les enjeux sont aussi économiques et politiques. En l’occurrence c’est le statut de puissance régionale avec ses multiples implications, qui se joue.

Ainsi, pour comprendre ce conflit dont on parle peu, malgré l’ampleur des dégâts matériel et humain, il est nécessaire de comprendre le contexte d’émergence de l’Etat yéménite tel que nous le connaissons aujourd’hui. A partir de là on mettra en évidence la montée en puissance de certains tribus qui ont pu bousculer le pouvoir central jusqu’à obtenir l’effondrement de celui-ci. Partout c’est l’embourbement total avec l’ingérence des deux puissances régionales (Arabie Saoudite et l’Iran) d’un côté mais aussi l’installation de groupes terroristes tels que Al-Qaïda sur le sol yéménite.

L’émergence récente de l’Etat yéménite

Le Yémen dans sa forme actuelle est un Etat qu’on pourrait qualifier de jeune. En  effet le Yémen tel que nous le connaissons aujourd’hui est né en 1990 dans un contexte de fin de guerre de froide.

Cet Etat est le résultat de la fusion de deux Etats qui existaient côte à côte à savoir la République démocratique et populaire du Yémen (Yémen du Sud) et la République Arabe du Yémen (Yémen du Nord).  Il s’agit d’un pays du Moyen-Orient qui se trouve à la pointe Sud de la péninsule arabique (cf. Carte Ci-dessous). Il n’a de frontière terrestre qu’avec deux pays : l’Arabie Saoudite avec laquelle il partage une grande partie de la frontière au nord et le Sultanat d’Oman au Nord-est. Le reste du territoire est entouré d’eau. D’un côté on a la mer Rouge avec le détroit  de Bab el Mandeb, porte d’accès au canal de suez – détroit que le Yémen contrôle avec son voisin africain la Djibouti – et de l’autre on a la mer d’Arabie qui mène vers l’Océan Indien.

Malgré sa position géographique stratégique (golfe d’Aden, détroit de Bab el Mandeb, la Péninsule Arabique la région qui contient les plus importants gisements pétroliers et gaziers au monde), le Yémen est aujourd’hui l’un des pays les plus pauvres au monde. Avec un peu plus de 27 millions d’habitants, le pays n’est placé qu’à la 154e place sur l’Indice de Développement Humain (IDH) de l’ONU sur 184 pays (en 2014).

Les principales villes du pays sont entre autres Sanaa (la Capitale), Aden, Hodeïda et Ta’izz.

Des affrontements tribaux…

Depuis sa création, le Yémen vit dans une très forte instabilité politique. Le Yémen est un pays arabe musulman à majorité sunnite (environ 55 % de la population) mais possède en son sein une forte minorité Chiite zaydite (environ 45% de la population). La réunification du pays n’a pas été en faveur d’une stabilité politique durable, car étant essentiellement constitué de tribus. Très tôt certains tribus se sont sentis marginalisées, et sont entrées ainsi en conflit avec le pouvoir central dès 2004 soit 14 ans après la naissance de l’Etat yéménite.

En effet en 2004, sous la houlette de Hussein Badreddine Al-Houthi qui donnera d’ailleurs plus tard son nom au mouvement de contestation, une rébellion chiite se forme dans la ville de  Saada au nord du pays (à la frontière saoudienne). Cette rébellion conteste notamment la marginalisation de leur région et se lance ainsi dans une confrontation avec le pouvoir central de Sanaa de Ali Abdallah Saleh, resté au pouvoir à la réunification, et ce malgré son appartenance à cette communauté (Chiite Zaydite).

A la suite de la mort (tué par les forces gouvernementales) d’Al-Houti à la même année (2004), les affrontements prennent une autre tournure et entrent dans une seconde phase. Les rebelles ayant gagné du terrain notamment tout au long de la frontière saoudienne, l’Arabie Saoudite est obligée d’intervenir en menant des frappes aériennes, dès 2009. Les affrontements entre armée saoudienne et rebelles font plusieurs morts de part et d’autre. Dans cette même période malgré les sanctions, l’Iran est suspecté par certains experts de fournir de l’armement aux rebelles. Ce qui donne en quelque sorte une première tournure internationale à ces affrontements. Bien que jusque-là les affrontements ne concernaient officiellement que les rebelles et les forces gouvernementales.

En 2011, avec le printemps arabe, des soulèvements d’étudiants sont notés un peu partout dans le pays notamment dans la capitale Sanaa. Les rebelles profitent de cette situation en se mêlant aux manifestants. Ce qui pousse le Président Saleh l’allié des saoudiens et des Etats-Unis à fuir de Sanaa.

Il sera ainsi remplacé par son vice-président (Un Sunnite) Abd Raboo Mansour Hadi. Ce qui amène à l’organisation d’une Conférence de Dialogue National entre 2013 et 2014. Cette conférence réunie à égalité yéménites du nord et yéménites du sud. Dans cette conférence est décidée une nouvelle réorganisation administrative du pays à savoir la division du Yémen en 6 Régions. Dans cette réorganisation la région historique des rebelles de Saada est incluse dans une entité plus grande. Les rebelles rejettent cette proposition car selon eux cette nouvelle organisation divise le Yémen entre régions riches et régions pauvres mais aussi et surtout les rebelles exigent que leur région historique de Saada devienne une région à part entière et ayant accès à la mer (La mer rouge en l’occurrence).

Ils poursuivent ainsi leur offensive vers Sanaa, ce qui pousse le nouveau président à fuir vers le sud du pays, à Aden notamment. Les rebelles poursuivent alors la route vers le sud, prennent Ta’izz, et descendent sur Aden. Ce qui oblige à nouveau le président à fuir définitivement le pays et à se réfugier à Ryad (Arabie Saoudite).  Dès lors les rebelles prennent le contrôle des principales villes du pays (avec ports et aéroports), Sanaa, Ta’izz, et surtout Aden, et ils font face à l’entrée du Détroit de Bab el Mandeb.

Dans ce désordre total, Al-Qaïda dans la Péninsule Arabique trouve un terreau fertile pour s’installer dans le pays et prendre ainsi quelques localités du pays.

Sur cette carte qui montre la situation du pays en 2015, on voit déjà les forces en présence dans le pays. D’un côté on a les forces gouvernementales soutenues par l’Arabie saoudite, qui contrôlent une partie du pays et de l’autre on a les rebelles qui contrôlent tout l’ouest du pays et notamment la façade de la mer rouge qui constitue un passage stratégique du transit des navires qui acheminent les hydrocarbures (pétrole saoudien notamment) vers l’Europe mais aussi vers les Etats-Unis. Entre ces deux forces un acteur et non le moindre cherche à étendre son influence à savoir AQPA qui contrôle une grande partie du Nord et une petite partie du sud. Et la proximité avec la Somalie est un facteur essentiel.

Face à tout cela la guerre prend une tournure internationale avec ces multiples implications quand l’Arabie Saoudite soutenue par les Etats-Unis, mais aussi l’ONU, décide de réunir une coalition de neufs pays arabes (Koweït, l’Egypte, le Bahreïn, le Pakistan, le Soudan, la Jordanie, le Maroc, le Qatar, et les Emirats arabes-unis) pour intervenir au Yémen.

… A l’internationalisation de la crise

L’Internationalisation de la crise se fait officiellement dans la nuit du 25 au 26 mars 2015, lorsque la coalition menée par l’Arabie Saoudite, déclenche l’opération « Tempête décisive » en bombardant, les principales bases Houthis à Sanaa en l’occurrence le Palais présidentiel, l’aéroport, et certaines bases militaires, encore occupées par les rebelles.

Les sanctions internationales contre l’Iran étant assouplies, pour la première fois les officiels iraniens (le Président Iranien) dénoncent publiquement cette intervention en parlant « d’agression militaire » et en la qualifiant de « démarche dangereuse ».

A partir de là, c’est l’Iran et l’Arabie saoudite qui se font face à face. Ce qui fait qu’à partir de là certains experts ont remis à jour la confrontation entre Chiites et Sunnites. Indéniablement dès que ces deux puissances se font face, la rivalité Chiite/Sunnite refait forcément surface.  Mais dans ce conflit yéménite les enjeux vont au-delà de cette rivalité.

En effet les enjeux sont beaucoup plus importants pour ces deux pays. Au-delà du statut de la puissance régionale qui est en train de se jouer, les enjeux économiques sont énormes. Pour l’Arabie Saoudite, conserver une certaine mainmise, notamment en maintenant un gouvernement pro-saoudien à Sanaa, sur le Yémen c’est assurer l’acheminement de son pétrole vers l’occident. L’Arabie Saoudite a en effet, depuis longtemps avec l’appui des Etats-Unis un projet de construction de pipelines qui vont traverser le Yémen et ainsi contourner le détroit d’Ormuz sous contrôle iranien.  Garder aussi une mainmise sur le Yémen c’est parer à toute éventualité de blocage du détroit de Bab el Mandeb.

Pour l’Iran, qui contrôle déjà le détroit d’Ormuz par où transite actuellement tout le pétrole saoudien produit dans le nord-est du royaume, avoir un gouvernement pro-iranien à Sanaa c’est non seulement un moyen de faire échouer le projet de pipelines saoudien, mais c’est aussi avoir le contrôle de Bab el Mandeb et ainsi contrôler tout le pétrole qui sort de cette région  pour être acheminé vers l’Europe et les Etats-Unis. Ce qui permettra à l’Iran d’assoir durablement son hégémonie régionale.

Ainsi, aujourd’hui la guerre est devenue une guerre d’influence, mais aussi une guerre économique. Si l’Iran n’a pas officiellement envoyé de soldats au Yémen, l’Iran fourni tout de même de l’armement aux rebelles Houthis. Un fait que dénonce régulièrement l’Arabie Saoudite, qui se dit visée par des missiles longues portées tirés par les rebelles depuis le Yémen, et qui sont de fabrication Iranienne.

Aujourd’hui la crise yéménite risque d’impacter toutes les grandes puissances au-delà de l’Arabie Saoudite et de l’Iran, du simple fait de sa position stratégique. En effet aujourd’hui toutes les grandes puissances ont des soldats stationnés dans la région y compris la France, notamment à Djibouti. Ainsi les Etats-Unis ont plus de 4000 soldats (la Ve Flotte) dans la zone. A côté il y a la Russie, mais aussi la Chine et le Japon.

Par ailleurs ces enjeux stratégiques et économiques, ne doivent pas nous faire oublier le bilan tragique de cette guerre.  En effet plusieurs ONG déplorent la situation au Yémen, qu’elles qualifient d’ailleurs de « catastrophique », notamment sur le plan humanitaire.

Lors d’une conférence de presse tenue à Paris le 17 Mars 2017,  six ONG (Médecins du Monde, Action contre la Faim, Care, Handicap International, Première Urgence, Solidarités international)  ont annoncé que « la situation au Yémen est l’’une des  plus graves au monde »,  du fait notamment du blocus imposé par la coalition arabe.

Cette guerre a fait plusieurs dizaines de milliers de morts (entre 7800 et 8000 morts selon les sources) dont une majorité de civils, des enfants notamment. A côté on note plus de 40000 blessés, plus de 2 millions de personnes sans-abris, et plus de 186 000 réfugiés.

Il faut noter aussi la résurgence de certaines maladies telles que le Choléra, et noter aussi qu’il y a plus de 19 millions de personnes qui souffrent de la faim et ont besoin d’une aide humanitaire d’urgence.

La guerre est aujourd’hui encore dans une nouvelle phase, après que l’ancien président Ali Abdallah Saleh a été tué, le 4 décembre 2017. En effet après un énième revirement de la part de ce dernier, d’abord allié de l’Arabie Saoudite et donc contre les rebelles Houthis, il avait changé de camp en s’alliant avec ces derniers pour lutter contre le président actuel. Et dans sa dernière apparition publique il avait soutenu être avec l’Arabie Saoudite et être prêt à faire partie d’un dialogue qui tendrait de résoudre la crise. Ensuite c’était son retour aux affaires qui avait été envisagé.

Ainsi à partir de là, on peut dire que cette guerre est loin d’arriver à son terme au vue des intérêts qui sont en jeu. D’abord partie d’une contestation interne, la guerre est devenue internationale,  avec l’intervention de la coalition arabe d’un côté, mais aussi le soutien fourni par l’Iran aux rebelles de l’autre. Et les dégâts humains et matériels continuent d’augmenter de jour en jour.

DIALLO Alpha Ibrahima, promotion 2017-2018 du Master 2 IESCI

Bibliographie

https://www.franceculture.fr/geopolitique/comprendre-la-guerre-au-yemen

https://www.lexpress.fr/actualite/yemen-une-coalition-de-pays-arabes-au-secours-du-president_1665079.html

http://www.lemonde.fr/yemen/article/2017/12/05/ali-abdullah-saleh-fantome-et-mauvaise-conscience-de-l-etat-yemenite_5224575_1667193.html

http://www.jeuneafrique.com/419894/politique/yemen-trois-ans-de-conflit-bilan-humanitaire-apocalyptique/

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