Depuis quelques années, on voit apparaître de nouvelles technologies de plus en plus perfectionnées, dotées de fonctionnalités toujours plus novatrices. Les firmes américaines comme Google, Apple, Facebook, Microsoft, etc se sont lancées dans cette course à la technologie. En réalité, cette compétition effrénée à l’innovation dissimule une stratégie de long terme qui est la conquête, l’augmentation, l’amélioration de l’humain via le transhumanisme et l’investissement massif dans les NBIC (Nanotechnologies, Biologie, Informatique, Sciences Cognitives). Le 21ème siècle s’annonce comme le siècle de la neuro-révolution. L’homme machine des films de science fiction n’est plus utopie mais devient bien réel. Entre espoir et apeurement, comment une firme comme Google arrive-t-elle à se placer comme l’un des acteurs principaux de cette révolution ? Et à quelles limites cette entreprise va-t-elle être confrontée ?
Qu’est-ce que le transhumanisme ?
Le transhumansime est un mouvement de pensée qui a vu le jour dans les années 1950. Ce mouvement connaît sa véritable expansion à partir des années 1990 avec la recherche scientifique qui s’oriente vers les NBIC. La définition originelle de ce terme nous vient de J. Huxley, biologiste qui a défini en 1957 ce mouvement comme : “Un homme qui reste homme, mais qui se transcende en utilisant de nouvelles possibilités de et pour sa nature humaine“. En d’autres termes, on peut dire qu’il s’agit d’un mouvement intellectuel et culturel prônant l’usage des sciences et des techniques, ainsi que les croyances spirituelles afin d’améliorer les caractéristiques physiques et mentales des êtres humains. Le transhumanisme considère certains aspects de la condition humaine tels que le handicap, la souffrance, la maladie, le vieillissement ou la mort comme inutiles et indésirables.
A terme, ce courant de pensée veut créer “l’homme 2.0“. Il est symbolisé par un “H+“ pour souligner l’idée de l’homme amélioré. D’ailleurs, B.F Skinner dit : « De ce que l’Homme peut faire de l’Homme, nous n’avons encore rien vu ». Le développement de cette pensée s’est fait sous l’impulsion de la théorie de l’évolution de Darwin qui sous-entend pour les transhumanistes, que l’homme n’a pas atteint son stade d’évolution finale. Et que la technologie peut l’y conduire. Ce mouvement, très peu connu en France est en pleine expansion, et les firmes multinationales comme Google s’y intéressent fortement. On voit d’ores et déjà chez Google le développement de certains produits qui laissent présager l’idée que la création de “l’homme machine“ ou “l’homme 2.0“ via le développement de l’intelligence artificielle est proche.
Quelles actions mises en place par Google vont dans le sens de l’homme machine ?
D’un simple moteur de recherche à une neuroprothèse : voici l’objectif de google
Ceux qui voient Google comme un géant de l’internet, un moteur de recherche ultra puissant se trompent. Certes, Google permet cela mais il s’agit également d’un panel d’outils, d’applications qui permettent de faciliter notre quotidien et ceux qui utilisent Google tous les jours en sont particulièrement conscients. Des outils comme : Gmail, Drive, Analytics, Adwords, … . Mais la société investit aujourd’hui de façon massive dans les NBIC par le rachat ou la création d’entreprises.
L’intérêt que porte Google au mouvement transhumanisme n’est pas récent. L’ancien PDG de Google, Eric Schmidt disait : “Ce que nous essayons de faire, c’est de construire une humanité augmentée, nous construisons des machines pour aider les gens à faire mieux les choses qu’ils n’arrivent pas à faire bien“. D’ailleurs, les derniers travaux développés par Google dans le domaine des NBIC témoignent de cet intérêt : réalité augmentée, santé, intelligence artificielle, séquençage ADN, la robotique. L’objectif est de faire de google : “ le troisième hémisphère de notre cerveau“ selon Eric Schmidt. À court terme, c’est de réussir à implanter des neuroprothèses qui auront pour but de vous donner la réponse à une question avant même que vous ne l’ayez formulée.
Comment se traduit cette volonté chez Google ?
Comment fonctionne le cerveau ? Cet outil si complexe qui nous rend si unique fait l’objet de nombreuses recherches pour tenter de comprendre comment cette machine fonctionne. Comme pour la quête du graal, celui qui découvrira les secrets du cerveau humain disposera d’un avantage considérable. Et c’est pour cela que des géants qui sont nés de la révolution des NTIC (Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication) se sont lancés dans cette course. L’enjeu stratégique du 21ème est donc le cerveau et l’on risque d’assister à une neuro-révolution entamée par des acteurs tels que : Google, Apple, Facebook. Google à décider de créer le Google X Lab pour développer en toute confidentialité tous les projets portants sur les NBIC. La localisation de ce laboratoire est secrète, on sait seulement qu’il se situe au alentour de la baie de San Francisco. Au sein de ce labo, plus d’une centaine de projets sont menés pour conduire à l’éclosion d’une nouvelle génération d’individu : l’homme machine.
Ainsi, Google a adopté un processus en 8 étapes pour créer l’homme du futur :
- L’orientation : La société Google fournit des moyens de nous orienter dans l’espace ou sur le web (Via Google Search, Google Map, Google Earth).
- La mémoire : Google Drive, Gmail, ou encore Picassa nous offrent la possibilité de stocker des informations, des données et ainsi de les mémoriser. Google nous offre une mémoire de substitution qui va conduire à la création de notre mémoire virtuelle
- La réalité augmentée : Cette réalité se traduit par l’apparition des Google Glass qui envoient directement des informations au cerveau par le biais de la rétine.
- L’intelligence artificielle : Cela traduit la croyance partagée par les dirigeants de Google pour le transhumanisme.
- La robotique : Le fleuron de la robotique pour Google est représenté par la Google Car, cette voiture qui vous emmène d’un point A à un point B sans le besoin d’un conducteur. Google a également racheté les 8 plus puissantes sociétés de robotiques de la planète et ce en seulement un mois :
– le 2 décembre 2013 Schaft.inc Robot humanoïde
– le 3 décembre 2013 Industrial Perception
– le 4 décembre 2013 Redwood Robotics
– le 5 décembre 2013 Meka Robotics
– le 6 décembre 2013 Holomni
– le 7 décembre 2013 Bot & Dolly
– le 8 décembre 2013 Autofuss
– le 13 décembre 2013 Boston Dynamics
Google ne cesse de racheter des entreprises spécialisées dans le secteur de l’intelligence artificielle ou de la robotique. Tous ces rachats vont dans le sens du transhumanisme et l’homme machine risque de voir le jour très rapidement même si la firme se heurte à quelques barrières éthiques pour le moment.
- La biotechnologie : Construire “l’homme 2.0“, tel est l’objectif de ce domaine. Il s’agit au travers de la sélection des embryons, de la neurogénétique, des neuroprothèses d’améliorer les capacités physiques et cérébrales d’un individu. La société “23andme“ filiale de Google, dispose du monopole dans la sélection embryonnaire. L’objectif via cette sélection génétique est de créer “des enfants plus beaux et plus intelligents“ ce qui relève de l’eugénisme. Et donc, de tous les problèmes éthiques qui en découle mais nous verrons cela dans les limites. Mais Google est également sur le point de développer des prothèses intra cérébrale qui permettent la fusion de l’artificiel et du biologique et ainsi de tendre vers l’objectif de Google qui est d’améliorer les capacités humaines.
- Faire reculer la mort : L’objectif de Google dans ce domaine est clair. L’entreprise veut augmenter l’espérance de vie dès le 21ème siècle de 20 ans. Pour ce faire, Google a créé l’entreprise Calico dont l’objectif est de se concentrer sur le défi de la lutte contre le vieillissement et les maladies associées avec pour projet de “Tuer la mort“.
- Assurer une conscience éternelle : Dans ce domaine, on touche à l’immortalité, ce dont rêve tout bon transhumaniste. L’idée selon laquelle on pourrait transférer l’âme d’un individu sur des circuits intégrés afin de permettre un transfert en cas d’accident. On peut comparer cela à une sauvegarde de disque pour pallier à une éventuelle perte de données.
Toutes ces étapes font parties d’un processus qui met à jour la stratégie de long terme de Google de créer l’homme machine capable de vivre 200 ans. La quête de l’homme 2.0 soulève certaines problématiques en termes d’éthique. On pourrait facilement conclure que Google cherche à se prendre pour Dieu. De plus, certains mouvements tels que le nazisme ont été fort critiqué pour avoir tenté de créer une race supérieure. Donc Google va devoir surmonter un certain nombre de barrière pour pouvoir implanter sa vision stratégique dans l’inconscient collectif afin d’atteindre ses objectifs.
Quelles limites les entreprises qui se lancent dans cette quête vont-elles rencontrer ?
Il est clair que ce que nous fait miroiter Google peut paraître attrayant voir même excitant mais toute cette évolution en termes de technologie doit être encadrée. En effet, dans un article publié en Mai 2014 dans The Independant, le physicien Stephen Hawking, le nobel de physique Frank Wilczek, l’informaticien Stuart Russell et le physicien Max Tegmark ont dit que “la réussite dans la création de l’intelligence artificielle serait le plus grand évènement dans l’histoire humaine. Malheureusement ajoutent-ils, ce pourrait aussi être le dernier, sauf si nous apprenons comment éviter les risques engendrés par cette création“.
Selon une enquête Crédoc, les français se montrent plutôt désireux de repousser les limites du corps humain. Cependant, ils sont 85 % à être réfractaire à la greffe de composants électroniques sur le cerveau. La raison de ce refus concerne le risque de perdre son identité en agissant sur le cerveau humain. En revanche, les greffes physiques reçoivent un fort succès dans cette enquête. Seule l’action sur le cerveau fait peur.
Quels sont ces risques ? Si notre cerveau devient un ordinateur surpuissant connecté, nous prenons le risque de nous le faire pirater. C’est ce que nous dit le fondateur de Deep Mind, rachetée par Google, leader dans le domaine de l’intelligence artificielle : “l’intelligence artificielle peut menacer l’humanité dès le 21ème siècle. A l’ère des prothèses cérébrales, le risque de neuro-manipulation, de neuro-hacking et donc de neuro-dictature est immense“. D’ou la nécessité d’encadrer les entreprises qui travaillent sur ce secteur d’activité.
L’autre risque inhérent à une telle révolution est de se prendre pour Dieu. De quel droit pouvons-nous modifier les capacités d’un homme pour le rendre plus performant ? Est-ce éthiquement ou moralement acceptable de rééquilibrer les capacités de chaque individu ? Avons-nous le droit de modifier les capacités d’un individu même si la technologie nous le permet ? L’intention qui en découle est louable mais on va à l’encontre de l’ordre établi. On ne laisse plus place à la nature pour définir les capacités qui nous sont données dès la naissance vu que l’on va pouvoir modifier nos aptitudes par la suite. N’est-ce pas se prendre pour un dieu que d’agir de la sorte ?
L‘autre limite d’une telle révolution est de conduire à une indifférenciation des individus. En effet, le fait de doter tout le monde des mêmes capacités va conduire à l’émergence d’un individu unique semi robot, semi homme. Ceci pourrait conduire à la perte de l’humanité car si l’on atteint ce stade tant convoité par les transhumanistes, comment pourront-nous innover et faire face au problème auxquels nous pourront être confrontés ? En effet, aujourd’hui, l’innovation nait de notre différence, des débats que cela peut occasionner ; c’est de la confrontation, de l’échec, etc que naissent les évolutions de demain. Or, si nous arrivons avec cette neuro-révolution à créer un être unique (l’homme 2.0), comment pourront-nous mettre en place de tels processus ? Ne risquons-nous pas de rentrer dans un cercle destructeur ?
Enfin, que devient la part de la culture et de l’éducation dans un tel système ? De nombreuses études montrent que le fait d’être initié à l’art et à différentes cultures durant la formation d’un individu lors de son cursus scolaire augmente les connections neuronales de son cerveau car il apprend à penser autrement, à se forcer à réfléchir, à émettre des hypothèses, etc. Mais la neuro révolution va nous rendre omniscient dès la naissance. N’y a t’il pas un risque de devenir des robots incapable de penser de manière autonome ? Au lieu d’augmenter nos capacités en venant relayer le cerveau pour certaines taches, l’homme 2.0 ne va-t-il pas déconnecter son cerveau au dépend de la machine et devenir un robot ?
Voilà toutes les nombreuses questions qui découlent de la neuro-révolution qui est en marche. Le 21ème siècle s’annonce comme un siècle révolutionnaire où l’on risque de voir s’affronter les neuro révolutionnaires et les bio conservateurs. Malheureusement, on ne peut émettre que des hypothèses et des interrogations sur ce sujet car nous sommes seulement aux prémisses de cette révolution. Mais le sujet fait débat auprès de la communauté scientifique.
Conclusion :
La Google Car, les Google Glass ne représentent que le commencement d’une révolution qui a été initié par Google. Avec le Google X Lab, la société se lance pleinement dans les NBIC. La volonté des dirigeants de participer à la création de l’homme 2.0 est stimulée par le courant de pensée appelé le transhumanisme. L’idée selon laquelle on va pouvoir améliorer les conditions physiques et cognitives de l’être humain. Cette évolution vers laquelle tend Google est la conséquence de l’apparition des NTIC qui ont conduit à l’émergence d’une nouvelle économie : l’économie de la connaissance. Par conséquent, l’acquisition de nouvelles connaissances devient l’un des éléments clé de la compétitivité d’un individu. Le cerveau devient l’un des enjeux stratégique clé du 21ème siècle. Et c’est pour cela que Google veut développer des produits qui vont permettre d’améliorer les capacités d’une personne. Un tel projet est louable et peut susciter une certaine excitation chez l’ensemble des individus. Cependant, cela provoque également de nombreuses réactions. Les Bio conservateurs ne voient pas d’un très bon œil un tel projet, la perte d’identité représente la principale limite avec le manque d’encadrement qui pourrait conduire au piratage du cerveau et à la neuro dictature. Cette révolution peut conduire à la plus grande découverte de l’humanité à condition que des organismes de surveillance pour encadrer de tels projets soient mis en place. C’est d’ailleurs ce qu’a fait Google en créant un comité d’éthique au sein de sa société.
Les autres géants ne restent pas sans rien faire notamment avec Facebook et l’Occulus Rift a franchi également un pas vers cette dimension. Apple est lui aussi entré dans le domaine de la santé et a de grandes ambitions sur le domaine.
L’objectif caché de tels projets est néanmoins la quête de l’immortalité. Mais peut-être vaut-il mieux vivre 90 ans normalement que 300 ans modifié physiquement et cognitivement ?
Guillaume VIGOUROUX, étudiant promotion 2014-2015 du M2 IESC
http://www.doyoubuzz.com/guillaume-vigouroux
Références bibliographiques :
- Articles :
http://www.ouest-france.fr/google-le-geant-du-web-veut-traquer-le-cancer-dans-nos-cellules-2941270
http://www.notretemps.com/internet/google-mise-sur-la-realite-augmentee,i70490
http://www.egaliteetreconciliation.fr/Qu-est-ce-que-le-transhumanisme-24397.html
http://www.lemonde.fr/sciences/article/2014/05/05/les-neuro-revolutionnaires_4411828_1650684.html
http://www.webmarketing-com.com/2014/10/28/33078-google-en-route-vers-neuro-revolution
- Dossier
http://www.lincoste.com/ebooks/pdf/sciences_sociales_et_humaines/philosophie/transhumanisme.pdf
https://hal.archives-ouvertes.fr/file/index/docid/779615/filename/20686_ACHOUCHE_2011_archivage.pdf
http://www.philosophie.ens.fr/IMG/Bateman%20Gayon%20Médecine%20Sciences.pdf
http://www.ec-lyon.fr/sites/default/files/cr_transhumanisme.pdf
http://sniadecki.files.wordpress.com/2013/12/dossier-transhumanisme.pdf
http://enault.christian.free.fr/sti2d/scth/2-externalisation/google.pdf