Etude du lobby de la viande

C’est un fait aujourd’hui, les Français consomment de moins en moins de viande, comme l’atteste cette étude parue dans le journal le monde « les Français mangent en 2014 86,3 kg de viande par an et par habitant, soit une baisse de près de 7% par rapport à 1998.[1] » À l’échelle mondiale la consommation serait en moyenne de 41,8 kg /hab., et serait en croissance, surtout dans les pays en développement avec 31,5 kg /hab. Elle serait de 36,3 kg par habitant en 2023 et pour les seuls pays développés de 69 kg /hab. A contrario dans les pays en voie de développement chaque personne consomme une moyenne de moins de 34 kg de viande par an. Comme l’atteste ce graphique[2] le fossé entre les pays développés et les pays en voie de développement n’a jamais été aussi grand.

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En analysant ces données, il faut prendre en compte certains paramètres à savoir la culture, la religion et les habitudes alimentaires qui vont jouer sur ces chiffres. Par exemple, pour environ de 20 pays en voie de développement, leur consommation de viande par tête est inférieure à 10 kg par personne. En mettant ces chiffres en perspective des pays développés, l’écart est monstrueux, puisqu’en moyenne leur consommation est de 80 kg par personne.

À travers cette étude, on peut aisément comprendre que derrière cette consommation colossale, il y a bien évidemment des enjeux importants. Nous assistons aujourd’hui à une guerre sans merci entre les pros et les antis, qui utilisent l’intelligence économique pour convaincre l’opinion publique. L’outil indispensable dans cette guerre de positions est le lobbying, qui permet d’anticiper une situation pour la transformer ou la maintenir telle quelle.

Dans un monde global et complexe où règne la maximisation du profit, nous allons voir à travers cet article que l’industrie de la viande ne fait pas exception. Nous étudierons les points suivants : Qu’est-ce que le lobbying ? Le lobbying est-il un outil stratégique de l’IE ? Qui sont les principaux acteurs du lobbying de la viande? Comment le lobby de la viande est entré à l’école ? Après coup, nous nous projetterons sur l’évolution de notre consommation de viande.

Qu’est- ce que le lobbying?

Frank J.Farnel  définit le lobbying comme « une activité qui consiste à procéder à des interventions destinées à influencer directement ou indirectement les processus d’élaboration, d’application ou d’interprétation de mesures législatives, normes, règlements et, plus généralement, de toute intervention ou décision des pouvoirs publics »[3].

Dans un monde où la guerre économique est le nouveau paradigme, le lobbying s’avère être un outil indispensable pour les acteurs économiques. Par conséquent, le lobbying se pense dans le but d’accroître sa compétitivité informationnelle pour ainsi entreprendre une stratégie de long terme qui s’avère être un avantage concurrentiel.

Dans ce nouveau monde complexe, nous assistons à une guerre dite informationnelle où le lobbying est en pleine mutation. Au préalable, il subit les évolutions socio-économiques. Ainsi le lobbying est une des pratiques d’influence. Michel Clamen[4] « situe sa naissance en 1791, aux États-Unis. » Technique d’influence, pression, corruption, le lobbying reste encore une pratique complexe et sensible. Cependant l’utilisation de cet outil de l’intelligence économique s’avère aussi bien répandue dans le secteur public que privé.

Le lobbying est-il un outil stratégique de l’IE?

L’IE a pour objectif la maîtrise et la protection de l’information stratégique de manière à accroître la compétitivité des organisations. Selon J.L LEVET[5] « L’IE in fine, n’a de sens que si l’information qui la met en œuvre arrive, dans la durée, à exercer une action sur son environnement ».

En se référençant à cette réflexion, le lobbying va contribuer en deux points à l’IE. La maitrise et la protection de l’information stratégique sera assurée si notre veille stratégique est en amont de haute qualité. Par conséquent, pour anticiper les mouvements menaçants, on exercera du lobbying dit « défensif ». A contrario, en réalisant cette action de surveillance, le but est de déstabiliser les adversaires afin de créer un avantage concurrentiel. Ce mouvement propre au lobbying est dit « offensif ».

Enfin, sur cette partie nous avons pu comprendre que l’IE se scinde en deux parties : [6]« un mode de pensée » et « un mode d’action ». Le lobbying est quant à lui un outil de l’IE plus précisément l’influence appartient au mode d’action que décrit J.L Levet.

Qui sont les principaux acteurs du lobbying de la viande

1. Le cas des États–Unis

Aux États-Unis, plus de 95% des habitants mangent de la viande. Derrière ces consommateurs se cache une industrie de la viande ultra-puissante qui a produit plus de 42 milliards de kilos en 2012. Au-delà de ces chiffres impressionnants, les industriels détiennent des lobbies très influents à Washington.

Le marché du bœuf est contrôlé à 85% par quatre multinationales qui sont : Cargill, Tyson, JBS et National Beef. Ainsi ces quatre sociétés dominent à hauteur de 63% et de 54% les marchés du porc et du poulet. La société JBS, originaire du Brésil, est le principal producteur de bœuf à l’échelle planétaire. À l’inverse, la production mondiale de porc a connu un bouleversement. En 2013, China ‘s Shuanghui International rachète pour 5 milliards de dollars Smithfield Foods qui était jusque-là le leader sur le marché du porc.

Les autres problèmes qui se cachent derrière cette surindustrialisation, sont des questions sur l’éthique et l’environnement. Pour Mary Hendrickson[7], professeure à l’Université du Missouri «les agriculteurs ont finalement très peu de choix. S’ils veulent produire en vertu de critères éthiques et sanitaires différents, une viande sans antibiotiques ou sans hormones par exemple, cela s’avère très compliqué. Ils doivent se rabattre sur la vente directe sur des marchés locaux. C’est difficile d’en vivre.» D’autre part, le directeur de la recherche à Food & Water Watch, une ONG de Washington attire notre attention sur ce point[8] : « pour ces raisons, nous avons perdu un nombre incroyable d’agriculteurs au cours des vingt dernières années. Le phénomène a un effet dévastateur sur l’Amérique rurale, qui dépérit. Les grandes multinationales dominent tout et ont pratiquement tué toute compétition dans certaines régions. Si un problème sanitaire se pose, c’est tout le marché américain qui est touché. »

Deux camps s’affrontent ouvertement aux USA, les pros et les anti-viandes. Le plus célèbre des anti-viandes est sans doute Sir Paul Mccartney qui est végétarien et qui appelle régulièrement ses concitoyens à cesser de manger de la viande. Appel qui est directement relayé par des associations prônant le végétalisme.

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Ce graphique de la consommation américaine depuis le début du XXe siècle montre qu’il y a une diminution de la consommation globale de viande aux États-Unis. Elle a atteint un pic en 2007, à 25 milliards de kg. En 2012, elle devrait être de 23,5 milliards, soit le niveau le plus bas depuis dix ans.

Fabrice Nicolino, journaliste écologique accuse « l’industrie de la viande d’être l’équivalent de l’industrie de l’amiante dans les années 70 ou du tabac dans les années 50 ». Même s’il est vrai que les anti-viandes gagnent du terrain, notamment grâce au soutien des stars d’Hollywood. Néanmoins selon Roger Johnson, président de la Nationale Farmers Union, un syndicat d’agriculteur estime « que le combat actuel n’est pas entre les pros et les anti-viandes mais au sein même de l’industrie. »

Pour illustrer cette réflexion, prenons cet exemple, le lobby de la viande refuse un changement auquel le consommateur tient, à savoir le label d’origine. Ces luttes, illustrent de profondes divergences au sein du même groupe.

2. Le Cas Européen à travers la France

Le lobby de la viande montre l’étendue de son poids économique, par exemple en Normandie, il représente 658 millions d’euros de valeur. Afin d’étudier ce phénomène arrêtons-nous sur ce graphique qui représente la production mondiale de viande bovine.

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Sans surprise les USA et le Brésil se classent à la 1ère et à la 2ème place puis arrive l’Europe. Derrière ces chiffres européens se cachent des acteurs puissants que nous allons maintenant étudier. Pour cela, nous nous attarderons sur le cas de la France[9] qui recence 2500 coopératives agricoles françaises de biens et de service qui demeurent un mur porteur de la filière alimentaire française.

C’est un début de réponse cependant les deux acteurs majeurs du lobby de la viande en France sont Interbev et la FNSEA « Fédération nationale des syndicats d’exploitations agricoles ». Interbev est un puissant lobby de la viande, au budget de 33 millions d’euros en 2012, dont 11M€ dévolus à la seule communication. La FNSEA de son côté est un poids lourd du lobby de la viande ayant comme soutien des hommes et des femmes politiques connus comme José Bové, Guy Kastler et Cécile Duflot.

Pour comprendre la force de ce lobby, prenons l’exemple suivant: en 2012, l’entreprise de restauration collective Sodexo avait lancé une campagne d’affichage pour inciter les consommateurs à réduire leur consommation de viande pour sauver la planète. Xaxier Beaulin[10] président de la FNSEA avait estimé « qu’au-delà de l’esprit partisan, polémique et partial de cette initiative malheureuse le procédé était déplorable. »

Face à ce tôlé médiatique, Sodexo mis un terme à sa campagne publicitaire et ira même jusqu’à affirmer que les infos présentées sur les affiches étaient fausses.

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Cette démonstration illustre parfaitement la force de ce lobby. Au cœur de ces enjeux avant tout économiques, nous retrouvons plusieurs lobbys comme le lobby agricole, le lobby végétarien, le lobby religieux, le lobby de la santé et de l’environnement.

Par conséquent, l’ensemble de ces protagonistes du lobbying exercent aussi bien leurs pratiques dans le secteur privé que dans le secteur public. Certes, les enjeux sont de taille pour ces acteurs et l’on comprend mieux la guerre qui se livre à Bruxelles au parlement européen.

La FNSEA[11] est intervenue en 2012, suite à la réforme de la politique agricole commune en lançant une campagne de lobbying pour endiguer cette réforme au sein du parlement européen. Malgré une lutte intense pendant 3 semaines la réforme fût votée par le parlement le 13 mars 2013.

Enfin à travers cette partie, on s’aperçoit que les acteurs sont nombreux et que leurs intérêts divergent notamment sur les plans économiques, sociétal et environnemental. On assiste à une véritable guerre tactique où l’information, l’influence sont deux paramètres importants pour asseoir sa domination.

  1. Comment le lobby de la viande est entré à l’école?

En octobre 2015, une proposition de loi visant à instaurer un plat végétarien alternatif dans les cantines scolaires a suscité les débats. Devant cette proposition deux lobbys s’affrontent, celui de la filière viande et celui des végétariens.

Avant d’aborder cette problématique, nous allons remonter le temps et tenter de répondre à cette interrogation : comment le lobby de la viande est entré dans nos écoles ?

Dans cette conquête, on retrouve deux acteurs importants du lobby de la viande en la personne du groupe Interbev et le CIV « centre d’information des viandes ». Le CIV est une association créée en 1987 à l’initiative des professionnels du bétail, des viandes et de l’élevage.

Afin de conquérir les collèges et les lycées de l’hexagone, ces deux groupes ont lancé une grande campagne de communication. Ayant pour objectif selon Louis Orenga, directeur du CIV[12] « réapprendre aux jeunes les produits et le goût des viandes brutes». A contrario, les associations végétariennes crient au scandale. Sous cette démarche de vendre aux politiques et à l’Éducation nationale, l’apprentissage et la redécouverte du patrimoine gastronomique, l’enjeu est bien sûr d’écouler plus de kilos de viande. Comme l’avance Mme Dagnaud, sociologue à l’école des hautes études en sciences sociales, «les producteurs ont trouvé le moyen de pénétrer dans les écoles en jouant la carte des bonnes pratiques ».

Ce jeu de communication et d’influence a permis au lobby de la viande de tisser sa toile, pour établir une stratégie de long terme. L’objectif de cette manœuvre était de favoriser les partenariats entre les entreprises et les établissements scolaires. Au final le ministère de l’Éducation a tranché dans ce sens en justifiant clairement cette logique[13] : « Pour les professeurs, c’est une manière d’appuyer leur cours, de travailler sur le côté pratique. Du côté des entreprises, ça permet de faire connaître les produits. Chez les enfants le bouche à oreille ça marche ».

Revenons, à la proposition de loi d’octobre 2015, le président d’Interbev Dominique Langlois a envoyé une lettre aux maires, conseillers généraux et régionaux ainsi qu’aux députés. Cette stratégie d’influence de court terme permet ainsi au lobby de la viande de durer sur le long terme.

La position d’Interbev fût appuyée par la FNSEA qui ajoute que cette loi serait une « difficulté supplémentaire[14] » pour la « filière viande française ». Aujourd’hui 80% de la viande rouge et 87% de la volaille seraient d’origine étrangère et importée.

La conclusion est que la ministre de l’Éducation, Najat Vallaud-Belkacem exprime aussi son opposition à cette loi. De la même manière, elle estime au même titre qu’Interbev ainsi que la FNSEA que l’intégralité de la filière viande française doit être soutenue.

CONCLUSION

Le lobbying suite au passage de notre société vers une société de la connaissance a subi une transformation. L’utilisation de l’IE est devenue un outil stratégique primordial pour toute organisation. Tout comme le lobby du tabac, le lobby de la viande est puissant et influent. De nombreux débats fleurissent actuellement sur notre consommation de viande et sur les différences qui subsistent entre les pays. À l’heure où nous recherchons de nouvelles alternatives pour remplacer la viande notamment via les insectes, la population mondiale est de plus en plus informée des pratiques douteuses qui se passent dans les coulisses des parlements européen ou américain. Cependant, les citoyens restent impuissants face aux fortunes colossales que représentent les industriels de la viande. Or, le citoyen détient une place stratégique dans l’organisation mondiale des marchés. Est-ce qu’au final, l’enjeu n’est pas le contrôle de la pensée et du jugement du consommateur ? Est-ce que la pensée unique est la finalité du consommateur ?

Par Thomas Lévêque,  promotion 2016-2017 du M2 IESC d’Angers

BIBLIOGRAPHIE

Allaire – Arrivé Virginie et Harbulot Christian, Qui veut la peau des coopératives agricoles françaises ?, portail de l’IE, 10/03/14

Clamen Michel, « Lobbying : de l’histoire au métier », Géoéconomie 2014/5 (n° 72), p. 165-182. DOI 10.3917/geoec.072.0165.

De Lacour Geneviève, QUELLE INFLUENCE DES LOBBIES DANS LA TENTATIVE DE RÉFORME DE LA PAC?,  Novethic, 18 mars 2013

J.Farnel Frank, Le Lobbying : stratégies et techniques d’intervention, Editions d’Organisation, 1994.

Interbev, L’essentiel de la filière viande bovine française, 2015

Levet Jean-Louis, L’Intelligence Economique, mode de pensée, mode d’action, Economica, 2001.

Rousseaux Agnès, La FNSEA fait censurer une campagne un peu trop végétarienne à son goût, bastamag, 19/06/12.

WEBOGRAPHIE

http://www.terraeco.net/Comment-le-lobby-de-la-viande-est,8912.html

https://francais.rt.com/france/8353-lobby-viande-passe-loffensive-contre

http://www.bastamag.net/La-FNSEA-fait-censurer-une

https://www.letemps.ch/societe/2014/12/29/une-industrie-viande-controlee-une-poignee-acteurs

http://www.planetoscope.com/elevage-viande/1235-consommation-mondiale-de-viande.html

http://www.lemonde.fr/planete/chat/2009/10/15/faut-il-manger-moins-de-viande-pour-sauver-la-planete_1254289_3244.html

http://www.novethic.fr/empreinte-terre/agriculture/isr-rse/quelle-influence-des-lobbies-dans-la-tentative-de-reforme-de-la-pac-139418.html

[1] http://www.lemonde.fr/planete/chat/2009/10/15/faut-il-manger-moins-de-viande-pour-sauver-la-planete_1254289_3244.html

[2] http://www.planetoscope.com/elevage-viande/1235-consommation-mondiale-de-viande.html

[3] Frank J.Farnel, Le Lobbying : stratégies et techniques d’intervention, Editions d’Organisation, 1994.

[4] Michel Clamen, « Lobbying : de l’histoire au métier », Géoéconomie 2014/5 (n° 72), p. 165-182. DOI 10.3917/geoec.072.0165.

[5] Jean-Louis Levet, L’Intelligence Economique, mode de pensée, mode d’action, Economica, 2001.

[6] Jean-Louis Levet, L’Intelligence Economique, mode de pensée, mode d’action, Economica, 2001

[7] https://www.letemps.ch/societe/2014/12/29/une-industrie-viande-controlee-une-poignee-acteurs

[8] https://www.letemps.ch/societe/2014/12/29/une-industrie-viande-controlee-une-poignee-acteurs

[9] Allaire – Arrivé Virginie et Harbulot Christian, Qui veut la peau des coopératives agricoles françaises ?, portail de l’IE, 10/03/14

[10] Rousseaux Agnès, La FNSEA fait censurer une campagne un peu trop végétarienne à son goût, bastamag, 19/06/12.

[11] De Lacour Geneviève, QUELLE INFLUENCE DES LOBBIES DANS LA TENTATIVE DE RÉFORME DE LA PAC?,  Novethic, 18 mars 2013

[12] http://www.terraeco.net/Comment-le-lobby-de-la-viande-est,8912.html

[13] http://www.terraeco.net/Comment-le-lobby-de-la-viande-est,8912.html

[14] https://francais.rt.com/france/8353-lobby-viande-passe-loffensive-contre

Admin M2 IESC