Entre réchauffement climatique et nouvelles routes polaires : vers quelle géostratégie mondiale nous tourner ?

Depuis plusieurs années maintenant, nous avons connaissance du réchauffement climatique engendré par l’activité humaine, qui se traduit par la fonte des glaces, notamment en Arctique. A cet endroit du monde, le réchauffement climatique se fait deux fois plus rapidement que partout ailleurs sur la planète : ces 25 dernières années, la surface de l’arctique a diminué de 40%. La banquise se réduisant progressivement, cela permet l’exploitation économique de ce territoire. Catastrophe écologique pour certains et opportunité pour d’autres avec les fonds marins riches en biodiversité et l’ouverture de nouvelles routes maritimes plus rentables pour certaines entreprises. Situation gagnante pour certains pays comme le Nord de l’Europe et l’Asie, ces nouvelles routes vont entraîner des pertes pour les régions proches du Tropique du Cancer, comme celles se trouvant proche du Canal de Suez. Ces nouvelles routes polaires (NRP) sont au nombre de trois : tout d’abord, on retrouve le passage du Nord – Est, qui longe la Russie entre le détroit de Béring jusqu’en Europe, route qui est aujourd’hui déjà accessible à certaines périodes. Ensuite, il y a le passage du Nord – Ouest qui passe près des côtes canadiennes entre le détroit de Béring et le Groenland. Enfin, si le réchauffement climatique continu sur cette voie, on risque de voir s’ouvrir la route transpolaire, passant par le pôle Nord, qui rallie également le détroit de Béring au Nord de l’Europe.

Les nouvelles routes polaires : des territoires riches à divers niveaux

L’ouverture des nouvelles routes polaires va entraîner une modification du paysage commercial : déjà fréquenté l’été par certains navires précédés d’un brise – glace, l’utilisation des NRP pourrai avoir lieu en toute saison d’ici quelques années s’il n’y a pas de politiques efficaces pour lutter contre le réchauffement climatique.

Celles – ci permettront de réduire la distance que les navires peuvent parcourir face aux routes dites « traditionnelles » selon le port de départ et celui d’arrivée : en effet, si on prend la route entre Le Havre et Dakar, elle restera inchangée et passera toujours par le Canal de Suez ; or entre Alger et Tokyo, l’utilisation de la route Nord – Est ou Transpolaire sera plus courte que la route actuelle d’environ 1 000 km. Pour les bateaux qui doivent relier l’Asie et l’Europe, qui passent aujourd’hui par le canal de Panama, ces NRP vont réduire la distance de près de 6 000 km. De manière plus générale, c’est ce que met en évidence le tableau ci – contre : dans l’échantillon de 99 pays ici pris en compte, on peut voir que la part des trajets commerciaux affectée par l’ouverture des NRP serait de l’ordre de 1,8% et 2,8%, avec une distance réduite en moyenne de 12,4% à 16,5%.  Certes comme ces chiffres l’indiquent, seule une faible part des trajets commerciaux sont touchés mais ceux qui le sont ont, de prime abord, une réduction de coûts notamment avec la baisse du temps de transports et la baisse de la consommation de pétrole. Ces pourcentages varient en fonction de la nouvelle route utilisée : le passage Nord – Est longeant la Russie et celui Nord – Ouest le Canada pourront être ouverts tout au long de l’année d’ici 2050, en prenant en compte les conditions climatiques actuelles. En ce qui concerne la route Transpolaire, celle – ci ouvrira plus tardivement vu qu’elle passe au plus près du pôle Nord.

Les effets sur le commerce de l’ouverture des NRP peuvent être anticipés en évaluant les effets de réallocation de commerce : s’il devient moins coûteux et plus rapide de faire passer les marchandises entre l’Asie et l’Europe du Nord en passant par la route Nord – Est, alors certains marchands vont choisir de réallouer leur activités vers les zones portuaires du Nord de l’Europe, comme Rotterdam. Les ports situés dans le Nord vont donc gagner en accessibilité : selon l’analyse du CEPII de 2018, le Japon, la Chine, La Corée du Sud ou encore le Royaume – Uni, la Norvège et l’Allemagne pourront voir augmenter leurs exportations entre 0,04% et 1,11%, en prenant en compte la route empruntée et l’élasticité du commerce.

En plus de ces nouvelles routes maritimes, le territoire polaire est source de richesses. On y retrouve notamment du pétrole et du gaz, ressources naturelles qui restent encore aujourd’hui difficiles à évaluer. Selon les estimations d’IFP Energies Nouvelles, ce territoire posséderait entre 13% et 30% des réserves mondiales.

Il ne faut pas oublier que l’ensemble de ces avantages sont à mettre en parallèle avec le coût d’exploitation de ces nouvelles routes. Les investissements, les équipements pour naviguer dans ce territoire, le coût des assurances, le droit de passage, … sont autant d’éléments coûteux à prendre en compte dans les calculs pour les entreprises. Ces avantages sont encore aujourd’hui incertains.

Un territoire fragile source de conflits naissants

Même si les impacts peuvent être positifs pour certains, les pays proches du Tropique du Cancer comme c’est le cas pour les Caraïbes, l’océan Indien ou la Méditerranée vont être désavantagés. Ces régions bénéficient du commerce de par leur proximité avec les marchés européens et américains or si prochainement le commerce passe par les routes polaires, l’avantage de ses zones sera amoindri. Selon une étude réalisée par le CEPII en 2018, la Jamaïque serait le pays qui souffrira le plus avec une baisse de son commerce de 0,02% à 0,21%. Malgré tout, ces NRP auront un faible impact sur le commerce mondial, notamment au regard des dommages environnementaux que cela implique. Aussi, le coût de navigation sera plus élevé que par les voies traditionnelles : même avec la fonte des glaces, les icebergs seront toujours fréquents en Arctique ; le ravitaillement ou le sauvetage des navires en périls seront plus coûteux vu que la zone est plus difficile d’accès.

De plus, encore aujourd’hui, l’Arctique n’est protégé par aucun traité international, entrainant des tensions géopolitiques. C’est ce que développe Pierre Michel, conseiller scientifique à l’ambassade de France à Washington, qui explique que “Ça crée aussi des contentieux puisqu’aujourd’hui le Canada revendique la souveraineté sur toutes les îles au nord du Canada, mais cette revendication du Canada est remise en cause par les Américains qui veulent que justement ça devienne une route commerciale ouverte à tous. Donc tout ça n’est pas du tout réglé à ce jour. Ce qui se passe en Arctique a des influence sur le monde entier, donc je ne pense pas qu’on va en arriver à une zone de non-droit où tout et n’importe quoi se passera.” Or le Canada n’est pas le seul à avoir des vues sur cette région du globe.

La Russie commence à déployer ses militaires, environ 6 000 hommes, dans son cercle Arctique pour protéger ces nouvelles ressources. Dans cette optique, la Russie a débuté la construction de brises – glace nucléaires, pour favoriser le commerce par la route Nord – Est et ce le plus tôt possible et peu importe la saison. Aussi, le pays lorgne sur les eaux proches de ses côtes. Comme on peut le remarquer dans la carte ci – contre, la Russie, comme tout autre pays, est en droit de revendiquer sa souveraineté, en vertu de la Convention de l’ONU, sur ce que l’on appelle les zones économiques exclusives et les eaux territoriales. Or ce n’est pas le seul pays à vouloir prendre dès aujourd’hui des mesures concernant ces nouvelles zones. Les Etats – Unis sous la présidence de Barack Obama, se sont positionné sur la protection de cette zone, à l’inverse de la Russie. L’ancien président a décrété l’interdiction permanente de forages dans les régions polaires sous souveraineté américaine comme c’est le cas de l’Alaska, de la mer de Beaufort ou des Tchoukes.

De plus, l’exploitation des ressources naturelles posent de véritables problèmes écologiques. Selon les chercheurs de l’université de Laval au Québec, « la question de l’extraction en Arctique soulève le risque de marées noires, dans un environnement dont la vulnérabilité face à un déversement de ce type est élevé ». Dans ce sens, le Conseil de l’Arctique pointe du doigt le fait qu’aucun pays n’est capable, avec ses moyens actuels, de réagir efficacement et rapidement en cas de marée noire dans cette zone.

 

Pour conclure, et au travers de ce que cet article a pu mettre en évidence, ces nouvelles routes polaires, même si elles sont sources d’avantages pour certaines régions et certaines entreprises, n’augmenteront que de peu le commerce mondial : entre 0,04% et 0,32%, au profit des zones telles que le nord de l’Europe et de l’Asie, et au dépit de la zone proche du tropique du Cancer. De plus, l’utilisation des ressources locales comme le gaz ou le pétrole accentuera encore plus le réchauffement climatique. A noter également que ces eaux et les ressources naturelles présentes en ces lieux sont sources de conflits entre certains Etats comme la Russie, le Canada et encore les Etats – Unis qui vont chercher à revendiquer leur souveraineté sur les eaux territoriales et sur les zones économiques exclusives. Même si l’exploitation économique de cette zone engendre des bénéfices, ils resteront minimes face à la perte et à la destruction massive de l’environnement et de l’écosystème de l’Arctique. Une exploitation économique oui, mais à quel prix environnemental.

Par Clarisse Bouet, promotion 2019-2020 du M2 IESCI

Sources

Admin M2 IESC