Economie Brésilienne 2011 – 2015 : Des avantages comparatifs à bout de souffle

Le Brésil, plus grand pays d’Amérique du Sud (environ 8 500 000 km²), est souvent considéré par sa taille comme un « pays-continent » de par sa superficie (la moitié du territoire de l’Amérique du Sud) et l’ensemble des ressources naturelles qu’il abrite. Ce pays, comme de nombreux autres d’Amérique Latine, a connu d’énormes changements politiques au cours de son histoire, allant d’une période d’esclavage à une ouverture internationale et le développement d’Etats démocratiques, tout en passant par une période de dictature militaire sévère (fin 1963 – 1980).

Sur le plan économique, la construction de ces Etats, et en particulier du Brésil a donc connu un ensemble de politiques de développement économique relativement variées.

L’objectif de cet article est de revenir sur la récente période allant de 2011 à 2015, durant laquelle le Brésil a connu une perte de croissance l’amenant jusqu’à une récession avec -1,5% en terme de prévision de croissance[1]. Nous nous attacherons donc aux causes de ce ralentissement de la croissance, en observant d’une part la structure des avantages comparatifs de l’économie brésilienne et la structure de ses exportations, d’autres parts en analysant les éléments conjoncturels du commerce et de l’environnement international qui ont poussé à la perte de croissance et à l’entrée en récession.

Dans une première partie, nous montrerons que le Brésil s’est spécialisé depuis plusieurs décennies dans la production de biens du secteur primaire (1), puis nous montrerons qu’il s’est créé une dépendance à l’environnement économique international qui le place dans une position délicate.

1. Une spécialisation selon les avantages comparatifs dans le secteur primaire …

Les matières premières ont une place de première importance dans les exportations du Brésil (voir graphique ci-dessous). Or, entre 2011 et 2015, le prix des matières premières et de l’énergie a chuté, ce qui a induit des répercussions variées sur les pays d’Amérique Latine en fonction de leurs importations/exportations et de leurs structures de production (et spécialisation). Dans le cas du Brésil, cette chute l’a impacté négativement avec des pertes présentes dans le secteur primaire.

Comme nous pouvons le constater sur le graphique 1, le Brésil a engagé un développement de sa production du secteur primaire à partir des années 1980. Les courbes de celui-ci proviennent des calculs de l’indice de spécialisation opéré par le CEPII. Ce développement est caractéristique de nombreux pays d’Amériques Latines qui se sont insérés dans l’économie mondialisée par le biais de la spécialisation dans les avantages comparatifs (Bolivie, Colombie, Argentine, Venezuela, …) et qui peinent à sortir des cercles vicieux que ce type de spécialisation peut entrainer.

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Le Brésil s’est donc spécialisé dans la production de bien primaires, et particulièrement dans la production de biens alimentaires et de minerais (Tableaux 1 & 2). On remarquera en termes d’évolution, une augmentation prononcée des avantages comparatifs dans la production de minerais de fer, suivi d’une augmentation de l’ensemble des autres avantages sur la période 2003 – 2013. Cela signifie que relativement aux autres productions nationales, et aux productions de ces mêmes biens dans d’autres pays, le Brésil creuse l’écart en termes de productivité.

2015-11-18_14182. … qui mène à une dépendance des gains à l’exportation vis-à-vis des cours mondiaux.

La spécialisation dans le secteur primaire, à défaut d’une spécialisation plus ancrée dans les biens manufacturés, rend les revenus du Brésil relativement sensibles aux variations des prix internationaux des ressources sur ces marchés. Au contraire par exemple d’une spécialisation plus prononcée dans des biens manufacturés dans les pays des Caraïbes, pour lesquels la baisse des cours internationaux de matières premières est avantageuse puisqu’ils importent des produits de base pour exporter des produits manufacturés.

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Le graphique 2 présente une baisse continue depuis 2011 de l’indice des prix des produits de base à l’exportation pour les pays d’Amérique Latine et des Caraïbes (Source CEPAL). Cette baisse, relativement violente pour les produits énergétiques – de l’indice 140 durant l’année 2011 à l’indice 80 en mai 2015 – (cause en particulier des grandes difficultés rencontrées ces dernières années par des pays comme le Venezuela), reste presque aussi importante (quoique moins brutale) dans les produits alimentaires et agricoles. On notera plus particulièrement que la production de minerais et de métaux a vu son indice des prix chuter alors même que sur cette période l’indice de spécialisation du Brésil dans la production de minerais de fer a été le plus important. Cette variation des prix, que l’on retrouve plus détaillée dans le tableau 2, impact nécessairement de manière négative le solde des exportations brésiliennes, et donc le solde de sa balance courante.

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Enfin, il est à noter que la baisse des prix des matières premières est à coupler à une diminution des exportations en volume due à la diminution de la croissance chinoise. En effet, la Chine étant le plus gros importateur de produits brésiliens[3] (graphique 3), le passage d’un taux de croissance du PIB de 10,6% en 2010 à une estimation de 6,8% pour 2015 implique une baisse des volumes d’importation des produits brésiliens (voir tableau 4 ci-dessous). Considérant le poids de la Chine dans le commerce mondial, la conjoncture de son économie est en effet un élément fondamental de l’état de santé de l’économie du Brésil[4].

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En ce qui concerne l’analyse de l’évolution du Brésil dans les échanges internationaux, nous nous limiterons à l’analyse des répercutions de la baisse des revenus due aux exportations. Leur secteur exportateur dominant étant le secteur primaire, la baisse de leur taux de change réel n’impact que très peu les volumes exportés (faible élasticité-revenu à l’exportation, les gens ne peuvent pas manger plus qu’il ne leur est physiquement possible). Pour autant, l’impact du taux de change amène à une dégradation des termes de l’échange, rendant les importations plus coûteuses, accélérant par la même occasion les difficultés économiques du pays.

La déstabilisation du Brésil qu’engendre la perte de gains à l’exportation est importante à comprendre : la faible vente sur les marchés internationaux défavorise les termes de l’échanges rendant déficitaire le pays et posant des difficultés de plus en plus importantes pour le remboursement de sa dette. En d’autres termes, couplées à une inflation telle qu’elle est présente au Brésil, les dettes contractées en dollars peuvent rapidement devenir insoutenables et créer une crise de grande ampleur après plus d’une décennie de croissance.

En conclusion, le gouvernement de Dilma Roussef affronte aujourd’hui une crise qui présente d’importants dangers pour l’économie Brésilienne mais aussi pour l’ensemble des économies sud-américaines (l’Argentine est un grand partenaire commercial du Brésil à travers le MERCOSUL, et les autres économies sont relativement liées de par la proximité géographique avec le géant du continent). A l’heure où l’on observe un retournement dans des politiques jusqu’ici plutôt progressistes, avec des coupes budgétaires dans les budgets des services publics, une augmentation des taux d’intérêt pour éviter les fuites d’investissement, … Nous devons bien évidemment nous demander si ces solutions sont adaptées au contexte ? Ce sera donc l’objet d’un prochain article.

Par Jérémy Quilleré, étudiante promotion 2015-2016 du M2 IESC

Bibliographie

ECONOMIA BRASILEIRA, DA COLONIA AO GOVERNO LULA, Coordenador : Marcos Cordeiro Pires, 2010, Editora Saraiva, Sao Paulo.

ESTUDIO ECONOMICO DE AMERICA LATINA Y EL CARIBE, Naciones Unidas, CEPAL, 2015, Santiago de Chile.

Webographie:

« A l’encontre » Débats. Economie et politique de «fins de cycle» en Amérique latine ». Consulté le 20 octobre 2015. http://alencontre.org/ameriques/amelat/debats-economie-et-politique-de-fins-de-cycle-en-amerique-latine.html.

Caribe, Comisión Económica para América Latina y el. « Comisión Económica para América Latina y el Caribe ». Text. Consulté le 20 octobre 2015. http://www.cepal.org/es.

« El comercio regional ante una encrucijada: diversificación e integración en un contexto global de bajo crecimiento ». Text, 20 octobre 2015. http://www.cepal.org/es/comunicados/comercio-regional-encrucijada-diversificacion-integracion-un-contexto-global-crecimiento.

« CEPII – Les Profils Pays du CEPII : indicateurs, bases et nomenclatures ». Consulté le 20 octobre 2015. http://www.cepii.fr/CEPII/fr/publications/panorama/abstract.asp?NoDoc=7685.

Guélaud, Claire. « Le Brésil peine à sortir de sa panne de croissance ». Le Monde.fr, 29 janvier 2015, sect. Économie. http://www.lemonde.fr/economie/article/2015/01/29/le-bresil-peine-a-sortir-de-sa-panne-de-croissance_4566400_3234.html.

« IMF — International Monetary Fund Home Page ». Consulté le 20 octobre 2015. http://www.imf.org/external/index.htm.

« L’économie brésilienne décline, plombée par la récession et une inflation record ». Consulté le 21 octobre 2015. http://www.boursorama.com/actualites/l-economie-bresilienne-decline-plombee-par-la-recession-et-une-inflation-record-4e6f1c8bccac146667c388eacc12e850.

« L’économie brésilienne s’enfonce dans la récession ». lesechos.fr. Consulté le 21 octobre 2015. http://www.lesechos.fr/monde/ameriques/021290435112-leconomie-bresilienne-senfonce-dans-la-recession-1148889.php#Xtor=AD-6000.

« Nouveau coup pour le Brésil, déjà en pleine crise politique et économique ». Libération.fr. Consulté le 20 octobre 2015. http://www.liberation.fr/futurs/2015/10/15/fitch-abaisse-la-note-de-la-dette-souveraine-du-bresil-de-bbb-a-bbb-_1404878.

[1] Source : CEPAL

[2] La spécialisation internationale des économies est mesurée à l’aide de l’indicateur de contribution au solde mis au point par le CEPII. Cet indicateur calcule pour chaque pays ses avantages comparatifs révélés (ACR) par le commerce international. Il appréhende les points forts et faibles du pays en considérant à la fois ses exportations et ses importations, indépendamment de l’impact de la situation macroéconomique du pays sur son solde commercial. Pour plus de détails, formule disponible dans les notes méthodologiques du CEPII.

[3] Selon base CHELEM du CEPII, voir volume des exportations.

[4] On parlera dans ce cas des interdépendances des économies (Béraud, 1999 ; Krugman et Obstfeld, 2001)

Admin M2 IESC