En 2016, d’après une étude d’ONG tech report, on estimait déjà le nombre d’ONG à plus de 10 millions. Au Canada, 84% de la population donne à des organisations non-gouvernementales par don individuel pour environ 446 dollars par an. Au total, on pouvait compter 10,6 milliards de dollars versés à des ONG chaque année par les canadiens. Si les ONG étaient un pays, elles auraient la 5ème plus grande économie au monde. Leur poids économique semble indéniable mais qu’en est-il de leur impact socio-économique ? D’un avis général, l’impact de l’aide publique et des acteurs de l’humanitaire n’est pas assez significatif comparé aux montants collectés pour leur action. Fort de ce constat, on assiste à une prise de conscience massive des différents acteurs, cela a mené à la conception d’un nouveau mode de fonctionnement des organisations humanitaires. Cet ensemble méthodologique vise à établir des actions plus flexibles et pratiques qui aboutiront à des résultats plus pertinents. Le mouvement, appelé « Do Development Differently » (pratiquer le développement autrement) est né de la volonté et de l’association de grandes OING (organisation internationale non gouvernementale) et d’institutions internationales telles que la Banque Mondiale ou le FMI (Fonds Monétaire International).
La naissance du mouvement
« La force du don humanitaire ne demeure pas que dans le montant, mais bien dans le bon emploi du montant. ». La question de l’efficacité des aides publiques et de l’action des ONG a toujours été au cœur des débats dans l’humanitaire et l’économie du développement. En août 2014, quelques cadres influents ont décidé lors d’un meeting d’organiser un atelier sur les questions de développement. Celui-ci sera tenu en octobre 2014. Des témoignages et contributions des différents acteurs sont ressortis les réels problèmes auquels font face les organisations non gouvernementales. En s’inspirant des programmes qui ont eu le plus d’impact, les participants ont rédigé un manifeste destiné à l’ensemble des secteurs concernés par les problématiques d’aide au développement.
De leur étude ressort 3 axes fondamentaux de changement qui mèneraient aussi bien sur le court terme que le long terme à un impact significatif des actions en matière de développement. Ces 3 ingrédients sont :
- Travailler en fonction des problèmes locaux tout en étant informé du paysage politique en place
- Etre entreprenant et plus adaptatif
- Soutenir le changement qui reflète les réalités locales et dans l’intérêt uniquement local
La nouvelle méthodologie proposée par le mouvement DDD
L’une des principales causes d’échec des actions des INGOs est le manque de considération des réels problèmes auxquels font face les populations dans leur zone d’intervention. En effet, cela peut sembler évident mais c’est rarement la norme. La solution serait une approche qui identifierait les problèmes et serait pertinente dans son évaluation des remèdes possibles. Cela permettrait de s’éloigner des stratégies prêtes à l’emploi utilisées à tort et qui ne sont pas adaptées aux variations socio-économiques d’une zone. Trop souvent, le diagnostic révèle un sérieux défi sous-jacent à un problème humanitaire souvent lié au caractère de la politique locale. Par exemple, une étude de rupture de stock de médicaments au Malawi et en Tanzanie et des ressources pour la santé au Népal révèlent comment le pouvoir, les incitations et les institutions mènent à des lacunes chroniques dans l’offre. Il est difficile d’identifier des solutions réalisables à de tels problèmes, et ceux qui tentent de le faire se concentrent souvent sur les mauvais problèmes. Faire les choses différemment signifie comprendre ce qui est politiquement faisable et découvrir des moyens intelligents pour avancer sur des problèmes spécifiques.
Une approche « politically smart » des projets de développement
Aider n’est pas une chose simple. Pour ce faire il faut l’agencement de plusieurs facteurs ; le financement, la volonté de tous les protagonistes à réussir la mission, la conduite du projet et le suivi entre autres. De ce fait, un programme ou un projet ne saurait réussir sans que l’environnement cible ne soit correctement préparé et que tous les facteurs soient réunis.
Ainsi, faire le développement différemment implique une préparation préalable et une prise en compte globale d’un environnement. Les diverses études ayant montré qu’une grande partie de la réussite des missions dépend des institutions publiques locales, il faudrait améliorer le processus opérationnel des projets d’aide afin de rallier toutes les parties prenantes avant l’initiation effective. Par exemple, dans le cas des programmes de développement urbain, une étude réalisée par le cabinet Palladium montre les inconvénients de l’approche traditionnelle de l’aide au développement urbain et propose une nouvelle approche plus dynamique et pertinente. En effet, l’approche traditionnelle est trop rigide et technocrate, elle se base sur des institutions au niveau local qui sont fragmentées, ou dont la capacité de mise en œuvre et d’application est limitée par des pratiques informelles. De ce fait, Les processus de planification ont une faible crédibilité, et la consultation est symbolique, évitant les représentants élus, ce qui conduit à des résultats moindres de ces programmes. Le soutien des bailleurs de fonds contribue à cette mauvaise situation en créant des incitations perverses avec de grandes quantités d’«argent gratuit» fournies du haut vers le bas.
Palladium propose une nouvelle approche proactive déjà mise en pratique au Népal et au Nigéria qui consiste à supporter l’émergence d’un leadership local et la capacité de coordination. Ainsi, l’identification, la planification et la gestion des initiatives est pilotée par les acteurs locaux, avec leurs propres budgets. Ils doivent être prêts à investir leurs propres ressources ou en mesure de persuader les autres de le faire. C’est en quelque sorte soutenir l’émergence de la collaboration et des coalitions qui peuvent conduire le développement local. Faire cela aide à trouver des leaders avec suffisamment de volonté et de coordonner le pouvoir, et identifier les problèmes qui peuvent mobiliser une population suffisante dans différentes circonscriptions. C’est un processus beaucoup plus long et complexe que l’approche traditionnelle mais il a le mérite d’avoir beaucoup plus d’impact sur le moyen et long terme. Le processus est basé sur les grandes dynamiques de « faire le développement différemment ».
Un exemple de l’utilisation de cette stratégie est donné par le Département du Développement International (DFID) du gouvernement britannique à travers son programme State Accountability and Voice Initiative (SAVI) au Nigéria. L’objectif global consistait à améliorer l’engagement des médias dans la politique en jouant leur rôle de représentant des intérêts citoyens et en aidant les gouvernants à être plus réactifs et responsable envers les citoyens. Le programme doit sa réussite à son approche progressive et son partenariat avec les médias locaux existants. Le programme a ainsi identifié et s’est appuyé sur l’élan déjà existant des médias locaux, aider les médias à prendre conscience de leur rôle constitutionnel, les laisser diriger eux même certains aspects du programme et conclure des engagements aussi bien formels qu’informels.
Une approche étape par étape et proactive
Un certain nombre de programmes de développement échouent parce qu’ayant identifié un problème, ils n’ont pas de méthode pour générer une solution viable. Car les problèmes de développement sont généralement complexes et les processus de changement sont très incertains, il est essentiel d’engager des cycles pour faire, échouer, adapter, apprendre et (éventuellement) obtenir de meilleurs résultats. Cela nécessite des boucles d’actions solides qui testent les hypothèses initiales et permettent des changements à la lumière du résultat de ces tests. Quelques-unes des plus grandes réussites internationales en développement comme la politique industrielle sud-coréenne sont le résultat d’une volonté de prendre des risques et d’apprendre de l’échec. Alors que l’incertitude et l’imprévisibilité signifie que nous devrions prendre un certain nombre de « petits paris » et l’apprentissage par la pratique, l’approche traditionnelle fait exactement le contraire. En effet, des plans ambitieux et complets sont produits, fixant les détails d’une intervention à l’avance afin d’obtenir des prêts importants alors qu’intervenir dans certains des écosystèmes les plus complexes de la planète et sur les dynamiques humaines ne saurait être fait sans une flexibilité suffisante. Avec l’approche traditionnelle, les contraintes imprévues ne peuvent être surmontées, et des opportunités inattendues sont manquées.
L’apprentissage via la pratique étape par étape
En faisant toutes les analyses avant l’engagement local, on se retrouve toujours avec quelque chose qui semble idéal sur le papier, mais qui est en réalité impossible dans la pratique. L’analyse des priorités économiques devri donc se poursuivre à mesure que le programme avance. Ainsi, il faut chercher des problèmes communs qui nuisent à la croissance des affaires, et qui touchent la vie des résidents locaux, afin de travailler sur un certain nombre de petits projets à impact immédiat avec les acteurs locaux. Ceci aura des effets bénéfiques et contribuera à la réussite finale du programme. Certaines des initiatives réussiront et d’autres échoueront et c’est dans la pratique que l’on tirera des leçons importantes sur la façon de promouvoir l’action dans des endroits différents. Ce processus permet de faire de nombreux petits paris qui, en cas d’échec, ne nuiront pas fondamentalement au programme global, tout en assurant plus tard de plus gros paris sur la base de la faisabilité démontrée. Dans une culture où les désaccords directs sont rares, ce n’est souvent que lorsque les actions sont déjà menées que l’on comprend où se trouvent l’intérêt réel et la propriété des choses. De plus, s’il existait au préalable des initiatives locales réussies, celles-ci peuvent également créer de nouveaux modèles qui peuvent être repris ailleurs.
« L’adaptive management »
L’adaptive management est un concept utilisé originellement pour le management scientifique, celui-ci a ensuite été utilisé dans le management des ressources naturelles et écosystèmes. Récemment, la terminologie est utilisée dans les programmes internationaux d’aide au développement. C’est le résultat de la reconnaissance de la nature « vicieuse » de nombreux défis de développement et les limites des processus de planification traditionnels. L’un des principaux changements auxquels sont confrontées les organisations internationales de développement est la nécessité d’être plus flexibles, adaptables et axées sur l’apprentissage. Un exemple récent de l’utilisation de l’adaptive management par les bailleurs de fonds internationaux est le programme planifié d’apprentissage global pour l’adaptative management (GLAM) pour soutenir cette dernière dans le DFID et l’USAID. Le programme établit un centre d’apprentissage sur l’adaptive management pour soutenir l’utilisation et l’accessibilité de celle-ci. En outre, les donateurs se sont attachés à modifier leurs propres directives programmatiques pour refléter l’importance de l’apprentissage au sein des programmes : par exemple, l’orientation récente de l’USAID dans leurs directives ADS (forme de règlement intérieur) sur l’importance de la collaboration, de l’apprentissage et de l’adaptation. Le DFID a aussi vulgarisé les « Smart Rules » qui fournissent le cadre de fonctionnement de leurs programmes, y compris l’utilisation de preuves pour informer leurs décisions. Il existe une variété d’outils utilisés pour opérationnaliser l’adaptive management dans les programmes. Pour le moment le 1er défi est l’incorporation de ces nouvelles méthodologies à l’ensemble de l’organigramme des OING et grandes institutions internationales.
Collaborer, apprendre et adapter (CLA) est un concept lié à l’opérationnalisation de l’adaptive management dans le développement international qui décrit une manière spécifique de concevoir, mettre en œuvre, adapter et évaluer les programmes. CLA implique trois concepts :
- Collaborer intentionnellement avec les parties prenantes pour partager les connaissances et réduire la duplication des efforts,
- Apprendre de façon systématique en s’appuyant sur des données provenant de diverses sources et en prenant le temps de réfléchir à la mise en œuvre, et
- Adapter stratégiquement en fonction de l’apprentissage appliqué.
Les pratiques du CLA ont montré des résultats tangibles ; par exemple, une étude de l’université de Bristol a récemment constaté que les entreprises «qui appliquent davantage de pratiques de leadership axées sur les données et adaptatives fonctionnent mieux» lorsqu’elles sont examinées par rapport à celles qui se concentrent moins sur ces pratiques.
De plus, il existe des preuves des avantages de la collaboration interne au sein d’une organisation et à l’extérieur avec les organisations. Une grande partie de la production et de la transmission des connaissances se produit par la collaboration. L’importance de la collaboration entre les individus et les groupes est aussi indéniable pour l’innovation, la production de connaissances et sa diffusion. L’importance de la collaboration est étroitement liée à la capacité des organisations à apprendre collectivement les unes des autres, un concept noté dans la littérature sur les organisations apprenantes, raison pour laquelle il est intégré dans les objectifs clés du « Doing Development Differently ».
En effet, en améliorant les interactions entre les différents acteurs du développement, on serait plus à même de déterminer les méthodes et les programmes qui ont le plus d’impact. L’adaptive management est ainsi basé sur l’apprentissage, la collaboration et la répétition de ce qui marche. Il est au cœur de la participation à la création de nouvelles routines organisationnelles au sein des organisations de développement.
« Faire le développement différemment » un mouvement qui gagne en ampleur
Le mouvement lancé par quelques acteurs à ses débuts en 2014 gagne de plus en plus en ampleur et pourrait bientôt être utilisé dans toutes les grandes organisations internationales pour le développement. Le manifeste du Doing Development Differently compte aujourd’hui plus de 400 signatures de représentants de 60 pays. Les concepts mis en œuvre deviennent la règle à respecter au sein des organisations. Cependant, ces réformes posent la question délicate du financement dans la mesure où pour l’obtenir il faut présenter un projet rigide qui ne colle pas avec la flexibilité et les techniques du DDD. Dès lors, la prochaine étape des réformes concerne les modalités de l’octroi des financements des grandes organisations de développement.
Par BA Abdoul, promotion 2017-2018 du Master 2 IESCI
Sources
http://foreignpolicy.com/2014/11/25/its-time-to-rethink-how-we-do-development/
http://doingdevelopmentdifferently.com
https://www.odi.org/sites/odi.org.uk/files/odi-assets/events-documents/5149.pdf
http://savi-nigeria.org/wp-content/uploads/2015/12/SAVI_ApproachPaper8_2015_FINAL.pdf
https://www.odi.org/sites/odi.org.uk/files/odi-assets/publications-opinion-files/9168.pdf
https://www.rescue.org/sites/default/files/document/688/adaptmyanmarcasestudy.pdf
https://www.odi.org/sites/odi.org.uk/files/resource-documents/10867.pdf
http://ifp-fip.org/fr/english-25-facts-and-stats-about-ngos-worldwide/
https://www.odi.org/sites/odi.org.uk/files/odi-assets/publications-opinion-files/6811.pdf
https://www.odi.org/sites/odi.org.uk/files/odi-assets/publications-opinion-files/9203.pdf
https://www.odi.org/sites/odi.org.uk/files/odi-assets/publications-opinion-files/9437.pdf
https://www.wvi.org/sites/default/files/How%20INGOs%20are%20DDD.pdf
https://www.usaid.gov/sites/default/files/documents/1870/201.pdf
http://eprints.uwe.ac.uk/27723/
Matt ANDREWS/Lant PRITCHETT/Michael WOOLCOCK. Building state capability, evidence, analysis, action. Oxford University press, 2017. 257 pages. ISBN : 978–0–19–880718–6