La nouvelle plateforme de streaming du géant du divertissement Disney est incontestablement un tournant majeur pour l’entreprise. Disney + a été lancé le 7 avril 2020 en France avec un contenu de plus de 1000 films et séries pour toute la famille. L’abonnement mensuel s’élève à 6,99€/mois et les utilisateurs pourront y retrouver leurs films Disney préférés, ainsi que l’offre proposée par les studios rachetés par le groupe Disney comme Pixar, Marvel, ou encore LucasFilm. Les acteurs présents sur le marché des plateformes de streaming comme Netflix, Amazon Prime, ou encore OCS craignent l’arrivée de ce mastodonte sur leurs plates-bandes. Nous chercherons donc à comprendre comment Disney + s’inscrit dans la stratégie de Disney et de son ambition à conserver son leadership sur le marché du divertissement. Mais aussi quels sont les enjeux pour le marché de l’audiovisuel face au déploiement des plateformes de streaming.
La créativité au cœur de la vision stratégique de Walt Disney
L’entreprise Disney, spécialisée dans le divertissement, est un acteur incontournable de ce secteur. Ses dessins animés ont bercé l’enfance de nombreuses personnes partout dans le monde et sont même devenus une référence intergénérationnelle. Depuis plusieurs décennies, ils sont au cœur du business model de l’entreprise qui a su diversifier ses activités en créant des parcs d’attraction et autres produits dérivés autour de ses personnages cultes. L’entreprise a vu le jour en 1923 et n’a aujourd’hui pas pris une ride. Son créateur Walt Disney voit dans le divertissement familial un marché prospère et durable qui touche de nombreux foyers. En 1957, il dessine le business model de son entreprise qui, même après sa mort en 1966, sera toujours utilisé dans les choix stratégiques de Disney.
Walt Disney met au centre des activités de son entreprise ses studios créatifs dont sont issus les nombreux personnages et dessins animés qu’il inventait. Il a vu très tôt que ces derniers représentaient un important filon à exploiter car ils étaient déclinables sous toutes les formes (à la télévision, dans les journaux, mais aussi dans son parc d’attraction Disneyland). Le fondateur de Disney montre à travers son business model une véritable capacité d’anticipation. Avant même d’avoir imaginé son prochain héro vedette, Walt Disney sait déjà de quelle manière il pourra être décliné. Il intègre de nombreux supports autour de ses studios créatifs tels que les films, le merchandising, les magazines, etc. La combinaison de ces différentes activités permet de rendre la création de valeur exponentielle. Cette stratégie se reflète aujourd’hui encore dans la vision de l’entreprise Disney : « The mission of The Walt Disney Company is to be one of the world’s leading producers and providers of entertainment and information. Using our portfolio of brands to differentiate our content, services and consumer products, we seek to develop the most creative, innovative and profitable entertainment experiences and related products in the world ». Walt Disney a su se différencier de ses concurrents grâce à sa créativité qu’il a mise au cœur de son business model et même si aujourd’hui ce savoir-faire reste le point central de la stratégie de l’entreprise, cela n’a pas toujours été le cas dans le passé…
En 1966, les affaires de Disney dégringolent suite à la mort de son fondateur. Ce dernier incarnait son entreprise et certains investisseurs se détournent alors du groupe pensant que Disney ne peut perdurer sans le génie créatif de son fondateur. L’entreprise manque alors de moyens financiers et petit à petit s’éloigne de l’animation qui est pourtant son cœur de métier et principal avantage concurrentiel. Le groupe craint alors une OPA qui pourrait mener de façon définitive son activité à la perte en démantelant l’entreprise. Le comité exécutif décide alors d’engager un nouveau directeur. Michael Eisner prend les rênes de l’entreprise en 1984, il refonde la stratégie du groupe sur les fondamentaux en investissant dans les studios créatifs qui donneront lieu à des dessins animés à succès. Il multiplie par 9 la valeur boursière de l’entreprise en 10 ans.
En 2005, l’histoire se répète, Disney manque le coche du digital. Et même si une technologie telle que celle-là ne pouvait pas figurer sur le business model de Walt Disney, il va pourtant aider Robert Iger à trouver la stratégie optimale. Ce dernier va racheter les studios Pixar en 2006, puis ceux de Marvel en 2009 et enfin, le studios Lucasfilm en 2011. L’objectif étant toujours le même que celui de Walt Disney : développer ses studios créatifs en y intégrant le savoir-faire des entreprises pionnières en matière de digital.
Disney +, un choix stratégique pour continuer de prospérer
Aujourd’hui, la croissance de l’empire Disney est exponentielle. En 2019, la valeur totale de ses ventes nettes s’élevait à 69 570 millions de dollars et les prévisions pour les années à venir sont très optimistes (voir graphique ci-dessous).
La bonne santé de l’entreprise repose notamment sur ses parcs d’attraction qui ont enregistré une hausse des dépenses des visiteurs à hauteur de 13% supplémentaires en seulement un an. Pourtant, en 2017-2018, Disney connaissait des difficultés majeures… Son chiffre d’affaires diminue sur deux trimestres consécutifs. Sa chaîne de télévision sportive ESPN voit son nombre de téléspectateurs diminuer drastiquement depuis plusieurs années ce qui fait fuir les publicitaires qui constatent eux aussi des recettes en déclin. Ses activités économiques liées au cinéma ne sont pas non plus à la hauteur des espoirs de Disney. L’entreprise possède une main mise sur de grands studios à succès (Marvel, Pixar, Lucasfilm), mais malgré cela ses recettes baissent de 0,63%. Cela peut notamment s’expliquer par un engouement des consommateurs pour les services de vidéo à la demande comme Netflix, Amazon Prime ou encore OCS qui prennent de plus en plus de place sur le marché du divertissement. En 2018, la valeur boursière de Netflix passe au-dessus de celle de Disney en atteignant 136 milliards de dollars. L’entreprise voit alors qu’après l’avènement du digital c’est un nouveau cap qu’elle doit prendre, celui des plateformes de streaming.
Elle annonce tout d’abord le 6 février 2018 la création d’un service de streaming payant nommé ESPN Plus dédié à sa chaîne sportive et le 12 novembre 2019 c’est Disney+ qui voit le jour aux Etats-Unis. Disney montre là encore une capacité d’adaptation s’inspirant du business model de Walt Disney. A travers cette nouvelle stratégie ses studios créatifs sont toujours la matière brute que l’entreprise cherche à valoriser par le biais des moyens de diffusion actuels. Le groupe investit alors plusieurs milliards de dollars dans les technologies permettant la création de ses plateformes et rachète pour 66,1 milliards de dollars la 21st Century Fox afin de diversifier les contenus qu’il pourra proposer. Cette décision est payante et séduit les investisseurs, la valeur boursière de Disney est aujourd’hui à plus de 247 milliards de dollars, loin devant celle de Netflix. En lançant ses plateformes de streaming l’entreprise s’affranchit des distributeurs de contenus, les consommateurs n’ont plus besoin d’un câblo-opérateur pour accéder au contenu des chaînes du groupe Disney.
La télévision fortement impactée par ces plateformes de streaming
Les Etats-Unis sont aujourd’hui les leaders incontestés des plateformes de streaming. D’après Brahm Eiley, président du Convergence Reasearch Group, « 90 millions de foyers américains sont abonnés à au moins un service de streaming payant, contre 85 millions d’abonnements à la télévision ». Ces plateformes sont des concurrents directs du marché de l’audiovisuel et les chaînes de télévision craignent leur arrivée depuis de nombreuses années. En France, une dizaine de plateformes de streaming vidéo sont comptabilisées début de l’année 2020 et leur accroissement est exponentiel pour les années à venir… Les chaînes de télévision n’ont pas le choix et doivent s’adapter : TF1, France Télévisions et M6 lancent Salto où les téléspectateurs pourront retrouver les émissions des chaînes en replay ainsi que des séries du groupe. Mais la concurrence reste tout de même rude, Netflix possède le leadership du marché français en ayant conquis plus de la moitié des utilisateurs de services de vidéos à la demande. En effet, ces plateformes possèdent des prix attractifs (11,99€/ mois pour Netflix ou encore 6,99€/ mois pour Disney +), certaines sont mêmes gratuites comme Twitch ou encore Youtube. Toutefois, si on compare ces prix avec ceux de la redevance TV à 138€/an, l’abonnement Netflix est à environ 144€/ an. La différence n’est que de 6€ et les consommateurs retrouvent largement leur compte dans l’offre beaucoup plus diversifiée que propose la plateforme.
Même si les chaînes de télévision proposent leurs plateformes de replay ou de streaming les contenus sont souvent limités et temporaires. Alors que les plateformes de streaming vidéo offrent une possibilité radicalement différente en proposant un catalogue figé qui sera mis à jour tous les mois et qui permet d’avoir un accès illimité aux contenus proposés. C’est ce qu’illustre le « binge viewing » lancé par Netflix en permettant à ses utilisateurs de regarder tous les épisodes de leurs séries préférées sans interruption. Créées sur des modèles de séries télévisées américaines, les plateformes proposent des contenus originaux avec un débit d’images et des dialogues courts pour captiver le téléspectateur. La clé de la réussite de ce phénomène provient de là, mais aussi des investissements massifs des plateformes dans la réalisation de leurs propres séries en démarchant des acteurs internationaux connus du grand public. Un manque de nouveauté se fait ressentir du côté de la télévision et malgré le lancement de leurs plateformes de streaming les utilisateurs craignent une redondance de ce qu’ils ont déjà l’habitude de voir sur leur écran à cause d’une absence de prise de risque de la part des chaînes de télévisions françaises.
Pour conclure, la stratégie Disney+ est la suite logique pour le développement du groupe Disney. Le business model dessiné par Walt Disney est un document de référence dans les choix de l’entreprise. Il permet avant tout au groupe de se diversifier dans de nombreuses activités sans perdre de vue la source de valeur primordiale de l’entreprise, à savoir ses studios créatifs. Walt Disney ne pouvait pas anticiper tous les changements que notre société connaît, notamment au niveau technologique, mais il avait compris que la créativité qui fait la magie de Disney devait rester l’atout majeur de son entreprise. Cependant, on remarquera aussi que depuis de nombreuses années l’entreprise n’agit que lorsqu’elle se retrouve au pied du mur. Que ce soit en 2005 lorsqu’elle passe au digital, ou plus récemment en proposant sa propre plateforme de streaming, Disney s’adapte à son environnement lorsque sa situation financière décline. Ce puissant groupe du divertissement peut compter sur son capital et opte pour une stratégie de rachat des entreprises fructueuses du marché du divertissement comme LucasFilm, Marvel ou encore Pixar. Mais l’entreprise manque aujourd’hui de proaction, elle suit la tendance et s’adapte à ses consommateurs sans chercher à créer elle-même la tendance de demain. Disney + tend toutefois à faire de l’ombre aux plateformes de streaming déjà existantes comme Netflix qui est quasiment deux fois plus cher que la nouvelle venue. Mais les plateformes de vidéos à la demande sont surtout un phénomène majeur de notre décennie et menacent fortement la légitimité de la télévision qui essaye tant bien que mal de suivre le mouvement…
Par Céline Métais, promotion 2019-2020 du M2 IESCI
Sources
- « Comprendre l’empire Disney en cinq points »; Par Joséphine Boone ; Publié le 10 août 2019
https://www.lefigaro.fr/medias/comprendre-l-empire-disney-en-cinq-points-20190810
- « Disney renoue avec la croissance et annonce de nouveaux épisodes Star Wars »; Le Point ; Publié le 07 février 2018
- « Analyse de croissance de The Walt Disney Company »
https://www.infrontanalytics.com/fe-FR/30041NU/The-Walt-Disney-Company/gprv-croissance
- « Stratégie : l’histoire Disney, ou comment la vision d’un fondateur transcende les âges et assure une croissance continue au groupe »; Par Matthieu Tranvan ; Publié le 9 juin 2013
- « La grande famille des plateformes de streaming vidéo »; Zone bourse ; Publié le 27 octobre 2019
- « La grande famille des plateformes de streaming vidéo »; Par Louis Tanca ; Publié le 1er novembre 2019
https://www.bfmtv.com/tech/apple-tv-netflix-ocs-quelle-plateforme-de-streaming-choisir-1797436.html