Dis-moi ce que tu manges et je te dirai qui tu es !

“La rhétorique correspond pour l’âme à ce qu’est la cuisine pour le corps”. C’est à travers ces quelques mots du philosophe Platon que la définition même de l’alimentation prend tout son sens. Depuis la nuit des temps, elle est notre principal centre de préoccupation : pour vivre, se développer, évoluer et s’enrichir. A la fois vitale et source de plaisir, elle a au fil du temps façonné les rapports entre les Hommes et les Hommes avec la nature. Autour d’elle, se sont édifiés des villes, des cités, des empires. Elle a construit la société que l’on connaît aujourd’hui. Son importance n’est pas à négliger car nos cultures, notre géopolitique, notre ordre social et notre diversité reposent sur son évolution. Les hommes ont petit à petit appris à modeler la nature à leur avantage. De nouveaux défis, au fur et à mesure des années, ont vu le jour : nourrir toujours plus de personnes, inciter les populations à s’étendre, conquérir de nouvelles terres, planter, cultiver et innover, que ce soit en termes de techniques ou de matériels. Mais alors, comment sommes-nous arrivés à notre société de consommation actuelle ? Quelle place, aujourd’hui, la nourriture a-t-elle prise dans nos vies ? Accordons-nous autant d’importance à la « bonne cuisine » ou bien est-ce un temps révolu ? A l’heure actuelle, de nombreuses questions se posent sur notre manière de consommer et d’utiliser nos ressources.

  • L’alimentation source d’évolution

Le commencement de tout

Cette évolution ne date pas d’hier. Dès la préhistoire[1], l’alimentation a été source d’évolution. La découverte du feu reste incontestablement une source de développement inouïe pour cet homme qui mange encore sa nourriture crue. Cette domestication et la possibilité de cuire ses aliments lui permettent de digérer plus facilement. Cette énergie gagnée lui donne alors le pouvoir de développer son cerveau et ses capacités. C’est aussi grâce à de nouvelles techniques de chasse et l’apprivoisement de certaines espèces comme les chiens et les chevaux que l’homme a pu conquérir de nouveaux territoires, faciliter ses déplacements et produire de nouvelles ressources. Toutefois, afin de répondre à ces défis, les hommes ont avant tout appris à domestiquer la nature et ont dû inévitablement s’intéresser aux sciences telles que : la météorologie, l’astrologie ou bien l’agronomie. Au fil des siècles, les humains, grâce à l’alimentation, on fait évoluer leurs corps et leurs esprits afin de construire peu à peu une société plus sophistiquée.

La place centrale du repas, le temps du partage et du repos

L’avènement de ces normes instaure alors de nouvelles hiérarchies et de nouveaux rituels entre les individus. Les repas deviennent de moins en moins nomades et se prennent désormais à des heures précises dans la journée. Les hommes se construisent des empires autour des ressources qu’ils ont réussies à maitriser. Le temps du repas n’a plus seulement comme objectif de se nourrir mais de construire un lieu de conversation et de pouvoir. Le banquet en est l’exemple même, les chefs d’Etats, rois ou dirigeants se réunissent, partagent un repas et échangent sur l’avenir ou les décisions des pays dans un contexte plus enclin aux pourparlers, qui délie les langues autour des alcools et séduit par la proposition des repas. Ces nouvelles habitudes permettent de former des alliances ou des oppositions d’une manière plus plaisante. De plus, une hiérarchie se met en place au sein même des repas, la disposition des invités dépend de leurs statuts. Cette différence de traitement touche l’ensemble de la société. Ainsi, l’alimentation sera différente entre les classes sociales. Les plus favorisés disposeront d’ingrédients plus chers ou rares tandis que les plus pauvres utiliseront des produits alimentaires moins variés, en plus grande quantité et faciles à cultiver. L’avènement de ces multiples pratiques autour du repas compose en majorité les rites que l’on connaît aujourd’hui.

Entre échange et invention : les débuts de la mondialisation

A partir de 632 après Jésus-Christ, le monde Arabe s’ouvre aux échanges, on voit alors apparaitre au fil des siècles de nouveaux produits que l’Occident ne connaît pas et des inventions qui vont révolutionner la manière de cultiver. Affluent alors dans le secteur agricole[2], des techniques d’irrigation telles que des puits, des barrages, des roues, des canalisations et de nouveaux ingrédients comme l’orange, l’abricot, la canne à sucre … qui vont peu à peu s’étendre dans toute l’Europe, puis dans le monde entier. Le développement des transports de marchandises et des auberges ou lieux de repos facilitent grandement cette expansion. La création des chariots de marchandises et des lettres de change, permettent le paiement à distance, les échanges deviennent alors plus rapides et plus sûrs. Puis, à partir du 15ème siècle et la découverte des Amériques, de nouveaux territoires et produits sont conquis comme la pomme de terre qui deviendra l’élément de base des populations, notamment pauvres. De cette conquête, va naitre une immense migration des populations, avec leurs cultures, leur rîtes et leur nourriture, source de diversité, d’échanges et de commerce.

Un brin de paille peut faire basculer la monarchie

La nourriture étant l’élément essentiel à la vie, si elle vient à manquer, elle peut devenir source de révolte et de mouvement sociétaux. Ces évènements, fondateurs de notre société, reposent donc, au départ, sur le même problème que rencontrent les populations depuis toujours, l’accès et la rareté des produits. Le 18ème siècle est marqué par de nombreuses famines. Le prix des produits essentiels augmente, ne permettant plus aux individus les plus pauvres de se payer de quoi manger. De nombreuses révoltes ponctuent alors cette période déjà tumultueuse. En juin 1789, le prix du blé atteint son niveau le plus élevé, survient alors la révolution et les changements politiques qui ont fondé notre démocratie. On peut aussi citer la grande famine de 1845, en Irlande, obligeant près de 2 millions d’Irlandais à fuir le pays vers les Etats-Unis, la cause étant due à un champignon rendant les pommes de terre non comestibles. Ce désastre humain a pourtant permis de créer une diversification des cultures et de l’alimentation. Avec l’amélioration des conditions de vie, les individus ne souhaitent donc plus seulement disposer du minimum pour vivre mais bien améliorer leurs conditions.

L’industrialisation, un pas vers la modernisation

Au 20ème siècle, le nombre d’habitants augmente considérablement. D’un milliard en 1800, un siècle plus tard, ce chiffre est d’1, 6 milliard, jusqu’à atteindre 6 milliards à la fin du 20ème siècle.  Dès les années 1900, les populations migrent peu à peu dans les villes où se trouve le travail. Les grandes usines fleurissent, créant un nouveau phénomène, l’industrialisation. À la suite des différentes révolutions industrielles, les innovations ne cessent de se développer et d’apporter à notre société des produits ou services dotés de plus en plus de technologies. La première révolution industrielle au 19ème siècle, grâce à l’invention de la machine à vapeur révolutionne les transports de marchandises. Puis, fin 19ème, début 20ème, lors de la deuxième révolution industrielle, l’invention et l’utilisation de l’électricité font naitre un nouvel élan de la production alimentaire. On peut alors produire en plus grande quantité, plus rapidement et la conservation des aliments s’améliore. Toutefois, en parallèle de cette modernisation, s’accompagne la dégradation de l’alimentation. Le temps des repas diminue, notamment pour les ouvriers qui ont peu de temps pour manger et qui doivent se contenter de leur gamelle. Ils mangent de manière nomade, comme ils le peuvent. De plus, pour s’adapter à cette nouvelle catégorie de travailleurs, les industriels font en sorte de diminuer leurs coûts de production et donc le prix de la nourriture. Le goût n’est plus la priorité. L’objectif est de maximiser son temps, on empiète alors sur les repas, de plus en plus négligés. Les codes culturels se transforment.

Après les années 50, aux Etats-Unis, on assiste peu à peu à l’avènement des fast-foods[3] : 1952 KFC, 1954 Burger King, 1955 McDonald’s, 1958 Pizza Hut. Leurs modèles économiques s’adaptent au nouveau mode de vie urbain et il est simple : mettre en place une franchise, avec des produits standardisés, peu coûteux, faciliter la vente avec le drive, commander et être servis en voiture. Très rapidement, ces nouvelles techniques de commercialisation se développent à l’international. De plus, la population augmente, il faut donc accroitre les rendements pour produire en plus grande quantité. En 1972, Paul Berg élabore les premiers OMG (Organisme génétiquement modifié) permettant de fournir des plantes plus résistantes aux bactéries. Les pesticides ou médicaments sont eux aussi de plus en plus utilisés pour éviter le maximum de perte de plantes et d’animaux.

Ces créations ont toutefois de graves conséquences biologiques. Les produits chimiques impactent la santé, appauvrissent les terres et engendrent de la pollution. Peu à peu, les petits agriculteurs disparaissent pour laisser place aux grosses exploitations. La révolution verte en Inde, à partir des années 60, en est un exemple. Des semences génétiquement modifiées ont été vendues aux agriculteurs indiens. Toutefois, ces pratiques réclamaient beaucoup d’eau, empêchaient la réutilisation des semences, provoquaient la pollution des nappes phréatique en raison des fortes teneurs en pesticides et par conséquent généraient des maladies.

Cette situation a aussi provoqué le surendettement de milliers d’agriculteurs indiens, engendrant entre 1992 et 2010 environ 270 000 suicides[4]. La deuxième partie du 20ème siècle a donc été un tournant dans notre manière de consommer et d’utiliser nos ressources. Aujourd’hui, au 21ème siècle, de nombreuses conséquences néfastes sur les Hommes et notre environnement en sont le résultat.

  • Le contexte alimentaire du 21ème siècle

L’histoire nous prouve donc que Rome ainsi que le développement de l’alimentation ne se sont pas faits en un jour. La société de consommation que l’on connaît aujourd’hui est donc bel et bien issue de l’héritage que les Hommes ont construit au fil des siècles, pour aujourd’hui nourrir toujours plus de personnes, en plus grande quantité, à moindre coûts.

La puissance du secteur agroalimentaire

Aujourd’hui, selon la Banque Mondiale, le secteur de l’agroalimentaire et de l’alimentation pèseraient environ 5 000 milliards de dollars[5], représentant le troisième secteur le plus important au monde, derrière le secteur du textile (2ème) et de l’aéronautique, l’aérospatiale et de la défense (1er).  Pour pouvoir nourrir une population de plus 7 milliards de personnes, la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) dénombre actuellement une utilisation de 13 millions de kilomètres carrés[6] dédiés à la culture des terres agricoles utilisées par environ 600 millions d’exploitations agricoles où sont majoritairement cultivés 3 types de végétaux : le riz, le blé et le maïs qui constituent la base de notre alimentation.

En France, l’agroalimentaire est le 1er secteur industriel. En 2017[7], son chiffre d’affaire s’élevait à 185 milliards d’euros pour un marché de 67 millions de consommateurs. On comptait en 2015 près de 61 000 entreprises pour 570 000 salariés. En ce qui concerne l’Union Européenne, la France est deuxième en termes de chiffre d’affaire hors taxe dans ce secteur, derrière l’Allemagne. De plus, le pays se situe en première position en termes de production de sucre (5,8 millions de tonnes en 2016), de céréales (53,6 millions de tonnes en 2016) et 1er producteur de viandes bovines (1,44 million de tonnes de carcasses en 2017).

Au niveau international, la France est le 6ème exportateur mondial[8] de produits agroalimentaires, cela concerne majoritairement les boissons (15, 9 milliards d’euros), notamment le vin (2ème producteur mondial), les produits laitiers (6,6 milliards d’euros), la viande (4,5 milliards d’euros) puis les céréales (2,7 milliards d’euros).

Le double jeu du lobbying

Dès le début du 19ème siècle, les premières formes de lobbying voient le jour. En 1812, alors que les Anglais possèdent le marché de la canne à sucre aux Antilles, la France établit un embargo. Napoléon trouve une alternative en développant le marché du sucre de betterave et fait construire cinq fabriques impériales. Toutefois, les groupes de pressions font usage de leurs arguments auprès des parlementaires et jouent sur le contexte de méfiance qui règne autour de la betterave. Ce type de sucre disparaît alors peu à peu. On assiste au début du lobbying.

En 2019, Transparency International recensait environ 26 500 lobbyistes présents à la Commission et au Parlement européen et 37 300 personnes liées à l’activité de lobbying. Cette activité de lobbying est encore plus répandue aux Etats-Unis, en particulier à Washington, capitale fédérale. Les objectifs des lobbyistes d’entreprises sont de promouvoir les intérêts des entreprises concernées.

En Europe, comme aux Etats-Unis les lobbyistes font débat. Le fait que des organismes peuvent influer de manière prépondérante sur les décisions politiques incite les consommateurs à être méfiants envers leurs propres institutions, notamment par la révélation de certaines affaires ou documentaires qui mettent en avant ces polémiques.

On peut par exemple citer le documentaire « What the Health » présent sur la plateforme Netflix, qui met en corrélation les associations d’aide aux malades comme celles concernant le cancer du sein, le diabète ou bien l’asthme et les subventions qu’elles reçoivent. Les grandes entreprises effectuent du lobbying auprès de ces types d’associations. Pourtant, certains produits sont fortement déconseillés aux malades par les médecins, notamment la viande de bœuf. De grands lobbyistes de produits bruts tels que le lait « Milk Does a Body Good » ou les œufs « The Incredible, Edible Egg » aux Etats-Unis sont aussi au cœur de nombreuses polémiques. Les « check-off program », programmes de contrôle, promeuvent et fournissent des recherches sur un produit agricole spécifique en valorisant les qualités nutritionnelles, qui se révèlent parfois fausses. Le but est d’agrandir le marché et de valoriser les produits. Toutefois, le bien-être des consommateurs n’est, la plupart du temps, pas ou peu pris en compte.

Parmi les plus importants lobbyistes de l’agroalimentaire, on compte : Monsanto, Nestlé, Unilever, Coca-Cola, Mars, Pepsi Co et Mondelez, qui détiennent d’autres entreprises sous leurs ailes.

Ces entreprises sont notamment connues pour leurs produits transformés et leurs compositions avec des taux de sucres élevés : gâteaux, confiseries, boissons. En 2014, la mise en place du Nutri-score a représenté une véritable bataille entre ces géants industriels et l’Union Européenne. Les entreprises auraient dépensé près d’un milliard d’euros afin de ne pas voir apparaitre ce nouvel indicateur. Ce logo de cinq couleurs informe sur la valeur nutritionnelle. Plus le produit est proche de A et plus il contient une bonne teneur en protéines, fibres, légumes ou fruits. Au contraire, plus cette note est proche de E et plus le produit est composé d’acide gras saturé, de sel ou de sucre.

Cet outil permet aux consommateurs de comparer des produits identiques ex : boissons, produits industriels. Cependant, il ne prend pas en compte la provenance des produits et n’est, pour l’instant, pas encore obligatoire. Le véritable enjeu, aujourd’hui, est donc de garantir davantage de transparence auprès des consommateurs sans que ceux-ci se sentent floués. Les grandes entreprises agroalimentaires ont pris une telle importance de nos jours que certaines politiques en faveur du bien-être des individus ne peuvent se mettre en place à cause de l’influence de ces grandes firmes. Leur emprise est telle que même les décisionnaires politiques ne peuvent parfois rien faire.

L’évolution de nos habitudes, vers l’excès

Au cours du 20ème siècle, notre population mondiale a été multipliée par 6, puis au cours du 21ème siècle, nous avons atteint les 7 milliards d’habitants, soit 7, 8 milliards en 2021. Grâce aux innovations et au développement de notre société, les individus vivent dans de meilleures conditions, avec des revenus supérieurs et dans un système de santé accessible à tous. Nous ne sommes plus en période de guerre, pourtant, un combat portant sur un secteur économique vital pour l’homme se mène bel et bien : l’alimentation.

 Aujourd’hui, par manque de temps, de moyens ou d’envies, les individus ne cuisinent plus autant qu’avant et consomment davantage des produits déjà préparés, qui sont eux-mêmes, réalisés dans une optique d’optimisation des coûts. Pour attirer les consommateurs ou garantir leur conservation, ces produits contiennent des doses très importantes de gras, de sucre et de sel. En 1970, aux Etats-Unis, la consommation était évaluée à environ 0,23 kg d’HFCS (sirop de maïs à haute teneur en fructose) par an et par habitant. En 1997, cette consommation est passée à 28, 4 kg[9].

De plus, selon l’OMS, la quantité maximale de consommation de sucre par jour ne doit pas excéder plus de 50 g pour la femme et 60 g pour l’homme. Pourtant, aujourd’hui, un Américain consomme, en moyenne, par jour, 126,4 g de sucre[10], un Allemand 103 g et un Néerlandais 102,5 g soit le double de ce qui est préconisé. Ces nouveaux modes de consommation entrainent de lourdes conséquences sur la santé.

Selon Worldometer, en 2021, on compterait, environ : 1,7 milliard de personnes en situation de surpoids et 777 millions de personnes obèses. Sur une année, les dépenses liées à l’obésité aux Etats-Unis atteignent jusqu’à 31 milliards de dollars. A l’opposé, d’autres pays rencontrent des problèmes d’accès à l’alimentation : on compte environ 850 millions de personnes sous-alimentées dans le monde et presque 1,6 million de personnes qui meurent de faim chaque année. Notre société est confrontée à de fortes disparités, d’un côté, l’abus et de l’autre le manque. Malgré les innovations, ce constat est toujours présent.

  • Les conséquences de l’omniprésence de l’industrie agroalimentaire

Trop transformé, trop malade

De nos jours, les produits transformés font partie de notre quotidien. Dans ces types de produits, de nombreux éléments chimiques sont rajoutés pour plaire aux consommateurs ou diminuer les coûts. La présence de colorants, conservateurs, additifs, sel, sucre, gras et matières hydrogénées pose aujourd’hui un véritable problème de santé publique. Ces dernières années, de nombreuses maladies liées à la malnutrition ont fortement augmenté. En 1980, on comptait 4,5% de la population atteinte de diabète, contre 8,5% en 2017, principalement en raison de l’obésité[11]. La maladie du soda ou aussi appelée NASH, fait elle aussi partie du mal de ce siècle. Elle concernerait en France près de 200 000 personnes et serait due à une alimentation trop riche en sucre et en graisse ayant un lourd impact sur le foie. On peut aussi citer d’autres pathologies comme les maladies cardio-vasculaires, les troubles musculosquelettiques ou les maladies dégénératives. De plus, grâce à de nombreuses recherches, on peut désormais effectuer la corrélation entre l’alimentation et les cancers. Les produits ultras transformés, contenant des produits chimiques et la viande en seraient les principales causes. En 2015, selon l’OMS, la viande rouge a été classée comme cancérigène pour l’homme, au même titre que le tabac.

Malheureusement, on constate que la population la plus touchée par ces maladies fait aussi partie, le plus souvent, de la catégorie la plus pauvre, contrainte d’acheter des produits peu coûteux, faits pour être le plus rentable possible.

Les mauvais réflexes

Dans le sillage de cette société hyperconsommatrice, on assiste à une triste conséquence, le gaspillage alimentaire. En 2018, on comptait environ 1,3 milliard[12] de tonnes de nourriture perdue, surtout en raison de l’insuffisance des structures de stockage et du dépassement de la date de péremption des denrées dans les magasins. Une date souvent trop courte par rapport à la réelle durée de vie d’un produit. Un Français jette, par an, en moyenne, environ 20 kilos de nourriture, dont 7 kilos de produits déjà emballés.

L’eau douce, cette ressource pourtant rare, est elle aussi victime du gaspillage. On estime, selon WWF, que 300 000 milliards de litres d’eau sont utilisés pour produire des aliments gaspillés par la suite. Afin de prendre conscience de la dépense d’eau produite pour un produit, le site Water footprint network analyse son utilisation : une banane représente une douche de 10 minutes, une pomme, 7 chasses d’eau, un hamburger équivaut à une douche de 90 minutes et un kilo de bœuf à la consommation d’environ 15 400 litres d’eau.  Des chiffres effrayants dont peu de personnes ont conscience.

La nature, victime de l’homme

La pollution est aujourd’hui l’un des plus gros fléaux que nous connaissons. Aujourd’hui, même si l’utilisation des pesticides est fortement contestée, ils sont pourtant encore utilisés en masse. Le Costa Rica est le pays qui utilise le plus de pesticides par hectare de terre, soit 23 kilos par hectare. En termes de tonnages, la Chine est en 1er place avec 1,7 million de tonnes par an.

L’utilisation de ces insecticides, fongicides, désinfectants et herbicides tels que le Glyphosate a de nombreuses conséquences. Tout d’abord, sur la santé des individus, notamment des agriculteurs, en 1er ligne, et pour les consommateurs qui ingèrent sans le savoir de nombreux produits toxiques. La nature est elle aussi impactée avec la pollution des nappes phréatiques, l’appauvrissement des sols et la destruction de la faune et de la flore sauvage.

De plus, lorsque l’on s’intéresse aux plus grands pollueurs « plastique » du monde, on remarque qu’il s’agit des plus importantes entreprises agroalimentaires.

La déforestation est aussi une conséquence directe de l’industrie agroalimentaire. Selon l’ONU, en 2020, 31,2% des terres étaient recouvertes par les forêts, alors qu’en 2010, ce chiffre était de 31,5%. Cette baisse de 0,3 % représente tout de même la disparition d’environ 100 millions d’hectares de forêt. La raison de cette diminution est essentiellement due à la conversion des forêts en terres agricoles.

Les dangers de la sélection abusive

D’après le Forum économique mondial, sur les 30 000 espèces de végétaux, seulement 170 seraient exploitées à l’échelle commerciale. Cette organisation présente certains dangers. En cas de maladie ou d’infection, c’est alors tout le circuit alimentaire mondial qui est touché et avec lui les travailleurs qui ne possèdent souvent que très peu de revenus. On peut prendre l’exemple des bananes Cavendish qui représentent 95 % du marché mondial alors qu’il y aurait plus de 1000 variétés de bananes. Le Costa Rica fait partie des plus gros exportateurs de ce fruit. Face à la forte demande, le pays doit produire énormément et satisfaire les rendements. Les entreprises emploient donc beaucoup de salariés pauvres, gagnant en moyenne 10 euros pour 10 heures de travail.  En plus d’être soumis à une charge importante de labeur, ils travaillent en présence d’énormes quantités de pesticides, souvent déversées au-dessus de leurs têtes, dans la seule optique de répondre à la demande internationale.

 Un appauvrissement de la faune et de la flore

Enfin, on ne compte plus le nombre d’espèces disparues ou en voie de disparition. Selon le rapport World Wildlife Fund de 2018, la surexploitation agricole serait responsable de la disparition de près de 75 % des espèces animales ou végétales depuis le début du 16ème siècle. Parmi les premières impactées par cette agriculture, les abeilles, essentielles au développement de notre biodiversité et pourtant victimes depuis ces dernières années d’une véritable hécatombe, principalement causée par les pesticides.

  • Pourquoi ne pas repenser notre alimentation

Notre société vit actuellement un tournant. Contrairement aux années 70 durant lesquelles les écologistes étaient considérés comme des extrémistes, aujourd’hui à l’heure où nous vivons directement les conséquences prédites auparavant, l’idée de protéger notre biodiversité n’est plus si loufoque que cela. Les jeunes générations sont aujourd’hui formées pour prendre en compte cet aspect, s’informer et agir. La sonnette d’alarme a été tirée. On ne peut plus consommer comme avant.

Un futur incertain

Pourtant, des réflexes restent encore ancrés. Néanmoins, les pratiques ont peu changé. Lorsqu’on s’attarde à écouter certaines figures publiques, notre avenir s’annonce plutôt sombre. Selon les auteurs de l’article « Existential climate-related security risk : a scenario approach » David Spratt et Ian Dunlop, le compte à rebours est déjà lancé. Les chercheurs prévoient ainsi une hausse de la température moyenne mondiale de 2 degrés, plus que les 1,5 prévus d’ici 2050.

Cette situation aurait alors de nombreuses conséquences telles que de nouvelles pandémies, des guerres, à la suite de famines ou bien à cause de la sécheresse. On peut aussi imaginer que le nombre de réfugiés climatiques s’intensifiera. Les denrées alimentaires auront plus de difficultés à pousser ou connaîtrons des maladies. Cela aura pour conséquence de diminuer les stocks et augmentera les prix, poussant les populations les plus pauvres à manger des produits peu coûteux, très transformés et contenant une grande dose de sucre, de sel, de gras et de produits chimiques. La nourriture en poudre, à mélanger avec de l’eau, rencontrera plus de succès.

Même si ces produits contiennent tous les nutriments d’un repas, le déjeuner et le dîner sont des rites essentiels dans la journée. Les éliminer bouleversera donc les habitudes de sociabilisation ou de conversation. De plus, il faudra utiliser une quantité encore plus importante de pesticides et d’OGM pour combattre les parasites ou accroitre les rendements pauvres. On connaîtra alors une hausse encore plus importante des maladies chez l’homme. Les repas se prendront peut-être encore plus rapidement qu’aujourd’hui, en travaillant, devant un écran, seul ou avec des robots. Un scénario qui s’annonce catastrophique mais qui pourrait être évité.

L’alternative

Aujourd’hui, l’objectif majeur n’est pas de retourner en arrière et d’oublier des siècles d’innovations mais plutôt de freiner les excès des industries de ces 70 dernières années qui ont davantage mis en avant le profit bien plus que le bien-être collectif.

Ces mentalités passent avant tout par l’éducation. Les cours d’alimentation dans les écoles sont de formidables opportunités pour former les futures générations : les fruits et légumes de saison, les chaînes courtes d’approvisionnement qui favorisent les agriculteurs et la nature, l’identification des ingrédients des plats préparés ou bien des cours de cuisine. Cependant, nous avons grandi avec de nombreux préjugés sur les aliments, c’est aussi à nous de les déconstruire comme le fait que le jambon ne soit pas si rosé à cause des nitrites ou bien que les dates de péremption ne soient pas des indicatifs viables. Les produits peuvent souvent encore être consommés quelques jours après. Les industriels, à travers la création d’aliments transformés et normés, ont donc progressivement inciter les consommateurs à adopter leurs règles, leurs pratiques et à délaisser, parfois, des produits plus authentiques, sains et naturels. Pourtant, cette alimentation s’avère parfois discutable en matière nutritionnelle. Ce manque de transparence peut semer le doute chez les consommateurs et entrainer une baisse de confiance.

Pour leur permettre de changer leurs comportements, les dispositifs de subventions ou de pénalisations pourraient être davantage accentués. Les entreprises mettant en place une transparence des ingrédients, de meilleurs canaux d’informations auprès des consommateurs et une utilisation moins importante de produits chimiques pourraient alors se voir obtenir des aides. Au contraire, elles pourraient être pénalisées pour l’utilisation trop importante de plastiques ou substances chimiques. Même si l’industrie agroalimentaire reste un secteur très flou et protégé, on constate que l’Union Européenne a déjà interdit l’emploi de nombreux produits controversés comme le dioxyde de titane (E 171) ou bien l’utilisation excessive du plastique.

Enfin, nous pouvons aussi tout simplement manger mieux en changeant nos habitudes. De nombreuses émissions de télévision permettent de comprendre la manière dont notre corps assimile la nourriture permettant ainsi d’adapter notre alimentation, de calculer nos besoins ou bien de nous apprendre à mieux manger et cuisiner. C’est donc à nous de franchir le pas. On dispose maintenant de nombreuses alternatives pour changer nos repas ou des ingrédients plus favorables à la nature. Les insectes pourraient représenter une alternative à la viande et sont déjà utilisés dans certaines entreprises telles que dans des tacos aux criquets chez Poquitos, dans des barres protéinées chez Exo ou bien dans des steaks avec la start-up française IN. De plus, en diversifiant nos aliments et en adoptant des variétés moins communes, les risques de maladies ou de ruptures de stocks seraient moins importants et nous trouverions d’autres aliments tout autant nutritifs tels que les légumineuses.

 

Pour conclure, il n’est nul besoin d’avoir une idéologie proche de la nature pour se rendre compte que les dérives sont aujourd’hui présentes depuis bien trop longtemps et que les hommes ainsi que la nature subissent de plein fouet ces conséquences. Ces drogues, que sont le sucre, le sel et le gras produits par les agroindustrielles, nous ont peu à peu rendus « accros ». Malgré les avertissements, on constate que les conséquences sont désastreuses pour les hommes, emprunt à de nouvelles addictions, maladies, dans un environnement qui ne cesse de se dégrader. Toutefois, nous avons pour l’instant, la chance de ne pas être des machines et d’avoir notre capacité de réflexion. Même si nous nous rendons compte depuis peu de temps que notre monde se dégrade, les mentalités évoluent et des actions se concrétisent. C’est donc dans l’unité, qu’ensemble, nous parviendrons à valoriser le bien-être de la population plutôt que celui du profit. D’ici 2050, de nombreux défis sont encore à relever, pourra-t-on les réaliser ? Sommes-nous à l’aube d’une nouvelle ère ?

Par Aude Lemonnier, promotion 2020-2021 du M2 IESCI

[1] Jacques Attali « Histoire de l’Alimentation »

[2] Capital. « L’Empire arabe, de 632 à 1258 : Quand le monde musulman montrait le chemin à l’Occident » 14/09/2014

[3] Documentaire Netflix « Jamais la même histoire – les fast-foods »

[4] Jacques Attali « Histoire de l’Alimentation »

[7] Données BPI Rapport « L’agroalimentaire, un secteur phare »

[8] Données BPI Rapport « L’agroalimentaire, un secteur phare »

[9]   Jacques Attali « Histoire de l’Alimentation »

[10] Agence de presse : Anadolu Agency https://www.aa.com.tr/fr/sante/les-%C3%A9tats-unis-sont-le-premier-pays-consommateur-de-sucre/75800#

[11] Données de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale)

[12] Jacques Attali « Histoire de l’Alimentation »

Bibliographie

  • Banque Mondiale. (s. d.). Banque Mondiale. Banque Mondiale. https://www.banquemondiale.org/fr/home
  • Capital. (2011, 19 septembre). L’Empire arabe, de 632 à 1258 : Quand le monde musulman montrait le chemin à l’Occident. Capital. https://www.capital.fr/economie-politique/l-empire-arabe-de-632-a-1258-quand-le-monde-musulman-montrait-le-chemin-a-l-occident-627126
  • Céline Deluzarche. (2019, 9 février). Pesticides : les pays plus gros consommateurs. Futura sciences. https://www.futura-sciences.com/planete/questions-reponses/agriculture-pesticides-pays-plus-gros-consommateurs-10757/
  • Constance. (2019, 1 septembre). Une histoire du sucre, de la colonisation à la surconsommation. Food and Com. https://www.foodandcom.fr/histoire-sucre-colonisation-surconsommation/
  • David Spratt & Ian Dunlop. (2019, mai). Existential climate-related security risk : A scenario approach. POLICY PAPER. https://docs.wixstatic.com/ugd/148cb0_90dc2a2637f348edae45943a88da04d4.pdf
  • Espoir Olodo. (2020, 30 octobre). Comprendre le système alimentaire mondial et ses impacts environnementaux en 8 chiffres. Agence Ecofin. https://www.agenceecofin.com/industrie/3010-81917-comprendre-le-systeme-alimentaire-mondial-et-ses-impacts-environnementaux-en-8-chiffres
  • FAO. (s. d.). FAO. FAO. http://www.fao.org/home/fr/
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