De la gestion de l’information … à l’intelligence compétitive

De toutes les révolutions industrielles du vingtième siècle qui ont influencé le  monde de l’entreprise, les technologies de l’information et de la communication sont parmi celles qui ont provoqué le plus de bouleversements. Les promesses de ces techniques laissaient croire en un véritable changement du monde. Nous vivons actuellement dans un monde complexe avec une quantité d’informations à traiter qui augmente de façon phénoménale. Ce qui fait que l’entreprise  doit  s’ouvrir  sur  son  environnement,  regarder  le  monde  en  permanence,  adopter  une  structure  souple  qui  lui  permettra  d’être  mobile  et  de  devancer  la  concurrence. Bien  que  l’information  soit  au  centre  du  concept  de  l’intelligence  Compétitive,  cette  dernière couvre des objectifs plus larges que le simple rassemblement de l’information. D’abord essayons de comprendre ce qu’est l’information, ensuite la manière dont elle doit être gérée et enfin son utilisation par  les entreprises pour rester compétitive.

1. Qu’est-ce que l’information ?

L’information connaît actuellement de profondes mutations dues à un apport des nouvelles techniques et à une modification de son rôle économique et stratégique qui tendent à transformer autant sa nature que son utilisation. Il existe plusieurs définitions de l’information selon son type, son domaine, son point de vue… Elle peut être définie comme «un renseignement obtenu de quelqu’un sur quelqu’un ou sur quelque chose, ou une nouvelle communiquée par une agence de presse, un journal, la radio, la télévision».

On qualifie d’information toute donnée pertinente que le système nerveux central est capable d’interpréter pour se construire une représentation du monde et interagir correctement avec lui. L’information, dans ce sens, est basée sur des stimuli sensoriels véhiculés par les nerfs. D’après G. B. DAVIS, « l’information représente les données transformées sous forme significative pour la personne qui les reçoit; elle a une valeur réelle (ou perçue) pour ses décisions et pour ses actions futures. » De cette manière, la valeur de l’information est liée aux décisions qu’elle permettra de prendre. Dans ce cas, les données constituent la matière première alors que l’information représente un  produit davantage fini mais sans être tout à fait complet à lui-même. Ces informations peuvent être de plusieurs types : scientifiques, technologique, commerciale, juridique, financière, stratégique, personnelle. Elle peut être classée en trois catégories selon le degré de protection de la source. Elle peut se décliner selon trois types :

             –   Blanche : c’est l’information directement et librement accessible (rapports annuels, articles de presse, documents commerciaux, …). Elle représente  80% des informations disponibles sur le web. Cette information est dans la plupart des cas non protégée avec une acquisition et une exploitation légale sous réserve de respect des droits de propriété intellectuelle.

             – Grise : c’est l’information licitement accessible, mais caractérisée par des difficultés dans la connaissance de son existence ou de son accès. Celle que l’on peut acquérir de manière (informelle, par le réseau, le bouche à oreille, … Elle représente environ 15% de l’information disponible sur le web. Son acquisition et exploitation relèvent du domaine juridique non clairement défini avec des risques d’ordre jurisprudentiel.

              – Noire : c’est l’information à diffusion restreinte et dont l’accès ou l’usage  est explicitement protégé. Elle représente environ 5% de l’information disponible sur le web, inaccessible légalement. Son acquisition relève de l’espionnage avec des risques très élevés.

2. Les différents niveaux de gestion de l’information

L’information correspond aux différents niveaux de la décision. Tout décideur veut l’utiliser pour mener des actions car elle aide dans le choix de la prise de décision. C’est pourquoi son intégration au sein de l’entreprise fait l’objet d’une sérieuse analyse par un groupe de personnes. Le choix doit être stratégique et non gratuit. Selon Henri DOU, trois niveaux se dégagent suivant le type d’information géré: opérationnel, tactique et stratégique. Le type de données manipulées, leur volume, les traitements qu’elles subissent, la globalité selon laquelle elles sont appréhendées, diffèrent d’un niveau à un autre.

 « L’information opérationnelle et de terrain : c’est une information très ciblée, précise, de faible volume. Elle concerne directement ceux qui au niveau de la recherche et de la production doivent faire avancer un travail précis : synthèse d’un nouveau produit, choix d’un composant électronique, connaissance d’une norme, etc. L’information opérationnelle dont le système d’information documentaire (S.I.D.) est le principal fournisseur, subit très peu de traitements et de fait est relativement brute. Les utilisateurs de cette information sont principalement des opérationnels à savoir techniciens, ingénieurs, chercheurs, etc.

L’information tactique concerne un volume plus grand de données souvent avec des contours moins précis. Elle doit faire l’objet d’une analyse statistique en associant des experts. En fait, elle va permettre de situer ce qui est ou qui doit être entrepris par rapport à l’ensemble global des connaissances, des productions scientifiques du moment, des laboratoires et des entreprises. On fournira par ce biais des indicateurs sur les forces et les faiblesses présentes. Celle-ci aura un  intérêt pour ceux qui doivent gérer des projets, les développer, mettre en place de nouvelles directions de recherche et de développement. En bref, les renseignements issus de l’analyse des informations techniques ou scientifiques seront inclus dans la stratégie de développement technologique de l’entreprise.

L’information à caractère stratégique ne concerne pas directement une entreprise (sauf de grandes multinationales). Elle est de plus grandes ampleurs que celles précédemment citées donneront des indications globalisantes et de grandes tendances. Elles concerneront les très grands ensembles, les pays (par exemple connaître pour un pays donné les déposants en brevets dans certaines classes…). »

3. Du développement de la société de l’information…

L’évolution de la société de l’information fait que les rapports dématérialisés anéantissent les frontières et dissimulent les rapports de hiérarchie. Les progrès techniques ont permis que l’information puisse être délivrée à un nombre croissant de personnes, en un minimum de temps, et dans un espace de plus en plus large. Ces évolutions ont favorisé l’explosion de l’offre et principalement de la demande en information, essentielle à toute activité de l’homme, autant pour son adaptation à son environnement que pour la prise de décision. Du côté de l’offre, on observe « une augmentation quantitative de l’information  sous différentes formes, notamment par l’intermédiaire d’Internet, de la téléphonie mobile et du multimédia avec une extension à  tous  les  domaines  du  savoir»[2]. Alors que du point de vue de la demande, la mise en avant de « l’information  comme matière première » a impliqué la nécessité de faire face à cet accroissement par la spécialisation des connaissances.  En réponse à cette demande, de nouveaux outils, échanges de connaissances, techniques, modes de partages, et surtout de nouvelles méthodologies de recherches et traitement de l’information, ont été développés afin de permettre :

  • L’acquisition à court terme et dans les délais de plus en plus brefs de documents pertinents, contenant de l’information à très haute valeur ajoutée, indispensables à la clarification d’une situation ou à la prise de décision ;
  • la capitalisation à long terme et la mobilisation à tout moment des connaissances afin de permettre l’optimisation de cette acquisition ;
  • la protection et la mémorisation des informations issues de cette situation ou de cette prise de décision en vue d’éventuelles réutilisations futures ; de plus, les usages d’Internet et la politique de développement des autoroutes de l’information. ?

L’information constitue alors la matière première stratégique des entreprises, elle permet d’accroître la maîtrise de l’environnement et de réduire l’incertitude dans la prise de décision. Cette incertitude provient d’abord de la mondialisation qui impose une approche globale des marchés, et nécessite une gestion plus efficace des informations pour détecter les opportunités commerciales et les menaces concurrentielles.

4… A l’apparition de l’intelligence compétitive

De nos jours le besoin de s’informer, de surveiller ou de se défendre, de se comparer aux autres c’est-à-dire  avoir  le  pouvoir  de discerner, de mesurer et d’évaluer est essentiel pour entreprendre toute activité. La société de l’information a fait évoluer les pratiques professionnelles d’intelligence économique en entreprise. La politique de développement des autoroutes de l’information et les usages de l’internet ont influé les comportements de communication. Étant au cœur de nombreux débats, la société de l’information a changé la place de l’entreprise dans le paysage social et a renforcé la complexité de l’environnement. On constate que la  diversification des marchés a incité à une compétitivité accrue des entreprises. Ces dernières doivent dans cet environnement déséquilibré, accroître :

– leurs facultés d’observation et d’analyse de l’environnement pour détecter les  nouvelles opportunités et contrer les menaces  inattendues : c’est-à-dire veillées à être bien informée ;

– leur capacités d’adaptation pour répondre aux changements et aux nouvelles  contraintes de l’environnement : c’est aussi favoriser le développement durable ; leurs aptitudes réactives pour être capable de redéfinir rapidement et de manière efficiente, ses grandes orientations stratégiques : c’est se lancer dans l’innovation permanente ;

 – leurs idées nouvelles pour développer l’innovation et être compétitive : c’est développer la créativité. Ces raisons sont souvent des éléments déclencheurs permettant à une entreprise d’envisager des transferts de technologies, d’innover par la captation de nouveautés intégrables dans ses processus, de séduire les consommateurs qui se sentent plus à l’écoute par une identification de leurs attentes amont (Persechini & Forrester, 2010), de faire basculer des financements par la présentation de signaux palpables car «Faire de l’intelligence économique, c’est avant tout faire de l’économie intelligente» (Chaduteau, 2003).

C’est sur ses capacités à veiller, à s’adapter, à innover et à se développer durablement, que se fonde l’intelligence compétitive. Mais si l’intelligence Compétitive permet d’élaborer des stratégies proactives sur un environnement, un marché ou un concurrent (Chouk, 2010), elle peut aussi s’appliquer à des États et des régions.

Cela amène à des déclinaisons du concept comme «l’intelligence Territoriale» avec la prise en compte de spécificités comme l’importance du partenariat, ou la captation de subventions …Par la veille et la remise en question permanente qu’elle s’impose l’intelligence compétitive a vocation à évoluer avec les connaissances et les techniques. La veille technologique s’inscrit dans une démarche éminemment stratégique, puisque la recherche d’informations doit déboucher sur une prise de décision. Le mot « compétitif » devant  être entendu dans le sens d’une recherche d’amélioration permanente, dans ce qui  est entreprit au profit de valeurs humanistes éloignées des ambiguïtés entretenues  auparavant avec le traitement de l’information noire. La nouveauté du concept d’intelligence compétitive est la prise de conscience que l’entreprise possède des connaissances et des savoir-faire (et notamment des « savoir collaborer ») pour résoudre des problèmes décisionnels. Avec une information qui circule plus vite et plus facilement grâce aux avancées technologiques permanentes (réseaux téléphoniques, fibres optiques, WIFI, GPRS, UMTS….) et à la multiplication des capacités de stockage, de traitement et de manipulation, l’entreprise doit être plus regardante sur son environnement.

Conclusion

L’évolution de la société d’information est en corrélation avec l’intelligence compétitive. Cette dernière trouve son champ d’intervention élargi par les nouveaux outils dans la mesure où la compétitivité est recherchée dans l’ensemble des secteurs d’activités sociales. Elle a vocation à saisir des champs de connaissances et de culture inaccessibles jusqu’à aujourd’hui. L’apprentissage de ses nouvelles possibilités et des nouveaux modes de fonctionnement de notre société est un phénomène complexe, entre autres, car il dépasse les capacités d’actualisation des enseignants comme des professionnels. Cette dernière évolution légitime donc un peu plus la nécessité impérieuse et l’actualité des problématiques qu’elle a vocation à aborder.

Par Khady Diagne, promotion 2017-2018 du M2 IESCI d’Angers

[1] DOU, H., Veille technologique et compétitivité, Paris: DUNOD, 1995, 234p

[2] Théry et al. [THE 94]

Admin M2 IESC