Cuba : un Eldorado incertain

Est-ce enfin le retour des cigares et du rhum cubains que tant d’américains attendent ? Depuis maintenant 2 ans les discussions ont repris entre le pays de l’oncle Sam et son rival cubain. Malgré une opposition républicaine forte, notamment au sénat où ils ont la majorité, Obama a pu pacifier les relations tumultueuses entre ces deux pays à travers des visites officielles à Cuba, les premières depuis la visite de Calvin Coolidge, alors Président des États-Unis en 1928. Ces signes forts ont bien entendu pour objectif de rendre « irréversible » le processus qu’Obama a lui-même initié. Cuba vit donc en ce moment une rupture, un moment charnière dans son histoire rythmée par des régimes totalitaires tantôt  pro-américain, avec la dictature de Batista, tantôt anti-américain avec la dictature castriste. Dans ces deux cas, il est important de préciser que les États-Unis étaient en partie responsables de l’oppression du peuple cubain. La politique du Président Batista avait pour objectif de privilégier les échanges avec les américains, une constitution avait d’ailleurs était rédigée sur le modèle de son voisin lors de son premier mandat. Les espaces maritimes avaient été mis à la disposition des USA durant la Seconde Guerre Mondiale pour faciliter le déplacement des troupes et du matériel. Évincé en 1948 par son rival Ramon Grau San Martin , Batista reviendra avec un coup d’état en 1952. A son retour, il quintuplera son salaire, et rétablira la peine de mort pour réprimer toutes oppositions à son égard. C’est en 1959 que son régime prendra fin avec la révolution castriste. Ce régime alors pro américain laissa sa place à un régime communiste, dans lequel son voisin, berceau du libéralisme, est perçu comme un oppresseur, un ennemi de la révolution. 3 ans plus tard, la crise des nationalisations d’entreprises américaines marquera le début de l’embargo cubain par les États-Unis le 3 février 1962. Alors que les discussions ont repris pour négocier les conditions de la réouverture des frontières cubaines, il convient d’évaluer les risques inhérents à cette opération, qu’ils soient sociaux, politiques ou économiques. Dans quelle mesure Cuba représente-t-elle un marché potentiel ?

La levée des sanctions : première étape vers l’ouverture

Cuba est un marché répondant à de nombreux critères essentiels afin de favoriser les investissements venant de l’étranger. Tout d’abord, le réchauffement des relations diplomatiques avec les États-Unis est un signe encourageant, et cela se traduit par la levée des sanctions sur Cuba. Le 14 octobre 2016, un assouplissement des sanctions a été opéré. En effet, la loi Torricelli initiée par Bush père et renforcée par son fils a été abrogée. Cette loi prévoyait en 1992 d’interdire toutes aides financières venant de pays étrangers sous peine d’être eux même sanctionnés financièrement. Ce premier critère est primordial car il traduit deux choses : La première c’est le caractère extra territorial de la loi qui peut s’appliquer en dehors des frontières américaines, et ainsi permettre aux gendarmes du monde de sanctionner des pays étranger ne la respectant pas. Le deuxième point important c’est qu’ils dissuadent fortement quiconque souhaitera investir dans un des pays visés par ces lois (voir Iran and Libya sanctions Act of 1996). En effet, la loi Torricelli interdisait d’accoster pendant 6 mois aux États-Unis aux bateaux qui auraient effectué une livraison à Cuba. Ainsi les grandes entreprises avaient à faire un choix, ce dilemme a été vite tranché. En 2004, Bush fils renforça la sanction en avançant des raisons altruistes, il dit alors que ces mesures ont pour but d’accélérer le processus de démocratisation à Cuba. Ce complément à la loi Torricelli consistait à limiter fortement les expatriés d’origine cubaine à voyager régulièrement à Cuba. Ils devaient justifier d’une famille sur place pour pouvoir y aller. Les dépenses sur place effectuées par les expatriés ou touristes étaient limitées à 50 dollars par jour, et l’envoi de devise à l’étranger à 100 dollars par mois. La loi Helms & Burton en 1996 a renforcé l’embargo en interdisant aux entreprises et pays étrangers de commercer avec Cuba des biens venant d’entreprises nationalisées en 1960 alors américaines. Encore une fois, les États-Unis utilisent leur appareil législatif pour condamner des entreprises étrangères. Cette sanction n’a quant à elle pas été levée. Bill Clinton, Président en 1996 lors du vote de la loi Helms & Burton qualifie aujourd’hui cette loi « d’échec total ».

On peut donc constater que la levée de ces sanctions permet de nouveaux aux entreprises étrangères de percevoir Cuba comme une terre fertile où il fait bon investir. Cette levée des sanctions s’accompagne d’autres signes favorables.

Des signes diplomatiques forts

L’embargo cubain est depuis longtemps un problème au sein même des États-Unis mais aussi au sein de la communauté internationale. En effet, en 1998, Bill Clinton souhaitait faire machine arrière et déclarait que Cuba n’était pas une menace pour les États-Unis. Il appelait alors à une normalisation des relations, mais un puissant lobby de cubains exilés aux États-Unis a empêché ce processus. Cela peut paraître surprenant mais c’est dû au fait que de nombreux cubains vivent aujourd’hui de la production de cigares dit cubains car la fabrication est cubaine. Ce marché représente plusieurs centaines de millions de dollars. A l’échelle internationale, l’ONU a condamné à de nombreuses reprises l’embargo, ou le blocus comme disent les partisans d’une levée totale des sanctions. En 2013, 188 pays sur 192 déclaraient être contre les sanctions arbitraires des États-Unis. Cela a fortement influencé la politique américaine à l’égard de Cuba. De nombreuses visites officielles sont un signe fort pour attester du réchauffement des relations qu’entretient Cuba avec de nombreux pays. François Hollande a d’ailleurs été le premier chef d’État européen à être allé à Cuba en mai 2015 depuis le début de l’embargo américain. Raul Castro a donc répondu favorablement à l’invitation du Président français le 1er février 2016. Ils ont alors pu discuter des derniers freins aux investissements français à Cuba, notamment la dette de 1986 d’un montant de 3,7 milliards afin de faciliter à l’avenir l’implantation de nouvelles entreprises françaises sur le territoire.  2 mois auparavant, cette même dette avait bénéficié de l’annulation des intérêts qui représentaient 80% du montant total. Cette visite a donc permis de diminuer le reste de la dette due à la France. Cette dernière étant le principal créancier de Cuba, c’est là aussi un signe fort. Obama a lui aussi effectué une visite historique le 20 mars dernier, ils ont alors pu discuter des derniers désaccords qui subsistent entre ces deux pays, notamment les conditions fixées par les États-Unis comme une compensation de 10 milliards de dollars pour les entreprises américaines nationalisées en 1960 par le régime castriste. Cuba refuse ces conditions jugeant que l’embargo avait déjà assez affaiblit le pays. M  Rodriguez (Ministre des affaires étrangères cubain) estime que l’embargo a pénalisé à hauteur de 125 ,8 milliards de dollars Cuba depuis 1962.

De nombreuses entreprises déjà sur place

Grâce aux accords signés le 12 décembre 2015 les entreprises Françaises peuvent de nouveau investir de manière plus sûre à Cuba. Bien que la France représentait 172 M € en commerce bilatéral avec Cuba en 2015, elle n’est qu’à la 12ème position dans le classement des principaux partenaires commerciaux aux États-Unis. En effet, le Venezuela, La Chine et l’Espagne sont les trois premiers partenaires représentant à eux trois 10 milliards de dollars d’échange. L’Union européenne n’en reste pas moins le premier partenaire commercial de Cuba représentant 22% des échanges en valeur de Cuba. Ces chiffres montrent bien la reprise des affaires avec Cuba. Des entreprises comme Aéroports de Paris ont remporté des appels d’offres. Ce dernier à la charge de la construction du nouvel aéroport de la Havane. Pernaud Ricard est aussi présent avec sa marque de rhum Havana club, ainsi que Total pour l’extraction de pétrole qui est l’une des activités principales à Cuba. On peut supposer que la France devrait accroître ses échanges avec Cuba après les signatures des différents accords unissant les deux pays. Concernant les entreprises américaines, la situation est différente car les négociations ne sont pas terminées et tout le monde ne voit pas d’un bon oeil l’arrivée d’un ennemi historique dans l’île. Les États-Unis sont aujourd’hui à la 13ème place, juste après le France dans le classement des principaux partenaires commerciaux de Cuba en 2015. Starwood une grande chaîne hôtelière américaine a d’ailleurs investi plusieurs millions de dollars pour la construction de deux hôtels au sein de la Havane. Un troisième est en préparation, pour ce faire, l’entreprise attend le feu vert du département américain du trésor.

Cuba s’ouvre donc de plus en plus mais toutes les sanctions ne sont pas tombées ce qui freinent encore les entreprises pour investir massivement à Cuba alors même que d’autres ont choisi de parier sur une ouverture. Celle-ci est encore incertaine car elle dépend de l’unilatéralisme américain grâce à l’extraterritorialité de leur législation, or le Sénat n’a pas encore ratifié la levée complète des sanctions. Les élections présidentielles américaines du 8 novembre prochain seront déterminantes concernant le devenir de Cuba. Dans l’hypothèse de l’élection d’Hillary Clinton qui poursuivra la politique de Barrack Obama concernant Cuba, dans quelle mesure la culture cubaine et son histoire commune avec les USA ne peuvent-ils pas freiner l’implantation des entreprises américaines ?

Par Clément Jarry, promotion 2016-2017 du M2 IESC

Sources :

http://www.tresor.economie.gouv.fr/13489_cuba-echanges-commerciaux-et-principaux-partenaires-en-2015

Le monde diplomatique du 01/2015 par Salim Lamrani

https://www.treasury.gov/resource-center/sanctions/Documents/cda.pdf

https://www.treasury.gov/resource-center/sanctions/Documents/libertad.pdf

http://www.lesechos.fr/monde/ameriques/0211184141000-cuba-en-voie-de-normalisation-confie-a-la-france-une-infrastructure-strategique-2018808.php

Admin M2 IESC