Cuba : quelle stratégie pour un pays en mutation ?

Le 26 octobre dernier, les États-Unis se sont abstenus de voter pour la première fois de leur histoire contre une levée des sanctions sur Cuba à un sommet de l’ONU. Bien entendu, les 191 autres pays présents ont tous voté en la faveur d’une levée de l’embargo et donc d’un réchauffement des relations diplomatiques et commerciales avec Cuba. L’opposition de la communauté internationale vis à vis de la politique américaine à Cuba a, quant à elle, été critiquée vivement et ce depuis presque 10 ans. En effet, les mesures successives des américains dans le but de faire plier Cuba ont toutes été un échec. Bill Clinton lui même a reconnu 10 ans après le vote de la loi Helms and Burton, qu’il avait soutenue, que les politiques répressives envers Cuba ne fonctionnaient pas. Cette abstention est donc un signe fort que l’effort entrepris par Barrack Obama est maintenu. Durant ce sommet, un nouveau dégel a d’ailleurs été annoncé concernant le rhum, les cigares, ou encore dans la recherche médicale pour aller dans ce sens. Cela ne signifie pas pour autant que les américains sont d’accord avec l’ensemble de la politique cubaine, mais ils soulignent toutefois par l’intermédiaire de l’ambassadrice Mme Samantha Power que le régime castriste « avait fait des progrès importants pour améliorer le bien-être de sa population ». Cuba n’a en effet pas attendu une amélioration de ses rapports avec la première puissance mondiale pour doper son économie.

Les politiques répressives qui ont frappé l’île ont poussé les cubains à les contourner pour ainsi trouver un secteur prospère, moins sensible aux variations de la politique extérieure américaine. Le tourisme a pendant longtemps porté Cuba au point d’en être le principal moteur économique dès le début des années 90 avec plus de 3,5 milliards de dollars dépensés entre 1990 et 1999. Le 8 novembre, les élections américaines ont eu lieu donnant Donald Trump vainqueur et faisant de lui le 45ème Président des États-Unis. Ce dernier s’est déjà prononcé de nombreuses fois concernant la politique qu’il mènerait avec Cuba qu’il souhaiterait plus exigeante que celle entreprise par Obama. Il a d’ailleurs dit souhaiter revoir ces accords lors de la campagne présidentielle. A cette incertitude s’ajoute le poids des républicains au sein du Sénat. Bien que le conseil de l’ONU ait voté en la faveur d’une levée des sanctions, c’est bien le Sénat qui décidera en définitive d’un changement radical ou non des relations entre Cuba et les États-Unis. Paul Ryan, chef des républicains à la Chambre des représentants, a promis il y a une semaine que le Congrès allait maintenir l’embargo malgré les récentes mesures prises par M. Obama pour poursuivre le dégel des relations avec le régime communiste. Que peut donc faire Cuba dans ce moment charnière de son histoire pour garantir à son peuple une stabilité économique ?

Le tourisme est depuis longtemps un élément fondateur, un pilier de l’économie cubaine. Dès les années 1990, le gouvernement cubain a compris que ce secteur offrait toutes les solutions aux problèmes posés par l’administration américaine. En effet, les lois extraterritoriales américaines affectant l’économie cubaine ne prévoyaient pas et ne prévoient toujours pas de sanctions dans ce secteur. Le seul handicap résidait dans la loi promulguée par Bush fils, maintenant levée, qui interdisait entre autres, ou du moins limitait les dépenses effectuées par les américains dans le pays. Les dépenses pour développer ce secteur ont donc été massives ce qui a permis d’assurer à la population cubaine une éducation gratuite, ainsi qu’une assurance maladie universelle. Des écoles ont été créés et ce depuis les années 90, pour former les cubains au secteur du tourisme. En cette période de réchauffement mais toujours d’incertitudes, le gouvernement cubain maintient son intention d’investir dans ce secteur le sachant relativement protégé des sanctions américaines.

Une des raisons pour lesquelles on peut penser que le tourisme cubain est protégé c’est l’investissement massif de la chaine hôtelière américaine Starwood. Un accord a en effet été signé le 6 mai dernier accordant au géant américain la gestion de trois grands hôtels à la Havane dont deux seront rénovées pour en faire des hôtels de luxe. Quand on sait la collaboration faite entre les entreprises américaines et l’état dans le renseignement économique, à travers notamment In-Q-Tel, (fond d’investissement fondée en 1999 par d’anciens agents de la CIA), on peut supposer que le tourisme à Cuba restera un secteur majeur. Ce type d’événements vient donc conforter Cuba dans sa décision de soutenir encore le tourisme au sein de son territoire. Un plan quinquennal a d’ailleurs été initié par le Ministre cubain du tourisme qui souhaite augmenter le nombre de chambres d’hôtels de 63 000 à 85 000. Cela permettrait à Cuba d’accueillir une clientèle en constante hausse. On compte une augmentation de 77% des touristes américains en 2015. Dans ce contexte favorable à l’implantation d’entreprises touristiques, le géant Airbnb est parvenu à s’implanter, échappant lui aussi aux sanctions américaines grâce à la niche qu’il occupe. On compte en effet plus de 4000 logements à Cuba disponibles sur le site. De la même manière, Cuba a souhaité rénover l’aéroport de la havane en chargeant les travaux à l’entreprise française Aéroport de Paris.

Tous les feux semblent donc au vert pour investir massivement dans ce secteur qui rappelons-le, est à l’abri des sanctions américaines et d’un éventuel durcissement des relations suite à l’élection de Donald Trump. Ce secteur a cependant déjà connu des crises qui ont mises à mal l’économie cubaine. En effet, bien que Cuba tente de se diversifier, et nous y reviendrons plus tard, la majorité des investissements dans le pays sont faits dans le tourisme. Ainsi en 2008, ce secteur a vu ses résultats chuter à cause de la crise des subprimes. Cette crise fut pire que la précédente qui avait eu lieu en 2005. Ce que montre cet exemple, c’est la dépendance de l’économie cubaine vis à vis de celles des pays partenaires. Le risque pour Cuba serait de voir surgir une nouvelle crise économique mondiale qui pourrait ruiner les efforts fait dans ce secteur, et accroître la dette cubaine qui est l’une des plus importantes au monde.

N’oublions pas que Cuba a une vision de ce que doit être le tourisme. Fidel Castro s’était  exprimé en rappelant qu’il ne souhaitait pas voir Cuba tomber dans le « tourist gambling » en favorisant le tourisme sexuel ou les drogues. Même si de nombreuses voix s’élèvent pour dire que faire du tourisme à Cuba revient à vendre l’âme de l’île, lui souhaitait créer un nouveau concept de tourisme durable notamment grâce aux dimensions écologiques, économiques et sociales. A  travers ces déclarations on peut déduire que certaines activités commerciales pourront être interdites contrairement à d’autres destinations touristiques. Aussi peut-on douter de l’implantation d’un Margarita ville à Cuba comme le souhaiterait le fondateur de la société, Jimmy Buffet.

Les deux défis qui se présentent à Cuba aujourd’hui pour garantir un développement constant et sain du secteur touristique sont le développement d’infrastructures de loisirs et restaurations, ainsi que la diversification de ses pôles touristiques. Le nombre croissant d’hôtels   commence à atteindre un seuil critique car l’île connaît une carence dans les loisirs ou encore la restauration. En effet, à trop concentrer ses investissement dans le tourisme hôtelier, Cuba a sous-estimé l’importance de créer des infrastructures pour offrir à ses touristes autre chose que ses plages. L’indicateur utilisé par le Ministère du tourisme cubain illustre parfaitement ce manque d’intérêts pour les commerces potentiels qui pourraient accroître l’attractivité de Cuba. Cet indicateur  est un ratio permettant de calculer la moyenne des retombées économiques pour le peuple cubain en fonction des chambres d’hôtel occupées dans le pays. Concernant la diversification de ses pôles touristiques, Cuba est déjà parvenu à identifier différentes zones et à investir près de 700 millions de dollars pour les développer. Aujourd’hui, 70% des revenus du tourisme viennent de deux endroits, la Havane et Varadero Beach.

Cuba souhaite donc continuer à investir massivement dans le tourisme qui est depuis plus de 20 ans le moteur de son économie. Cette stratégie est efficace car elle répond parfaitement aux problématiques posées par les sanctions américaines existantes ou potentielles. L’île doit cependant revoir sa vision du tourisme pour rester compétitive par rapport à ses voisins caribéens. La mort de Fidel Castro le 26 novembre dernier marque la fin de Cuba telle qu’on la connaît et annonce l’avènement controversé d’un nouveau modèle qui devra surmonter de nombreux obstacles, comme la mentalité cubaine toujours profondément ancrée par le communisme et le combat mené par son leader historique.

Par Clément Jarry, promotion 2016-2017 du M2 IESC

Sources

http://thecubaneconomy.com/articles/tag/trade-strategy/

http://www.globalsecurity.org/military/world/cuba/economy.htmhttp://thecubaneconomy.com/articles/tag/trade-strategy

http://www.strategy-business.com/article/Reconnecting-Cuba?gko=e3fff

http://todobi.blogspot.fr/2008/05/business-intelligence-en-cuba.html

http://www.nationalgeographic.com/travel/destinations/caribbean/cuba/how-tourism-will-change-cuba/

http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2016/10/26/levee-de-l-embargo-contre-cuba-pour-la-premiere-fois-les-etats-unis-s-abstiennent_5020879_3222.html

http://publications.atlanticcouncil.org/uscuba//

http://www.nytimes.com/2016/11/16/world/americas/cuba-donald-trump.html?_r=0

https://www.thestreet.com/story/13490830/1/why-you-should-invest-in-cuba-and-how-to-do-it.html

http://www.as-coa.org/articles/cubas-tourism-economy-boon-and-dilemma

http://revista.drclas.harvard.edu/book/tourism-development-cuban-economy-english-version

Admin M2 IESC