COP21 : la face émergée de débats plus profonds

Alors que la COP21 se clôture sur la signature de nouveaux accords, qu’on ne peut en effet considérer que comme des avancées, tant en terme d’environnement (même si des objectifs plus audacieux pourraient être fixés) qu’en terme de coopération internationale. Cette COP21, c’est aussi un moment où l’ampleur internationale – renforcée par sa présence sur notre territoire en ce qui nous concerne – ravive l’important débat de l’environnement et d’un développement durable de nos sociétés.

Des faits sont établis en ce qui concerne les risques liés à nos modes de développement : les chercheurs du GIEC confirment en effet régulièrement à travers leurs recherches les risques liés au climat pour la survie de l’humanité, ainsi que la part important de l’implication de l’activité humaine dans le réchauffement climatique lors de ce dernier siècle. Leur 5ème rapport à l’intention des décideurs le confirme : « L’influence de l’homme sur le système climatique est clairement établie, et ce, sur la base des données concernant l’augmentation des concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, le forçage radiatif positif, le réchauffement observé et la compréhension du système climatique »[1]. Et de ces faits et prévisions découlent des objectifs variés, allant de l’accord sur les 2% de réchauffement d’ici la fin du siècle – sorte de pierre angulaire de la COP21 – à des décisions de partage des coûts engendrés par le ralentissement nécessaire de modèles productivistes qui, pour la croissance de nos sociétés, doivent passer par des « externalités négatives » biens connues : pollution donc réchauffement climatique, extractivisme de matières première et d’énergie non renouvelables, …

Dès lors que ces objectifs sont admis par une majorité de la communauté internationale (et même si ce n’était pas le cas) se pose la question des moyens : est-il possible et sommes-nous en capacité de mobiliser les ressources nécessaires à l’atteinte de ces objectifs ? Ces derniers semblant parfois trop peu ambitieux vis-à-vis des dangers environnementaux qui nous guettent, pourquoi ne nous accordons nous pas sur des accords plus sévères ? Le modèle de développement productiviste, consumériste et extractiviste sur lequel s’est fondé le niveau de vie des populations occidentales – et sur lequel fondent aujourd’hui leur développement les pays en rattrapage économique – doit-il, voir, peut-il être dépassé ? Nous nous accorderons donc, qu’outre la question d’un accord sur des objectifs et contreparties, une question plus fondamentale émerge : la poursuite du développement de nos sociétés dans un cadre qui sauvegarde l’humanité dans sa « globalité », autrement dit par l’inclusion de chaque individu (car les premiers à subir les répercussions de désastres environnementaux seront les plus démunis).

Ce papier s’interroge donc sur un débat qui a débuté il y a déjà quelques années : quel modèle de transition pour quelle société demain ? Autrement dit, à couvert des discussions internationales de la semaine passée, quels sont les grands courants de pensée qui proposent des solutions ?

Dans cette optique, nous étudierons donc deux courants de pensée qui s’affrontent sur le terrain du « développement durable», considérant en particulier la croissance depuis des points de vue divergents. Nous verrons d’une part la solution fondée sur des modes de « croissance verte » ou la remise en cause des fondements économiques du développement contemporain n’existe pas, et d’autre part le chemin vers une « autre croissance », ou les innovations sociales, sociétales, et écologiques remettent en cause les fondements économiques de la « croissance » comme elle est perçue aujourd’hui.

Il y a en effet d’autres visions qui se présentent à nous lorsque l’on s’intéresse aux limites de la croissance induites par les limites naturelles. Nous avons écarté volontairement deux d’entre elles. D’une part celle qui ignore la réalité du changement climatique induit par l’homme, dite des « climato sceptiques » (avec en tant que chef de fil français Claude Allègre[2]), ou qui lorsqu’elle l’accepte, considère que l’évolution scientifique la dépassera (vision relativement scientiste et peu pragmatique). D’autre part la vision des « décroissants » (terme entendu par la volonté réelle de décroitre, et observé comme une réelle régression sociale) puisqu’elle n’implique aucun changement de paradigme mais considère la croissance actuelle comme non-modifiable (dans son concept et dans sa nature) et accepte donc le modèle actuel comme inchangeable, sauf à faire marche arrière.

I. Le concept de croissance verte

L’OCDE définit la croissance verte de la manière suivante (2011) : « une politique de croissance verte consiste à favoriser la croissance économique et le développement, tout en veillant à ce que les actifs naturels continuent de fournir les ressources et les services environnementaux sur lesquels repose notre bien-être. ».

La croissance verte reprend donc à son compte un premier concept qu’est celui de croissance, puis un second qu’est celui de bien être, dans lequel la question environnementale prend une place importante. L’utilisation de la croissance dans ce concept est fondée sur sa définition économique : la mesure de l’accroissement du PIB, soit la valeur ajoutée créée par la société. Partant du principe que la valeur ajoutée est redistribuée entre capital et travail, alors, la croissance a un impact direct sur la « dynamique des salaire ».[3] Cette notion n’est pas remise en cause, et est même définie comme nécessaire, entre autre par l’OCDE. Par ailleurs, la prise de conscience que l’indicateur qu’est le  PIB (et donc la croissance) ne prend pas en compte le « bien-être », amène à repenser la « croissance économique » non comme unique objectif, mais s’accompagnant de la prise en compte de l’environnement.

Cette dimension de l’environnement s’attelle à la notion de « bien être » autrement dit de « qualité de vie ». C’est aussi une notion de long terme, suivant largement la définition du développement durable et souhaitant prendre en compte les générations futures.

Ce concept pose donc les objectifs d’une croissance durable dans le respect de l’environnement et des générations futures, voyons maintenant ce qui le différencie du point de vue que nous soulèverons en seconde partie.

L’un des outils les plus importants soutenu par les défenseurs d’une croissance verte reste l’utilisation d’instruments fondés sur les prix : « Leur objectif, en influençant le système des prix, est de créer des incitations à modifier les comportements. On distingue deux instruments, les taxes ou les marchés de permis. Les premiers infligent une pénalité à la pollution, les seconds n’autorisent qu’un niveau global de pollution et laissent les pollueurs décider entre eux de « l’organisation » de la pollution. ».[4] En outre, cela signifie clairement que l’attitude adoptée est de s’en référer à ce système d’organisation bien connu : le marché. Ne négligeant pas l’importance des politiques publiques pour autant (car l’organisation de tels marchés nécessite une impulsion des pouvoirs publics), nous remarquerons que l’idée d’utiliser le marché pour résoudre la problématique de la soutenabilité, elle-même fruit des défaillances du marché (impossibilité de prendre en compte les coûts environnementaux sur le long terme), laisse perplexe. C’est en effet sur cette probable contradiction, ainsi que sur la réfutation du marché en tant qu’organisateur efficient des échanges, que se fonde le point de vue antagonique du besoin d’un autre « mode de croissance ».

II. Vers un autre modèle de croissance

En 1972, une équipe de chercheurs du MIT publiait ses recherches dans un ouvrage intitulé « The Limits to Growth », aussi connu sous le nom de « Rapport Meadows ». Approche systémique demandée par le Club de Rome, ces recherches présentaient différents scénarios d’évolution des indicateurs de croissance, tenant compte de la production, de l’évolution des techniques, de la consommation, de la pollution, de la population, … et tombaient à travers l’ensemble des simulations sur un effondrement du système ayant pour cause la limite environnementale (la pollution d’une part, les stocks de matières premières d’autre part). Le titre français résume bien les conclusions de ce rapport : « Les limites de la croissance (dans un monde fini) ».

Même si beaucoup ont remis en cause la précision des résultats de ces études (il existe en effet des décalages temporels entre les évènements annoncés et la réalité), il n’en reste pas moins que la mise à jour et le perfectionnement des modèles n’annoncent que mieux cet effondrement. L’humanité a d’ailleurs pour un certain nombre de matières premières déjà dépassé les pics de production[5], alors même qu’un certain nombre de mesures ont déjà été prises, et d’accords internationaux signés (et plus ou moins respectés). Ce qui nous porte à penser notre développement à travers de nouvelles formes de croissance, remettant en cause une production « économique » fondée sur le quantitatif au profit du qualitatif.

Cette position – la volonté de développer de nouveaux modèles de croissance – se fonde sur une critique sévère du concept de « croissance » actuellement utilisé. Deux éléments fondamentaux permettent la « croissance » : l’abondance matérielle et l’expansion quantitative de la production dans la sphère monétaire[6]. Cette considération de la croissance s’effectue selon un indicateur précis : le PIB, et nombreuses sont les remises en cause de la construction de cet indicateur. La croissance peut en effet diverger des variations des indicateurs de bien être ou de développement humain. La commission Stiglitz soulignait en 2009 que l’utilisation du PIB impliquait une mesure de la « croissance quantitative sans prise en compte des conditions écologiques et sociales de la production. A titre d’exemple, réfutant la pertinence même de cet indicateur : le fait de « boire de l’eau du robinet est un délit pour la croissance »[7].

Face à ce constat d’une croissance qui ne semble plus pertinente (en particulier pour les pays développés) et qui peut même sembler dangereuse (à la vue des limites environnementales), s’impose de renouveler le concept de croissance. La voie alors proposée est la « croissance qualitative », en s’excluant du consommer plus pour produire plus, pour se diriger vers le consommer mieux pour produire mieux, en mettant en valeur les caractéristiques sociales, environnementales et humaines de la production et de la consommation. Ce point de vue impose une vision construite sur une transversalité des sciences humaines, et non sur une hégémonie de la science économique. En effet, comment considérer quantitativement une amélioration de la qualité d’un service ? Voici un exemple pour illustrer cette contradiction : lorsque qu’un enseignant donne une heure de cours, l’unique moyen d’améliorer sa productivité (dans les chiffres) est d’augmenter le nombre d’élèves par classe. En définitif s’impose une diminution de la qualité de l’enseignement reçu par chaque élève pris individuellement, et cet exemple peut être transposé à l’ensemble des services sociaux, et plus largement aux services dans leur globalité.

Un deuxième élément soulevé par cette théorie d’une nouvelle croissance est la profonde modification de nos modes de production vers des modes de production « sain ». Basé sur le constat que l’augmentation des gains de productivité (à travers l’évolution des techniques scientifiques tel la mécanisation, et les OGM, …) ne répond pas à la problématique de l’emploi. Une transition vers un mode de production plus écologique permettrait la création d’emploi dans le secteur agricole, tout en permettant la consommation de biens plus adaptés à la santé humaine. En effet, cette conception pourrait être perçu comme une régression, si elle ne s’arrêtait qu’à une considération productiviste (plus de travailleurs pour la même quantité de biens produits), mais cela suppose de négliger les coûts liés à l’environnement, à la santé, … Bien évidemment, s’impose aussi de revoir nos modes de consommation, en particulier la question de la viande rouge, largement surconsommée dans les pays occidentaux, et nécessitant une importante consommation de produits de l’agriculture pour leur production. Par ailleurs, dépasser la question bien connue de l’ « obsolescence programmée » permettrait l’obtention d’équipements plus durable, et une redistribution d’une partie des emplois alloués à la production vers l’agriculture.

Le monde d’aujourd’hui étant soit disant régi par la règle selon laquelle « l’offre créée sa propre demande », les modifications induites par de tel changement dans les rapports sociaux au sein du mode de production impliqueront une transformation des rapports sociaux au sein même de la société. A travers ces changements, la question du partage des richesses n’est, on s’en doutera, pas anodine.

Enfin, cette vision ne soutient pas la volonté d’une stagnation du développement, mais conserve les notions d’innovations, qu’elles soient scientifiques, sociales ou écologiques : celles-ci sont et resteront nécessaires, en tant qu’outil d’un développement durable, et non comme objectif scientiste.

Conclusion

En conclusion, nous remarquerons que la question environnementale est reliée dans le débat à des questions bien plus profondes. Les positions des décideurs au niveau international varient en effet entre les deux conceptions que nous avons exprimées : d’un côté une « croissance verte », de l’autre un « changement » radical de croissance. Ce débat s’illustre par les développements de l’OCDE sur la croissance verte, tentant d’inciter la prise en compte de l’environnement par des mesures tarifaires, et par les tentatives de redéfinition des grands indicateurs de développement et de richesse, en l’occurrence le PIB, par la commission Stiglitz mais aussi à travers les travaux de nombreux économistes du « bien-être ». Enfin, peut-on réellement parler d’alternative en ce qui concerne la croissance verte ? Il ne semble pour l’instant pas puisque les fondements économiques des modèles de production ne sont pas remis en cause, ce qui implique de conserver la structure actuelle pour répondre à des défis produits par cette même structure. Il faut aussi considérer que la production de nombreux équipements « verts » nécessite d’avoir recours à l’extractivisme : l’équipement de la population mondiale sous cette forme est-il possible dans les limites des ressources naturelles ?

En ce qui concerne le changement de mode de croissance, comment peut-on opérer cette transition dans les pays en développement, qui souhaitent (à juste titre) opérer un rattrapage économique ? Comment opérer cette transition dans le temps imparti, sachant que de profonds changements sont indispensables dans les milieux politiques et dans les modes de vie des citoyens, ce qui peut prendre plusieurs générations ?

Ce débat a encore de longs jours devant lui puisqu’il s’implique désormais dans une conception transversale de l’organisation de nos sociétés, ne prenant pas uniquement en compte l’aspect économique, mais reconsidérant les aspects sociaux, écologiques, humains, sociétaux. Les réponses à ces questions apparaitront sûrement dans les années à venir, mais leur débat au sein des instances internationales et nationales, les récentes discussions à la COP21, et la prise de conscience globale de l’humanité ne peuvent annoncer qu’un avenir porteur d’espoir en ce qui concerne l’environnement.

Par Jérémy Quilleré, Etudiant promotion 2015-2016 du M2 IESC

Bibliographie

“Croissance, un culte en voie de disparition », Jean Gadrey, Le Monde Diplomatique, Novembre 2015.

« Le théâtre d’ombre des négociations internationales », Agnes Sinaï, Le Monde Diplomatique, Novembre 2015.

« The Limits to Growth », Dennis Meadows, Donella Meadows, Jørgen Randers, and William W. Behrens III, 1972.

“Adieu à la croissance, bien vivre dans un monde solidaire », Jean Gadrey, Editions Alternatives Economiques, 2015.

« Croissance zéro – Comment éviter le Chaos ? », Patrick Artus & Marie-Paule Virard, Editions Fayard, 2015.

« La mystique de la Croissance – Comment s’en libérer », Dominique Méda, Flammarion, 2013.

« Placer la croissance verte au cœur du développement – Pourqui la croissance verte est-elle indispensable pour les pays en développement ?, OCDE, 2013.

Caroline Norrant-Romand, « Claude Allègre, L’imposture climatique ou la fausse écologie », Territoire en mouvement Revue de géographie et aménagement [En ligne], 22 | 2014, mis en ligne le 13 juin 2014, consulté le 12 décembre 2015. URL : http://tem.revues.org/2486

“La « croissance verte » est une mystification absolue », Philippr Bihouix, 16 juin 2015, http://www.reporterre.net/La-croissance-verte-est-une-mystification-absolue

« Croissance verte et croissance économique », Fanny Henriet et Nicolas Maggiar, Bulletin de la Banque de France N°190, 4e trimestre 2012.

[1] « Changements Climatiques 2013, Les éléments scientifiques. Résumé à l’intention des décideurs, résumé technique et foire aux questions. », GIEC, OMM & PNUE, 2013.

[2] Caroline Norrant-Romand, « Claude Allègre, L’imposture climatique ou la fausse écologie », Territoire en mouvement Revue de géographie et aménagement [En ligne], 22 | 2014, mis en ligne le 13 juin 2014, consulté le 12 décembre 2015. URL : http://tem.revues.org/2486

[3] « Croissance verte et croissance économique », Fanny Henriet et Nicolas Maaggiar, Bulletin de la Banque de France N°190, 4e trimestre 2012.

[4] idem

[5] Pic de production* : moment où la production mondiale d’un ressource non renouvelable atteint un maximum à partir duquel elle baisse de façon irréversible par suite de l’épuisement de la ressource.

[6] “Adieu à la croissance, bien vivre dans un monde solidaire », Jean Gadrey, Editions Alternatives Economiques, 2015.

[7] idem

 

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