Chimie Archives - Master Intelligence Economique et Stratégies Compétitives Le Master Intelligence Economique qui combine analyse économique, outils de veille, e-réputation, gestion de crise et big data via une formation sur deux ans. Mon, 19 Feb 2018 12:08:12 +0000 fr-FR hourly 1 La persistance des parabènes : entre verrouillage technologique et stratégie marketing https://master-iesc-angers.com/la-persistance-des-parabenes-entre-verrouillage-technologique-et-strategie-marketing/ Mon, 19 Feb 2018 12:08:12 +0000 http://master-iesc-angers.com/?p=2657 Après avoir montré sur quoi repose le paradigme des cosmétiques à l’heure actuelle, intéressons-nous maintenant aux trajectoires des firmes cosmétiques à l’intérieur de celui-ci. Comment les firmes de l’industrie cosmétique évoluent dans ce paradigme technologique basé sur la pétrochimie ? Comment… Continuer la lecture

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Après avoir montré sur quoi repose le paradigme des cosmétiques à l’heure actuelle, intéressons-nous maintenant aux trajectoires des firmes cosmétiques à l’intérieur de celui-ci. Comment les firmes de l’industrie cosmétique évoluent dans ce paradigme technologique basé sur la pétrochimie ? Comment les procédés techniques conventionnels évoluent-ils face aux problèmes liés au pétrole? Nous travaillerons pour traiter ces questions sous l’éclairage des parabènes de plus en plus critiqués. Il est important de prendre en compte plusieurs dimensions pour expliquer les trajectoires des firmes au sein d’un paradigme à savoir : les opportunités technologiques, l’appropriabilité des connaissances ainsi que leur cumulativité.

Depuis maintenant quelques années, nous entendons parler à tout va des dangers avérés ou supposés de certaines substances chimiques utilisées en cosmétique, sur la santé et l’environnement. Les parabènes, par exemple sont des substances sérieusement pointées du doigt mais dont les effets ne sont pas clairement établis. On leur reproche d’être des perturbateurs endocriniens ou encore de favoriser certains types de cancers. Il en existe plusieurs jugés plus ou moins dangereux. Malgré beaucoup de contestations, ils restent largement utilisés dans les cosmétiques mais de manière encadrée par la directive 76/768/CE du 27 juillet 1976[1] car ils possèdent de nombreux avantages. En effet, ce sont entre autres de bons conservateurs, antifongiques et antibactériens. De plus, ils sont bons marchés et sont également bien maîtrisés car utilisés depuis longtemps dans cette industrie. On les retrouve dans la majorité des produits (80%) car ils améliorent sensiblement la texture d’un produit, son aspect et parfois même son odeur. Suite à cela, on voit que se pose un réel dilemme concernant ces substances. On voit bien qu’ils possèdent de nombreux avantages pour les firmes cosmétiques qui doivent toujours essayer de produire au moindre coût et de proposer les produits les plus attractifs aux clients.

*Une étude de Rastogi et coll. (2006) a mis en évidence que les parabènes les plus fréquemment utilisés étaient le méthylparaben, puis l’éthylparaben, le propylparaben, le butylparaben et enfin le benzylparaben

Ces substances sujettes à controverse continuent de faire débat. Par exemple, le projet de loi Lachaud appelé plus couramment loi anti-parabènes a été adopté le 3 mai 2011 à l’Assemblée Nationale. Cette loi vise à interdire l’utilisation des phtalates, alkylphénols et parabènes. Les acteurs de l’industrie des cosmétiques et plus généralement ceux de la chimie l’on vivement contesté. Ils ont remis en cause la faisabilité de cette loi car elle nécessiterait de repenser toute l’industrie, les parabènes étant les conservateurs les plus utilisés dans la cosmétique, également utilisés dans l’agroalimentaire. Se passer de ces substances nécessiterait des dépenses en R&D colossales afin de trouver des substances de remplacement aussi efficaces et à bas coût. En fin de compte, la loi Lachaud n’a pas été votée au Sénat et n’est pas prévue à l’ordre du jour.

Quant à la réglementation REACH, elle n’a pas freiné l’utilisation des parabènes grâce à sa procédure d’autorisation/restriction. Nous pouvons voir avec tous ces éléments que les firmes cosmétiques sont en quelques sortes prises à la gorge, avec le dilemme que nous avons soulevé. Celles-ci sont d’une part déjà engagées dans une technologie avec les parabènes, qu’elles maîtrisent bien et qui reste bons marché et d’autre part, elles subissent des pressions constantes afin de les remplacer. Malgré le fait que la loi Lachaud n’ait pas été adoptée, sa proposition par un député et son vote à l’Assemblée Nationale témoignent de la force des contestations concernant ces substances. La « demand pull » prend ici tout son sens. On comprend donc aisément qu’un problème se pose pour les firmes face à ce dilemme des parabènes. La solution résiderait dans la « découverte » de substituts avec les mêmes propriétés. On assisterait alors à une réelle innovation[2]. Mais comme toute innovation, cela engendre de nombreux coûts et une incertitude au niveau du résultat. L’entreprise qui trouverait un substitut de ce genre aurait un avantage de taille: on pourrait parler de « first mover ».

Suite à ce constat, nous pouvons nous demander quelles stratégies ou trajectoires vont-elles suivre à l’intérieur du paradigme que nous avons dressé précédemment ? Suite à nos recherches sur les firmes cosmétiques nous avons identifié 3 grandes trajectoires[3] possibles des firmes cosmétiques :

  • les trajectoires classiques : les firmes restent fortement ancrées dans le paradigme de la pétrochimie et utilisent encore de façon massive et prioritaire les parabènes comme agent de conservation. On peut ajouter que ce genre de firme préfère se focaliser sur les qualités ou attributs que l’on assigne généralement à des produits cosmétiques : efficacité des résultats, attractivité (odeur, texture), prestige.
  • les trajectoires intermédiaires : on regroupe les firmes qui diversifient leur gamme de produits en offrant des cosmétiques conventionnels et des cosmétiques « sans parabènes » ou « verts » (ex : l’Oréal). Ces trajectoires sont habituellement suivies par de grands groupes cosmétiques qui disposent des fonds nécessaires pour conquérir plusieurs segments du marché.
  • les trajectoires alternatives ou vertes : elles concernent les firmes qui fabriquent exclusivement des cosmétiques verts ou bios, ou du moins des firmes ayant abandonné les parabènes en tant que conservateurs. On peut affirmer que les innovations dans ce type de trajectoire sont des facteurs clé de succès.

Une chose importante à souligner lorsqu’on traite des trajectoires des firmes cosmétiques est la difficulté d’enfermer un groupe ou une firme dans une des trajectoires. Parfois elles se chevauchent, car les firmes ou grands groupes détiennent plusieurs marques ce qui rend la tâche plus compliquée. Aussi, au sein d’une même marque, un groupe peut développer différents types de produits. Comment classer un groupe développant des produits conventionnels et qui afin de suivre la tendance sort un produit sans parabène ou un produit bio ? Tout le problème de classification réside ici. Nous garderons à l’esprit cette difficulté et la possible inexactitude de notre interprétation. Nous donnerons des exemples de firmes cosmétiques quand cela sera possible mais nous travaillerons principalement sur les marques pour illustrer nos propos.

Verrouillage technologique (ou « effet de lock-in ») et trajectoires classiques

Il faut rappeler que les firmes agissent selon des « routines » propres pour reprendre les termes de G.Dosi (1988) et préalablement établies au cours du temps. La notion de « routines » renvoie à l’idée d’une importance des actions passées ou « poids de l’histoire » dans les choix technologiques actuels, dans les trajectoires technologiques présentes. Ce « poids de l’histoire ou de l’habitude » peut entraîner des phénomènes de verrouillage (effet de « lock-in ») dans une trajectoire technologique. On peut résumer cette idée avec la théorie de la dépendance de sentier qui explique comment un ensemble de décisions passées peut influer sur les décisions futures. En d’autres termes, des particularités justifiées à une époque qui ont cessé d’être optimales ou rationnelles peuvent perdurer indéfiniment parce des changements impliqueraient un coût ou un effort trop élevé à un moment alors même que ce changement pourrait être payant sur le long terme.

Après ce bref rappel théorique, on associe facilement le fait d’un verrouillage technologique aux firmes produisant des cosmétiques conventionnels suivant donc des trajectoires classiques. Ces firmes ont choisi de garder le même cap et de continuer avec les parabènes dans la formulation de leurs produits. Elles gardent cette ligne de conduite utilisant la base de connaissances actuelle, les procédés et méthodes développés grâce au processus d’apprentissage (cumulativité des connaissances).

Dans ce cas, l’innovation se traduit surtout par des innovations incrémentales. Elle peut prendre la forme de nouveaux produits proposés aux clients sur le marché. En effet, ces firmes vont proposer des produits nouveaux, mais non révolutionnaires au niveau de leur conservation du moins (ex : une nouvelle gamme de rouge à lèvre waterproof). L’appropriabilité ici sera non technique puisque les firmes jouent sur des facteurs tels que : la marque, les canaux de distribution, le packaging.

Dans ces trajectoires, les firmes ont acquis des savoir-faire et développé des technologies au fur et à mesure du temps. Elles ont donc du mal à s’en détacher. Dans le cas des parabènes, ces firmes ont conscience de l’efficacité de ces substances et des avantages qu’elles présentent. Mais elles ont également conscience de la difficulté à changer de trajectoire, à changer de mode de conservation.

Aujourd’hui, malgré les remises en cause fréquentes des parabènes ces entreprises n’envisagent pas de changer leur mode de conservation car cela leur coûterait cher en R&D d’une part et en terme d’apprentissage d’autre part. Au-delà de ça, de nouvelles substances de conservation impliqueraient de revoir toute la reformulation d’un produit car les parabènes possèdent différentes caractéristiques pouvant améliorer la conservation, mais aussi la texture. De ce fait, se passer de telles substances dans une industrie où l’esthétique règne, semble compliqué et très coûteux.

Les trajectoires classiques sont celles qui confortent le fait qu’on se maintienne dans un paradigme de la pétrochimie où le plus important reste de proposer des produits efficaces en évacuant de potentielles préoccupations environnementales ou sanitaires. Enfin, cette trajectoire est suivie par beaucoup de « marques de cosmétiques » conventionnelles. En effet, il est difficile d’identifier des firmes ou groupes suivant cette trajectoire dans la mesure où en général, ils regroupent une multitude de marques. Le fait de posséder plusieurs marques donnent la possibilité à ce groupe de diversifier ces produits entre cosmétiques conventionnels et sans parabènes ou bio. Aussi, la plupart des marques aujourd’hui disposent de certains produits sans parabènes et également bio. A titre d’exemple, on pourrait citer des grandes marques de luxe comme Chanel ou Guerlain qui ont pignon sur rue dans le domaine des cosmétiques traditionnels. Ces marques ne sont pas connues pour développer des produits sans parabènes ou même bio. Elles ont une longue tradition derrière elles basé sur le luxe et l’image. Ces marques restent en quelques sortes prisonnières de cette tradition et de l’image qu’elles véhiculent. Peut-être que si ces grandes marques de luxe se reconvertissaient brutalement dans le bio, le consommateur ne lui reconnaîtrait aucune légitimité sur ce segment du marché ? (cas de Nestlé dans l’agroalimentaire).

Les trajectoires intermédiaires : une solution au phénomène de « lock-in »

Les trajectoires intermédiaires seraient d’après nous les plus répandues et les plus faciles à identifier à ce jour. Elles regroupent les firmes qui détiennent des marques conventionnelles utilisant toujours les parabènes en tant que conservateur mais aussi des marques spécialisées dans le bio et le sans parabènes. Cette trajectoire est souvent le fait des grandes multinationales qui ont une large possibilité d’action, sur différents segments du marché. A l’exemple du groupe l’Oréal, qui possède de nombreuses marques[4] qu’il a parfois racheté à l’exemple de Body Shop. L’Oréal se place sur plusieurs segments avec : l’Oréal luxe, cosmétique active, produits grands public, produits professionnels. Ce groupe s’est également engagé dans différentes directions : les produits capillaires, les crèmes, le maquillage, la parfumerie. Donc, nous voyons aisément que ce grand groupe essaye de couvrir l’ensemble du marché. Et bien sûr, le leader français s’engouffre également dans la vogue du « sans parabènes » et du bio. Par exemple, la marque Sanoflor est certifiée par le label ecocert et tous les produits répondent à la charte Cosmebio. Sur le site officiel de la marque Sanoflor on peut lire afin de prouver l’innocuité des produits : « Sans parabène, sans huile minérale, sans sel d’aluminium, sans silicone, sans éthanol, sans tensio-actifs pétrochimiques, sans colorant artificiel, sans sulfate, sans PEG, sans phénoxyéthanol, sans OGM ». La marque Sanoflor indépendante à l’origine n’est pas forcément toujours associée à l’Oréal par les consommateurs.

Nous saisissons également aisément pourquoi cette trajectoire de diversification nécessite de gros moyens. Pour illustrer cela l’Oréal assigne une R&D à hauteur de 3,5% de son chiffre d’affaire soit deux fois plus que ses concurrents et est engagé dans la recherche fondamentale de manière poussée. Avec plus de 25000 brevets actifs, et 600 brevets déposés chaque année l’Oréal tient à protéger ses innovations et à montrer une image de cosmétiques novateurs. Ce groupe encourage également l’innovation au sein de sa boîte en offrant des gratifications financières aux innovateurs. Il faut également beaucoup de fonds pour développer plusieurs types de produits, plusieurs gammes. La réputation du leader français qui n’est plus à faire repose beaucoup sur l’efficacité de sa recherche et son engagement dans la recherche fondamentale.

Les grands groupes cosmétiques s’engouffrent dans ce type de trajectoire, parce qu’ils en ont les moyens, et que c’est celle qui s’avère la plus payante pour eux. En effet, en jouant sur plusieurs tableaux elles engrangent plus de bénéfices. Mais aussi, les firmes bénéficient également d’une potentialité technologique plus riche. En faisant de la recherche sur les substances conventionnelles mais également sur des substances alternatives (ou vertes) les possibilités d’innovation et les découvertes s’en trouvent démultipliées. Clairement, dans ce cas-ci les acteurs du secteur peuvent protéger leurs innovations grâce à des brevets comme l’Oréal a coutume de le faire. L’Oréal peut également assurer une appropriabilité non technique de ses découvertes avec une rapidité de mise sur le marché et grâce à son image de leader (crééer de la confiance pour le consommateur) tout simplement. Lorsque l’Oréal innove dans une direction elle s’impose en « first mover » et guide les autres dans leur processus d’innovation ou de progrès. Dans cette trajectoire, on observe encore une forte influence de la pétrochimie et des connaissances déjà accumulées dans les cosmétiques conventionnels. Mais au-delà de ça, les firmes essayent de s’adapter à la demande en proposant plusieurs gammes de produits plus ou moins innovantes. Les grands groupes dominent dans cette trajectoire car comme on l’a dit les acteurs de l’industrie mobilisent des fonds importants pour développer de nouveaux produits, procédés ou substances. Mais d’un autre côté, dans cette trajectoire la concurrence se fait par les prix également pour les cosmétiques conventionnels car même si le prix de vente importe peu dans cette industrie, la firme qui produit à moindre de coût détient un avantage énorme. Par conséquent, les petites firmes ne choisissent évidemment pas cette trajectoire intermédiaire inadaptée pour elles.

Le sans parabènes, le bio : argument marketing

Les trajectoires intermédiaires des grands groupes témoignent de l’importance de la « Demand-pull » au sein de l’industrie cosmétique. Pourquoi les firmes cosmétiques se lanceraient dans des projets de recherches coûteux qui peuvent ne pas aboutir si les consommateurs ne désiraient pas obtenir des produits innovants et plus sûrs ? Cependant, le monde de la cosmétique regorge d’énigmes pour le consommateur lambda. En effet, les produits cosmétiques font l’objet d’un marketing acharné afin de le rendre le plus attractif possible donc il est facile de se laisser méprendre par la transparence limitée qui est inhérente à ce secteur. Et on le voit très bien avec le sans parabènes. Le sans parabènes ou no parabens, est devenu un véritable slogan utilisé à tout-va. Sur les contenants des produits est inscrit en grand « sans parabènes » ou « produit bio ». Ce genre de stratégie marketing pousse les consommateurs à acheter ces produits qui parfois se révèlent pires que leurs équivalents en cosmétique conventionnelle. On ne sait souvent pas grand-chose sur l’agent de conservation utilisé à la place (ex : méthylisothiazolinone qui fait également débat). Parfois même certains produits ne nécessitent pas d’agent de conservation.

On pourrait de ce fait se demander, que signifie réellement la mention « sans parabènes ». « Sans parabènes » peut vouloir dire « sans conservateurs » mais sur des cosmétiques qui n’en nécessitent pas, à l’exemple des huiles et formules sèches. Ici, la mention « sans parabènes » est purement marketing. Autrement, la mention « sans parabènes » peut aussi vouloir dire qu’il n’y a effectivement pas d’agent de conservation issus des parabènes mais qu’il y en a d’autres dont les effets peuvent être mal connus, voire graves.

Une réelle prise en compte du problème des parabènes : « les trajectoires vertes »

Certaines firmes cosmétiques l’ont bien compris. Si elles veulent tirer leur épingle du jeu dans une industrie dominée par de grands groupes, elles doivent se montrer innovantes et se localiser sur des segments particuliers du secteur.

Avec la montée des contestations de nombreuses substances pétrochimiques sur la santé et l’environnement, celles-ci ont su se positionner au bon moment. En effet, nous sommes en plein boom du bio, du sans parabènes. Aujourd’hui, le secteur des cosmétiques regroupe beaucoup de PME ou de start-up qui essayent tant bien que mal de cohabiter avec les géants de l’industrie. Le dernier type de trajectoire, « les trajectoires vertes » se contournent du paradigme pétrochimique. Ces trajectoires plus récentes s’adaptent peut être mieux au contexte actuel de flambée des prix du pétrole due à sa raréfaction et aux divers problèmes que posent les substances chimiques.

Comme nous l’avons déjà énoncé, cette trajectoire reste le fait de petites entreprises (PME, TPE, start-up) généralement. On le comprend bien étant donné que dans les cosmétiques conventionnels, les grands groupes dominent largement car ils sont arrivés en premier sur le marché et ils disposent de moyens financiers énormes. Les petites firmes ne peuvent pas rivaliser au niveau de la maîtrise des coûts, de l’expérience, et du prestige dont les grands groupes jouissent. Celles-ci ne peuvent tirer leur épingle du jeu que sur de nouveaux segments de marché encore peu développés (mais en plein essor) comme les cosmétiques verts. Ce marché récent comparativement à celui des cosmétiques conventionnels leur permet de s’introduire sur le marché et elles ont l’avantage de ne pas être enfermées dans des routines d’un autre temps ou de devoir supporter un quelconque verrouillage technologique.

Ce nouveau marché du sans parabènes ou du bio offre en fait à ces nouvelles firmes de puissantes potentialités technologiques. En effet, d’un problème (ici les parabènes) peut émaner en fait de nombreuses solutions innovantes, fruits de la R&D et de la recherche fondamentale ou d’éventuels partenariats. Les start-up innovantes peuvent s’engager dans un processus d’innovation qui leur permettra d’être leader sur ce segment. Par exemple, si une start-up trouve une alternative efficace aux parabènes avec les mêmes avantages, sans les effets nocifs celles-ci détiendraient un avantage de taille. Néanmoins, l’innovation est coûteuse pour ce type de firme mais elle peut permettre de gagner gros par la suite. Encore une fois la R&D reste une activité incertaine par nature dont on ne connaît pas l’issue.

Dans cette trajectoire, l’appropriabilité des connaissances peut se faire avec le dépôt de brevet bien entendu, et sur une avance au niveau de l’apprentissage et de la maîtrise des nouvelles découvertes. En effet, plus un acteur se positionne tôt sur une technologie donnée et plus il sera efficace dans sa maîtrise de celle-ci (courbe d’apprentissage). L’appropriabilité dans ce cas pourra être non technique également, s’appuyant sur une rapidité de mise sur le marché de nouveaux produits et sur le prestige d’innovation. En effet, une firme qui découvrirait par exemple une substance en remplacement du parabène avec les mêmes avantages sans les inconvénients bénéficierait d’un avantage « symbolique », d’une image positive associée à sa marque.

Nous pouvons pour illustrer dernière trajectoire alternative avec l’exemple de la start-up Pronovalg. Elle participe aux Grands prix de l’innovation dans la catégorie « Santé/Bio Tech ». Nous pouvons lire à propos de cette start-up : « Pronovalg produit à partir de micro-algues et de cyanobactéries des polysaccharides, des filtres UVA et UVB, des anti-inflammatoires, des anti-angiogéniques, des anti-fongiques et des anti-bactériens. A partir de ces actifs biologiques innovants, le projet vise le développement d’une ligne technique de produits dermo-cosmétiques positionnés sur les segments haut de gamme de la distribution sélective. »

Cette jeune pousse innovante utilise des microalgues ayant de fortes concentrations en actifs inédits efficaces d’origine naturelle. L’innovation au sein de cette entité s’entreprend vers 3 directions:

  • une innovation biologique : avec l’utilisation des microalgues riches en molécules inédites
  • une innovation technique : avec l’utilisation de nouveaux dispositifs déposés et efficaces
  • une innovation marketing : avec des moyens nouveaux pour se positionner à côté des grands noms de la cosmétique

On peut penser que cette jeune pousse accélérera les avancées dans les techniques de conservation bio dans les cosmétiques. De plus, lors de nos recherches on a pu voir que dans les cosmétiques il y avait une montée de ces petits acteurs très innovants. La rencontre de ces acteurs de la cosmétique durable a même donné lieu à la mise en place des « Cosmetic Days » prochainement. Cet événement témoigne de l’ampleur non négligeable que prennent ces nouvelles tendances vertes.

Nous avons mis en évidence les différentes trajectoires que les firmes du secteur peuvent suivre au sein du paradigme technologique de la pétrochimie. Certaines trajectoires s’avèrent mieux adaptées au contexte actuel et aux attentes des consommateurs. Cependant, les firmes du secteur n’agissent au final pas toujours de façon optimale car selon des « routines » ou habitudes passées elles deviennent dépendantes de la technologie dominante. Ce phénomène de verrouillage technologique connu par les firmes empruntant la trajectoire classique, est dépassé avec succès grâce aux trajectoires intermédiaires. Ces dernières permettent de diversifier leur offre et les technologies utilisées. Les firmes ayant opté pour ce type de trajectoire engrangent beaucoup de profits et bénéficient de potentialités technologiques importantes. Enfin, les trajectoires alternatives proposent de dépasser les problèmes posés par le paradigme pétrochimique. A la lumière du sans parabènes ou du bio, on observe une impulsion de la science, des technologies et des acteurs à la création de cosmétiques toujours plus adaptés à la demande. Mais attention, parfois les firmes ou marques ayant développé des produits « sans parabènes » ou bio peuvent jouer sur les mots ou user de stratégie marketing à la limite de la manipulation. Après avoir montré les déterminants et certaines limites du paradigme existant et les trajectoires possibles, essayons de voir si les remises en cause de la pétrochimie (REACH, consommateur, ONG) sont assez fortes pour déboucher sur un nouveau paradigme dans les cosmétiques.

Par Yuan Wang, promotion 2017-2018 du M2 IESCI

[1] Directive cosmétique de 1976 : pour plus de détails consulter la directive 76/768/CE du 27 Juillet 1976 et ses modifications successives

[2] Extrait du Manuel d’Oslo (2005) : Une innovation est la mise en œuvre d’un produit (bien ou service) ou d’un procédé nouveau ou sensiblement amélioré, d’une nouvelle méthode de commercialisation ou d’une nouvelle méthode organisationnelle dans les pratiques de l’entreprise, l’organisation du lieu de travail ou les relations extérieures.

[3] Il est cependant difficile de clairement identifier la trajectoire d’une firme dans la mesure où la plupart des firmes développent quelques produits bios, à côté de leur production habituelle de produits conventionnels.

[4] Liste non exhaustive de marques appartenant à l’Oréal : L’Oréal Professionnel, Kérastase, Redken, Vichy, La Roche-Posay, Sanoflor, Lancôme, Giorgio Armani

Bibliographie

Articles

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Catherine C., Isabelle L., Valérie R., La promotion des firmes françaises de Biotechnologie, De Boeck Supérieur, 120 | 4e trimestre 2007

Dosi,G (1988), Technological paradigms and technological trajectories, Research policy 11 (1982) 147-162

Dosi G, Winter S G., Interprétation évolutionniste du changement économiqueRevue économique 2/ 2003 (Vol. 54), p. 385-406

Guglielmo R, Principaux aspects du développement de la pétrochimie en France, Annales de géographie, p. 123-139 (1956)

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En fait, pour montrer si d’un paradigme pétrochimique on s’oriente (plus ou moins rapidement) vers un paradigme vert basé sur la chimie verte. Nous mobiliserons pour cela des données empiriques sur les brevets, la R&D afin de tenter de tirer des conclusions sur les tendances de marché de la cosmétique en Europe. Enfin, le cadre théorique retenu pour notre étude est celui de la théorie évolutionniste, avec la mobilisation des concepts de paradigme et de trajectoire technologique au cœur de notre analyse.

Nous avons déjà étudié la remise en cause du paradigme existant sous l’effet de REACH : une marche forcée vers la « chimie verte », du coup nous allons étudier cette fois-ci les trajectoires des firmes cosmétiques fortement ancrées dans le paradigme de la pétrochimie. Nous allons présenter d’abord sur quoi repose le paradigme existant (les caractéristiques du paradigme existant). La prochaine fois on va vous expliquer la persistance des parabènes : entre verrouillage technologique et stratégie marketing.

On fait explicitement référence au cadre théorique retenu pour notre étude, celui de la théorie évolutionniste avec les concepts de paradigme et de trajectoire technologique de G. Dosi (1988). Afin de clarifier notre propos, un rapide focus sur les définitions ainsi que sur la théorie nous semble judicieux. La théorie évolutionniste du changement technologique considère l’innovation comme un processus dynamique de résolution de problèmes. Ce processus de résolution permet l’existence d’une diversité des situations, les firmes étant hétérogènes, que l’on qualifiera ici de trajectoires technologiques. La diversité est un concept central dans la théorie évolutionniste. Ainsi, chaque firme choisira sa propre trajectoire technologique ou d’innovation au sein d’un paradigme en prenant en compte trois facteurs :

  • les opportunités technologiques : le potentiel technologique que recèle l’activité correspondante. Elles ne dépendent pas seulement des lois de la nature mais également de « l’histoire passée », des routines c’est-à-dire des règles de fonctionnement d’une firme au niveau organisationnel, technologique, économique. Elles dépendent étroitement de la base de connaissance accumulée et des innovations technologiques.
  • l’appropriabilité des connaissances : le fait de pouvoir profiter de manière exclusive de connaissances ou d’innovations que l’on a produit ou découvert. Certains outils permettent d’assurer l’appropriabilité des connaissances quand celles-ci sont « codifiées » (ex : brevet). A l’inverse, les « connaissances tacites » ne nécessitent pas d’outils particuliers d’appropriabilité puisque le secret, le savoir-faire peuvent suffire. La diffusion ou le partage de connaissances tacites est plus compliqué et suppose le plus souvent une proximité géographique du moins au début de la relation.
  • la cumulativité des connaissances : les connaissances sont cumulatives et dépendent des compétences, savoir-faire et connaissances accumulées au cours du temps. Plus on produit de nouvelles connaissances et plus on pourra s’en servir pour en produire de nouvelles. Les chercheurs ne sont pas des acteurs myopes qui cherchent de nouvelles pistes ex nihilo.

Intéressons-nous maintenant aux définitions importantes que nous utiliserons dans notre étude :

  • Paradigme technologique : « un modèle (ou pattern) de solution de problèmes technico-économiques sélectionnés, basé sur des principes hautement sélectionnés, dérivés des sciences naturelles conjointement avec des règles spécifiques conçues pour acquérir de nouvelles connaissances, et les sauvegarder, autant que possible, contre une diffusion rapide aux concurrents » (Dosi 88, p 1127 traduction Gaffard 90). La notion de paradigme peut être rapprochée de celle d’innovation majeure ou de rupture technologique. Un paradigme technologique pose des prescriptions fortes concernant les directions du changement technologique (trajectoires technologiques), celles à suivre et celles à abandonner. Un changement de paradigme implique donc l’idée de rupture technologique, d’innovation technologique majeure accompagnée d’un cadre favorable à ce changement.
  • Trajectoire technologique :désigne une direction dans laquelle une firme avance à l’intérieur d’un paradigme technologique. On peut rapprocher ce terme de changement continu, progressif ou d’innovation incrémentale.

En fin de compte les évolutionnistes s’intéressent au processus d’innovation, à la dynamique du changement technologique et se penchent finalement peu sur le résultat de ce processus. Il s’agit d’un modèle plus inductif, que l’on peut appliquer à la réalité et c’est ce que nous allons tenter de faire avec le secteur des cosmétiques.

 Sur quoi repose le paradigme existant dans les cosmétiques?

Le concept de paradigme peut être compris plus simplement comme le cadre général qui structure un secteur au niveau du processus de changement technologique ou d’innovation. Cette notion englobe une multiplicité de facteurs qui sont en interaction les uns avec les autres. Le paradigme technologique qui sous-tend l’industrie des cosmétiques est celui de la pétrochimie, c’est-à-dire l’utilisation de composés chimiques de base issus du pétrole pour fabriquer d’autres composés synthétiques tels que des matières plastiques, des produits pharmaceutiques et divers biens de consommation. En effet, le pétrole reste le principal input des produits cosmétiques conventionnels ou classiques.

Il faut rappeler que les firmes agissent selon des « routines » propres pour reprendre les termes de G.Dosi et préalablement établies au cours du temps. La notion de « routines » renvoie à l’idée d’une importance des actions passées ou « poids de l’histoire » dans les choix technologiques actuels, dans les trajectoires technologiques présentes. Ce « poids de l’histoire ou de l’habitude » peut entraîner des phénomènes de renforcement ou de verrouillage technologique (effet de « lock-in ») dans une trajectoire technologique. On peut résumer cette idée avec la théorie de dépendance de sentier qui explique comment un ensemble de décisions passées peut influer sur les décisions futures. En d’autres termes, des particularités justifiées à une époque qui ont cessé d’être optimales ou rationnelles peuvent perdurer indéfiniment parce que des changements impliqueraient un coût ou un effort trop élevé alors qu’ils pourraient être payants sur le long terme. Néanmoins, le paradigme technologique oriente fortement les trajectoires ou directions du progrès technique comme nous l’avons énoncé précédemment.

 « Technology push »:

L’omniprésence du pétrole

Le pétrole tient une place importante dans notre société, considéré comme la source d’énergie qui a été capable de remplacer le charbon et donc d’impulser la seconde Révolution industrielle du XIXème siècle. Cette substance possède de nombreux avantages. Tout d’abord, c’est une source d’énergie dense qui offre une grande quantité d’énergie pour un faible volume. C’est également une source d’énergie facilement exploitable, facile à prélever et à utiliser. Elle a largement contribué au développement de la société de consommation qui est la nôtre, en offrant une large gamme de produits du quotidien issus de la pétrochimie. Avant les chocs pétroliers, la période d’abondance, accompagnée de faibles coûts a permis le développement et la maîtrise des techniques et des potentialités offertes par cette substance. Cette maîtrise de la technologie implique une période d’apprentissage et de tâtonnement des acteurs du secteur. On peut voir par exemple qu’on a révolutionné grâce au pétrole le domaine des transports, des produits pharmaceutiques et bien sûr celui des cosmétiques. Le pétrole a donc été un catalyseur d’innovations. En somme, il a permis de structurer l’environnement technologique du secteur des cosmétiques et d’apporter une source puissante d’innovation technologique.

La pétrochimie une source puissante d’opportunité technologique dans le secteur des cosmétiques

Après avoir soulevé l’importance qu’a jouée le pétrole dans les avancées technologiques en général, intéressons-nous de plus près au secteur de la pétrochimie dont sont dérivés les produits cosmétiques.

Cette récente industrie est née aux États-Unis dans les années 20, mais ce n’est que plus tard pendant la Seconde Guerre Mondiale qu’elle apparait puis se développe en France. Il s’agit d’une activité très coûteuse parce qu’elle nécessite des coûts fixes énormes, par conséquent, elle ne laisse la place qu’à un nombre restreint d’acteurs (grands groupes). La lourdeur des coûts fixes (centre de raffinage) et les savoir-faire inhérents au secteur s’apparentent à de lourdes barrières à l’entrée. Aussi, ce marché de type oligopolistique permet de générer de fortes marges en proposant des prix bas doublés de profits élevés. Son développement s’est étendu sur la base de l’utilisation de matières premières peu coûteuses (pétrole), une haute productivité et l’automatisation des procédés de synthèse. La pétrochimie suppose également une importante recherche en laboratoire, de ce fait les procédés de fabrication sont susceptibles de devenir obsolète rapidement. Les innovations dans ce secteur sont donc fréquentes. Leur développement et leur mise en application nécessitent de gros moyens financiers dont seuls les grands groupes disposent. Son ascension tardif en France a été impulsée grâce à des ententes entre le secteur pétrolier et chimique et à l’extension des marchés des biens qu’elle produit. Sans entrer dans des détails techniques, l’industrie pétrochimique utilise diverses techniques qui évoluent dans le temps (par exemple en 1937, le craquage catalytique et le craquage catalytique fluide en 1942).

 Regardons maintenant de plus près la composition des produits cosmétiques conventionnels. Un produit cosmétique est composé :

  • d’un excipient qui constitue en quelque sorte la base du produit
  • d’un principe actif auquel on attribue l’efficacité du produit. Il participe en général à moins de 20% de la composition totale du produit.
  • d’adjuvants : leur rôle vise à améliorer certaines propriétés du produit (conservation, antifongique)
  • et d’additifs de manière facultatif (parfum, colorant).

Afin d’identifier toutes ces substances présentes dans les cosmétiques, on dispose d’une nomenclature internationale. Il s’agit de la composition INCI (International Nomenclature of Cosmetic Ingredients), ou nomenclature internationale des ingrédients cosmétiques qui est utilisée et obligatoire depuis 1998, en Europe. La liste complète des ingrédients entrant dans la composition d’un produit doit figurer sur son emballage. Les substances apparaissent par ordre décroissant de leur quantité et sous leur code INCI. Cette nomenclature permet de voir l’annuaire des substances, des matières premières disponibles en cosmétique et de voir si elles sont d’origine naturelle, synthétique ou minérale. Cette nomenclature permet également de déchiffrer les emballages.

En parcourant les étiquettes des produits cosmétiques on s’aperçoit de l’omniprésence des substances synthétiques produites par la pétrochimie. De l’excipient aux additifs, l’industrie des cosmétiques a su maîtriser et développer des formulations afin de proposer des produits basés sur des substances de synthèse. On peut voir que les substances développées offres diverses propriétés plus ou moins importantes pour le produit final. Les firmes du secteur misent sur la qualité du produit c’est-à-dire sur l’action de son principe actif, sur sa bonne conservation, sur sa texture et son parfum. Clairement la pétrochimie a permis de développer des cosmétiques élaborés à bas coût grâce encore une fois à une matière première bon marché au départ. Ce qui donne de la valeur ajoutée à ces produits réside dans la recherche qui gravite autour de cette matière première (nouvelles substances, nouveaux procédés).

Néanmoins, un « problème de langage » peut se poser à un moment ou un autre lorsque le monde de la science côtoie celui de la consommation. En effet, le consommateur recherche des informations claires et simples sur un produit. Dans la plupart des cas, la composition d’un produit cosmétique affiché en code INCI apparaîtra obscure aux yeux du client. Pourtant, cette nomenclature internationale permet d’introduire une certaine homogénéité entre les produits et facilite la comparaison entre eux, indispensable avec l’ouverture des marchés. Cependant, elle manque de précision concernant les doses exactes de chaque substance et elle manque cruellement de simplicité. Elle s’adresse en fait à un public averti. Justement, on pourrait se demander s’il ne s’agit pas d’une stratégie délibérée des acteurs de cette industrie dans le but de « cacher » la nature synthétique de la plupart des substances utilisées en cosmétique. On pourrait y voir ici une stratégie marketing. On évacue en quelque sorte ce problème pour se focaliser sur la qualité du produit, sur son efficacité ou sur la marque.

Nous venons de montrer donc l’importance de la technologie dans l’avancée et les innovations dans les cosmétiques. En effet, le pétrole a permis tout un tas d’innovations mais aussi le développement de plusieurs domaines comme la pétrochimie dont les cosmétiques sont des outputs. Le pétrole a été une source puissante d’opportunités technologiques dans l’industrie concernée. Après avoir dressé ce qui relève de la « Technology-push », concentrons-nous maintenant sur ce qui relève de la « Demand pull » c’est-à-dire des innovations impulsées par la demande ou le marché dans ce paradigme technologique de la pétrochimie.

« Demand pull »:

Une industrie tirée par la demande

Nous avons vu que l’industrie des cosmétiques était orientée d’une part par la technologie avec les différents procédés et substances issues de la pétrochimie. De ce fait, d’une part les innovations apportées dans cette industrie relèvent de la « Technology push ». D’autre part, le secteur qui nous intéresse dépend bien sûr de la demande. En effet, le consommateur est en quête perpétuelle de nouveautés et on le voit avec les cosmétiques. Dans les magasins spécialisés ou les grandes surfaces, il y a une rotation des produits très visible et rapide. Dans cette optique de « Demand pull », le consommateur est à l’origine de l’innovation. Selon Rosenberg et Mowery, dans ce cas le marché s’impose comme médiateur d’innovation pour satisfaire un besoin du consommateur. Les firmes doivent reconnaitre ce besoin puis chercher des solutions en faisant des enquêtes auprès des clients par exemple.

La « Demand pull » se manifeste surtout avec les marques qui développent beaucoup de produits dans le but de satisfaire tous les clients. Nous pouvons penser notamment aux cosmétiques pour hommes en plein essor. En effet, sur le marché européen, les ventes de produits cosmétiques atteignaient 289 millions d’euros en 2005 pour grimper en 2010 à 420 millions d’euros en 2010, soit une croissance de plus de 45% dans les 5 plus gros marchés à savoir la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et le Royaume-Uni (source : Mintel). Aujourd’hui, le marché des cosmétiques pour hommes ne représente plus seulement un marché de niches. Néanmoins, on parle d’un marché émergent, par conséquent il paraît normal d’assister à des taux de croissance phénoménaux à deux chiffres. Par exemple en Chine, selon RNCOS la croissance du marché chinois des cosmétiques pour hommes devrait atteindre 20% entre 2012 et 2014.

On voit que l’évolution de ce secteur est intimement liée à la demande issue du marché et à l’évolution des mœurs. Donc, encore une fois la société joue un rôle important dans l’orientation des innovations puisqu’elle oriente les besoins et les envies des consommateurs. On verra par la suite également le développement de la cosmétique bio qui encore une fois émane d’un nouveau besoin des consommateurs, celui d’un respect de la nature et de la santé. En cosmétique, beaucoup de sites, de blogs vantent le mérite du bio ou même proposent de fabriquer des produits cosmétiques faits maison. On peut rajouter que le paradigme technologique de la pétrochimie a quelque peu évacué l’aspect environnemental au départ afin de se concentrer sur l’efficacité et la diversité des produits, sur le marketing. Justement nous nous focaliserons maintenant sur le rôle important que joue le marketing dans cette industrie.

L’impact du marketing : une industrie basée sur l’image

Nous montrerons donc que sur l’industrie des cosmétiques plane une part importante de « secret » et une transparence limitée. En effet, dans cette industrie on s’attache à l’image, à l’esthétique et rarement à la qualité ou à l’innocuité des substances chimiques utilisées dans les cosmétiques conventionnels.

Tout d’abord, comme nous l’avons sous-entendu plus haut, l’industrie des cosmétiques semble fortement marquée par le marketing. Cela paraît tout à fait justifié dans la mesure où l’on parle de biens de luxe ou de « biens supérieurs »[1]  pour reprendre la classification des biens proposés par E Engel. Ceux-ci n’ont pas un caractère essentiel. Ils font ainsi l’objet d’un marketing spécifique afin d’inciter à leur consommation. En effet, l’impact du marketing est essentiel pour la vente de ces produits afin de convaincre le consommateur de la vraie valeur ajoutée qu’un produit va lui apporter. Le marketing de ces produits est également primordial pour faire connaître une marque.

En second lieu, un des facteurs clé de succès au sein de l’industrie des cosmétiques reste l’image, et le prestige qui peuvent être associés à une marque ou à un produit. Les grands groupes du secteur ne lésinent donc pas sur les dépenses en marketing et publicité comme nous le montre les données suivantes.

La France, leader du marché des cosmétiques bénéficie d’une longue tradition liée au savoir-faire et à la qualité française dans le luxe et la cosmétique. Le « made in France » reste internationalement reconnu. Donc la France jouit d’un avantage en termes d’image dû à son histoire, elle s’impose en quelques sortes comme un symbole de qualité. Et pour revenir sur le rôle prépondérant du marketing dans ce secteur, on peut voir que dans la plupart des publicités on se focalise sur l’esthétique, sur l’atmosphère particulière qui se dégage de celles-ci (surtout dans la parfumerie et le maquillage). Parfois, les publicitaires mettent l’accent sur l’efficacité du produit, sur sa capacité à améliorer telle ou telle chose. Plus récemment, certaines firmes tiennent également à mettre à l’honneur l’absence de substances sujettes à controverses comme les parabènes ou les sels d’aluminium. On assiste alors à une véritable mode du « NO parabènes», du « NO… ».

Enfin, les firmes mettent en avant les points forts de leurs produits parfois grâce à des artifices marketing. Néanmoins, elles restent évasives sur la composition réelle de leur produit comme nous l’avons dit avec la nomenclature INCI. En fin de compte, la « qualité » tant vanté par les firmes est une notion qui peut prêter à débat. La qualité peut venir de la complexité des procédés mis en place pour sa conception, de la qualité des résultats obtenus après utilisation ou bien de l’innocuité des substances utilisées sur l’organisme. On peut ainsi affirmer pour clore que ce paradigme des cosmétiques repose également sur une faible conscience environnementale.

Après avoir montré sur quoi repose le paradigme des cosmétiques à l’heure actuelle, intéressons-nous maintenant aux trajectoires des firmes cosmétiques à l’intérieur de celui-ci. Comment les firmes de l’industrie cosmétique évoluent dans ce paradigme technologique basé sur la pétrochimie ? Comment les procédés techniques conventionnels évoluent-ils face aux problèmes liés au pétrole? Nous travaillerons pour traiter ces questions sous l’éclairage des parabènes de plus en plus critiqués. Il est important de prendre en compte plusieurs dimensions pour expliquer les trajectoires des firmes au sein d’un paradigme à savoir : les opportunités technologiques, l’appropriabilité des connaissances ainsi que leur cumulativité.

Par Yuan Wang, promotion 2017-2018 du M2 IESCI

[1]   Un bien supérieur dans la typologie d’Engel s’apparente à un bien dont la part augmente dans le revenu quand celui-ci augmente. Dans la loi d’Engel plus notre revenu s’accroît, plus on peut affecter une part importante de celui-ci à des dépenses « superflues » : loisir, cosmétiques.

Bibliographie

Articles :

Beal, S., Deschamps,M., Ravix,J.T., Sautel,O. (2011), Les effets d’une réglementation sur la concurrence et l’innovation : première analyse de la réglementation européenne REACH

Catherine C., Isabelle L., Valérie R., La promotion des firmes françaises de Biotechnologie, De Boeck Supérieur, 120 | 4e trimestre 2007

Dosi,G (1988), Technological paradigms and technological trajectories, Research policy 11 (1982) 147-162

Dosi G, Winter S G., Interprétation évolutionniste du changement économiqueRevue économique 2/ 2003 (Vol. 54), p. 385-406

Guglielmo R, Principaux aspects du développement de la pétrochimie en France, Annales de géographie, p. 123-139 (1956)

Marville L, Haye I, Les cosmétiques biologiques : une règlementation en attente, Extrait du magazine Décideurs N°123 janvier 2011

Stéphane_B., 2012, Produits de beauté bio: une croissance durable? État des lieux et perspectives en France,  Deloitte Conseil, 01/2012

Sites internet :

http://investissement-avenir.gouvernement.fr/

http://m.lesechos.fr/redirect_article.php?id=0203004100943

http://www.cosmetic-valley.com/page/presentation/chiffres-cles/

http://www.redressement-productif.gouv.fr/semaine-industrie/activites-industrielles/beaute-cosmetique

http://www.premiumbeautynews.com/fr/plus-de-methylisothiazolinone-dans,6279

http://www.cancer-environnement.fr/274-Perturbateurs-endocriniens.ce.aspx

http://www.observatoiredescosmetiques.com/pro/actualite/lactualite-des-cosmetiques/formuler-sans-une-source-d%E2%80%99innovations-2371

http://www.lexpress.fr/actualite/societe/sante/peut-on-vivre-sans-parabens_1015278.html

http://www.prodimarques.com/documents/gratuit/72/modele-oreal.php

http://www.agrobiobase.com/fr/dossier/cosm%C3%A9tique-vers-une-formulation-plus-verte

http://www.pierre-fabre.com/fr/cosmetique-sterile

http://www.consoglobe.com/soins-cosmetiques-uht-besoin-conservateurs-3298-cg

http://www.usinenouvelle.com/article/cosmetiques-biotechs-dites-moi-qui-est-la-plus-belle.N182318

http://labiotech.fr/cosmetologie/

http://www.premiumbeautynews.com/fr/greentech-affirme-son-expertise,6752

 

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