Introduction
Après un premier article concernant le Brésil et faisant état des difficultés rencontrées par une économie dont une partie de la spécialisation s’effectue selon les avantages comparatifs dans le secteur des matières premières de 2011 à 2015, nous nous pencherons ici sur les politiques économiques employées par le gouvernement Dilma Roussef pour endiguer cette crise. Dans cette optique, nous débuterons par un état des lieux des difficultés, en observant un ensemble de facteurs et caractéristiques de l’économie (A), puis nous développerons les politiques mises en place par les gouvernements travaillistes avant ce retour à des politiques d’austérités (B). Enfin, dans une dernière partie, nous observerons les difficultés supplémentaires que peuvent engendrer une politique d’austérité et le cercle vicieux dans lequel le Brésil pourrait s’embourber, voir entrainer une grande partie de l’Amérique du Sud (suivant les interdépendances) (C).
A. Etat de lieux de l’économie brésilienne : une économie en récession
C’est aujourd’hui un fait : l’économie brésilienne est entrée en récession après plusieurs années de perte de croissance, depuis sa célèbre croissance de 7,5% en 2010. En effet, comme l’indique la COFACE[1], le passage en récession cette année est le fruit de facteurs internes tels que la baisse de la consommation des ménages, la baisse de l’investissement, la corruption, les scandales et les manifestations face au gouvernement Dilma Roussef ; et de facteurs externes, tels que la diminution continue des prix des matières premières, la baisse de la demande chinoise ou encore la dépréciation du réal face au dollar (plus bas niveaux depuis 1994, à 4,054 réais pour un dollar).
Ces éléments sont bien évidemment interdépendants, revenons rapidement sur les prémisses de cette entrée en crise.
Comme développé dans mon précédent article[2], la diminution progressive du prix des matières premières sur les marchés internationaux (en particulier les métaux, dans l’alimentaire et l’agroalimentaire ; soja, maïs, café, blé, …) a rapidement mis en difficulté le Brésil, pays dont le secteur primaire constitue le poste le plus important des exportations (forte spécialisation). De fait, ces diminutions des exportations impliquent des diminutions de rentrées fiscales et donc la nécessité de réduire l’investissement public, ou d’augmenter les entrées fiscales par les taxes et impôts : ici se présente un des cercles vicieux en activité dans la crise que traverse le Brésil.
Par ailleurs, lors de la période de croissance allant de 2004 à 2010, la population brésilienne avait l’occasion de contracter de nombreux crédits assurés par la production de richesses et la croissance potentielle, provoquant une inflation de l’ordre de 4 à 5% mais sans danger avec des taux de croissance oscillants de 3,9 à 7,5%. Par contre, dès lors que l’environnement international s’est vu dégradé en 2011, la croissance s’est retirée à 2,7% pour un taux d’inflation engagé à 6% : l’écart entre taux de croissance et taux d’inflation avait débuté et se poursuivra jusqu’à aujourd’hui.
Le cercle vicieux de la crise était déclaré
A partir de 2011, la perte de confiance dans l’économie brésilienne a imposé ce retournement de tendance à plus long terme. Sur cette période, la sortie massive de capitaux – en particulier nord-américain – a accentué la dépréciation du réal. Deux formes d’inflation se sont alors cumulées : l’une provenant des prêts contractés (augmentation de la masse monétaire) et l’autre provenant de l’augmentation du prix des biens à l’importation (biens intermédiaires), autrement dit d’une inflation importée. Cette forte inflation, croissante jusqu’à aujourd’hui, renchérie le coût de la vie, diminue la consommation, l’investissement privé et public, soit l’ensemble de l’activité du pays. Les capitaux continuent alors de sortir du pays face à la baisse des perspectives de rentabilités, et le pays engage des pertes de taux de croissance jusqu’à la récession. Ces difficultés économiques se couplent alors avec l’émergence de difficultés politiques, la monté de la protestation face à un gouvernement incapable de répondre aux problématiques économiques, à la diminution du niveau de vie, s’ajoutant à cela de nombreux cas de corruption.
Il est à noter par ailleurs, le changement de la note attribué par l’agence de notation Standard and Poor’s, dont la dévaluation a accéléré le processus d’entrée en récession (passage de BBB- à BB+, soit en catégorie spéculative, entrainant une réaction directe des marchés financiers).
B. Une austérité déjà connue chez le Parti Travailliste (PT).
Orthodoxie
Dès son investiture en 2003, Lula va poursuivre la politique d’austérité demandée par le FMI et appliquée par le gouvernement Cardoso, et va parfois même aller plus loin (fixer un objectif d’excédent budgétaire de 4,25%, soit 0 ,5% de plus qu’imposé par le FMI)[3]. Pour autant, les 3 premières années du gouvernement Lula (2003-2005) s’accompagnent d’une conjoncture internationale très favorable, qui se traduit en particulier par la forte augmentation des exportations, permettant la création d’un solde positif de la balance commerciale ainsi que de la balance courante. Cette évolution de la balance courante a permis la réduction de la dette publique et privée, amenant ainsi le gouvernement Lula à rembourser en avance sa dette auprès du FMI (2005 au lieu de 2007), se déliant alors des contreparties en termes de réformes économiques. En 2008, face à la crise, le Brésil n’a subi qu’un choc de -0,2% sur son PIB qui sera rapidement oublié par la forte croissance des années suivantes.
Progrès social
On aura remarqué l’orthodoxie économique avec laquelle Lula a engagé son mandat, élu sous les drapeaux d’un Parti Travailliste représentant le peuple et défendant la justice sociale, la réduction des inégalités, la lutte contre la pauvreté. Car en effet, malgré cette première phase de macroéconomie orthodoxe, qu’en fut-il des progrès sociaux ?
Entre janvier 2003 et février 2010, le salaire minimum s’est vu augmenté de 74% (inflation déduite), s’ajoutant à la création de 12 millions d’emplois, qui ont permis le démarrage d’une croissance endogène tirée par l’extension de la consommation intérieure. En 2003, le gouvernement Lula met en œuvre le programme « Faim Zéro », qui permettra à près de 10 millions de familles de pouvoir faire 3 repas par jours. Ce programme était développé en parallèle avec les cantines scolaires, les différentes formes de secours populaires, l’assistance aux étudiants précaires, … En soit, une vaste réforme contre la pauvreté.
De ces réformes sociales ressort aussi la « Bolsa familia » (Bourse Familiale), mise en place par le premier gouvernement Lula, et poursuivie jusqu’à aujourd’hui (même maintenant dans la période d’austérité, vu son importance pour la population). Celle-ci a par ailleurs connu en juin dernier une augmentation de 10%.
C. Quels impacts d’une politique d’austérité au Brésil et sur ses partenaires d’Amériques du Sud ?
- Perspectives d’impact des politiques d’austérités
Le gouvernement brésilien a annoncé le 15 septembre dernier un plan d’austérité d’environ 17 milliards de dollars, impact imminent…
Les chiffres des statistiques de l’IGBE nous le montrerons sous peu, l’austérité a comme en Europe, de forte chance de provoquer des dégâts sociaux chez les classes sociales les plus défavorisées. L’impact sera nécessairement social, mais il sera aussi ressenti à travers une crise politique et sociétale : de nombreuses manifestations ont déjà lieu à travers le Brésil, alliant critique des plans d’austérités, de l’approbation du patronat des réformes économiques de Dilma Roussef, et les nombreux cas de corruption.
Plus précisément, le plan d’austérité prévoit des coupes budgétaires pharaoniques : « […] un gel des salaires et des embauches dans le secteur public. Il remet en place un impôt sur les transactions financières. Il prévoit de supprimer 10 des 31 ministères provoquant la suppression de 1000 emplois. Les programmes sociaux […] seront aussi revus à la baisse dans le logement et la santé. »[4]. De ces 17 milliards de dollar, « Les Brésiliens ont de suite ironisé sur ce chiffre : c’est deux milliards de plus que le budget dépensé lors de la coupe du monde l’année dernière ou encore celui qui est actuellement consacré aux Jeux Olympiques. » [5] Outre ces dégâts dont on envisage déjà l’importance pour la population brésilienne à court terme, quel objectif doit être atteint par une telle politique ? En termes de perspective, la septième économie du monde a vu ses prévisions de taux de croissance passer de -1,49% à -2,44% pour 2015, couplé d’un passage de l’inflation de 9,00% à 9,29%, ce qui représenterait le plus important recul depuis 25 ans[6]. Après l’aperçu que l’on a de la situation, nous sommes en droit de nous demander ce qui pourrait faire reprendre une once de croissance au Brésil. Car dégraisser un pays au travers d’une cure d’austérité, amènera nécessairement à une reprise de la « croissance » un jour ou l’autre, mais à quel prix ? La structure de l’économie brésilienne mettra du temps à changer, et la croissance potentielle de la Chine pour les années à venir n’annonce pas une reprise « exceptionnelle » des exportations, et nous sommes en droit de nous attendre à une poursuite de la baisse du prix des matières premières.
- Impacts sur ses partenaires sud-américains
De la même façon que le ralentissement de l’économie chinoise, l’un des premiers partenaires économiques du Brésil, a fortement impacté son économie, un phénomène identique est à l’œuvre en Amérique du Sud. En effet, l’importance des rapports commerciaux avec l’Argentine au sein du Mercosul (et dans une moindre mesure avec les autres membres du Mercosul) va nécessairement laisser des marques dans l’économie argentine. Les pays d’Amériques du Sud vont alors subir un double coup sur leur développement : la baisse des prix des matières premières et de l’énergie et leur interdépendance qui les entrainent dans un cercle vicieux. Il ne faut pas en effet négliger ce que représente le marché brésilien pour l’Argentine : son principal marché régional et la destination de la moitié de ses exportations industrielles.
Jérémy Quilleré, étudiant promotion 2015-2016 du M2 IESC
Bibliographie
« Au Brésil, la récession sera pire que prévu en 2015 ». Bilan. Consulté le 11 novembre 2015. http://www.bilan.ch/node/1027148.
« [BRESIL] – brèves économiques et financières n°485 – du 2 au 8 octobre 2015 ». Consulté le 11 novembre 2015. https://www.tresor.economie.gouv.fr/12407_bresil-breves-economiques-et-financieres-n485-du-2-au-8-octobre-2015-.
« Brésil : Dilma Rousseff sur la route de la réélection ». Consulté le 25 novembre 2015. http://www.alternatives-internationales.fr/bresil–dilma-rousseff-sur-la-route-de-la-reelection_fr_art_1312_69191.html.
« Brésil / Etudes économiques – Coface ». Consulté le 11 novembre 2015. http://www.coface.com/fr/Etudes-economiques-et-risque-pays/Bresil.
« Brésil: pourquoi le géant de l’Amérique latine est en crise – L’Express L’Expansion ». Consulté le 12 novembre 2015. http://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/bresil-pourquoi-le-geant-de-l-amerique-latine-est-en-crise_1447026.html.
« Crise économique au Brésil: le salut passe-t-il par les Brics? – Amériques ». RFI. Consulté le 12 novembre 2015. http://www.rfi.fr/ameriques/20150521-crise-economique-bresil-salut-brics-chine-russie-keqiang-rousseff.
« Le Brésil en cure d’austérité ». France info. Consulté le 25 novembre 2015. http://www.franceinfo.fr/emission/en-direct-du-monde/2015-2016/le-bresil-en-cure-d-austerite-18-09-2015-08-23.
« Le Brésil, géant économique au bord de la récession ». Le Figaro, 28 mars 2015. http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2015/03/28/20002-20150328ARTFIG00016-le-bresil-geant-economique-au-bord-de-la-recession.php.
« Le Brésil s’enfonce dans un crise économique et politique ». Consulté le 11 novembre 2015. http://www.la-croix.com/Actualite/Economie-Entreprises/Economie/Le-Bresil-s-enfonce-dans-un-crise-economique-et-politique-2015-08-30-1350134.
« Le gouvernement brésilien annonce un sévère plan d’austérité ». Le Figaro, 15 septembre 2015. http://www.lefigaro.fr/international/2015/09/15/01003-20150915ARTFIG00001-le-gouvernement-bresilien-annonce-un-severe-plan-d-austerite.php.
« L’engrenage de la crise brésilienne Par Omar Fassal – Leconomiste.com ». www.lecomoniste.com. Consulté le 12 novembre 2015. http://www.leconomiste.com/article/971000-l-engrenage-de-la-crise-bresiliennepar-omar-fassal.
« Lepetitjournal.com – ECONOMIE – L’inflation au Brésil, entre mythe et réalité ». Consulté le 13 novembre 2015. http://www.lepetitjournal.com/sao-paulo/pratique/a-savoir/212214-economie-l-inflation-au-bresil-entre-mythe-et-realite.
« Les politiques sociales du Président Lula au Brésil, un outil de réduction de la pauvreté et de prévention des conflits sociaux – Irénées ». Consulté le 16 novembre 2015. http://www.irenees.net/bdf_fiche-analyse-914_fr.html.
« L’héritage social de Lula ». Consulté le 16 novembre 2015. http://www.alternatives-economiques.fr/l-heritage-social-de-lula_fr_art_946_50206.html.
« Pourquoi le Brésil s’enfonce dans la crise ». Libération.fr. Consulté le 11 novembre 2015. http://www.liberation.fr/planete/2015/09/28/le-bresil-s-enfonce-dans-la-crise_1392673.
« Synchronie et transformation – Autres Brésils ». Consulté le 16 novembre 2015. http://www.autresbresils.net/Synchronie-et-transformation.
Rosa Maria MARQUES, Paulo NAKATANI, « La politique économique du gouvernement Lula : changement ou continuité ? », Revue Tiers Monde 2007/1 (n° 189), p. 51-64., DOI 10.3917/rtm.189.0051
« Economie Brésilienne 2011 – 2015 : Des avantages comparatifs à bout de souffle », J. Quilleré, 2015, publié sur www.master-iesc-angers.com/
ECONOMIA BRASILEIRA, DA COLONIA AO GOVERNO LULA, Coordenador : Marcos Cordeiro Pires, 2010, Editora Saraiva, Sao Paulo.
ESTUDIO ECONOMICO DE AMERICA LATINA Y EL CARIBE, Naciones Unidas, CEPAL, 2015, Santiago de Chile.
[1] http://www.coface.com/fr/Etudes-economiques-et-risque-pays/Bresil
[2] Voir « Economie Brésilienne 2011 – 2015 : Des avantages comparatifs à bout de souffle », J. Quilleré, 2015, publié sur www.master-iesc-angers.com/
[3] http://www.irenees.net/bdf_fiche-analyse-914_fr.html
[4] « Le gouvernement brésilien annonce un sévère plan d’austérité ». Le Figaro, 15 septembre 2015. http://www.lefigaro.fr/international/2015/09/15/01003-20150915ARTFIG00001-le-gouvernement-bresilien-annonce-un-severe-plan-d-austerite.php.
[5] « Le Brésil en cure d’austérité ». France info. Consulté le 11 novembre 2015. http://www.franceinfo.fr/emission/en-direct-du-monde/2015-2016/le-bresil-en-cure-d-austerite-18-09-2015-08-23.
[6] Chiffres du Ministères des Finances et de la Planification du Brésil, présentés par Le Bilan (http://www.bilan.ch/economie/bresil-recession-sera-pire-prevu-2015 )