Mettre en perspective les données analysées pour en comprendre les limites
Une tribune publiée le 11 janvier par des communicants dans le Monde, permettant de présenter leur outil d’analyse des données de Twitter, conteste le fait largement répandu dans les médias que la majorité des français seraient rétifs à la vaccination.
Le propos est intéressant, en revenant sur la façon dont les sondages sur le sujet sont mal présentés, et en rappelant qu’un fort volume de mentions sur Twitter ne signifie pas une capacité à toucher plusieurs communautés. En étant repris uniquement par son réseau, on ne convainc pas grand monde au final. C’est de plus en plus le cas sur les différents RS, de Facebook à Twitter en passant par Linkedin, dont les algorithmes favorisent la communication auprès de son réseau d’abonnés. Seule la polémique peut facilement faire le buzz, mais c’est un autre sujet …
C’est par exemple ce qui s’était passé sur la fameuse fausse information du #Pactedemarrakech : plus de 200 000 tweets en décembre 2018, mais qui n’ont dépassé que très marginalement les communautés de droite et d’extrême droite comme on le voit sur cette cartographie des comptes Twitter qui ont repris le sujet : une forte caisse de résonnance, mais qui ne se diffuse pas en dehors de ces réseaux.
Twitter n’est pas le miroir de la société française, mais un outil d’influence auprès des médias et des politiques
Les auteurs de la tribune enfoncent le clou en étudiant via leur outil les mentions des vaccins sur Twitter : 2,9 % des “français” indiqueraient y être opposés, ce qui semble très faible en effet. Mais, justement, est-ce que les anti-vaccins sont sur Twitter ? C’est un outil d’influence, pour toucher politiques et journalistes, mais une très faible partie de la population y est présente. Les twittos réellement actifs sont peu nombreux. Selon les données médiamétrie d’août 2020, il y avait un peu moins de 17 millions d’utilisateurs Twitter en France, dont moins de 4,5 millions actifs quotidiennement.
Twitter donne par ailleurs une fausse impression d’une capacité forte à toucher un public large, via les fameuses « impressions », qui correspondent au total des abonnés des comptes Twitter ayant diffusé un sujet. Celui-ci devient vite très élevé, à plusieurs dizaines de millions, voir plus ( !) pour un sujet français, dès lors que les médias le reprennent : leurs abonnés se recoupent, mais ils sont additionnés … et évidemment, tous les abonnés ne voient pas les tweets émis par les comptes qu’ils suivent ! Un bon exemple via ce corpus de tweet récoltés via la plateforme de veille Visibrain au début du mouvement des gilets jaunes, qui indique 543 millions d’impressions pour un sujet très français …
Justement, en regardant uniquement Twitter, on ne voyait pas le mouvement des Gilets Jaunes se structurer : c’est via Facebook qu’il s’est lancé, à travers des groupes, privés ou publics, locaux, difficiles à identifier avec des outils de veille. Il est en effet très complexe de collecter l’information sur ce réseau social : Facebook sait tout de ses utilisateurs, mais ne revend pas leurs données brutes : il s’en sert pour proposer des publicités ciblées. La recherche d’information y prend donc du temps et sera toujours très partielle, sans compter le fait que nombre de groupes sont privés.
Il est donc illusoire de considérer que via des outils automatisés, on pourra « scruter dans leurs moindres détails les expressions spontanées des Français ». C’est un travail qualitatif précis qu’il faudra effectuer, selon les sujets, en croisant les données de différents médias sociaux et en prenant en compte les biais liés aux données manquantes et aux spécificités du sujet étudié.
Il y a peu d’opération d’influence liés à la santé sur Twitter en France
Sur la santé, si on a observé une réelle guerre d’influence sur Twitter en 2020 concernant l’usage de la chloroquine et le soutien ou non au docteur Raoult l’an dernier, cela est notamment dû à la participation de politiques très actifs comme Christian Estrosi ou de démarches d’influence comme « No Fake Science ». Le bad buzz dont Sanofi a été victime après que Bloomberg ait rapporté – hors interview – des propos du PDG indiquant que le vaccin contre la Covid serait réservé en priorité aux USA a ainsi été éphémère.
En effet, les scandales / affaires de santé ont très peu fait le buzz sur Twitter ces dernières années. Qu’il s’agisse du chlordécone ou de la Dépakine, en dehors de quelques mentions ponctuelles liées à des manifestations ou publications, voir au soutien de certains politiques, il n’y a pas eu de réelle visibilité de ces sujets sur les réseaux sociaux. Contrairement aux problématiques environnementales, il y a peu d’ONG ou de militants spécifiques aux enjeux de santé, notamment puisque l’accès y est universel. Les controverses sur les problèmes liés à certains traitements ne toucheront que les personnes concernées, qui sont peu présentes sur Twitter.
Cela pour une raison simple : les patients français communiquent, notamment sur les effets secondaires éventuels de leur traitement, principalement via Facebook, sur lequel il existe de multiples groupes privés consacrés à ce sujet. Les médecins et personnels de santé sont également peu présents et actifs sur Twitter. Seuls les laboratoires pharmaceutiques vont communiquer sur Twitter. Il y aura évidemment des propagateurs de fausses informations sur les vaccins, mais ceux-ci seront peu repris fautes de communautés intéressées par leurs tweets.
Exploiter les informations issues des médias sociaux pour des effectuer analyses qualifiées et identifier les problématiques à adresser
Les données quantitatives sont une chose, mais il faut aussi regarder dans le détail qui dit quoi. Considérer à partir des seules expressions sur Twitter que seuls des complotistes ou propagateurs de fausses informations seraient opposés aux vaccins est une erreur. S’appuyer sur ces seules données pour indiquer qu’il n’y a pas de réticence à la vaccination en France est un raccourci un peu rapide.
J’avais étudié en 2015 les communautés anti-vaccins présentes aux Etats-Unis sur Twitter, où celles-ci sont très actives depuis de nombreuses années. Il n’y a jamais réellement eu de tentative de l’industrie pharmaceutique ou des autorités pour contrebalancer cette influence, permettant à ces communautés de se développer. On pouvait distinguer trois catégories, connectées entre elles :
- Les complotistes convaincus que les vaccins ne servent à rien, ou alors à injecter des puces 5G (on avait donc quelques années pour déminer le sujet …), très actifs pour essayer de convaincre d’autres communautés ;
- Les défenseurs de produits naturels ou « bio », opposés aux vaccins notamment du fait de la présence des « adjuvants » qui en facilitent la prise (notamment l’aluminium) ;
- Enfin, des personnes (souvent des parents) inquiets des effets secondaires des vaccins, et qui ne trouvent pas ou peu d’information auprès des autorités sanitaires.
Le risque en laissant la parole complotiste se propager, c’est de renforcer les doutes de cette dernière communauté, sur le principe du « il n’y a pas de fumée sans feu ». Au vu des ratés du début de la campagne en France, et du fait qu’une partie de la population ne se considère pas réellement en danger avec la Covid, il y a un risque réel que trop peu de personnes se vaccinent volontairement. Il faut rassurer sur tous les aspects, notamment les effets secondaires, en garantissant une prise en charge en cas de problème.
Un petit sondage sur une population très spécifique pour finir, celle de Time To Sign Off, newsletter quotidienne destinée à une population de cadres / cadres supérieurs a priori plutôt ouverte au consensus scientifique, au vu de sa ligne éditoriale. Sur 3800 répondants à un sondage de TTSO concernant le vaccin contre la Covid proposé le 8 décembre dernier, 27 % ont ainsi indiqué ne pas vouloir se faire vacciner, et 25 % accepteront le vaccin ARN si toutes les garanties sur son innocuité sont apportées.
Bref, il reste du monde à convaincre pour atteindre l’immunité collective !