Affaire Gamestop : la croisade du peuple ?

David contre Goliath, Main Street versus Wall Street, un nombre fulgurant d’analogies ont déferlé dans les articles de journaux et autres blogs afin de représenter les principaux partis de cette affaire incroyable, si incroyable que la plateforme Netflix a déjà lancé un projet documentaire dédié.

Il s’agit de l’affaire Gamestop, un cas financier invraisemblable opposant le « peuple », rassemblé en communautés sur internet qui,  face à des loups de la finance New Yorkaise, ont réussi à faire trembler Wall Street.

Les enjeux de ce bigornage peuvent être représenté par ce graphe aux pics saillants du cours de l’action au cœur de toutes les discussions :

Cette dernière, qui était à environ 4 dollars il y a quelques mois a pu atteindre en quelques semaines une valeur maximale de plus de 480 dollars, faisant passer la société émettrice pourtant en grand difficulté, à une pseudo-prospérité déconcertante la plaçant du jour au lendemain dans le top 500 des plus grandes entreprises du monde.

Au moment même où cet article est rédigé, l’action de Gamestop a fluctué entre 40 et 150 dollars. Que signifie alors ces oscillations et l’exaltation sociale et médiatique qui les ont déterminées ? Quel rôle ont joué les réseaux sociaux dans cet épisode ?

L’objectif de cet article est de décrypter de manière chronologique les faits importants qui ont marqué cette affaire par une mise en contexte et une description des partis concernés.

A. Mise en contexte

Gamestop ou l’impact de la progression du dématérialisé.

Gamestop est une entreprise disposant de commerces physiques qui vendent principalement des jeux vidéo en plus de produits dérivés issus de la pop culture. Elle possède plus de 5000 magasins à travers le monde dont les ⅔ se trouvent aux Etats-Unis et se trouve être depuis 2008, la maison mère de la chaîne de magasins Micromania, présente dans la plupart des villes de France.

Compte tenu de la forte progression de l’achat de produits dématérialisés, Gamestop et ses filiales subissent de plein fouet cette transition étant donné leur spécialisation dans la vente physique de biens, dont la dématérialisation aujourd’hui semble déjà de plus en plus convenir à de nombreux consommateurs qui, suite au progrès du digital et à l’accès à des espaces de stockage conséquents et  peu chers, favorisent l’accentuation de ce phénomène tout comme c’est déjà le cas pour l’industrie du film et de la musique.

Sur l’aspect financier, si l’on combine les résultats de l’entreprise pour ces trois dernières années, les pertes s’évaluent à plus d’un milliard de dollars

Gamestop est cotée sur le New York Stock Exchange (NYSE), le premier indice boursier mondial. Selon des experts comptables,  l’ensemble des possessions de l’entreprise est valorisé à 2,8 Milliards de dollars pour des dettes estimées à 2,2 milliards de dollars. Ne laissant donc “que” quelques centaines de millions à se partager entre les actionnaires. Ce qui semble plus ou moins représentatif de la situation difficile de la société.

Descriptions des fonds d’investissement et des opérations financières concernées

La valeur en bourse reflète théoriquement l’opinion des marchés financiers sur le succès futur de l’entreprise, une faible valeur en bourse signifie donc qu’il y a peu de gens prêts à acheter des actions, rendant donc difficile le financement pour l’entreprise émettrice. De ce fait, des pratiques et opérations financières existent, permettant de parier à la hausse ou à la baisse la valeur d’une action.

Pour ce qui est de Gamestop, il y eut donc des Hedges Funds ou fonds d’investissement fortement actifs sur le marché de Wall Street, qui pensent que l’action de l’entreprise va s’effondrer compte tenu du contexte et décident alors de parier dessus. Parmi elles, on retrouve entre autres des fonds tels que Citron Research, Melvin Capital de la maison mère Citadel.

Cette pratique se nomme le short selling, une méthode d’investissement qui permet d’avoir des gains sur la chute de valeur d’une société en empruntant ses actions à une valeur A, de les revendre pour encaisser, puis de profiter d’une chute du cours boursier de cette action, ce qui permet de rembourser la société à un coût bien moindre que prévu par cette dernière. Ainsi, constater du shorting sur les actions d’une entreprise, ne fait que renforcer la défiance des actionnaires sur ses performances, ce qui a tendance à baisser encore davantage la valeur de son action compte tenu de la mauvaise image qu’elle affiche.

Description de la communauté

Face à cette situation, des petits porteurs ou encore “boursicoteurs” qui ont tendance à se rassembler en communauté sur internet, s’intéressent progressivement au cas Gamestop. Parmi ces communautés, on retrouve r/WallStreetBets, un forum hébergé sur le réseau social anglophone Reddit et où échangent des millions d’adhérents qui ont l’habitude d’effectuer des opérations financières depuis chez eux via leurs appareils. Ses membres, à majorité d’une tranche d’âge allant de 28 à 45 ans, sont généralement férus de technologie et de la culture vidéo-ludique depuis leur enfance, ainsi bon nombre d’entre eux, sous un élan de nostalgie, commencent à se mobiliser face à la situation que traverse l’enseigne.

B. Déroulement des faits

Au milieu de l’année 2020 et afin de sauver l’entreprise, il est proposé aux actionnaires de Gamestop de la sortir de la bourse afin d’annuler les shorts, et de prendre le temps de se rétablir. En rachetant massivement ses propres actions et qui a permis un rehaussement de sa valeur (De 3 à 7 dollars entre Mai et Septembre 2020)

En Septembre 2020 entre alors en scène le jeune entrepreneur devenu milliardaire Ryan Cohen qui achète environ 13% des actions de Gamestop et qui semble prendre également à cœur l’état de l’enseigne. Son implication sur cette affaire aura pour incidence de convaincre davantage de personnes parmi les actionnaires et les particuliers sur Reddit à s’intéresser de près à la valeur de l’action de l’entreprise, ce qui rehaussera sa valeur, passant de 7 à près de 20 dollars en Janvier 2021.

A la mi-janvier, les choses s’accélèrent suite à la diffusion d’un rapport (https://www.regcompliancewatch.com/gamestop-raid-prompts-finra-alert/) mettant en exergue le short excessif que subissent les actions Gamestop par des fonds d’investissement. Suite à cela des voix s’élèvent afin de saisir cette (opportunité ?) et de marquer un “grand coup”.

Le short squeeze

C’est l’appellation donnée à cette manœuvre financière qui fera couler beaucoup d’encre de par le monde dans cette affaire ? Suite aux informations certifiées de shorting massif effectués par des fonds, un nombre massif de particuliers sur Reddit se mobilise afin d’inciter et encourager toujours plus de personnes à acheter des actions Gamestop dans le but de rehausser davantage sa valeur. En effet, comme mentionné précédemment, le shorting consiste à emprunter des actions d’une entreprise, de les revendre et de profiter de la chute de son cours pour gagner une marge. Quand on pratique le shorting, le gain est limité par le plancher c’est-à-dire que l’action ne peut pas valoir moins que zéro, Mais la perte elle ne l’est pas. Dès lors, que se passerait-il si la valeur de l’action empruntée ne baissait pas, mais venait plutôt à augmenter ? Qui plus est de manière fulgurante ; dit de façon simple, il s’agira d’une catastrophe pour ces opérateurs.

L’excitation autour de Gamestop prend donc de l’ampleur, le 21 Janvier 2021, la valeur de son action double, passant alors à 40 dollars, ce qui “pressa” le fond Citron Research à abandonner son short établi en début Janvier pour 20 dollars l’action. Quelques jours plus tard, la déclaration sur Twitter du milliardaire Chamath Palihapitiya sur son souhait de parier à la hausse sonne l’explosion des compteurs : l’action terminera la journée à 188 dollars.

Durant la soirée du même jour, Elon Musk, qui a déjà pu montrer par le passé son aigreur pour les fonds d’investissement qui pratique le shorting, se joint la fête en postant un tweet avec un lien renvoyant au groupe r/WallStreetBets sur Reddit :

Le 27 janvier, à l’ouverture, l’action Gamestop vaut 354 dollars.

Plus qu’un mouvement : une croisade

Pour que le short squeeze soit “sévère” envers ces Hedges funds qui ont short, un simple processus d’achat et de vente d’actions n’est pas fructueux. En effet, l’on précise que la mobilisation portait envers et contre tout sur l’achat des actions et non leur revente, la raison est simple : les fluctuations existantes de la valeur de l’action entre achat et vente durant les heures d’ouverture du marché boursier pourraient permettre à ces fonds de combler les pertes voire même de générer du profit. Ce qui n’est en aucun cas l’objectif du mouvement. Ainsi, une fois les efforts pour permettre la réévaluation de l’action ont porté leurs fruits, un slogan se fît alors fortement relayer au sein de la communauté en vue de motiver les membres et les participants à garder leurs actions au maximum ; le slogan “Hold the Line” ou “Patientez, Maintenez”.

Cet élan de solidarité est sans précédent dans ce milieu. D’autant plus qu’il s’agit ici d’argent, de beaucoup d’argent, réputé pour avoir la capacité de détruire la plus forte des relations de confiance entre les individus.

Le grand perdant

Bien qu’il soit très complexe d’apposer le mot victoire à ce mouvement, il n’en demeure pas moins que l’un des objectifs de la communauté voulant marquer un gros coup contre les fonds d’investissement ayant short massivement l’action de Gamestop peut être qualifié de réussi. En effet l’histoire retiendra le nom de Melvin Capital Management comme principal perdant, ce fond spéculatif notamment connu pour ses paris à découvert s’est vu infligé des pertes colossales. Durant les trois premières semaines de l’euphorie, le fond aurait essuyé des pertes de plus 3,5 milliards de dollars. Ces chiffres pourraient être réévalués à la hausse si l’on prend en compte d’autres opérateurs qui auraient short sans pour autant le déclarer.

Conclusion

Les rouages de cette affaire ont donc les caractéristiques adéquates pour la production d’un film sensationnel. L’adage “l’union fait la force” adapté au progrès et aux pratiques interactives actuelles n’aura jamais été plus parlant.

Bien qu’un pavé soit jeté, il n’en demeure pas moins que le secteur de la finance, de par ses moyens s’avère être un océan et non une mare. Impactant donc peu au final les établis en vigueur.

Ainsi,  dire qu’un rassemblement d’individus issus du peuple a réussi à “battre” Wall Street semble aller vite en besogne, car, bien que des milliards aient été plus ou moins “redistribués”, ces quelques acteurs du milieu financier ne représentent pas la globalité du secteur.

Cette expédition punitive par le peuple a non moins révélé au grand jour les contours d’un système dont l’opacité autour des pratiques semble vive malgré les instances de contrôle existantes.

Par Ayman Hilal, promotion 2020-2021 du M2 IESCI

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